[Delphes - La montée au temple d'Apollon]
Monin, 1830
[6] En entrant dans la ville, on trouve quatre temples de
suite. Le premier est en ruine ; le second n'a plus aucune
statue ; dans le troisième il y a encore quelques statues
d'empereurs romains ; le quatrième est
dédié à Minerve Pronoea. La statue de
Minerve que l'on voit à l'entrée de celui-ci est
plus grande que celle qui est dans l'intérieur du temple,
et c'est un présent des Massiliens. Ces peuples sont
originairement une colonie de ces Phocéens qui se
transplantèrent en Ionie ; chassés de la ville de
Phocée par le Mède Harpage, ils
équipèrent une flotte, battirent les Carthaginois
sur mer, et allèrent s'emparer du pays qu'ils occupent
encore aujourd'hui, où ils se sont rendus riches et
puissants.
[7] La Minerve qu'ils envoyèrent à Delphes est
une statue de bronze. On dit que Crésus roi de Lydie
avait aussi fait présent à la déesse d'un
bouclier d'or, qui fut enlevé par Philomélus. Au
temple de Minerve, Pronoea tient une chapelle et toute une
enceinte consacrée au héros Phylacus, qui vint
dit-on sauver Delphes de l'irruption des Perses.
[8] C'est une ancienne tradition que dans l'endroit du lieu
d'exercice qui est découvert, il y avait autrefois une
laie, qui, poursuivie par les fils d'Autolycus et par Ulysse,
fit à celui-ci une blessure au-dessus du genou ;
c'était dans le temps qu'Ulysse était chez
Autolycus. Si au sortir du lieu d'exercice vous prenez à
gauche, et que vous descendiez environ trois stades, vous
trouverez le fleuve Plistus, qui va tomber dans la mer à
Cirrha, le port de Delphes.
[9] Mais si au lieu de descendre vous remontez vers le temple
de Minerve, vous verrez sur votre droite la fontaine de
Castalie, dont l'eau est excellente. Les uns disent que c'est
une femme du lieu qui a donné son nom à cette
fontaine, et les autres que c'est un homme qui avait nom
Castalius. Panyasis fils de Polyarque, dans ses vers sur
Hercule, fait la fontaine de Castalie fille de
l'Achéloüs. Ce héros, dit-il,
après avoir passé les neiges du mont Parnasse,
vint sur les bords de la fontaine de Castalie, qui tire son
origine du fleuve Achéloüs.
[10] Mais j'ai ouï dire à d'autres que c'est le
Céphise qui a fait présent de cette source aux
habitants de Delphes, et c'est une fiction du poète
Alcée dans le prologue d'un hymne à Apollon. Ce
sentiment est confirmé par la pratique des
Liléens, qui à certains jours de l'année,
pour honorer le fleuve Céphise, jettent une espèce
de pâte sacrée dans sa source ; car ils assurent
que bientôt après on voit paraître cette
pâte dans la fontaine de Castalie.
IX. [1]] La ville de Delphes est sur une hauteur d'où
l'on peut descendre de tous côtés par une pente
douce. Le temple d'Apollon est situé de même. Il
contient un fort grand espace tout au haut de la ville, et
plusieurs rues y viennent aboutir. Je vais maintenant faire une
courte énumération des plus considérables
monuments qui ont été consacrés au
Dieu.
[2] Car pour les statues de ces athlètes et de ces
musiciens qui n'ont eu que le mérite de leur art, je n'en
parlerai point. Les célèbres athlètes n'ont
pas été oubliés dans mes mémoires
sur l'Elide ; mais je n'y ai pas compris Phayllus de Crotone,
parce qu'il n'a jamais été couronné
à Olympie. Il mérite d'avoir place ici,
s'étant rendu illustre par trois victoires
remportées aux jeux pythiques ; deux au pentathle, et une
à la course ; mais plus illustre encore par son combat
naval contre les Perses. Lui-même avait fait le vaisseau
qu'il montait, et il y avait embarqué tous les
Crotoniates qui se trouvèrent pour lors en Grèce.
C'est donc avec raison qu'on lui a érigé une
statue à Delphes.
[3] Quand vous serez dans l'enceinte du temple, vous verrez
d'abord un taureau d'airain ; c'est un ouvrage de
Théopropre d'Egine, et une offrande faite par les
Corcyréens. On dit qu'à Corcyre un taureau
s'étant écarté des vaches qui paissaient
dans une prairie, alla beugler sur le rivage de la mer. Comme
cela lui arrivait tous les jours, le bouvier eut la
curiosité de le suivre, et il aperçut au bord de
la mer une quantité prodigieuse de thons.
[4] Aussitôt il courut en avertir les Corcyréens,
qui vinrent pour les prendre ; mais ils y travaillèrent
inutilement. Surpris de ce mauvais succès, ils
envoyèrent à Delphes pour consulter l'oracle. La
réponse fut qu'ils eussent à sacrifier un taureau
à Neptune. Ils le firent, et leur pêche fut si
riche et si abondante que de la dixième partie de leur
gain ils consacrèrent un taureau d'airain à
Apollon de Delphes, et un pareil à Jupiter
Olympien.
