[Le Pirée - Les Longs Murs - Le Céramique]

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I. [1] Dans cette partie du continent de la Grèce qui regarde les Cyclades et la mer Egée, s'élève, à l'entrée de l'Attique, le promontoire de Sunium. Au bas est une rade, et au haut un temple dédié à Minerve Suniade. Quand vous allez par mer à Athènes, et que vous avez passé ce promontoire, vous voyez un peu plus loin la montagne de Laurium, où les Athéniens avaient autrefois des mines d'argent. Vous trouverez ensuite l'île Patrocle de peu d'étendue, et qui même aujourd'hui est déserte ; ainsi dite du nom de Patrocle qui l'avait entourée de murs, et fortifiée d'un bon rempart. C'était le commandant d'une flotte égyptienne, que Ptolémée Philadelphe envoya au secours des Athéniens, lorsqu'Antigonus fils de Démétrius, à la tête d'une armée, ravageait leur pays, et tenait leurs places maritimes bloquées avec ses vaisseaux.

[2] Le Pirée, qui n'est pas loin de là, n'était anciennement qu'une bourgade ; et l'on ne s'était point avisé d'en faire un port, avant que Thémistocle eût pris le gouvernement d'Athènes. Phalère qui joint de bien plus près la ville à la mer, servait alors de havre ; aussi dit-on que Ménesthée partit de là avec son escadre pour aller au siège de Troie, et qu'avant lui Thésée s'était embarqué au même lieu pour aller porter à Minos le tribut des Athéniens, en satisfaction de la mort de son fils Androgée. Quoi qu'il en soit, Thémistocle, durant son administration, jugea que le Pirée serait beaucoup plus commode pour les vaisseaux, en ce qu'il pouvait avoir trois ports, au lieu que Phalère n'en avait qu'un, et il les fit construire. Ces trois ports ont subsisté jusqu'à mon temps. Près de celui qui est le plus considérable des trois, on voit encore le tombeau de Thémistocle ; car on assure que les Athéniens se repentirent de l'avoir banni, et que ses proches profitant de cette disposition, transportèrent ses os de Magnésie à Athènes ; du moins est-il certain que ses enfants y revinrent, et qu'ils consacrèrent dans le Parthénon un tableau où est représenté leur père Thémistocle.

[3] Pour revenir au Pirée, voici ce qu'on y remarque de plus curieux. Premièrement, un lieu consacré à Jupiter et à Minerve, où le dieu et la déesse sont en bronze ; Jupiter tient un sceptre et une victoire, Minerve une pique. Dans ce lieu est encore un tableau d'Arcésilas, qui représente Léosthène et ses enfants ; c'est ce Léosthène qui, lorsqu'il commandait l'armée des Athéniens et d'autres Grecs leurs alliés, remporta deux grandes victoires sur les Macédoniens, l'une en Béotie, l'autre au-delà des Thermopyles, vis-à-vis du mont Oeta, et auprès de la ville de Lamia, où il força les ennemis d'entrer, pour les y investir ensuite. Secondement, un grand et long portique où l'on tient un marché pour ceux qui habitent le long de la mer ; car ceux qui en sont éloignés ont le leur à part. Derrière le portique qui donne sur la mer, on voit une statue de Jupiter, et une autre qui représente le peuple d'Athènes, toutes deux faites par Léocharès. Enfin sur le bord de la mer vous voyez un temple de Vénus, bâti par Conon, en mémoire du combat naval où il défit la flotte de Lacédémone auprès de Cnide dans la Chersonnèse de Carie. En effet, les Cnidiens honorent particulièrement cette déesse, et lui ont dédié plusieurs temples ; un, qui est le plus ancien de tous, sous le nom de Vénus Doritide, un autre sous le nom de Vénus Acréene, et un troisième appellé communément le temple de Vénus Gnidienne, quoique les Cnidiens eux-mêmes disent Euploeène.

[4] Mais les Athéniens ont encore d'autres ports. Ils en ont un à Munychie avec un temple dédié à Diane Munychienne, et un autre à Phalère dont j'ai parlé. Auprès de ce dernier est un temple de Cérès, et dans le voisinage un autre temple de Minerve Scirade, car celui de Jupiter est un peu plus loin ; sans compter quelques autels consacrés aux dieux inconnus et à plusieurs héros, comme, par exemple, aux enfants de Thésée et aux enfants de ce Phalère, dont le lieu a pris sa dénomination. En effet, les Athéniens disent que Phalère fut un de ceux qui s'embarquèrent avec Jason pour la Colchide. Il y a entre autres l'autel d'Androgée, sans autre inscription que celle-ci : Au héros. Mais ceux qui ont étudié les antiquités du pays, savent bien que c'est à Androgée qu'il est dédié.

