[Athènes - L'agora]
Carrez, 1886
V. [1] Auprès du Sénat des cinq cents, vous
trouverez ce que l'on appelle le Tholus, où les
Prytanes ont coutume de sacrifier, et vous y voyez quelques
statues d'argent qui ne sont pas d'une grandeur bien
considérable. Un peu au-dessus sont les statues de ces
héros, dont les tribus Athéniennes ont pris leur
nom dans la suite des temps ; car Hérodote a eu soin de
nous apprendre qui est celui qui le premier a fait du changement
à ces tribus en les multipliant jusqu'au nombre de dix,
au lieu qu'auparavant il n'y en avait que quatre, et en donnant
même de nouveaux noms aux anciennes.
[2] Quant à ces grands hommes de qui ensuite les tribus
de nouvelle création empruntèrent leur nom, les
voici. Le premier est Hyppothoon qui était fils de
Neptune et d'Alopé fille de Cercyon ; Antiochus fils
d'Hercule et de Médée est le second, et le
troisième c'est Thélamon fils d'Ajax. Parmi les
Athéniens on compte Léos, qui par le conseil de
l'oracle dévoua ses filles pour le salut de l'Etat,
Erechthée qui défit les Eleusiniens et tua leur
général Immaradus fils d'Eumolpe, Egée qui
est assez connu ; Oeneüs fils naturel de Pandion, et Acamas
un des fils de Thésée.
[3] J'ai vu encore au même rang les statues de
Cécrops et de Pandion ; mais quel est le Cécrops
et le Pandion à qui ils ont voulu rendre cet honneur,
c'est ce que je ne puis pas dire ; car il y a eu un
Cécrops qui a régné à Athènes
et qui avait épousé la fille d'Actée, et un
autre Cécrops fils d'Erechthée, petit-fils de
Pandion et arrière-petit-fils d'Ericthonius, qui
conduisit une colonie dans l'Eubée. Il y a eu de
même deux Pandions tous deux rois d'Athènes, l'un
fils d'Ericthonius, et l'autre fils du second Cécrops,
qui, chassé de son royaume avec ses enfants par les
Métionides, se réfugia auprès de Pylas roi
de Mégare, dont il avait épousé la fille,
et là mourut de maladie ; son tombeau est encore au bord
de la mer dans un lieu qui est de la dépendance de
Mégare, et que l'on appelle communément le rocher
de Minerve aux plongeons.
[4] Mais ses enfants ayant à leur tour chassé les
Métionides, revinrent à Athènes, où
Egée, qui était l'aîné de tous, se
remit en possession du royaume. Pour le premier Pandion, il fut
malheureux en filles, et ne laissa point d'enfants mâles
qui pussent venger les injures faites à leur père.
Ce prince, pour se faire plus respecter, avait fait alliance
avec Térée roi de Thrace ; mais on ne saurait
éviter sa destinée, car Térée qui
avait épousé l'une des filles de Pandion, viola
contre toutes les lois Philomèle soeur de sa femme et lui
coupa ensuite la langue, action barbare qui irrita toutes les
femmes du pays et les porta à en tirer vengeance. Outre
la statue dont j'ai parlé, Pandion en a encore une fort
belle dans la citadelle.
[5] Voilà parmi les héros de l'ancien temps, qui
sont ceux dont les tribus des Athéniens ont pris leur
nom. Il y en a d'autres plus modernes, comme Attalus roi de
Mysie, Ptolémée roi d'Egypte, et l'empereur
Hadrien sous qui j'écris, prince le plus religieux qu'il
y eut jamais, et le plus attentif à rendre heureux ses
sujets. Durant son règne il n'a jamais entrepris aucune
guerre qu'il n'y ait été contraint, seulement il a
châtié la révolte des Hébreux dont le
pays est au-dessus de la Palestine. Qui voudrait dire combien de
temples il a bâtis, combien d'autres il a
décorés ou enrichis de ses présents, les
bienfaits infinis dont il a comblé les villes Grecques,
les grâces même qu'il a accordées aux
barbares, aurait certes une ample matière : mais vous
trouverez tout cela marqué à Athènes dans
le temple qui est consacré à tous les dieux.
VI. [1] Pour ce qui regarde Attalus et Ptolémée,
ce sont des choses déjà si éloignées
de notre temps qu'elles commencent à tomber dans l'oubli,
outre que l'on a fort négligé les écrivains
qui ont vécu sous ces rois, et qui avaient eu soin de
transmettre l'histoire de leur règne à la
postéiité. C'est pourquoi je crois que je ne ferai
pas mal de recueillir ici leurs principales actions, et de
montrer surtout comment leurs auteurs se sont rendus
maîtres, les uns de l'Egypte, les autres de la Mysie et
des provinces voisines de leur empire.
[2] Suivant donc ce qu'en disent les Macédoniens,
Ptolémée passa pour être fils de Lagus, mais
en effet il était fils de Philippe, lequel Philippe fut
fils d'Amyntas ; car on tient que la mère qui
était grosse du fait de Philippe fut donnée en
mariage à Lagus par Philippe même. Quoi qu'il en
soit Ptolémée fit en Asie beaucoup de belles
actions. Un jour surtout qu'il vit Alexandre dans un danger
éminent chez les Oxydraques, on dit qu'il le secourut
avec plus de promptitude et de courage qu'aucun autre de ses
courtisans. Mais après la mort d'Alexandre, il s'opposa
fortement à ceux qui voulaient déférer la
couronne à Aridée fils de Philippe, et fut d'avis
que cette vaste monarchie qu'Alexandre s'était faite par
ses conquêtes fût partagée entre
plusieurs.
[3] En même temps étant parti pour l'Egypte, et
regardant Cléomène qui en était gouverneur,
comme un homme attaché à Perdiccas, il le fit
mourir. Ensuite ayant rencontré des Macédoniens
qui, suivant leurs ordres, portaient le corps d'Alexandre
à Eges, il leur persuada de le lui remettre entre les
mains ; aussitôt il lui fit faire des obsèques
à la manière de Macédoine, et lui donna
sépulture à Memphis. Après quoi ne doutant
point que Perdiccas ne lui déclarât la guerre, il
se prépara à la soutenir, et mit l'Egypte en
état de faire une bonne défense. Cependant
Perdiccas se donnait aux yeux de l'armée pour le
protecteur d'Aridée et du jeune Alexandre fils
d'Alexandre, et de Roxane fille d'Oxyarte ; il feignait de
vouloir leur conserver la couronne ; mais il ne songeait en
effet qu'à enlever l'Egypte à
Ptolémée, afin de la garder pour lui-même.
Il en arriva néanmoins tout autrement ; car après
avoir perdu une bonne partie de la réputation qu'il
s'était faite à la guerre, chassé de
l'Egypte et haï des Macédoniens qui ne le pouvaient
souffrir depuis longtemps, il fut tué par les gardes
d'Alexandre.
[4] Ptolémée devenu plus hardi depuis la mort de
Perdiccas, s'empare aussitôt de la Syrie et de la
Phénicie, tend les bras à Séleucus fils
d'Antiochus, qu'Antigonus avait vaincu, et prend la
résolution de le venger d'Antigonus. Pour y
réussir il engage dans sa querelle Cassander fils
d'Antipater, et Lysimaque roi de Thrace, en leur
représentant d'un côté la fuite et le
mauvais état de Séleucus, de l'autre la puissance
d'Antigonus, bientôt formidable à ses ennemis s'ils
ne s'opposent à ses desseins.
[5] Antigonus de son côté se préparait
à la guerre, mais il ne put jamais se résoudre
à en tenter le hasard, que sur la nouvelle qu'il eut que
les Cyrénéens avaient quitté le parti de
Ptolémée, et que ce prince marchait en Libye.
Alors tombant tout à coup sur la Syrie et sur la
Phénicie, il s'en rend maître, s'il faut ainsi
dire, sans coup férir, et après en avoir
confié le gouvernement à son fils
Démétrios, prince jeune véritablement, mais
de grande espérance et d'une valeur déjà
éprouvée, il s'en retourna vers l'Hellespont.
Comme il était prêt à s'embarquer, il apprit
que Ptolémée avait battu Démétrius,
ce qui lui fit rebrousser chemin ; mais le mal n'était
pas si grand que la renommée le faisait,
Démétrius n'avait abandonné qu'une partie
du pays à l'ennemi, et même il avait fait donner
dans une embuscade quelques compagnies d'Egyptiens qui furent
taillées en pièces. Ainsi Ptolémée
ne jugeant pas à propos d'attendre Antigonus, se retira
au fond de l'Egypte.