[5] Vous verrez ensuite le présent des
Tégéates fait en mémoire des
dépouilles qu'ils remportèrent sur les
Lacédémoniens. C'est un Apollon et une Victoire
avec les statues des héros originaires de
Tégée, comme Callistho fille de Lycaon, Arcas qui
donna son nom à tout le pays, les fils d'Arcas, Elatus,
Aphidas et Azan, Triphylus qui eut pour mère non Erato,
mais Laodamie fille d'Amiclas roi de Lacédémone,
et Erasus fils de Triphylus.
[6] L'Apollon et la Callistho sont de Pausanias d'Apollonie ;
la Victoire et la statue d'Arcas sont de Dédale le
Sicyonien ; Triphylus et Azan sont de Samolas Arcadien ; enfin
Elatus, Aphidas et Erasus sont d'Antiphane d'Argos. Telle fut
l'offrande que les Tégéates envoyèrent
à Delphes, après avoir fait un grand nombre de
prisonniers sur les Lacédémoniens qui
étaient venus ravager leurs terres.
[7] Vis-à-vis de ces statues vous verrez celles que les
Lacédémoniens offrirent en action de grâces
de la victoire qu'ils avaient remportée sur les
Athéniens. Elles sont au nombre de neuf, Castor et
Pollux, Jupiter, Apollon, Diane, Neptune, et Lysander fils
d'Aristocrite qui reçoit une couronne de la main de ce
Dieu. Ensuite Abas qui servait de devin dans l'armée de
Lysander, et Hermon pilote de la capitane que montait ce
général.
[8] La statue d'Hermon est un ouvrage de Théocosme de
Mégare, car il y eut droit de bourgeoisie. Castor et
Pollux sont d'Antiphane d'Argos ; le devin a été
fait par Pison de Calaurée, ville appartenant aux
Trézéniens. Diane, Neptune et Lysander sont de la
façon de Damias ; Apollon et Jupiter sont de celle
d'Athénodore : ces deux statuaires étaient
Arcadiens, de la ville de Clitor.
[9] Derrière toutes ces statues et au second rang on
voit ces braves officiers qui secondèrent si bien
Lysander à Aegospotamos, soit Spartiates, soit
alliés de Sparte, comme Aracus et Erianthès, le
premier de Lacédémone, le second Béotien ;
Astycrate, de la même ville, Céphisocle,
Hermophante et Hicésius, tous trois de Chio, Timarque et
Diagoras Rhodiens, Théodame de Cnide, Cimmérius
d'Ephèse, Eanthidas de Milet, tous faits par le statuaire
Tisandre.
[10] Ceux qui suivent sont de la main d'Alype Sicyonien ;
savoir, Théopompe de Midée, Cléomède
de Samos, Aristocle de Carysthium en Eubée, Antonomus
d'Erétrie, Aristophante de Corinthe, Apollodore de
Trézène, et Dion d'Epidaure sur les confins des
Argiens. A leur suite vous voyez Axionique de Pellène en
Achaïe, Théarès d'Hermioné, Pyrias
Phocéen, Conon de Mégare, Agimène de
Sicyone, Pythodote de Corinthe, Télécrate de
Leucade, Enantidas d'Ambracie, enfin Epicyridas et
Etéonique de Lacédémone. On croit que ce
sont autant d'ouvrages de Patroclès et de Canachus.
[11] Il est certain que les Athéniens furent bien battus
à Aegospotamos ; mais on convient que ce fut par trahison
de leurs chefs qui s'étaient laissés corrompre, et
non par la force des armes : car Tydée et Adimante
reçurent des sommes considérables de Lysander.
Voici même un témoignage ou plutôt une
prédiction de la Sibylle que les Athéniens
allèguent en leur faveur : C'est alors que le puissant
Dieu qui lance le tonnerre fera sentir sa colère aux
Athéniens. Leurs vaisseaux battus dans un sanglant combat
deviendront la proie de l'ennemi par la malice et la perfidie
des commandants. Ils regardent aussi comme un oracle des
vers de Musée dont voici le sens : Les
Athéniens par la trahison de leurs chefs essuieront une
horrible tempête, mais ils auront leur tour, et se
vengeront aux dépens d'une ville ennemie.
[12] La même Sibylle avait prédit que si les
Lacédémoniens et les Argiens en venaient aux mains
par leur prétentions réciproques sur la ville de
Thyrée, l'issue du combat serait douteuse. Mais les
Argiens crurent avoir remporté l'avantage, et
envoyèrent à Delphes un cheval de bronze à
l'imitation du cheval de Troie. C'est un ouvrage d'Antiphane
d'Argos.
X. [1] Sur le piédestal de ce cheval de bronze il y a
une inscription qui porte que les statues dont il est
environné proviennent de la dîme du butin que les
Athéniens firent sur les Perses au combat de Marathon.