[5] A quelque vingt stades plus loin vous trouvez le promontoire de Colias ; c'est là qu'après la défaite de l'armée navale des Perses, les débris de leurs vaisseaux furent poussés par le flot : ce lieu n'a aujourd'hui rien de remarquable qu'une statue de Vénus Coliade, et quelques autres statues de ces déesses, nommées Génétyllides, que je crois peu différentes de celles que les Phocéens d'Ionie honorent sous le nom de Gennaïdes. Sur le chemin qui conduit de Phalère à Athènes, on voit un temple de Junon qui n'a plus ni toit ni portes ; la commune opinion est que ce temple fut brûlé par Mardonius fils de Gobryas ; cependant il est resté une statue que l'on croit être un ouvrage d'Alcamène, et qui, si cela est, n'a pu être exposée à la fureur des barbares.

II. [1] En approchant de la ville, vous découvrez le tombeau de l'illustre amazone Antiope. Pindare dit qu'elle fut enlevée par Thésée et par Pirithoüs ; mais Hégias de Trézoene raconte le fait autrement. Il dit qu'Hercule ayant assiégé Thémyscire sur le Thermodon, et n'ayant pu s'en rendre maître, Antiope éprise d'amour pour Thésée, qui accompagnait Hercule à cette expédition, livra la ville à son amant : voilà ce que dit Hégias. Les Athéniens content aussi le fait à leur manière ; ils prétendent que les amazones venant assiéger Athènes, Antiope fut percée d'une flèche par Molpadie, et que Thésée, pour venger la mort d'Antiope, tua Molpadie ; véritablement le tombeau de Molpadie est aussi à Athènes.

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[2] Depuis le Pirée jusqu'à la ville vous marchez, pour ainsi dire, sur les ruines de ces murs, que Conon avait fait relever après son combat de Cnide ; car pour ceux que Thémistocle fit construire après la retraite des Perses en leur pays, ils furent démolis sous la tyrannie des trente. Le chemin est bordé de tombeaux de personnages illustres, tels que Ménandre fils de Diopithe, et Euripide ; mais celui d'Euripide est uniquement pour conserver sa mémoire, c'est moins un tombeau qu'un cénotaphe ; car ce poète étant allé trouver Archélaüs en Macédoine, il y mourut, et y fut enterré. La manière dont il finit ses jours, est racontée par plusieurs auteurs, et je veux bien qu'on les en croie.

[3] Je n'ignore pas qu'alors les poètes avaient l'honneur de vivre familièrement avec les rois : et même avant Euripide ; Anacréon avait vécu avec Polycrate, tyran de Samos ; Eschyle et Simonide avaient été bien reçus de Hiéron, tyran de Syracuse ; Philoxène a eu en son temps les bonnes grâces du jeune Denis ; et Antagoras de Rhodes, aussi bien qu'Aratus de Soli, se sont vus honorés de la familiarité d'Antigonus, roi de Macédoine. A l'égard d'Hésiode et d'Homère, ou ils n'ont pas eu le bonheur de fréquenter les grands, ou ils ne s'en sont pas soucié ; car Hésiode, qui s'était adonné à une vie champêtre et paresseuse, n'a pas eu de goût pour les voyages. Quant à Homère, qui a beaucoup voyagé, il a préféré une grande réputation et une gloire solide à tous les avantages que l'on tire de l'amitié des grands ; mais lui-même nous représente Démodocus comblé d'honneurs à la table d'Alcinoüs, et nous apprend qu'Agamemnon, en quittant la reine sa femme, laissa un poète auprès d'elle. Tout contre la porte de la ville est un grand tombeau, sur lequel est une statue équestre en équipage de guerre ; je n'ai pu savoir qui est celui que l'on a voulu représenter, mais le cavalier et le cheval sont de Praxitèle.

[4] En entrant dans la ville vous voyez un édifice où l'on garde tout ce qui est nécessaire pour la pompe des Panathénées, tant grandes que petites ; les unes se célèbrent tous les ans, et les autres après un certain intervalle. Près de là est un temple de Cérès où il y a trois belles statues, l'une de la déesse, l'autre de Proserpine sa fille, et la troisième de Bacchus qui tient un flambeau à la main ; il est écrit en caractère attique sur la muraille, que c'est Polyclète qui a fait ces ouvrages. Un peu plus loin vous trouvez un Neptune qui allonge de dessus son cheval un coup de pique au géant Polybote, celui-là même que ce dieu assomma d'une grosse roche qu'il avait détachée de l'île de Cos, et dont il le couvrit après l'avoir tué : ce qui donna lieu à la fable du promontoire et de la tortue, fable si connue dans cette île ; cependant l'inscription qui se lit aujourd'hui porte un autre nom que celui de Neptune. Depuis la porte de la ville jusqu'au Céramique, règnent plusieurs portiques dont la façade est ornée de statues de bronze, qui représentent autant d'hommes et de femmes illustres.