[6] La campagne suivante, Démétrus faisant voile
vers Chypre, rencontra la flotte égyptienne
commandée par Ménélas, et ensuite
Ptolémée lui-même avec ses vaisseaux ; il
les combattit tous deux et remporta une grande victoire sur l'un
et sur l'autre : Ptolémée n'eut d'autre parti
à prendre que de fuir en Egypte, où Antigonus le
vint assiéger par terre, tandis que
Démétrius l'assiégeait par mer.
Pressé de toutes parts il ne laissa pas de se maintenir
à la faveur d'une bonne garnison qu'il avait mise dans
Péluse, et de ses galères dont il se servit fort
à propos. Antigonus perdit bientôt
l'espérance de réduire l'Egypte ; cependant il
envoya Démétrius avec une grande armée et
bon nombre de vaisseaux pour faire le siège de Rhodes,
comptant bien que s'il se rendait maître de cette ville,
ce lui serait une espèce d'arsenal et de place d'armes
contre les Egyptiens. Mais les Rhodiens soutinrent le
siège par leur courage et par leur industrie, mettant
tout en usage pour se défendre, outre que
Ptolémée leur envoyait continuellement du
secours.
[7] Antigonus, après avoir échoué devant
Rhodes et peu auparavant dans son expédition d'Egypte,
eut encore l'audace de combattre en bataille rangée
contre toutes les forces de Lysimaque, de Cassander et de
Séleucus jointes ensemble ; mais il y perdit une bonne
partie de ses troupes ; et d'ailleurs épuisé par
les guerres qu'il avait déjà eues sur les bras
contre Eumenès, il succomba à son malheur et finit
enfin ses jours. Entre tous les rois qui se
déclarèrent contre lui, on peut dire que Cassander
se distingua par son ingratitude ; car bien qu'il ne se
fût maintenu en possession de la Macédoine que par
le secours d'Antigonus, il ne laissa pas de faire une cruelle
guerre à ce prince, à qui il avait de très
grandes obligations.
[8] Après la mort d'Antigonus, Ptolémée ne
tarda pas à remette sous sa puissance toute la Syrie et
l'île de Chypre ; il employa aussi ses armes à
faire rentrer Pyrrhus dans la Thesprotie d'Epire, et par le
moyen de Magas fils de Bérénice, qu'il avait alors
pour femme, il reprit Cyrène qui avait secoué le
joug cinq ans auparavant. Que si, comme on le dit,
Ptolémée était réellement fils de
Philippe qui eut pour père Amyntas, on peut croire qu'il
tenait de lui son amour déréglé pour les
femmes. Car après avoir épousé Eurydice et
même en avoir eu des enfants, il ne laissa pas
d'épouser encore Bérénice, et il en eut
aussi des enfants. Près de mourir il fit choix de
Ptolémée l'un d'eux, pour être son
successeur, et c'est de ce second Ptolémée qu'une
des tribus de l'Attique a pris son nom.
VII. [1] Celui-ci se sentant de l'inclination pour
Arsinoé sa propre soeur, ne fit pas difficulté de
l'épouser, en quoi s'il viola les lois établies en
Macédoine, au moins ne blessa-t-il point celles du pays
où il régnait. Mais il fit mourir son second
frère Argeüs, accusé, dit-on, d'avoir
machiné quelque entreprise contre lui, et il
n'épargna pas non plus un autre de ses frères qui
était fils d'Eurydice ; car ayant découvert qu'il
sollicitait les Cypriotes à remuer, il le fit
périr. Nous avons dit que le corps d'Alexandre reposait
à Memphis, il jugea à propos de le transporter
ailleurs. Cependant Magas son frère utérin fils de
Bérénice et d'un certain Philippe, homme d'assez
basse naissance, abusant de l'autorité qu'il avait
à Cyrène dont la reine sa mère lui avait
procuré le gouvernement, après avoir
persuadé aux Cyrénéens de se
révolter, se mit lui-même à la tête
des rebelles et marcha en Egypte.
[2] Au premier bruit de sa marche Ptolémée
fortifia tous les passages, et résolut d'attendre les
Cyrénéens de pied ferme. Magas ayant appris en
chemin que les Marmarides, peuples de Libye, du nombre de ceux
qu'on appelle Nomades, avaient aussi secoué le joug,
quitta son premier dessein et ne songea plus qu'à
regagner Cyrène. Ptolémée alors aurait bien
voulu se mettre à ses trousses, mais il en fut
empêché par la considération que je vais
dire. Pour se défendre contre Magas il avait pris
à sa solde quelques troupes étrangères, et
entre autres quatre mille Gaulois. Or il s'aperçut que
ces mercenaires voulaient livrer l'Egypte. Lui donc, pour les en
punir, il les conduisit par le Nil dans une île
déserte, où en effet ils périrent tous,
soit de faim, soit en s'entretuant les uns les autres ;
voilà quoi il laissa échapper Magas.
[3] Celui-ci ayant épousé Apamé, fille
d'Antiochus et petite-fille de Séleucus, n'eut pas de
peine à persuader à son beau-père de
tourner ses armes contre l'Egypte, au mépris du
traité que son père Séleucus avait fait
avec Ptolémée, qui de son côté voyant
qu'Antiochus lui allait tomber sur les bras, ne sut mieux faire
que d'envoyer dans tous les pays de la domination de ce prince
des gens de confiance, pour tenter la fidélité des
peuples, avec ordre d'inciter les plus faibles à vivre de
brigandage, et les plus fous à se faire craindre en
tenant la campagne. Par là il donna tant d'affaires
à Antiochus qu'il lui fit perdre l'envie de le venir
attaquer chez lui. C'est ce même Ptolémée,
qui, comme j'ai déjà dit, envoya une flotte au
secours d'Athènes contre Antigonius et contre les
Macédoniens, de laquelle pourtant les Athéniens ne
tirèrent pas grand avantage. Il laissa plusieurs enfants,
non de sa soeur, mais d'une autre Arsinoé fille de
Lysimaque ; car pour sa soeur, elle mourut sans enfants, mais
c'est elle-même qui donna son nom à une province de
l'Egypte, que l'on a depuis appellée
l'Arsinoïde.
VIII. [1] Le sujet que je traite veut que je parle aussi
d'Attalus, puisqu'il est au rang de ceux de qui les tribus de
l'Attique ont pris leur nom. Il faut donc savoir que Docimus
Macédonien et l'un des généraux
d'Antigonus, vint se livrer à Lysimaque et lui apporta de
grandes richesses. Il avait avec lui un eunuque Paphlagonien,
nommé Philétaire. Les aventures de ce
Philétaire, ce qu'il fit après qu'il eut trahi
Lysimaque, de quelle manière il embrassa le parti de
Séleucus, je raconterai tout cela quand j'en serai
à l'histoire de Lysimaque. Présentement il suffit
de dire qu'Attalus était fils d'un autre Attalus
frère de Philétaire et d'Eumenès, lequel
Eumenès eut un fils de même nom, qui céda
son royaume à Attalus son cousin germain et
celui-là même dont je parle. Durant tout son
règne il ne fit rien de plus mémorable que de
chasser les Gaulois des côtes maritimes de l'Asie, et de
les obliger à se contenter du pays qu'ils occupent encore
aujourd'hui. Je reviens à Athènes.
[2] Après les statues de ces héros dont les
tribus Athéniennes se font encore honneur de porter le
nom, vous en trouverez d'autres de quelques divinités :
je me souviens surtout de celle d'Amphiaraüs, et de celle
de la Paix qui porte le petit Pluton entre ses bras. Lycurgue
fils de Lycophron est aussi là en bronze, et
auprès de lui Callias, qui, si l'on en croit les
Athéniens, leur obtint d'Artaxerxès fils de
Xerxès une paix fort avantageuse. On y voit encore
Démosthène que les Athéniens
reléguèrent à Calaurée, petite
île proche de Trésoerie, d'où ensuite ils le
rappellèrent pour l'exiler une seconde fois après
la malheureuse journée de Lamia.