Ces statues sont premièrement une Minerve et un Apollon.
En second lieu Miltiade comme général de
l'armée athénienne ; troisièmement parmi
les héros d'Athènes, Erechthée,
Cécrops, Pandion, Léos et Antiochus, qu'Hercule
eut de Midée fille de Phylas, ensuite Egée et
Acamas, l'un des fils de Thésée. Car tous ces
héros, autorisés par l'oracle de Delphes,
donnèrent leurs noms aux tribus des Athéniens.
Mais on y voit aussi Codrus fils de Mélanthus,
Thésée et Phyleus, quoiqu'aucune tribu ne porte
leur nom.
[2] Toutes ces statues sont de Phidias, et ont
été faites en effet de la dixième partie
des dépouilles remportées sur les Perses. Dans la
suite les Athéniens envoyèrent encore à
Delphes la statue d'Antigonus, celle de son fils
Démétrius, et celle de Ptolémée, roi
d'Egypte ; les deux premières pour faire leur cour
à ces rois de Macédoine qu'ils redoutaient, et la
dernière par pur amour pour Ptolémée.
[3] Près du même cheval vous verrez d'autres
offrandes faites par les Argiens. Ce sont les statues des
principaux chefs qui prirent le parti de Polynice et qui
marchèrent avec lui contre Thèbes, Adraste fils de
Talaüs, Tydée fils d'Oeneüs, les descendants de
Proetus, comme Capanée fils d'Hipponoüs, et
Etéoclus fils d'Iphis, enfin Polynice lui-même et
Hippomédon, né d'une soeur d'Adraste. Là se
voit aussi le char d'Amphiaraüs, avec Baton son parent et
son écuyer, qui tient les rênes des chevaux. La
dernière de ces statues est d'Alitherse.
[4] Ce sont autant d'ouvrages d'Hypatodore et d'Aristogiton.
Les Argiens firent ce présent à Apollon
après la victoire qu'ils remportèrent
conjointement avec les Athéniens sur les
Lacédémoniens auprès d'Oenoé, ville
de l'état d'Argos. Je crois que ce fut à la
même occasion qu'ils donnèrent aussi les statues
des Epigones. Car on voit au même rang
Sthénélus et Alcméon ; celui-ci a la place
d'honneur comme plus ancien ; ensuite Promachus, Thersander,
Egialée et Diomède. Euryalus est entre
Egialée et Diomède.
[5] Vis-à-vis ce sont d'autres statues que les Argiens
offrirent encore, après avoir rétabli les
Messéniens de concert avec les Thébains sous la
conduite d'Epaminondas. Vous voyez là Danaüs, le
plus puissant des rois d'Argos, Hypermnestre l'une de ses filles
et la seule qui conserva ses mains pures, auprès d'elle
Lyncée, puis tous ces héros qui descendaient
d'Hercule et même de Persée, encore plus ancien
qu'Hercule.
[6] Suit le présent des Tarentins, qui consiste en des
chevaux de bronze et en des statues de captives qu'ils
consacrèrent à Apollon, en action de grâces
de la victoire qu'ils avaient remportée sur les
Messapiens, nation barbare de leur voisinage. Les chevaux et les
captives sont de la façon d'Agéladas d'Argos. Les
Lacédémoniens envoyèrent anciennement une
colonie à Tarente et en firent chef Phalantus de Sparte.
L'oracle de Delphes ayant été consulté sur
l'événement, répondit que Phalantus se
rendrait maître de la ville et de la campagne lorsqu'il
verrait pleuvoir par un temps serein, et pour dire un temps
serein l'oracle se servit du mot grec aithra.
[7] Phalantus sans trop réfléchir à
l'oracle et sans communiquer aux interprètes, fit une
descente en Italie. Il poussa les Barbares et les défit,
mais sans pouvoir s'emparer d'aucune ville ni d'aucun canton.
Alors il se souvint de l'oracle, et crut que les dieux
condamnaient son entreprise parce qu'il ne se pouvait pas faire
qu'il plût par un temps serein. Sa femme, car il l'avait
menée avec lui, le consolait du mieux qu'elle pouvait. Un
jour qu'assis devant elle il avait la tête dans son giron
et qu'elle lui accommodait les cheveux, elle fut si
touchée de l'affliction de son mari qu'elle versa un
torrent de larmes, en sorte que Phalantus en eut la tête
toute trempée.
[8] Comme cette femme se nommait Ethra, Phalantus comprit
aussitôt le sens de l'oracle et le crut accompli. En effet
dès la nuit suivante, il prit sur les ennemis Tarente,
ville maritime, fort grande et fort riche. On dit que Taras
était un héros fils de Neptune et d'une nymphe du
pays, lequel donna son nom à la ville et au fleuve qui y
passe ; en effet ce fleuve s'appelle aussi Taras.