[5] Un de ces portiques renferme quelques chapelles avec un gymnase ou lieu d'exercice consacré à Mercure. Polytion y avait autrefois sa demeure, et c'est chez lui, dit-on, que quelques Athéniens des plus qualifiés profanèrent autrefois les mystères de Cérès d'Eleusis. Ce lieu est présentement consacré à Bacchus le chantre, ainsi le nomme-t-on par la même raison que l'on appelle Apollon le chef et le conducteur des Muses. On y voit des statues de Minerve Péonienne, de Jupiter, de Mnémosyne et des Muses, une autre d'Apollon faite et consacrée par Eubulide, un autre enfin d'un de ces Génies qui accompagnoient Bacchus, je veux dire, d'Acratus, dont le visage seulement est en relief sur la muraille. Un peu au-delà est encore une chapelle remplie de statues qui ne sont que de terre cuite ; là paraît Amphictyon roi d'Athènes, qui reçoit à sa table tous les dieux ; Bacchus s'y fait surtout remarquer. On y a aussi placé Pégasus d'Eleuthère, qui persuada aux Athéniens de recevoir le culte et les cérémonies de Bacchus ; à quoi il fut aidé par un oracle de Delphes, qui rappellait en mémoire que ce dieu, du temps d'Icarius, avait visité l'Attique.

[6] Voici maintenant comment Amphictyon vint à régner. On dit qu'Actée fut le premier roi du pays que l'on nomme aujourd'hui l'Attique. Actée mort, Cécrops qui avait épousé sa fille, lui succéda. Cécrops eut pour filles Ersé, Aglaure, et Pandrose, et pour fils Erysicthon, qui ne régna point, parce qu'il mourut avant son père ; d'où il arriva que Cranaüs, qui était le plus puissant et le plus accrédité de la ville, s'empara du royaume après la mort de Cécrops. Ce Cranaüs eut plusieurs filles, mais entre autres Atthis, qui dans la suite donna son nom à tout le pays, ensorte que ce qu'on appellait l'Actée, fut depuis appellé l'Attique. Amphictyon qui avait épousé une fille de Cranaüs, détrôna son beau-père ; mais lui-même à son tour vit une conspiration tramée contre sa personne, et fut détrôné par Ericthonius, de qui l'on dit que nul mortel ne put se vanter d'être le père, et qu'il naquit de la Terre et de Vulcain. III. [1] Le Céramique est un quartier de la ville, qui tire son nom de Céramus, un des héros de son temps, et fils, à ce que l'on croit, de Bacchus et d'Ariadne. Le premier portique à main droite est le portique du roi ; ainsi est-il appellé parce que c'est là que le roi tient son tribunal ; et quoique son autorité ne dure pas plus d'un an, on ne laisse pas de la qualifier du nom de règne. Sous la voûte de cet édifice on a rangé quelques statues de terre cuite ; vous y voyez Thésée qui jette Sciron dans la mer, et l'Aurore qui enlève Céphale ; car la fable nous apprend que l'Aurore ayant pris de l'amour pour Céphale, elle l'enleva, et en eut Phaéton, à qui dans la suite Vénus confia la garde de son temple ; c'est ce que racontent les poètes, et particulièrement Hésiode dans son poème sur les femmes illustres.

[2] Près de là est une statue de Conon, une autre de son fils Timothée, et une autre d'Evagoras roi de Chypre, qui engagea Artaxerxès à prêter à Conon ses galères de Phénicie ; service qu'Evagoras rendit aux Athéniens comme citoyen d'Athènes et originaire de Salamine ; car si vous examinez sa généalogie, vous trouverez qu'il descendait de Teucer et de la fille de Cinyras. Je ne dois pas omettre une statue de Jupiter dit Eleuthérius ou le libérateur, ni une de l'empereur Hadrien qui a répandu ses bienfaits sur toutes les provinces de son empire, mais principalement sur la ville d'Athènes.