[3] Ce grand homme ainsi persécuté retourna
à Calaurée, où il prit du poison et se fit
mourir. De tous ceux qui avaient été bannis il fut
le seul qu'Archias ne put livrer à Antipater et aux
Macédoniens ; cet Archias, Thurien de naissance,
s'était chargé d'une commission bien barbare, de
remetrre entre les mains d'Antipater tous ceux qu'il pourrait
prendre, et qui avant ce fatal combat s'étaient
montrés bons citoyens d'Athènes. Voilà
quelle fut la récompense de l'amour et du zèle que
Démosthène avait toujours eus pour sa patrie. On a
donc bien raison de dire que quiconque a trop à coeur les
intérêts du public et se fie aux caresses du
peuple, rarement fait une heureuse fin.
[4] Auprès de Démosthène est un temple
dédié à Mars, où il y a deux statues
de Vénus, une du dieu, qui est un ouvrage
d'Alcamène, une autre de Minerve, faite par Locrus qui
était un statuaire de Paros, et une de Bellone, qui est
des enfants de Praxitèle. Devant la porte du temple on
voit un Hercule, un Thésée, et un Apollon qui a
ses cheveux noués avec un ruban. Outre ces
divinités il y a quelques hommes illustres, qui ont aussi
là leurs statues. J'y ai vu celle de Calliadès,
que la ville d'Athènes regarde comme un de ses
législateurs, et celle de Pindare, qui pour avoir
loué les Athéniens par une belle Ode,
mérita d'eux une statue et d'autres bienfaits.
[5] Un peu plus loin sont rangés Harmodius et
Aristogiton qui tuèrent Hipparque ; comment ils s'y
prirent et ce qui les y engagea, c'est ce que vous pouvez
apprendre de plusieurs autres historiens ; Critias a fait
quelques-unes de ces statues, et les plus anciennes sont
d'Anténor. Xerxès enleva les unes et les autres
comme autant de dépouilles, après être
entré dans Athènes qu'il trouva abandonnée
; mais depuis, Antiochus les renvoya aux Athéniens.
[6] Si vous allez au théâtre, vous verrez à
l'entrée et dans le lieu destiné à la
musique les statues des rois d'Egypte, qui tous ont porté
le nom de Ptolémée, et que l'on a
distingués par des surnoms ; car on appelle l'un
Philométor, l'autre Philadelphe, et ainsi des
autres. Le fils de Lagus fut surnommé Soter par
les Rhodiens ; pour celui dont j'ai fait mention en parlant des
tribus Athéniennes, c'est Ptolémée
Philadelphe, et auprès de lui est aussi sa soeur
Arsinoé.
IX. [1] Celui que l'on nomme Philométor est le
huitième descendant de Ptolémée fils de
Lagus, et on lui a donné ce surnom par une espèce
d'ironie, ou plutôt de contre-vérité ; car
jamais prince n'a été haï de sa mère
comme celui-ci l'était de Cléopâtre, qui
bien qu'il fût l'aîné, ne voulut jamais
souffrir qu'on le reconnût pour roi, et qui même le
fit reléguer dans l'île de Chypre du vivant de son
père. Entre les raisons qu'elle pouvait avoir, la plus
probable est qu'elle espérait qu'Alexandre son second
fils serait plus soumis à ses volontés.
[2] Premièrement donc, elle fit tout ce qu'elle put pour
engager les Egyptiens à le préférer
à son aîné ; ensuite voyant l'opposition des
peuples, elle prit le parti d'envoyer Alexandre à Chypre
en qualité de lieutenant-général du
royaume, mais au fond pour inspirer plus de crainte à
Ptolémée. Enfin ayant choisi parmi tous les
eunuques ceux qui paraissaient les plus attachés à
ses intérêts, elle les fit comparaître devant
l'assemblée du peuple, pour déposer que
Ptolémée ne cessait de dresser des embûches
à sa mère et de les maltraiter, eux, à
cause de l'affection qu'ils portaient à la reine, ce qui
irrita si fort le peuple d'Alexandrie, qu'il aurait
massacré Ptolémée, s'il ne se fût
sauvé par mer.
[3] Son frère étant arrivé de Chypre sur
ces entrefaites, il fut proclamé roi : mais
Cléopâtre eut la récompense qu'elle
méritait ; car ce même fils qu'elle venait
d'élever sur le trône la fit mourir, puis voyant
son crime découvert il s'enfuit pour se dérober au
supplice ; de sorte que Ptolémée revint à
son tour et se remit en possession du royaume. A peine en fut-il
paisible possesseur qu'il déclara la guerre aux
Thébains qui avaient quitté son parti ; et la
troisième année depuis leur défection ayant
achevé de les subjuguer, il les châtia de telle
façon que ces peuples qui surpassaient en richesses les
plus puissantes villes de la Grèce, sans en excepter, ni
Orchomène, ni Delphes, ne conservèrent pas la
moindre marque de leur ancienne splendeur. Peu de temps
après Ptolémée mourut, et les
Athéniens pour reconnaître les obligations qu'ils
lui avaient, outre plusieurs autres témoignages de
gratitude, lui érigèrent une statue de bronze, et
une à sa fille Bérénice, la seule fille
légitime qu'il eût laissée.
[4] Après les rois d'Egypte vous trouvez ceux de
Macédoine, Philippe et Alexandre son fils. Tous deux ont
fait de si grandes actions qu'il y aurait de la
témérité à en vouloir parler dans un
ouvrage qui n'est pas entrepris à ce dessein. Cependant
les Ptolémées ne doivent leurs statues qu'à
la reconnaissance et à l'amour des Athéniens ; au
lieu que Philippe et Alexandre sont redevables des leurs
à la légèreté du peuple et à
la flatterie. Les Athéniens ont fait aussi le même
honneur à Lysimaque, mais moins par affection que pour
s'accommoder au temps et par politique.
[5] Ce Lysimaque, Macédonien de nation, avait
été un des gardes d'Alexandre ; un jour le Roi
transporté de colère contre lui, le fit jeter dans
une fosse où il y avait un lion. Lysimaque tua le lion,
et le Roi eut tant d'admiration pour son courage que depuis il
ne cessa de le distinguer comme un des plus braves
Macédoniens qu'il eût dans ses troupes.
Après la mort d'Alexandre il s'empara de cette partie de
la Thrace qui confine à la Macédoine, et dont
Philippe et Alexandre avaient joui eux-mêmes ; c'est un
assez petit pays en comparaison du reste de la Thrace, qui
fourmille d'une si prodigieuse quantité d'hommes,
qu'à la réserve du pays des Celtes, il n'y en a
point au monde de si peuplé. C'est la raison pourquoi
nulle puissance avant les Romains n'était venue à
bout de les soumettre ; mais aujourd'hui toute la Thrace et le
pays des Celtes obéissent aux Romains, qui pourtant
négligent ces contrées que la
stérilité de la terre ou la rigueur du froid rend
incultes, et se contentent d'exercer leur domination sur celles
dont ils peuvent tirer quelque avantage.
[6] Lysimaque se voyant donc maître du pays dont j'ai
parlé, commença par attaquer ses plus proches
voisins les Odrysiens ; ensuite il fit la guerre à
Dromichétès et aux Gètes ; mais comme il
avait affaire à des troupes aguerries et
supérieures en nombre, il fut battu, courut un
extrême danger de sa personne, et n'échappa que par
la fuite ; son fils Agathocle qui faisait ses premières
armes sous lui, demeura prisonnier. Lysimaque tenta plusieurs
autres fois le sort du combat, et ne fut pas plus heureux ;
enfin voulant ravoir son fils il fit la paix avec
Dromichétès, lui promit sa fille en mariage, et
lui céda tout ce canton de la Thrace qui est
au-delà de l'Ister. Quelques-uns disent que ce fut
Lysimaque lui-même qui fut fait prisonnier, et que son
fils le racheta par le traité dont je viens de parler.
Quoi qu'il en soit, Lysimaque de retour en Thrace maria son fils
Agathocle avec Lysandra fille de Ptolémée et
d'Euridice
[7] Après quoi ayant passé en Asie il
dépouilla Antigonus de ses Etats, agrandit la ville que
les Ephésiens habitent encore aujourd'hui sur le bord de
la mer, et y transféra les habitants de
Lébédos et de Colophon, qu'il avait
détruites. Le poète Phoenix déplora en vers
ïambes le malheur de ces deux villes ; pour
Hermésianax qui a fait des élégies, je ne
crois pas qu'il ait vécu jusqu'à ce
temps-là ; car il n'aurait pas manqué de pleurer
la ruine de Colophon en quelque endroit de ses ouvrages. Mais
Lysimaque n'en demeura pas là ; il déclara la
guerre à Pyrrhus fils d'Eacidas, et prenant le temps que
ce prince était absent de ses Etats, ce qui lui arrivait
souvent, il ravagea l'Epire presque d'un bout à l'autre,
et pénétra jusqu'à l'endroit où est
la sépulture de ses rois.