XI. [1] Le présent des Tarentins est suivi du
trésor des Sicyoniens. C'est le lieu où l'on
gardait les deniers consacrés au dieu. Mais aujourd'hui
il n'y a d'argent ni dans ce lieu, ni dans aucun autre endroit
du temple de Delphes. Près de ce trésor vous voyez
l'offrande des Cnidiens ; c'est une statue équestre de
Triopas leur fondateur, une Latone, un Apollon et une Diane :
ces deux divinités décochent leurs flèches
sur Tityus qui paraît en avoir déjà le corps
criblé.
[2] Les Siphniens ont aussi là leur trésor; j'en
vais dire la raison. Ils avaient des mines d'or dans leur
île ; Apollon leur demanda la dîme du produit de ces
mines. Ils firent donc bâtir un temple de Delphes, et y
déposèrent la dîme que le Dieu exigeait.
Mais dans la suite, par un esprit d'avarice ils cessèrent
de payer ce tribut et ils en furent punis ; car la mer inonda
leurs mines et les fit disparaître.
[3] Les Liparéens ayant vaincu les Tyrrhéniens
dans un combat naval, voulurent aussi décorer de statues
le temple de Delphes. Ces peuples sont une colonie de Cnidiens,
qui eut pour chef un homme de Cnide nommé Pentathlus
à ce que dit Antiochus de Syracuse fils de
Xénophane, dans son histoire de Sicile. Cet
écrivain ajoute que chassés par les Elymes et les
Phéniciens d'une ville qu'ils avaient bâtie
auprès du promontoire de Pachynum en Sicile, ils
allèrent occuper des îles qu'ils trouvèrent
désertes, ou dont ils chassèrent les habitants.
Ces îles du temps d'Homère s'appelaient les
îles d'Eole, comme on le voit par ses poésies et
elles s'appellent encore aujourd'hui de même.
[4] Ils fortifièrent celle de Lipara et s'y
établirent. Les trois autres, savoir Hière,
Strongyle et Didyme, ils les réservèrent pour
fournir à leur subsistance, et en effet ils y passent sur
des vaisseaux pour en labourer les terres. Dans l'île
Strongyle il sort du feu de dessous la terre. Dans celle
d'Hyère il y a un promontoire qui jette aussi des
tourbillons de flammes. Près de la mer vous avez des
bains d'eau chaude qui sont fort salutaires. On en peut user
parce que l'eau en est fort tempérée ; mais aux
autres endroits elle est si chaude que l'on ne peut s'y
baigner.
[5] Revenons au temple de Delphes. Les Athéniens y ont
bâti une espèce de chapelle particulière,
sous le nom de trésor, les Thébains de même
; les uns et les autres en action de grâces de divers
avantages remportés à la guerre. A l'égard
des Cnidiens, je ne sais si c'est pour accomplir un voeu ou
seulement pour faire montre de leurs richesses qu'ils ont voulu
avoir un trésor dans le temple. Mais pour les
Thébains et les Athéniens, on sait qu'ils ont
voulu par là laisser un monument, les uns de leur combat
de Leuctres, et les autres de leur combat de Marathon. Les
Cléonéens ayant été affligés
de la peste aussi bien que les Athéniens, avertis par
l'oracle de Delphes, sacrifièrent un bouc au soleil
levant ; ils furent délivrés du mal contagieux, et
pour marquer leur reconnaissance ils consacrèrent
à Apollon un bouc de métal. Les Potidéens,
peuples de Thrace, et les Syracusains ont aussi honoré le
Dieu par un trésor qui leur est affecté, les
premiers par pure dévotion envers le Dieu, les seconds
pour avoir défait les Athéniens qui avaient
porté la guerre dans leur île.
[6] Mais les Athéniens eux-mêmes ont bâti
encore un portique des richesses gagnées sur les peuples
du Péloponnèse et leurs alliés. On y voit
des éperons de navires et des boucliers d'airain
suspendus à la voûte. Une inscription nomme toutes
les villes sur lesquelles les Athéniens
remportèrent des dépouilles, dont ils
envoyèrent les prémices à Delphes : Elis,
Lacédémone, Sicyone, Mégare, Pellène
en Achaïe, Ambracie, Leucade, Corinthe même. Il y est
dit aussi que des dépouilles remportées dans un
combat naval, ils firent de somptueux sacrifices à
Thésée et à Neptune sur le promontoire de
Rhion. Enfin la même inscription fait, ce me semble, un
grand éloge de Phormion fils d'Asopichus.
XII. [1] Au-dessus de ce portique il y a une grosse roche,
où l'on lit qu'Hérophile avait accoutumé de
s'asseoir pour rendre ses oracles. Cette Hérophile fut
surnommée la Sibylle aussi bien qu'une plus ancienne dont
j'ai connaissance, et que les Grecs font fille de Jupiter et de
Lamia, laquelle Lamia était fille de Neptune. On croit
que l'ancienne a été la première femme qui
ait eu le don de prophétie, et l'on dit qu'elle fut
nommée Sibylle par les Africains.
