(Pantomimos, orchêsis - La pantomime, en dépit de son nom de forme grecque, est un art purement romain. On en attribuait l'invention à deux affranchis du temps d'Auguste, Pylades de Cilicie et Bathyllus d'Alexandrie. Toutefois ceux-ci ne l'avaient pas créée de toutes pièces. C'est dans une très ancienne et très originale habitude de l'art scénique à Rome qu'il faut, semble-t-il, chercher la genèse, ou du moins les antécédents de la pantomime. On sait de quelle étrange façon s'exécutaient, dans la tragédie et dans la comédie latines, les cantica ou monologues chantés. Depuis le temps de Livius Andronicus, qui en avait, dit-on, donné le premier exemple, l'interprétation de ces morceaux était généralement répartie entre deux acteurs différents, l'un ayant mission de chanter les paroles, l'autre de les traduire par la mimique [Canticum]. Le vif plaisir que prenait le public aux cantica ainsi exécutés donna un jour l'idée de supprimer tout le reste du drame. Ce jour-là, on peut dire que la pantomime était créée, du moins en ses éléments essentiels. L'oeuvre de Pylades et de Bathyllus consista donc surtout à consacrer définitivement cette séparation des cantica, et à les constituer en un genre indépendant qui eût son individualité propre.

D'après ses sujets, la pantomime se divisait, de même que le drame dont elle était issue, en deux espèces, tragique et comique. Cette dernière, inventée par Bathyllus, était, naturellement, d'humeur plus vive et plus gaie. La danse s'y rapprochait de celle de la comédie grecque, appeléekordax [Saltatio]. Les sujets qu'elle mettait en scène nous sont peu connus : Plutarque cite cependant, comme exemples, la nymphe Echo, Pan ou un Satyre prenant ses ébats avec Eros. La pantomime de Bathyllus vécut plus d'un siècle, mais elle n'eut jamais, semble-t-il, une vogue égale à celle de Pylades. Celle-ci nous est beaucoup mieux connue. Ses thèmes, comme ceux de la tragédie, étaient, presque sans exception, empruntés à la mythologie. Mais, parmi ces fables, le goût blasé et sensuel de l'époque fait un choix. Les sujets qu'il préfère, ce sont, d'abord, certaines légendes, d'un pathétique atroce, telles qu'Atrée et Thyeste, la fureur d'Ajax, la fureur d'Héraclès, Agavé, Niobè, etc., ou plus ordinairement encore, les aventures scandaleuses d'amour : Phèdre, Léda, Europe, Danaè, Ganymède, Atys, Adonis, Mars et Vénus. Beaucoup plus rares étaient les matières puisées dans la légende romaine. Nous ne connaissons guère, en ce genre, qu'un Turnus, imité de Virgile, dans lequel dansa Néron, et une Didon, qui, au temps de Macrobe, faisait encore les délices du public. A côté de ces sujets mythiques, à peine peut-on citer quelques aventures tirées de l'histoire réelle, par exemple la destinée de Polycrate, la passion de Séleucos pour Stratonikè, favorite de son père, la mort de Cléopâtre : aventures tragiques, où la réalité se tournait d'elle-même en drame. Comment était composé le libretto d'une pantomime ? Nous pouvons nous en faire quelque idée d'après un passage de Lucien, qui nous montre un pantomime, du temps de Néron, dansant l'adultère de Mars et Vénus. L'artiste représenta d'abord «Hélios révélant à Vulcain son infortune, puis Vulcain dressant un piège aux deux amants et les enfermant dans des lacs invisibles, les dieux survenant, un à un, la confusion de Vénus, la frayeur et les prières de Mars, et tout le reste de la légende». De cet exemple on doit conclure que, dans la légende mise en scène, le librettiste ne prenait, pour les traduire en cantica, que les moments essentiels de l'action. Dans les intervalles de ces morceaux lyriques, le choeur n'exécutait-il pas des narratifs, destinés à les relier entre eux ? On l'a parfois supposé, mais sans raison suffisante, ce me semble. Quoi qu'il en soit, la valeur littéraire de ces poèmes était, au témoignage de Plutarque et de Libanios, fort médiocre. Dans la pantomime, «ce sont, dit ce dernier, les chants qui sont faits pour la danse, et non la danse pour les chants, et les vers comptent pour fort peu». Lorsque le sujet était tiré d'une tragédie grecque, il y a lieu de croire que le livret se faisait ordinairement à coups de ciseaux, c'est-à-dire au moyen d'extraits et de centons. Les compositions originales, spécialement faites pour la pantomime, étaient sans doute assez rares. Nous savons cependant que Lucain avait écrit quatorze de ces fabulae saltaticae. De même Stace composa pour le pantomime Paris une Agavé. Dans ces deux cas, le livret était, évidemment, écrit en latin. C'était là, toutefois, une rare exception. Généralement le texte des pantomimes était en grec : ainsi le voulaient le bon ton et la mode du temps.