[8] Jéronime de Cardie ajoute qu'il ne respecta pas
même leurs tombeaux, et qu'il joncha la terre de leurs
cendres, mais je ne le puis croire ; il y a bien de l'apparence
que c'est la haine que cet écrivain avait pour les rois
qui lui a fait inventer cette calomnie, quoiqu'il donne à
Antigonus des louanges qu'il n'avait pas méritées.
En effet on ne me persuadera point qu'un Macédonien se
soit porté à violer les tombeaux des rois d'Epire,
comme si Lysimaque pouvait ignorer que ces rois étaient
les ancêtres non seulement de Pyrrhus, mais d'Alexandre ;
car Alexandre était Epirote et de la race des Eacides par
sa mère. La ligue que Pyrrhus fit bientôt
après avec Lysimaque est encore une preuve que durant la
guerre il ne s'était rien passé qui pût
faire de ces deux rois des ennemis irréconciliables ;
sans doute Jéronime était piqué contre
Lysimaque pour plus d'une raison, mais surtout parce que ce
prince avait rasé Cardie et bâti en sa place
Lysimachie dans l'isthme de la Chersonnèse de
Thrace.
X. [1] Lysimaque fut en bonne intelligence avec les
Macédoniens durant tout le règne d'Aridée,
et tant que Cassander et ses enfants furent maîtres de la
Macédoine ; mais dès que le royaume eut
passé entre les mains de Démetrius fils
d'Antigonus, Lysimaque ne doutant pas que celui-ci ne
l'attaquât, crut le devoir prévenir ; il le
connaissait de l'humeur de son pète, attentif à
ses intérêts et minutant toujours quelque
entreprise. Sachant donc qu'il était parti pour la
Macédoine, appelé par Alexandre fils de Cassander,
sachant aussi que Démétrius avait fait tuer ce
jeune prince, et qu'il s'était déjà mis en
possession du royaume de Macédoine, il résolut de
le combattre.
[2] Et en effet il lui donna bataille auprès
d'Amphipolis ; mais en voulant disputer la Macédoine, peu
s'en fallut ne perdît lui-même la Thrace. Cependant
heureusement secouru par Pyrrhus, il conserva la Thrace et y
joignit dans la suite le pays des Nestiens avec la
Macédoine. En effet Pyrrhus qui était accouru du
fond de l'Epire, en faisant les affaires de Lysimaque, n'avait
pas oublié les siennes, et s'était
approprié une bonne partie du royaume d'Alexandre ; il
demeura fidèle à Lysimaque tant que
Démétrius qui avait passé en Asie pour
faire la guerre à Séleucus, fut en état de
se soutenir ; mais sitôt qu'il vit Démétrius
entre les mains de Séleucus, il se détacha de
l'alliance de Lysimaque, qui de son côté ne le
marchanda pas ; car après quelques préparatifs il
tomba sur Antigonus et sur Pyrrhus lui-même, remporta sur
eux une grande victoire, conquit toute la Macédoine, et
obligea Pyrrhus de s'en retourner en Epire.
[3] L'amour cause ordinairement aux hommes de grands malheurs.
Lysimaque déjà avancé en âge, heureux
en enfants, et qui même se voyait revivre dans ceux
d'Agathocle et de Lysandra, ne laissa pas de se remarier avec
Arsinoé, soeur de sa belle-fille. On prétend que
la jeune reine qui craignait qu'après la mort de
Lysimaque, ses enfants ne tombassent en la puissance
d'Agathocle, songea à se défaire de lui. D'autres
ont écrit qu'elle conçut de l'amour pour
Agathocle, et que pour se venger de ses mépris, elle
résolut de lui ôter la vie : ils ajoutent que
Lysimaque ayant eu connaissance de cet horrible forfait, il en
fut si touché qu'il ne goûta aucun plaisir le reste
de ses jours.
[4] Quoi qu'il en soit, Lysandra après la mort de son
mari se réfugia à la cour de Séleucus avec
ses enfants, et même avec ses frères, qui pour lors
étaient auprès de Lysimaque. Alexandre, un des
fils de ce prince, mais d'une autre femme nommée
Odrysias, se joignit à eux. Quand ils furent
arrivés à Babylone, ils conjurèrent
Séleucus de ne les pas abandonner, et de déclarer
la guerre à Lysimaque. Ce fut dans cette conjoncture que
Philétaire, qui était garde du trésor de ce
prince, se voyant suspect à Arsinoé, à
cause de l'attachement qu'il avoir eu pour Agathocle, se saisit
de Pergame, ville située sur le Caïque, et que de
là il traita avec Séleucus, offrant de lui livrer
toutes ses richesses.
[5] Lysimaque n'eut pas plutôt appris ces nouvelles qu'il
passa en Asie, et vint attaquer Séleucus ; mais son
armée fut taillée en pièces, et
lui-même périt dans le combat. Alexandre, ce fils
qu'il avait eu, comme j'ai déjà dit, d'Odysias,
ayant obtenu de Lysandra à force de prières le
corps de son père, le fit porter dans la
Chersonnèse, où il l'inhuma et signala sa
piété par un superbe monument, qui se voit encore
entre le bourg de Cardie et le mont Pactyas : telles ont
été les aventures de Lysimaque.
XI. [1] Pyrrhus a aussi sa statue à Athènes. Du
côté maternel il sortait de la même tige
qu'Alexandre le Grand ; car Pyrrhus eut pour père Eacidas
fils d'Arybbas, et Alexandre eut pour mère Olympias fille
de Néoptolème. Or Néoptolème et
Arybbas étaient deux frères, tous deux fils
d'Alcétas qui eut pour père Tharypus. Si l'on
remonte depuis Tharypus jusqu'à Pyrrhus fils d'Achille,
on trouvera quinze générations. Ce Pyrrhus fut le
premier de sa race, qui après la prise de Troie, sans se
mettre en peine de son propre royaume la Thessalie, aborda en
Epire et y fixa sa demeure, suivant le conseil ou plutôt
l'inspiration d'Helenus. Comme Hermione ne lui avait point
donné d'enfants, il épousa Andromaque, dont il eut
trois fils, Molossus, Piélus, et Pergamus le dernier des
trois.
[2] Andromaque après la mort de Pyrrhus qui fut
tué à Delphes, se remaria avec Helenus, qui eut
d'elle un fils nommé Cestrinus ; mais Helenus en mourant
ayant disposé du royaume en faveur de Molossus fils de
Pyrrhus. Cestrinus aidé d'une troupe d'Epirotes de bonne
volonté, s'empara de la contrée qui est au-dessus
du fleuve Thyamis. Pergamus alla chercher fortune en Asie ; et
s'étant arrêté dans la Teuthranie où
régnait Arius, il tua ce prince dans un combat singulier,
se mit à sa place, et donna son nom à une ville
où l'on voit encore aujourd'hui le monument
héroïque d'Andromaque, qui l'avait suivi en
Teuthranie. A l'égard de Piélus, il demeura en
Epire, et c'est à lui plutôt qu'à Molossus
que Pyrrhus fils d'Eacidas et ses ancêtres rapportent leur
origine.
[3] L'Epire avait toujours été gouvernée
par un seul roi jusqu'au temps d'Alcétas et de Tarypus ;
mais la division s'étant mise entre les enfants
d'Alcétas, ils ne purent s'accorder qu'en partageant
également le royaume. Quelque temps après
Alexandre fils de Néoptolême étant mort dans
la Lucanie, Olympias qui craignait Antipater fut obligée
de venir en Epire, où Eacidas fils d'Arybbas lui rendit
toute sorte de bons offices, jusqu'à l'aider de ses
troupes pour faire la guerre à Aridée et aux
Macédoniens, en dépit même des Epirotes qui
refusèrent de marcher sous ses enseignes.