[2] L'Hérophile dont je parle est postérieure
à l'autre, quoiqu'elle ait vécu avant la guerre de
Troie. Car elle annonça qu'Hélène
était élevée dans Sparte pour le malheur de
l'Europe et de l'Asie, et qu'un jour elle serait cause que les
Grecs conjureraient la ruine de Troie. Les habitants de
Délos ont des hymnes en l'honneur d'Apollon, qu'ils
attribuent à cette femme. Dans ses vers elle se donne non
seulement pour Hérophile, mais aussi pour Diane : elle se
fait tantôt soeur, et tantôt fille d'Apollon ; mais
alors elle parle comme inspirée et comme hors
d'elle-même.
[3] Car en d'autres endroits elle se dit née d'une
immortelle, d'une des nymphes d'Ida, et d'un père mortel.
Fille d'une nymphe immortelle, mais d'un père mortel,
je suis, dit-elle, originaire de l'Ida, ce pays dont la
terre est si aride et si légère, car la ville de
Marpesse et le fleuve Aïdonée ont donné
à ma mère la naissance.
[4] En effet, vers le mont Ida en Phrygie, on voit encore
aujourd'hui les ruines de la ville de Marpesse, où il est
même resté une soixantaine d'habitants. La terre
des environs est toujours sèche et rougeâtre. Le
fleuve Aïdonée qui l'arrose disparaît tout
à coup, puis reparaît jusqu'à ce qu'il se
perde entièrement ; ce que l'on peut attribuer à
la nature du terrain qui est fort léger, fort poreux, et
plein de crevasses. Marpesse est à deux cent quarante
stades d'Alexandrie, ville de la Troade.
[5] Les habitants d'Alexandrie disent qu'Hérophile
était sacristine du temple d'Apollon Sminthéus, et
qu'elle expliqua le songe d'Hécube, comme
l'événement a montré qu'il devait
s'entendre. Cette Sibylle passa une bonne partie de sa vie
à Samos ; ensuite elle vint à Claros, ville
dépendante de Colophon, puis à Délos et de
là à Delphes, où elle rendait ses oracles
sur la roche dont j'ai parlé.
[6] Elle finit ses jours dans la Troade ; son tombeau subsiste
encore dans le bois sacré d'Apollon Sminthéus avec
une épitaphe en vers élégiaques
gravés sur une colonne, et dont voici le sens : Je
suis cette fameuse Sibylle qu'Apollon voulut avoir pour
interprète de ses oracles, autrefois vierge
éloquente, maintenant muette sous ce marbre et
condamnée à un silence éternel. Cependant
par la faveur du Dieu, toute morte que je suis, je jouis encore
de la douce société de Mercure et des nymphes mes
compagnes. En effet, près de sa sépulture on
voit un Mercure dont la forme est quadrangulaire ; et sur la
gauche une source d'eau tombe dans un bassin où il y a
des statues de nymphes. Les Erythréens sont de tous les
Grecs ceux qui revendiquent cette Sibylle avec le plus de
chaleur. Ils vantent leur mont Corycus, et dans cette montagne
un antre où ils prétendent qu'Hérophile
prit naissance. Selon eux un berger de la contrée,
nommé Théodore, fut son père, et une nymphe
fut sa mère. Cette nymphe était surnommée
Idéa, parce qu'alors tout lieu où il y avait
beaucoup d'arbres était appelé Ida. Les
Erythréens retranchèrent des poésies
d'Hérophile ces vers où elle parle de la ville de
Marpesse et du fleuve Aïdonée comme de son pays
natal.
[8] Hypérochus de Cumes a écrit qu'après
cette Sibylle il y en a eu une autre à Cumes ville
d'Opique. Il la nomme Démo ; mais on ne saurait avoir
connaissance même à Cumes d'aucun de ses oracles ;
on montre seulement dans le temple d'Apollon une petite urne de
marbre où l'on dit que les cendres de cette Sibylle sont
renfermées.
[9] Après Démo, les Hébreux qui habitent
au-dessus de la Palestine ont mis au nombre des
prophétesses une certaine Sabba, qu'ils font fille de
Bérose et d'Erymanthe. C'est elle-même que les uns
appellent la Sibylle de Babylone, et les autres la Sibylle
d'Egypte.
[10] Phaennis fille du roi de Chaonie, et les
Péléades chez les Dodonéens ont aussi
été douées du don de prophétie, mais
elles n'ont jamais porté le nom de Sibylle. Quant
à Phaennis, il est aisé de recueillir ses oracles.
On sait aussi qu'elle vivait dans des temps qu'Antiochus fit
Démétrius prisonnier, et qu'il s'empara du
trône de Macédoine. Pour les
Péléades, on les tient plus anciennes que
Phémonoé, et l'on croit qu'elles sont les
premières qui ont chanté en vers ces paroles :
Jupiter a été, est, et sera. O grand Jupiter !
c'est par ton secours que la terre nous donne ses fruits. Nous
la disons notre mère à juste titre.