[3] Derrière ce portique il y en a un autre, où sont peints ce que nous appellons les douze dieux. A l'extrémité du mur Thésée est dans un grand tableau, où le peintre a représenté une manière de démocratie et le peuple d'Athènes ; ce tableau est une preuve que Thésée avait établi une parfaite égalité dans l'Etat, bien que l'opinion contraire ait prévalu ; car plusieurs s'imaginent qu'il avait donné la direction des affaires au peuple, et que cette forme de gouvernement a même subsisté jusqu'au temps du tyran Pisistrate. Cette fausseté et d'autres pareilles trouvent créance parmi ceux qui n'ont point étudié l'histoire, et qui reçoivent pour vrai tout ce qu'ils ont entendu dire, ou ce qu'ils ont vu aux spectacles et sur les théâtres. Quelques-uns ont même écrit qu'après la mort de Ménesthée, Thésée avait régné à Athènes, et que sa postérité s'était maintenue sur le trône jusqu'à la quatrième génération. Pour moi, si je voulais faire le généalogiste, il me serait facile de rapporter les noms de ceux qui depuis Mélanthus jusqu'à Clodicus fils d'Esymidas ont régné à Athènes, et même des successeurs de celui-ci ; mais ce n'est pas de quoi il s'agit.

[4] Au même lieu est un grand tableau qui représente cet exploit mémorable des Athéniens, lorsqu'ils vinrent au secours des Lacédémoniens à Mantinée. Toute la suite de cette guerre, l'extrémité où la Cadmée fut réduite, la défaite des Lacédémoniens à Leuctres, l'irruption des Béotiens dans le Péloponnèse, enfin le secours que Lacédémone tira de l'alliance d'Athènes, tout cela est fort bien décrit par plusieurs historiens, et surtout par Xénophon. Mais le sujet dont le peintre a fait choix, c'est ce combat de cavalerie où d'un côté Gryllus fils de Xénophon à la tête des Athéniens, de l'autre Epaminondas à la tête des Thébains, signalèrent à l'envi leur valeur ; et ce grand peintre, c'est Euphranor. C'est lui aussi qui dans un temple voisin a peint l'Apollon surnommé Patroüs. Devant la grande porte de ce dernier temple on voit encore une statue d'Apollon, faite par Léocharès, et une autre du même dieu faite par Calamis sous le titre de libérateur : ce titre vient, dit-on, de ce que la peste ayant affligé les Athéniens durant la guerre du Péloponnèse, il les en délivra par le moyen d'un oracle rendu à Delphes.

[5] Suit une chapelle de la mère des dieux, où il y a une statue de la déesse qui est un ouvrage de Phidias. A quelques pas de là est le sénat des cinq cents ; c'est ainsi que l'on appelle ceux qui, durant le cours de l'année, sont chargés des affaires publiques. Ce lieu est orné de statues ; vous y voyez celle de Jupiter surnommé le conseiller, et celle d'Apollon, l'une et l'autre de la main de Pisias ; une autre qui représente le peuple d'Athènes, et que l'on assure être de Lyson. On y a mis aussi les portraits de ces grands hommes qui, par de sages lois et d'utiles ordonnances, ont policé la république, et ces portraits sont de Protogène, cet excellent peintre de Caunium. Olbiade tient sa place parmi ces héros : il était fils de ce Callippus, qui, à la tête d'une troupe d'Athéniens, alla gagner le pas des Thermopyles pour le défendue contre les Gaulois qui avaient fait une irruption en Grèce.

IV. [1] Les Gaulois dont je parle habitent les extrémités de l'Europe, aux environs d'une grande mer que l'on prétend n'être pas navigable, parce que le flux et reflux, les fréquents écueils, et des bêtes que l'on ne trouve nulle part ailleurs, la rendent fort dangereuse. Leur pays est arrosé de l'Eridan, sur les bords duquel on dit que les filles du Soleil pleurèrent la chute de leur frère Phaéton ; mais ils ne se sont appellés de ce nom qu'après un long espace de temps : car anciennement eux-mêmes se disaient Celtes. Ces peuples ayant rassemblé leurs forces passèrent la mer Ionienne, entrèrent en Illyrie, et subjuguèrent tout ce qu'il y a de pays jusqu'à la Macédoine, et les Macédoniens eux-mêmes. Ensuite ayant couru toute la Thessalie, ils se trouvèrent aux Thermopyles dans un temps où la Grèce n'était nullement en état de leur résister. Elle était épuisée par les guerres qu'elle avait eues à soutenir contre Alexandre, et avant lui contre Philippe, tout récemment encore contre Antipater et contre Cassander, qui lui avaient porté des coups mortels ; de sorte que les divers Etats dont la Grèce est composée trouvaient dans leur faiblesse des raisons pour ne point concourir à leur commune défense.