[4] Cependant Olympias remporta la victoire, mais elle se
montra si cruelle et si sanguinaire, non seulement en faisant
mourir Aridée, mais en persécutant à
outrance les Macédoniens, qu'il n'est pas étonnant
si Cassander peu après lui fit payer la peine de ses
cruautés. Il est certain que la haine des Epirotes pour
cette princesse les empêcha de se soumettre d'abord
à Eacidas ; ils ne faisaient même que de s'adoucir
en sa faveur, lorsqu'il fut encore traversé par Cassander
; de sorte qu'il se vit obligé d'en venir aux mains avec
Philippe, frère de ce prince : le combat se donna
auprès d'Oeniade ; Eacidas y fut blessé et mourut
de ses blessures quelques jours après.
[5] Alors les Epirotes reconnurent Alcétas qui
était aussi fils d'Arybbas et frère
aîné d'Eacidas, mais d'une humeur si violente que
son père ne l'avait jamais pu souffrir. Dès le
commencement de son règne, il exerça tant de
cruautés contre ses sujets qu'enfin poussés
à bout ils investirent son palais, et le
massacrèrent lui et ses enfants. Les Epirotes mirent en
sa place Pyrrhus fils d'Eacidas, qui tout jeune encore, sans
expérience et mal affermi sur le trône, eut la
guerre à soutenir contre Cassander. Pyrrhus voyant donc
que les Macédoniens se préparaient à venir
envahir ses états, alla chercher du secours en Egypte
auprès de Ptolémée fils de Lagus. Ce prince
lui fit épouser Antigone fille de Bérénice,
et soeur de plusieurs autres enfants que Bérénice
avait eus de Philippe son premier mari ; ensuite il lui donna
une flotte et de bonnes troupes pour l'établir dans ses
états.
[6] Pyrrus s'étant ainsi fortifié de l'alliance
de Ptolémée, tomba d'abord sur les
Corcyréens ; il voyait que leur île qui est
située vis-à-vis de l'Epire, pouvait servir de
place d'armes à ses ennemis. Voulant donc leur ôter
cette facilité de lui faire la guerre, il assiégea
Corcyre et la prit. Les diverses fortunes qu'il éprouva
ensuite, les pertes que lui fit souffrir Lysimaque, comment
cependant ayant chassé Démétrius de la
Macédoine, il s'en empara et la garda, enfin ce qu'il fit
de plus digne de mémoire dans ces con-jonctures, tout
cela a déjà été rapporté dans
l'histoire de Lysimaque.
[7] Du reste il passe pour constant que nul prince de la
Grèce avant lui n'avait porté la guerre chez les
Romains ; car il n'est pas même vrai que Diomède ni
les Argiens qui l'avaient suivi, aient jamais attaqué
Enée. Les Athéniens auraient bien voulu
conquérir la Sicile et encore plus l'Italie ; mais ils en
furent empêchés par l'échec qu'ils
reçurent à Syracuse. Pour Alexandre fils de
Néoptolème, et de la même race que Pyrrhus,
mais plus ancien que lui, il mourut dans la Lucanie, avant que
de pouvoir mesurer ses forces avec celles des Romains.
XII. [1] Pyrrhus est donc le premier des Grecs qui ait
osé embarquer des troupes, et passer la mer Ionienne pour
venir attaquer les Romains ; il y avait été
invité par les Tarentins. Ces peuples, après avoir
soutenu longtemps la guerre contre Rome, sentirent que la partie
n'était pas égale, et comme ils avaient
déjà gagné l'amitié de Pyrrhus en
lui donnant des troupes et des vaisseaux pour son
expédition de Corcyre, ils ne balancèrent pas
à lui envoyer des ambassadeurs pour lui
représenter que l'Italie était un pays
incomparablement plus beau que la Grèce, et que
d'ailleurs il n'était pas de sa justice d'abandonner ses
amis et ses alliés dans leur besoin. Pyrrhus
touché de ces remontrances vint encore à se
souvenir de la prise de Troie, et à se flatter que
descendant d'Achille il pourrait avoir le même
succès contre Rome, qui était une colonie de
Troyens.
[2] Dès qu'il eut pris sa résolution, attentif et
prévoyant de son naturel, il prépara bon nombre de
vaisseaux, de barques, de bâtiments de toute
espèce, enfin tout ce qui lui était
nécessaire pour transporter hommes et chevaux. Quelques
historiens de son temps nous ont laissé des écrits
qui ont pour titre, les Mémoires de Pyrrhus : ces
historiens ne sont pas fort célèbres ; mais quand
je les lis, je ne puis m'empêcher d'admirer et
l'intrépidité de ce prince dans le combat, et sa
prévoyance pour être toujours prêt à
tout événement. En effet, il eut plutôt mis
à la voile que les Romains ne surent son dessein ; et
après son débarquement ils ne le crurent
arrivé que lorsqu'au milieu du combat, et au fort de la
mêlée il vint avec des troupes toutes
fraîches fondre tout à coup sur eux, et les mit en
désordre, comme gens qui ne s'y attendaient point ;
encore avait-il fait provision d'éléphants pour
les lâcher contre eux, et pour réparer par
là l'inégalité qu'il y avait entre son
infanterie et la leur.
[3] Alexandre est le premier de tous les princes de l'Europe
qui ait eu des éléphants ; la défaite de
Porus et la conquête des Indes lui en procurèrent
aisément. Après sa mort plusieurs autres rois, et
surtout Antigonus, en eurent aussi ; Pyrrhus en prit
quelques-uns dans le combat qui se donna entre
Démétrius et lui. Mais la première fois que
les Romains en virent, ils furent saisis d'épouvante, et
ne pouvaient croire que ce fussent des animaux.
[4] A la vérité dans tous les temps on a su qu'il
y avait des ouvriers qui travaillaient en ivoire, et que
l'ivoire n'est autre chose que de la dent
d'éléphant ; mais avant que les Macédoniens
eussent passé en Asie, personne n'avait vu
d'éléphants, si ce n'est les Indiens, les Libyens
et les nations de leur voisinage. Nous en avons une preuve dans
Homère, qui parlant de la magnificence des rois, dit bien
que l'ivoire reluisait à leurs lits et dans leurs palais,
mais sans jamais faire mention d'éléphants ; s'il
en eût vu, ou qu'il en eût entendu parler, je crois
pour moi qu'il eût mieux aimé écrire leurs
combats, que ceux des grues et des pygmées.
[5] Malgré ces préparatifs, Pyrrhus se vit
obligé de passer en Sicile. Les Carthaginois qui y
avaient fait une descente, saccageaient toutes les villes
grecques, et assiégeaient alors Syracuse, la seule qui
tînt encore contre eux. Pyrrhus donc informé de
l'état de cette île par des députés
de Syracuse même, s'y rendit en diligence, et ne songea
plus à Tarente, ni à toute cette côte
d'Italie. Il ne fut pas plutôt arrivé devant
Syracuse, qu'il en fit lever le siège ; et enflé
de ce succès, quoique les Carthaginois fussent de tous
les barbares ceux qui entendaient le mieux la marine, comme
étant Phéniciens et originaires de Tyr, il
résolut de les combattre sur leur propre
élément avec les seules forces de l'Epire.
C'était à lui une extrême hardiesse ; car
longtemps même après la prise de Troie, les
Epirotes ne connaissaient pas la navigation, et n'avaient pas
même l'usage du sel ; Homère nous le
témoigne quand il dit en parlant d'eux :
C'est un peuple sauvage ;
Il ignore du sel le salutaire usage,
Et jamais de la mer n'a couru les hasards. (Hom. Od.
XI)
XIII. [1] Aussi Pyrrhus battu fut-il trop heureux de regagner
Tarente avec le peu de vaisseaux qui avaient pu échapper
à l'ennemi. Revenu en Italie, il eut encore la fortune
contraire ; de sorte que prenant conseil de l'état de ses
affaires, il ne songea plus qu'à dérober sa fuite
aux Romains, qu'il savait bien n'être pas d'humeur
à se contenter d'une demi-victoire. Voici donc comme il
prépara sa retraite. Après avoir combattu
malheureusement contre les Romains depuis son retour de Sicile,
il envoya des couriers à tous les princes de l'Asie et
à Antigonus, avec des lettres par lesquelles il demandait
aux uns de l'argent, aux autres des troupes, et à
Antigonus troupes et argent. Ces couriers revenus, il assemble
un conseil composé des plus distingués d'entre les
Tarentins et les Epirotes, se donne bien de garde de leur
montrer la réponse qu'il avait reçue, mais il les
assure qu'il doit lui venir au premier jour un renfort
considérable. Aussitôt la nouvelle se répand
jusques dans l'armée des Romains qu'il vient à
Pyrrhus de puissants secours et d'Asie et de la
Macédoine, ce qui les empêcha de rien entreprendre
; et la nuit suivante Pyrrhus fit voiles vers ces côtes
d'Epire que l'on appelle les monts Cérauniens.