[11] Parmi les hommes, on a regardé comme
prophètes Euclus de Chypre, Musée Athénien
fils d'Antiphème, Lycus fils de Pandion, et Bacis de
Béotie, qui fut, dit-on, inspiré par les nymphes.
J'ai lu toutes leurs prédictions, excepté celles
de Lycus. Voilà tout ce qu'il y a eu jusqu'ici de femmes
et d'hommes réputés prophètes. On peut
croire que dans les siècles à venir il y en aura
d'autres. Je reviens à mon sujet.
XIII. [1] Vous verrez encore à Delphes une tête en
bronze ; c'est la tête d'un buffle ou d'un taureau de
Péonie, qui a été donnée par Dropion
de Léon, roi des Péoniens. Cette espèce de
taureau est de toutes les bêtes féroces la plus
difficile à prendre en vie ; car il n'y a ni toiles ni
filets qui puissent résister à ses efforts. Voici
comme on chasse cet animal. On choisit un côteau qui par
une pente aisée descend dans le vallon, et l'on entoure
ce côteau de bons palis. Ensuite, depuis la pente du
côteau jusqu'au bas du vallon, l'on étend des peaux
de boeuf toute fraîches, ou si l'on n'en a point de
fraîches, on étend de vieux cuirs et on les graisse
d'huile, afin de les rendre plus glissants.
[2] Alors des chasseurs bien montés poussent le buffle
de ce côté-là. L'animal n'a pas plus
tôt mis le pied sur ces cuirs, que venant à glisser
il se précipite en bas. Là on le laisse
pâtir quatre ou cinq jours ; après quoi, demi-mort
de faim et de lassitude, il se laisse prendre
aisément.
[3] On peut même profiter de sa faiblesse et
l'apprivoiser, en lui jetant des pignons de pommes de pin tout
épluchés, dont ces animaux sont fort friands. Ils
viennent manger ce fruit, et quand ils sont ainsi
apprivoisés, on leur lie les pieds et on les
emmène.
[4] Vis-à-vis de cette tête de bronze est la
statue d'un homme en cuirasse, avec une cotte d'armes
par-dessus. Cette statue est un présent des habitants
d'Andros, et l'on dit qu'elle représente Andréus
leur fondateur. L'Apollon, la Minerve et la Diane qui suivent
sont une offrande faite par les Phocéens, après
une victoire remportée sur les Thessaliens, leurs ennemis
irréconciliables et leurs voisins, si ce n'est du
côté que la Phocide confine avec les Locriens
Hypocnémidiens.
[5] Vous verrez au même rang Jupiter Ammon sur un char ;
c'est un don des Cyrénéens, peuple de Libye, mais
grec d'origine ; une statue équestre d'Achille,
présent fait par ces Thessaliens qui habitent aux
environs de Pharsale, enfin un Apollon qui tient une biche ; ce
monument vient de ces Macédoniens qui habitent la ville
de Dion sous le mont Piérie. Les Corinthiens, je dis ceux
qui étaient Doriens d'extraction, ont aussi bâti
là un trésor, et il y avaient mis une grande
quantité d'or qu'ils avaient reçu des
Lydiens.
[6] La statue d'Hercule que l'on voit ensuite a
été donnée par les Thébains pour
quelques avantages remportés sur les Phocéens
durant la guerre sacrée. Les Phocéens, de leur
côté, ayant battu pour la seconde fois la cavalerie
thessalienne, consacrèrent à Apollon plusieurs
statues de bronze qui se voient encore à Delphes. Les
Phliasiens ont donné le Jupiter de bronze qui est
auprès, et auprès de Jupiter une statue qui
représente l'île d'Egine. Près du
trésor des Corinthiens on voit un Apollon de bronze, qui
a été renvoyé par les Arcadiens du
Mantinée.
[7] Un peu plus loin c'est un Apollon et un Hercule qui se
disputent un trépied ; chacun veut l'avoir, ils sont
prêts à se battre, mais Latone et Diane retiennent
Apollon, et Minerve apaise Hercule. Les Phocéens firent
ce présent dans le temps qu'ils marchaient contre les
Thessaliens sous la conduite de Tellias d'Elis. La Minerve et la
Diane sont de Chionis, les autres statues qui composent ce
monument ont été faites par Diyllus et par
Amyclé. On dit que ces trois statuaires étaient de
Corinthe.
[8] C'est une tradition à Delphes, qu'Hercule fils
d'Amphitryon étant venu pour consulter l'oracle.
Xénoclée qui était pour lors la
prêtresse du Dieu, ne lui voulut rendre aucune
réponse, parce qu'il était encore tout
souillé du sang d'Iphitus. On dit qu'Hercule,
fâché de ce refus, emporta du temple un
trépied et que la prêtresse s'écria :
C'est Hercule de Tyrinthe, et non pas celui de Canope ; car
auparavant, Hercule l'égyptien était venu aussi
à Delphes. Mais enfin le fils d'Amphitryon ayant rendu le
trépied, il obtint de la prêtresse tout ce qu'il
voulut ; c'est de là que les poètes ont pris
occasion de feindre qu'Hercule avait combattu contre Apollon
pour un trépied.