L'interprétation de la pantomime exigeait le concours de trois arts distincts : chant, musique, mimique. C'est surtout dans les deux premiers que Pylades avait innové. Au chanteur unique des cantica, il substitua un choeur entier, très nombreux. Au flûtiste il adjoignit plusieurs autres instrumentistes, de sorte que, sinon de son temps, du moins chez ses successeurs nous trouvons un véritable orchestre, où la flûte, la syrinx, les cymbales, la cithare, la lyre, la trompette même marient leurs sons. Le rôle de l'orchestre n'était pas seulement de soutenir les chants du choeur, mais aussi de régler les gestes de l'acteur. C'était un grave défaut, chez un pantomime, que de mimer à contretemps.

La mesure, du reste, était donnée, en même temps que par l'orchestre, par un instrument spécial, le scabillum ou scabellum (kroupeza, kroupezion). On appelait ainsi une sorte de boîte, de métal ou de bois, fendue horizontalement, à l'intérieur de laquelle était disposé un appareil, qui, sous la pression, émettait un son clair. On l'adaptait au pied, comme le montre la figure. Cet instrument était porté, soit par le chef de choeur (mesochoros), soit par plusieurs exécutants (scabellarii, oi ktupountes).

Les gens de goût jugeaient très défavorablement la musique des pantomimes. C'était une musique molle, sensuelle, qui chatouillait l'oreille par de jolis airs et par l'abus des trilles, mais énervait les âmes.

Aussi bien la musique et le chant n'étaient-ils considérés, dans la pantomime, que comme des parties accessoires. L'important, c'était la mimique, art très original et très complexe, pour lequel les Romains eurent, de tout temps, une véritable passion. L'intelligence de la mimique était évidemment facilitée par les chants choraux. De plus, la très grande majorité des pièces étant tirée de la mythologie, le public avait généralement quelque connaissance préalable du sujet. Malgré ces secours, le rôle de la mimique restait très ardu. D'une part, en effet, le masque supprimait ce que nous regardons, de nos jours, comme une bonne moitié de l'art du comédien, je veux dire les jeux de physionomie. Ajoutez à cela que le pantomime, dans chaque pièce, avait à jouer, non pas un seul rôle, mais plusieurs, et souvent très divers : d'homme et de femme, d'enfant et de vieillard, de roi et d'esclave, etc. Lucien, par exemple, nous apprend que dans le Festin de Thyeste, le même acteur figurait tour à tour Atrée, Thyeste, Egisthe, Aèropé. Ailleurs il cite une pièce où le même artiste paraissait sous cinq masques, c'est-à-dire dans cinq rôles différents. Une difficulté plus grande encore, c'est que, par son jeu seul, le pantomime devait évoquer l'idée des autres personnages du drame. Jouait-il Achille, ou Prométhée, ou Ganymède, il lui fallait suggérer l'interlocuteur absent, Paris, Vulcain, Jupiter. Car il n'avait (du moins, dans la plupart des cas), à ses côtés, aucun comparse même muet, pour faciliter, par sa présence, l'intelligence de chaque scène. En quoi consistait cette mimique, si extraordinairement expressive ? En pas (phorai), en attitudes (schêmata), et surtout en indications (deixeis). Chez le pantomime, aucune partie du corps ne restait inactive : tot linguae quam membra viro, dit une épigramme de l'Anthologie. Mais si les mouvements de la tête, des épaules, des jambes, des genoux, des pieds avaient leur part d'expression, le rôle essentiel, cependant, appartenait à la main et aux doigts. De là ces locutions étranges, mais qui reviennent souvent chez les anciens : tais chersi lalein, cheires pamphônoi, loquacissimae manus, linguosi digiti. De là aussi ce nom de chironomus par lequel on désignait, à l'occasion, le pantomime. Sur ce langage des mains, «commun à toutes les nations», Quintilien nous a transmis quelques indications, détaillées et fines : «Le nombre des mouvements dont les mains sont capables est incalculable, et égale presque celui des mots.... Elles parlent, ou peu s'en faut. Elles demandent et promettent, elles appellent et congédient, elles menacent et supplient. Elles expriment horreur, crainte, joie, tristesse, hésitation, aveu, repentir, mesure, abondance, nombre, temps. N'ont-elles pas le pouvoir d'exciter et de calmer, d'implorer, d'approuver, d'admirer, de témoigner la pudeur ? Ne tiennent-elles pas lieu d'adverbes et de pronoms, pour désigner les lieux et les personnes ?... Il y a encore d'autres gestes par où la main fait entendre les choses en les imitant. Ainsi, pour exprimer que telle personne est malade, elle contrefait le médecin qui lui tâte le pouls ; ou, pour signifier que telle autre sait la musique, elle compose ses doigts à la façon d'un joueur de lyre. L'orateur ne saurait trop fuir ce genre d'imitation, qui ne convient qu'à un pantomime ; et c'est au sens, bien plus qu'aux paroles, qu'il doit conformer son geste, ce que font même les acteurs qui mettent quelque gravité dans leur jeu». On voit assez bien, par ce passage, ce que c'était que la pantomime : c'était une interprétation plastique du texte, qui s'efforçait d'en traduire aux yeux tous les détails. Mais nous apprenons en même temps par Quintilien que les meilleurs acteurs avaient un jeu, plus sobre et plus large, qui ne s'attachait qu'à chaque pensée, non aux mots. Une curieuse anecdote, rapportée par Macrobe, montre bien, à ce point de vue, la différence entre un acteur vulgaire et un grand artiste. Dans un canticum, où il avait à rendre ces mots «le grand Agamemnon», le pantomime Hylas se dressa sur la pointe des orteils. «Tu le fais long, et non pas grand !» lui cria Pylades. Et l'assistance, ayant alors invité l'interrupteur à jouer lui-même le passage critiqué, il se borna, pour rendre la grandeur d'Agamemnon, à prendre une attitude grave et méditative. Malgré la variété de ses moyens d'expression, il est cependant beaucoup de choses que la main est, évidemment, impuissante à rendre. C'est pourquoi il ne paraît pas douteux qu'à cette mimique, suggérée par la nature, la pantomime n'ajoutât tout un système de signes, purement conventionnels, qu'une longue tradition avait fixés et rendus familiers au public. Deux passages de saint Augustin et de Cassiodore doivent, à ce qu'il semble, être interprétés en ce sens.