[2] Ensuite s'étant un peu remis des pertes qu'il avait
faites contre les Romains, il déclara la guerre à
Antigonus, sous prétexte de plusieurs
mécontentements, mais surtout parce qu'il avait
manqué de le secourir durant ses guerres d'Italie.
Dès le premier combat il tailla en pièces
l'armée de ce prince, et non seulement ses troupes, mais
un corps de Gaulois qu'il avait à sa solde, et il
poursuivit Antigonus jusques dans les places qu'il tenait le
long de la mer. Cette victoire valut à Pyrrhus la haute
Macédoine et toute la Thessalie ; on peut juger combien
elle lui fut glorieuse, par les boucliers des Gaulois que l'on
garde encore dans le temple de Minerve Itonienne, entre
Phérès et Larisse, et qui y furent
consacrés avec cette inscription :
[3] Des superbes Gaulois Pyrrhus victorieux,
Te consacre, ô Pallas, ces marques de sa gloire ;
Ce héros à son char enchaîna la
victoire,
Et fit revivre en lui ses illustres aïeux.
Il appendit aussi dans le temple de Jupiter à Dodone, les dépouilles des Macédoniens avec cette autre inscription :
Le Macédonien fier tyran de l'Asie
Déjà donnait des fers à la Grèce
asservie ;
Pyrrhus de cet affront voulut être vengeur,
Et ces casques font voir que Pyrrhus fut vainqueur.
[4] Peu s'en fallut que ce prince ne conquît toute la
Macédoine ; mais quoiqu'il fût plus capable qu'un
autre de profiter des occasions, cependant Cléonyme lui
en fit manquer une belle, en lui persuadant de tourner ses armes
du côté du Péloponnèse.
Cléonyme était de Sparte, ce qui ne
l'empêcha pas de conduire une armée jusques dans le
sein de sa patrie : j'en dirai la raison après que
j'aurai fait connaître son extraction. Pausanias, celui
qui commandait les Grecs au combat de Platée, eut pour
fils Plistoanax, lequel fait père d'un autre Pausanias
qui laissa un fils nommé Cléombrote,
celui-là même qui à Leuctres fut tué
en combattant contre Epaminondas le général des
Thébains. Cléombrote laissa deux fils,
Agésipolis et Cléomène.
[5] Le premier étant mort sans enfants,
Cléomène son frère lui succéda et
eut aussi deux fils, savoir Acrotate qui était
l'aîné, et Cléonyme le cadet. Acrotate
mourut avant son père Cléomène qui ne lui
survécut que fort peu ; mais il laissa un fils
nommé Aréus, et la division se mit entre lui et
Cléonyme son oncle, chacun d'eux voulant régner.
C'est au sujet de cette querelle que Cléonyme qui voulait
emporter le royaume sur son neveu, attira toutes les forces de
Pyrrhus contre sa patrie. Il faut remarquer que jusqu'au combat
de Leuctres les Lacédémoniens n'avaient pas encore
eu la moindre disgrâce à la guerre ; aussi se
vantaient-ils de n'avoir jamais été vaincus, tant
qu'ils avaient combattu à pied. Car aux Thermopyles sous
la conduite de Léonidas, ils eurent si bien la victoire
entre les mains, qu'il ne se serait pas sauvé un seul
Perse, si le soldat avait pu suffire à tuer une si
prodigieuse quantité d'hommes : et ce qui s'était
passé à l'île de Sphactérie,
où les Athéniens commandés par
Démosthène avaient eu quelque avantage,
était plutôt une ruse de guerre, et s'il faut ainsi
dire, un larcin, qu'une victoire.
[6] Ce fut donc à Leuctres qu'ils furent battus pour la
première fois. Leur seconde défaite fut beaucoup
plus considérable ; Antipater et les Macédoniens
en eurent toute la gloire. Le troisième coup leur fut
porté par Démétrius, lorsqu'il entra avec
une armée dans leur pays comme ils s'y attendaient le
moins. Se voyant donc attaqués pour la quatrième
fois par Pyrrhus, ils joignent leurs forces avec celles des
Messéniens et des Argiens, et marchent à l'ennemi
; mais ils ne furent pas plus heureux cette fois-ci que les
autres ; Pyrrhus remporta la victoire, peu s'en fallut
même qu'il n'entrât dans Sparte et ne la prît
; heureusement pour eux il s'amusa à faire le
dégât dans la campagne, et à enlever tout ce
qu'il put ; cela donna le temps aux Lacédémoniens
de respirer, et de mettre la ville en état de soutenir le
siège, outre que dès auparavant à
l'occasion de la guerre de Démétrius, ils avaient
fortifié cette ville par des fossés fort profonds,
par de bons remparts et par plusieurs autres sortes d'ouvrages,
même par des tours aux endroits qui étaient de plus
facile accès.
[7] Sur ces entrefaites et durant que Pyrrhus était
occupé contre les Lacédémoniens, Antigonus
qui avait déjà repris la plupart des villes de
Macédoine, vint camper avec son armée au milieu du
Péloponèse ; il se doutait bien que Pyrrhus
après s'être rendu maître de Sparte et d'une
partie du pays, au lieu de retourner en Epire, ne manquerait pas
de fondre sur la Macédoine, et il voulait faire
diversion. Mais au moment qu'Antigonus sortait d'Argos pour
s'approcher de Lacédémone, il vit Pyrrhus qui
venait à lui, de sorte qu'ils ne furent pas longtemps
sans se joindre. Il y eut là un grand combat entre ces
deux princes ; Pyrrhus eut l'avantage et poursuivit les fuyards
jusques dans Argos.
[8] Mais ses troupes s'étant débandées
comme il arrive en ces occasions, pendant que les habitants
combattent pour leurs dieux et pour leurs foyers, Pyrrhus
abandonné des siens fut blessé mortellement
à la tête ; on dit que ce fut d'une tuile qu'une
femme lui avait jetée du haut de sa maison. Les Argiens
assurent que c'était Cérès elle-même
qui avait pris la figure de cette femme ; voilà comme ils
racontent la mort de ce prince, et Leucéas qui a
écrit l'histoire de ces peuples en vers, rapporte la
même chose ; ensuite avertis par l'oracle, ils
bâtirent un temple à Cérès dans Argos
au même lieu où Pyrrhus avait été
tué, et l'on y voit encore sa sépulture.
[9] Ce qui me paraît singulier, c'est que la mort de la
plupart des Eacides a été accompagnée de
circonstances merveilleuses, et que quelque divinité y a
toujours eu part. Achille, si nous en croyons Homère, fut
tué par Alexandre fils de Priam, et par Apollon ; Pyrrhus
son fils fut aussi tué à Delphes par ordre de la
Pythie ; celui-ci enfin mourut de la main de Cérès
au rapport de Leucéas et des Argiens. Cependant
Jéronime de Cardie raconte sa mort avec des circonstances
différentes ; mais comme cet historien avait
été honoré de la familiarité
d'Antigonus, il n'a guère pu se dispenser d'écrire
selon les mouvements de son coeur et de son affection. En effet
si l'on pardonne à Philiste d'avoir dissimulé les
crimes de Denys le tyran, parce qu'il espérait obtenir de
lui son retour à Syracuse, à plus forte raison
doit-on excuser Jéronime de Cardie d'avoir
été favorable à Antigonus. Voilà
donc quel fut le terme de la puissance des Epirotes.
XIV. [1] Quand vous serez à Athènes dans le lieu
dont je parlais et qui est destiné à la musique,
vous trouverez plusieurs choses dignes de votre
curiosité, mais surtout une fort belle statue de Bacchus.
Près de là est une fontaine qui donne de l'eau par
neuf tuyaux, et qui de là a pris son nom ; c'est
Pisistrate qui l'a ornée comme elle est. Il y a partout
des puits dans la ville, mais de fontaines, il n'y a que
celle-là seule. Plus haut sont deux temples ; l'un de
Cérès, l'autre de Proserpine, où il y a une
statue de Triptolème : je vais raconter ce que l'on dit
de Triptolème, sans m'arrêter aux fables que l'on
débite sur Déïopé.