[9] Après la fameuse victoire que les Grecs
remportèrent à Platée, toute la nation crut
devoir faire un présent à Apollon, et ce
présent fut un trépied d'or, soutenu par un dragon
de bronze. Le dragon est encore aujourd'hui dans son entier ;
mais pour le trépied qui était d'or, il a
été enlevé par les généraux
de l'armée des Phocéens.
[10] Les Tarentins, victorieux des Peucétiens, autres
peuples barbares de leur voisinage, consacrèrent à
Apollon la dîme des dépouilles remportées
sur l'ennemi. Ils firent faire par Onatas d'Egine et par
Calynthus plusieurs statues tant équestres qu'en pied, et
les envoyèrent à Delphes. Vous voyez donc Opis roi
des Iapiges, qui était venu au secours des
Peucétiens ; il est blessé et mourant. On voit
autour de lui le héros Taras, Phalante de
Lacédémone, et un peu plus loin un dauphin, pour
marquer l'aventure arrivée à Phalante. Car on dit
qu'avant d'aborder en Italie, il fit naufrage dans la mer
Crissée, et qu'un dauphin le porta jusqu'au rivage.
XIV. [1] La hache que l'on voit ensuite est un présent
de Périclyte fils d'Euthymaque de la ville de
Ténédos. Voici ce que l'on raconte de cette hache.
On dit que Cycnus était fils de Neptune et qu'il
régna à Colones, ville de Troade, près de
l'île Leucophrys.
[2] Il épousa Proclée fille de Clytius et soeur
de ce Calétor qui au rapport d'Homère dans
l'Iliade fut tué par Ajax, justement dans le temps
qu'il voulait brûler le vaisseau de Protésilas.
Cycnus eut de Proclée une fille et un fils. Sa fille se
nommait Hémithée, et son fils Ténès.
Sa femme étant morte, il épousa en secondes noces
Philonomé fille de Craugasus. Celle-ci prit de l'amour
pour Ténès son beau-fils. Mais n'ayant pu s'en
faire aimer, pour se venger, elle résolut de le perdre
dans l'esprit de son mari, et l'accusa d'avoir voulu la violer.
Cycnus, trompé par cette imposture, fait enfermer le
frère et la soeur dans un coffre, et les jeta dans la
mer.
[3] Sauvés par leur bonne fortune ils arrivent à
Leucophrys, qui du nom de Ténès s'est depuis
appelée Ténédos. Quelque temps
après, Cycnus découvre l'artifice et la
méchanceté de sa femme. Il s'embarque et va
chercher son fils pour lui confesser son imprudence et lui en
demander pardon. Mais au moment qu'il touche le rivage et qu'il
attache le câble de son vaisseau à quelque arbre ou
à quelque rocher, Ténès prend une hache et
coupe le câble, le vaisseau s'éloigne et vogue au
gré des vents.
[4] La hache de Ténès a depuis fondé le
proverbe que l'on applique à ceux qui sont inflexibles
dans leur colère. C'est cette hache que l'on voit dans le
temple de Delphes. Quant à Ténès, on croit
qu'il fut tué depuis par Achille, en défendant son
île contre les Grecs. Dans la suite, les
Ténédiens considérant leur faiblesse,
jugèrent à propos de ne faire plus qu'un peuple
avec les habitants de la ville d'Alexandrie, qui est dans cette
partie du continent que l'on nomme la Troade. Mais reprenons
notre sujet.
[5] Les Grecs qui combattirent contre le roi de Perse, ayant
remporté deux victoires sur mer, l'une auprès
d'Artemisium, l'autre à Salamine, en actions de
grâces pour un si grand bienfait, envoyèrent un
Jupiter de bronze à Olympie, et un Apollon à
Delphes. On dit aussi que Thémistocle vint à
Delphes pour offrir au Dieu les dépouilles des
Mèdes, et qu'ayant demandé à la Pythie s'il
les mettrait dans le temple, elle rejeta cette proposition avec
dureté : Garde-toi, lui dit-elle,
d'étaler ces riches dépouilles dans le temple
d'Apollon, mais bien plutôt remporte-les chez
toi.
[6] On peut s'étonner avec raison que Thémistocle
fût le seul dont Apollon ne voulût pas recevoir des
richesses prises sur les Perses. A cela les uns répondent
que le Dieu eût rejeté de même toutes
dépouilles des Perses, si avant que de les lui offrir on
lui eût demandé son agrément ; les autres
disent que le Dieu prévoyant qu'un jour
Thémistocle irait chez les Perses en qualité de
suppliant, il ne voulut pas recevoir son présent, parce
que ce grand homme, après avoir marqué par un
monument public et religieux la haine qu'il avait pour cette
nation, il aurait eu mauvaise grâce à attendre
d'elle son salut. Au reste, vous trouverez que l'irruption des
Perses en Grèce a été prédite par
les oracles de Bacis, et avant lui par le poète
Euclus.