La pantomime se jouait dans les théâtres ordinaires, l'acteur occupant le pulpitum et ayant derrière lui le choeur et l'orchestre. Probablement le décor était le même que dans la tragédie : du moins voyons-nous que, dans une pantomime où paraissait Capanée, la scène représentait les remparts de Thèbes. Le costume, également, rappelait celui des tragédiens : manteau (palla), et tunique tombant jusqu'aux pieds (tunica talaris) [Histrio]. Ce vêtement était généralement en soie, sans doute pour laisser plus de liberté et de souplesse aux mouvements du danseur et, en même temps, leur prêter plus de grâce (esthês malakê).

Quant au masque il différait considérablement de celui des tragédiens, d'abord par ses lèvres closes, et aussi par la régularité et la beauté idéales de ses traits. Du pantomime lui-même on exigeait, du reste, des dons physiques éminents : une taille bien proportionnée, la souplesse, la vigueur. «Je l'imagine, dit Lucien, conforme au canon de Polyclète». Dans les premiers siècles de l'Empire, la pantomime fut jouée exclusivement par des hommes. Ce n'est que vers le IVe siècle de notre ère qu'on vit monter les femmes sur la scène. A cette époque, il y avait des femmes même dans les choeurs de la pantomime. Parmi les plus fameuses artistes en ce genre citons seulement, sous Justinien, Théodora, qui devint impératrice.

L'immoralité de la pantomime, le réalisme et l'indécence des tableaux qu'elle offrait aux yeux ont été stigmatisés aussi bien par les auteurs païens que par les pères de l'Eglise, qui la dépeignent comme une invention de Satan. En dépit, ou plutôt en raison même de cette impudeur, peu de genres dramatiques ont eu une pareille vogue. On la jouait non seulement à Rome, mais dans l'Italie entière et dans les provinces. Elle s'étalait, non seulement au théâtre, mais sur les scènes privées qu'entretenaient l'empereur et, à son exemple, les familles riches. Son succès fut tel qu'elle éclipsa et fit disparaître tous les autres genres, à l'exception du mime qui, du reste, luttait avec elle d'obscénité [Mimus]. Sur l'engouement des empereurs et des grands pour les acteurs de pantomime, sur les rivalités de ceux-ci et les manifestations tumultueuses auxquelles elles donnaient prétexte au théâtre, sur la passion avouée dont quelques-uns d'entre eux furent l'objet de la part des femmes de la meilleure société et même des impératrices, sur les vaines mesures de répression prises contre ces scandales, on a dit le nécessaire aux articles Histrio et Mimus. Avant de finir, nommons seulement les pantomimes les plus célèbres : Pylades et Bathyllus, créateurs du genre, Hylas, leur contemporain, Apolaustus, qui brilla sous Trajan, Paris, favori de Néron, etc. Il y a lieu de remarquer, du reste, que, selon une coutume qui règne à cette époque dans tous les arts, les successeurs aiment à se parer des noms illustrés par leurs devanciers. C'est ainsi que, dans la pantomime, nous trouvons trois artistes du nom de Pylades, deux Bathy1lus, deux Apolaustus, et jusqu'à cinq Paris, dont le dernier vivait au IVe siècle après J.-C.


Article d'Octave Navarre