[2] Les Athéniens furent presque les seuls qui pensèrent autrement ; tout affaiblis qu'ils étaient par la longueur de la guerre de Macédoine, et par plusieurs combats où ils avaient été battus, ils résolurent d'aller défendre les Thermopyles avec les autres Grecs qui voudraient être de la partie, et prirent Calippus pour chef de cette expédition. S'étant donc saisis des défilés, ils empêchèrent les barbares de pénétrer en Grèce par ce côté-là ; mais eux, ayant trouvé le chemin qu'avaient autrefois tenu les Perses guidés par Ephialte de Trachis, ils forcèrent les Phocéens qui le gardaient, et passèrent le mont Oeta sans être aperçus des Grecs.

[3] Alors les Athéniens se virent enveloppés de tout côté par les barbares ; mais ils en soutinrent la furie avec courage, et se montrèrent dignes de leur nom. Cependant ceux des leurs qui étaient sur les vaisseaux, eurent une peine inconcevable à sortir du golfe de Larnia, qui est fort bourbeux aux environs des Thermopyles, à cause des eaux chaudes qui s'écoulent par-là dans la mer ; car c'est la raison que j'en imagine. Ces vaisseaux qui recevaient sans cesse les Grecs avec tout leur attirail à mesure qu'ils échappaient de la mêlée, se trouvèrent en un moment surchargés, et faillirent à périr : voilà néanmoins comment la Grèce fut sauvée par la valeur des Athéniens.

[4] Pour les Gaulois, après avoir passé le défilé de la montagne, sans se mettre en peine de prendre d'autres postes, ils ne songèrent qu'à aller piller Delphes et les richesses du temple d'Apollon. Mais les habitants de Delphes ayant été secourus par les Phocéens qui sont aux environs du mont Parnasse, et par les Etoliens, dont le pays était alors rempli de la plus brave et la plus belliqueuse jeunesse, ils se mirent aussitôt en bataille, et marchèrent droit à l'ennemi. Ils ne furent pas plutôt aux mains, que voilà un orage effroyable durant lequel on vit plusieurs fois la foudre tomber sur l'armée des barbares, et de grosses pierres se détacher du mont Parnasse pour les écraser. On vit même paraître tout à coup trois combattants d'une figure terrible, qui les poussaient vigoureusement : on dit que de ces trois combattants deux venaient du pays des Hyperboréens, savoir Hyperochus et Hamadocus. Pour le troisième, c'était Pyrrhus fils d'Achille : aussi depuis cette assistance les habitants de Delphes ne manquent pas d'honorer sa mémoire tous les ans, au lieu qu'auparavant ils la négligeaient, parce qu'ils avaient toujours regardé Pyrrhus comme leur ennemi.

[5] Après cette déroute les Gaulois pour la plupart ayant regagné leurs vaisseaux, passèrent en Asie, dont ils infestèrent longtemps la partie maritime ; mais dans la suite les Pergaméniens les obligèrent à s'éloigner de la côte. Alors ces barbares s'étant rendus maîtres d'Ancyre, vinrent s'établir au-delà du fleuve Sangar. Ancyre est une ville de Phrygie, qui a été bâtie par Midas fils de Gordias ; on voit encore dans le temple de Jupiter l'ancre de navire qu'il avait trouvée en ce lieu-là, et dont la ville a pris son nom. On voit aussi la fontaine de Midas, ainsi appellée parce que ce prince prenait plaisir à y verser du vin, pour y attirer Silène qui en était fort friand. Mais les Gaulois ne prirent pas seulement Ancyre, ils s'emparèrent encore de Pessinunte, ville située sur le mont Agdistis, et célèbre par le tombeau d'Atis.

[6] Au reste, l'avantage que les Pergaméniens remportèrent sur les Gaulois est attesté par des dépouilles qu'ils conservent encore, et par un ancien tableau qui représente leur combat. Quant au pays qu'ils habitent, c'est le même que l'on appellait autrefois la Teuthranie, et qu'ils disent avoir été consacré aux dieux Cabires. Pour eux, ils se vantent d'être descendus de ces Arcadiens qui passèrent en Asie avec Téléphus. Peut-être ont-ils eu d'autres guerres que la renommée ne nous a point apprises ; mais au moins sont-ils connus par trois exploits dignes de mémoire ; le premier, d'avoir conquis l'empire de la basse Asie ; le second, d'avoir chassé les Gaulois d'un pays où ils s'étaient cantonnés ; et le troisième, d'avoir osé combattre sous la conduite de Téléphus contre les troupes d'Agamemnon, lorsque les Grecs s'égarèrent en allant à Troie, et que prenant les terres des Mysiens pour pays ennemi, ils voulurent les ravager. Mais il est temps de reprendre le fil de ma narration.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.