Préface

Ceci n'est pas le livre d'un érudit, mais le récit d'un voyageur. Nous avons voulu avant tout parcourir, voir, interroger les lieux plus que les livres. Sans doute nous n'avons laissé de côté ni l'histoire, ni la légende, ni l'archéologie, ce sont comme des lumières sans lesquelles on ne saurait descendre dans le passé ; nous citerons les textes principaux, nous résumerons l'histoire quant à ses traits essentiels, à chacune de nos sept étapes nous nous efforcerons de reconstituer par la pensée le monument ruiné ou disparu, mais toujours brièvement, sommairement, sans permettre à notre science trop peu préparée de s'égarer dans l'aventure d'études approfondies. Nous n'avons pas la prétention d'avoir dit le dernier mot sur aucune des questions que soulèvent les Sept Merveilles du Monde. Nous allons raconter, non pas discuter.

Rien qui dépasse, dans l'antiquité classique, la renommée des Sept Merveilles du Monde. Après tant de siècles, les générations nouvelles en gardent la mémoire et les vantent encore sur la foi des vieux auteurs.

L'antiquité païenne avait multiplié à l'infini les monuments, dans les pays que baigne la Méditerranée. Pas un bois qui n'eût son sanctuaire ; pas une cime, aux rivages grecs, qui n'eût son temple ; pas une cité qui n'eût son acropole que peuplaient les dieux de marbre et les héros de bronze.

Les anciens n'étendaient pas à une contrée immense l'idée de patrie ; ils la concentraient sur une ville, fort petite bien souvent, et l'amour qu'ils lui portaient n'en était que plus tendre, plus vif, plus fidèle. Cette ville, chérie entre toutes, où leurs aïeux étaient morts, où leurs enfants étaient nés, ils la voulaient belle s'ils ne pouvaient pas toujours la faire puissante ; ils la paraient d'édifices somptueux, comme un amant pare de joyaux celle qu'il aime. Et quels édifices ! Quels temples ! Quelles statues ! A Athènes, c'était le Parthénon que les Propylées et l'Erechthéion encadrent ; à Delphes, c'était un temple d'Apollon que la dévotion des rois et des peuples avait rempli d'innombrables trésors ; à Sardes, c'était un temple de Cybèle, des palais, des tombeaux ; à Cnide, c'était une Vénus de Praxitèle souriante au milieu des bosquets ; en Egypte, c'était partout des pylônes géants, des sanctuaires mystérieux, des colosses austères, des obélisques reflétant dans le Nil leur aiguille de granit. Et cependant le Parthénon, le temple de Delphes, les colonnades prodigieuses de Thèbes et de Memphis n'étaient pas comptés au nombre des Sept Merveilles du monde. Quelles magnificences fallait-il aux voyageurs d'autre fois pour éveiller leur enthousiasme ? Que demandaient donc leurs yeux lassés de tant de splendeurs ?

Ce qu'ils avaient proclamé les merveilles, c'était, on s'en souvient : le colosse de Rhodes, le tombeau de Mausole à Halicarnasse, le temple de Diane à Ephèse, le phare d'Alexandrie, les Pyramides, la statue de Jupiter à Olympie, les jardins de Babylone.

Qu'en reste-t-il ? Les siècles, les pillages, les guerres, les invasions plus dévastatrices, tous les fléaux conjurés pour les détruire, qu'en ont-ils laissé ? Rien le plus souvent. Mais il est toujours une chose que l'homme ne saurait anéantir, c'est la nature. Le cadre reste à défaut du tableau, et le tableau peut quelquefois être vaguement raconté par le cadre.

Ces édifices grandioses, fastueux, immenses, n'ont pas croulé sans un fracas retentissant, et l'écho doit en frémir encore. Le souvenir survit, plus indestructible que les marbres et les porphyres. Dans le pèlerinage que nous allons entreprendre, si nous ne saluons pas les monuments maintenant disparus, nous saluerons du moins leur poussière glorieuse.

Les sept dessins restaurés qui accompagnent ici les sept Merveilles du Monde, ont été composés sur les croquis et d'après les indications de M. Louis Bernier architecte. Qu'il soit permis à l'auteur, au seuil de ce livre, de remercier celui qui fut son vaillant compagnon de voyage, avant d'être son très compétent collaborateur.


Chapitre 1 - Le colosse de Rhodes