[2] Entre les Grecs ceux qui disputent le plus aux
Athéniens la gloire d'être les plus anciens et les
plus favorisés des dieux, ce sont les Argiens, comme
parmi les barbares les Egyptiens le disputent aux Phrygiens. On
tient donc que Cérès étant venue à
Argos, Pélasgus eut l'honneur de la recevoir chez lui, et
que là Chrysantis lui apprit l'enlèvement de sa
fille ; qu'ensuite le grand-prêtre Trochilus ayant
été obligé de quitter Argos à cause
de la haine d'Agénor, il se retira en Attique où
il épousa une femme d'Eleusis, dont il eut deux fils,
Eubuléus et Triptolème : voilà ce que
disent les Argiens. Mais les Athéniens et tous les
peuples de l'Attique sont persuadés au contraire que
Triptolème était fils de Céleüs, et
qu'il apprit le premier aux hommes l'art de cultiver la terre et
de faire venir le blé.
[3] Musée dans ses vers, si les vers qu'on
allègue sont de lui, dit que Triptolème
était fils de l'Océan et de la Terre ; et
Orphée, si l'on peut croire que nous ayons quelque chose
d'Orphée, raconte qu'Eubuléüs et
Triptolème étaient fils de Dysaulès ; que
ce furent eux qui donnèrent avis à
Cérès de l'enlèvement de sa fille, et que
Cérès pour récompense leur apprit à
semer du blé. Enfin Chaerilus Athénien, dans la
pièce qu'il a intitulée Alopé, conte
encore cette histoire autrement ; il dit que Cercyon et
Triptolème étaient frères, tous deux
nés d'une des filles d'Amphiction, mais que Rharos fut
père de Triptolème, et Neptune père de
Cercyon. Pour moi je voulais tâcher d'éclaircir ce
point, et raconter en détail tout ce que l'on voit
à Athènes dans le temple de Cérès ;
mais un songe que j'ai eu, et que je regarde comme un
avertissement des dieux, m'empêche de divulguer ces
mystères ; je passe donc à des choses d'une autre
nature, et dont on puisse donner connaissance à tout le
monde.
[4] Devant la porte du temple, dans un endroit où il y a
encore une statue de Triptolème, vous voyez une vache
d'airain dans l'appareil d'une victime que l'on conduit à
l'autel. On remarque aussi Epiménide assis, de qui l'on
raconte qu'étant un jour allé se promener à
la campagne, il entra dans un antre où accablé de
sommeil il s'endormit, et ne se réveilla qu'au bout de
quarante ans ; il s'occupa ensuite à faire des vers, et
par d'utiles expiations il délivra de la peste plusieurs
villes, mais particulièrement Athènes.
Thalétas par le même moyen fit cesser la peste dont
les Lacédémoniens étaient affligés ;
il n'était ni parent ni concitoyen d'Epiménide ;
car Polymneste de Colophon dans ses vers sur Thalétas
qu'il adressa aux Lacédémoniens, dit
qu'Epiménide était Gnossien, et Thalétas
Gortynien.
[5] Un peu plus loin vous trouvez le temple d'Euclée,
bâti du butin fait sur les Perses qui avaient
débarqué à Marathon. De toutes les
victoires remportées par les Athéniens, je vois
qu'il n'y en a point dont ils se glorifient tant que de celle-ci
; car Eschyle sentant approcher sa fin, ne tira sa gloire ni de
ses grands talents pour la poésie, ni même des
belles actions qu'il avait faites devant Artemisium et au combat
de Salamine ; mais il mit à la tête de son
épitaphe tout simplement son nom et sa patrie, puis il
apostropha le bois de Marathon et les Perses comme
témoins de sa valeur.
[6] Au-dessus du Céramique et de ce portique que l'on
nomme le portique du roi, est un temple de Vulcain,
où je ne m'étonne pas que l'on ait mis une statue
de Minerve, quand je pense à ce qui se dit de la
naissance d'Ericthonius. Quant à la déesse, elle a
les yeux pers, ce que je crois fondé sur une fable qui a
cours parmi les Libyens ; car ils disent que Minerve
était fille de Neptune et de Tritonis, nymphe d'un
marais, et que pour cela on lui donne des yeux pers comme
à Neptune.
[7] Près de là vous avez le temple de
Vénus Uranie ou la céleste, que les Assyriens ont
honorée avant tous les autres peuples. C'est d'eux que
les habitants de Paphos dans l'île de Chypre ont
reçu le culte de cette déesse, qu'ils
communiquèrent à ces peuples de la Phénicie
qui habitent la ville d'Ascalon, lesquels ensuite le
portèrent eux-mêmes à ceux de
Cythère, mais c'est Egée qui l'a introduit
à Athènes. Comme il se voyait sans enfants, car il
n'en avait point encore, il attribuait ce malheur à la
colère de Vénus Uranie, aussi bien que l'infortune
de ses soeurs ; sa statue qui se voit de nos jours dans le
temple de la déesse est de marbre de Paros, et c'est un
ouvrage de Phidias. Les Athmonéens qui composent un des
cantons de l'Attique, ont aussi un temple de Vénus la
céleste, bâti, disent-ils, par Porphyrion, qui, si
on les en croit, régnait dans l'Attique longtemps avant
Actée, car ces cantons ou bourgades ont leur tradition
particulière, et bien différente des opinions
reçues à Athènes.
XV. [1] En allant au Poecile, c'est un portique que l'on a
ainsi nommé à cause de la variété de
ses peintures, vous rencontrez un Mercure en bronze ; il est
représenté sous le titre d'Agoreus ou de
divinité qui préside aux marchés.
Après est une porte, ou pour mieux dire une espèce
d'arc de triomphe, que les Athéniens ont bâti pour
servir de trophée à ceux qui enfoncèrent la
cavalerie de Cassander, et le corps de cavalerie
étrangère qu'il avait à sa solde, l'un et
l'autre commandés par Plistarque son frère. Quand
vous êtes dans le Poecile, le premier tableau qui se
présente à vous, c'est le combat des
Athéniens avec les Lacédémoniens à
Enoé, qui est un bourg de l'Argolide. Le dessein du
peintre n'a pas été de faire l'image d'un combat
dans le temps qu'il est le plus échauffé, et que
chacun des combattants ramasse tout ce qu'il a de force et de
courage pour remporter la victoire ; mais il a pris le moment
que deux armées qui sont en présence commencent
à s'ébranler pour en venir aux mains.
[2] Au milieu du mur on voit Thésée qui à
la tête des Athéniens combat les Amazones ; ce sont
les seules femmes que le mauvais succès n'ait jamais pu
dégoûter de faire la guerre ; car après
qu'Hercule eut pris Thémiscyre, et que les troupes
qu'elles avaient envoyées contre Athènes eurent
été défaites, elles ne laissèrent
pas d'aller au secours de Troie, pour combattre encore contre
les Athéniens et contre toute l'armée des Grecs.
Le tableau suivant représente les Grecs qui saccagent
Troie, et leurs chefs qui tiennent conseil sur l'attentat d'Ajax
contre Cassandre ; vous y distinguez Ajax lui-même, et
dans un groupe de captives la malheureuse Cassandre.
[3] Le dernier tableau est la peinture du combat de Marathon ;
vous y voyez d'un côté les Athéniens avec
les Platéens, peuple de Béotie et lee
fidèles alliés d'Athènes, de l'autre
côté les Perses : il semble d'abord que l'avantage
soit égal de part et d'autre ; mais à l'endroit du
tableau où le combat est déjà plus
engagé, on voit les barbares lâcher pied, s'enfuir
et se culbuter les uns les autres en voulant passer un marais ;
au bas du tableau sont les vaisseaux phéniciens que les
barbares tâchent de regagner, mais les Grecs qui les
poursuivent en font une horrible boucherie. En ce même
endroit est le portrait de Marathon, ce héros qui avait
donné son nom au champ de bataille. Le peintre n'y a pas
oublié Thésée qu'il représente
sortant de dessous terre, ni Minerve, ni Hercule que les
Marathoniens ont révéré comme un dieu avant
tous les autres Grecs. Parmi les combattants, ceux qui
paraissent effacer les autres sont Callimachus, le premier que
les Athéniens eussent honoré de la dignité
de polémarque, Miltiade un des chefs de l'armée
athénienne, et le héros Echetlée dont je
parlerai dans la suite.
[4] Outre ces tableaux on voit des boucliers qui sont
attachés à la muraille avec une inscription qui
porte que c'étaient les boucliers des Scionéens et
de quelques troupes auxiliaires qu'ils avaient avec eux ; il y
en a encore d'autres que l'on a frotté de poix pour les
défendre de la rouille et de l'injure du temps ; on dit
que ceux-ci avec quelques autres dépouilles, ont
été pris sur les Lacédémoniens dans
l'île de Sphacterie.
XVI. [1] Le devant de ce portique est orné de statues ;
je me souviens d'y avoir vu celle de Solon qui a donné
des lois aux Athéniens, et un peu plus loin celle de
Séleucus, qui sur d'heureux pronostics put avoir quelque
espérance de sa grandeur future ; car un jour qu'il se
disposait à partir de Macédoine avec Alexandre, et
qu'il sacrifiait à Jupiter dans la ville de Pella, le
bois qui était sur l'autel parut s'approcher de la statue
du dieu et s'allumer de lui-même. Après la mort
d'Alexandre, ce même Séleucus appréhendant
Antigonus qui venait à Babylone avec une armée, se
réfugia près de Ptolémée fils de
Lagus ; mais étant retourné à Babylone, il
tailla en pièces l'armée d'Antigonus, et le tua de
sa propre main. Ensuite il livra bataille à
Démétrius fils de ce malheureux prince, et non
seulement le battit, mais le fit prisonnier.
[2] Sa fortune n'en demeura pas là, car après le
désastre et la chute de Lysimaque, il donna l'empire de
l'Asie à son fils Antiochus, et reprit le chemin de la
Macédoine avec une armée composée de Grecs
et de barbares. Ptolémée arrêta le cours de
tant de prospérités. Ce prince frère de
Lysandra avait été obligé peu de temps
auparavant, d'implorer le secours de Séleucus contre
Lysimaque ; mais Lysimaque n'étant plus à
craindre, Ptolémée se détacha de
Séleucus, et avec cette incroyable vitesse qui lui avait
fait donner le nom de foudre, il arma contre lui. Cependant
Séleucus s'approchait de Lysimachie avec son armée
; dès que Ptolémée en eut des nouvelles
certaines, il lui dressa des embûches où il le fit
périr. Par la mort de ce prince Ptolémée se
vit maître de beaucoup de richesses qu'il abandonna
à ceux qui avaient tendu le piège à
Séleucus, et pour lui il se réserva la
Macédoine dont il ne jouit pas longtemps, car ayant eu
l'audace de combattre en bataille rangée contre les
Gaulois, ce que nul autre roi que nous sachions n'avoir fait
avant lui, il y périt, et aussitôt Antigonus fils
de Démétrius rentra en possession de la
Macédoine.
[3] Pour Séleucus je crois qu'il surpassa tous les
autres rois en justice et en piété ; car cet
Apollon de bronze que Xerxès avait enlevé aux
Milésiens pour le faire transporter à Ecbatane,
Séleucos le renvoya à Branchide ; et après
avoir bâti Séleucie sur le Tigre,
véritablement il la peupla de Babyloniens, mais il ne
toucha ni aux murs de Babylone, ni au temple de Bélus, et
même il permit aux Chaldéens d'habiter les environs
de ce temple.
XVII. [1] Dans la place publique d'Athènes il y a
plusieurs monuments qui ne sont pas connus de tout le monde,
comme l'autel de la Piété, divinité que les
Athéniens seuls honorent d'un culte particulier ; et ce
qui autorise leur culte, c'est qu'en effet cette divinité
est d'un grand secours dans les vicissitudes et les malheurs
à quoi nous sommes tous les jours si exposés. Si
par là ils ont prétendu nous recommander
l'humanité, ils ont eu encore plus de soin de faire
éclater leur zèle envers les dieux ; car et la
Pudeur, et la Renommée, et la Vigilance ont chez eux
leurs autels ; en un mot, comme la piété est
ordinairement récompensée, on peut juger combien
les Athéniens sont plus religieux que les autres peuples,
par la prospérité présente dont ils
jouissent.
Tardieu, 1821
[2] Près de la place il y a un lieu d'exercice ou
gymnase, qui porte le nom de Ptolémée son
fondateur ; on y voit des Hermès ou Mercures en marbres,
de figure carrée, qui sont d'une grande beauté.
Ptolémée y est en bronze aussi bien que Juba le
Libyen, et Chrysippe de Soli. Le temple de
Thésée n'est pas loin de là ; vous y
trouverez de fort belles peintures, premièrement le
combat des Athéniens contre les Amazones, et ce combat
est encore gravé sur le bouclier de Minerve, et sur le
piédestal de la statue de Jupiter Olympien ; en second
lieu la querelle des Centaures avec les Lapithes, où
Thésée est représenté tuant de sa
main un Centaure, pendant que les autres paraissent combattre
à forces égales.
[3] Le troisième tableau est une énigme pour ceux
qui ne savent pas ce que les Athéniens racontent, outre
que le temps en a effacé une partie, et que Micon qui est
le peintre n'a pas achevé toute l'histoire qui en fait le
sujet. Il faut donc savoir que Minos, ayant emmené
Thésée en Crète avec ces jeunes enfants
qu'il avait exigés des Athéniens, devint amoureux
de Péribée. Thésée ne voulut point
souffrir qu'il satisfît sa passion ; Minos irrité
l'outragea de paroles, lui dit qu'il n'était point fils
de Neptune, que pour marque de cela il jetterait sa bague dans
la mer, et qu'il était bien sûr que
Thésée ne la lui rapporterait pas. En même
temps il jette sa bague dans la mer ; on dit que
Thésée s'y étant jeté après,
retrouva la bague et la rapporta avec une couronne qu'Amphitrite
lui avait mise sur la tête.
[4] Au reste les sentiments sont fort partagés sur la
mort de Thésée ; car pour sa prison, l'on convient
assez qu'il y fut détenu par Pluton jusqu'à ce
qu'Hercule l'en tirât. Ce qui m'a paru de plus
vraisemblable se réduit à ceci ; que
Thésée vint dans la Thesprotie avec Pirithoüs
à dessein de lui aider à enlever la femme du roi
des Thesprotiens ; qu'en effet Pirithoüs désirant
passionnément de l'épouser, était
entré dans le pays avec une armée, mais qu'ayant
perdu une bonne partie de ses troupes, il avait
été pris lui et Thésée par le roi
des Thesprotiens qui les tint prisonniers dans l'île de
Cichyros.
[5] La Thesprotie, pour le dire en passant, a aussi ses
merveilles, parmi lesquelles il faut surtout mettre le temple de
Jupiter qui est à Dodone, et ces chênes qui lui
sont consacrés. Auprès de Cichyros on voit le
marais Achérusien dont il est tant parlé, et
l'Achéron qui est un fleuve ; on y trouve aussi le Cocyte
dont l'eau est d'un goût fort désagréable ;
il y a bien de l'apparence qu'Homère avait visité
tous ces lieux, et que c'est ce qui lui a donné
l'idée d'en faire l'usage qu'il a fait dans sa
description des enfers, où il a conservé les noms
de ces fleuves. Pendant que Thésée était en
prison, les fils de Tyndare vinrent assiéger Aphidne, et
l'ayant prise, ils rétablirent Mnesthée sur le
trône ; Mnesthée se mit peu en peine des fils de
Thésée, qui aussitôt se retirèrent
auprès d'Eléphénor en Eubée.
[6] Mais prévoyant bien qu'il aurait un dangereux ennemi
sur les bras, si Thésée pouvait une fois sortir de
la Thesprotie, il ne songea qu'à gagner les
Athéniens par toute sorte de caresses, et à
obtenir d'eux que Thésée ne fût pas
reçu dans Athènes. C'est pourquoi
Thésée après sa prison prit le parti de se
réfugier en Crète auprès de Deucalion ;
mais une tempête le jeta dans l'île de Scyros ; les
habitants pleins de respect pour un homme si distingué
par sa naissance et par la grandeur de ses actions, le
reçurent avec tous les égards imaginables, ce qui
déplut à Lycomède roi de cette île,
et le porta à faire périr ce grand homme par des
voies cachées. Les Athéniens lui
dédièrent un temple peu de temps après
le débarquement des Perses à Marathon, et dans la
suite Cimon fils de Miltiade rasa Scyros pour venger la mort de
Thésée, dont il rapporta les cendres à
Athènes.
Tardieu, 1821
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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition
de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage
complété.