[7] Près du grand autel vous verrez un loup de bronze.
C'est une offrande faite par les habitants de Delphes
eux-mêmes. On dit qu'un scélérat,
après avoir dérobé l'argent du temple, alla
se cacher dans l'endroit le plus fourré du mont Parnasse.
Là s'étant endormi, un loup se jeta sur lui et le
mit en pièces. Ce même loup entrait toutes les
nuits dans la ville et la remplissait de hurlements. On crut
qu'il y avait à cela quelque chose de surnaturel ; on
suivit le loup et l'on retrouva l'argent sacré que l'on
reporta dans le temple. En mémoire de cet
événement, on fit faire un loup de bronze, et on
le consacra au Dieu.
XV. [1] Ce monument est suivi de la statue dorée de
Phryné, faite de la main de Praxitèle qui
était amoureux de cette courtisane. Ce fut Phryné
elle-même qui en fit présent à Apollon. On
voit tout de suite et au même rang deux Apollons,
donnés l'un par les Epidauriens, après une
victoire remportée sur les Perses dans le pays d'Argos,
l'autre par les Mégaréens, pour avoir
défait les Athéniens auprès de
Nissée. Suit une génisse en bronze
dédiée par les Platéens, lorsque dans leur
propre pays, avec le secours des autres Grecs, ils
taillèrent en pièces l'armée de Mardonius
fils de Gobryas. Des deux Apollons que l'on voit après,
l'un est un présent des Héracléotes qui
habitent aux environs du Pont Euxin, l'autre vient d'une amende
à laquelle les Phocéens furent condamnés
par les Amphictyons, pour avoir labouré un champ
consacré au Dieu.
[2] Cette dernière statue est haute de trente-cinq
coudées, on la nomme à Delphes l'Apollon Sitalcas.
Là même vous voyez plusieurs généraux
d'armée en bronze, une Diane, une Minerve et deux
Apollons encore, toutes statues données par les Etoliens
en reconnaissance de la victoire qu'ils remportèrent sur
les Gaulois. Vingt-cinq ou trente ans avant que les Gaulois
passassent d'Europe en Asie pour le malheur du genre humain,
Phaennis avait prédit ce déluge de barbares. Nous
avons encore sa prophétie en vers hexamètres, dont
voici le sens :
[3] Une multitude innombrable de Gaulois couvrira
l'Hellespont et viendra ravager l'Asie. Malheur surtout à
ceux qui se trouveront sur leur passage, et qui habitent le long
des côtes. Mais bientôt Jupiter prendra soin de les
venger. Je vois sortir du mont Taurus un généreux
prince qui exterminera ces barbares. Phaennis voulait
désigner Attalus roi de Pergame, qu'elle appelle un
nourrisson de Taurus ; et Apollon lui-même faisant
allusion au mot taurus, qui signifie un taureau, le
qualifia de prince, qui avait les cornes et la force d'un
taureau.
[4] Vous verrez ensuite les statues équestres des chefs
sous la conduite de qui les Phéréens mirent en
fuite la cavalerie athénienne. Du même
côté est un palmier de bronze avec une Minerve
dorée, monument de deux combats dont les Athéniens
sortirent victorieux en un même jour, l'un sur terre
près du fleuve Eurymédon, l'autre sur le fleuve
même. Cette Minerve est à présent
dédorée et gâtée en plusieurs
endroits, ce que j'attribuais à l'avarice et à
l'impiété des hommes.
[5] Mais depuis j'ai lu dans Clitodème, le plus ancien
historien qui ait traité de l'Attique, que dans le temps
que les Athéniens équipaient une flotte pour aller
faire une descente en Sicile, on vit paraître à
Delphes une nuée de corbeaux qui
assiégèrent cette statue, et avec leur bec la
mirent dans l'état où elle est : l'historien
ajoute que ces oiseaux brisèrent non seulement la pique
et les chouettes qui sont les symboles de la déesse, mais
aussi les branches du palmier, et les fruits dont il
était chargé comme un véritable
palmier.
[6] Clitodème rapporte plusieurs autres prodiges qui
arrivèrent alors, et qui auraient dû
détourner les Athéniens de cette malheureuse
expédition. Au même endroit on voit Battus sur un
char. C'est un don des Cyrénéens, qui sous les
auspices de Battus quittèrent l'île de Théra
pour aller s'établir en Afrique. Cyrène conduit le
char elle-même et la nymphe Libye couronne Battus. Ce
monument est un ouvrage d'Amphion de Gnosse fils
d'Acestor.
[7] On dit que Battus après avoir conduit sa colonie
à Cyrène, recouvra la parole d'une manière
fort extraordinaire. Etant allé faire une course avec les
Cyrénéens dans les déserts de l'Afrique, il
aperçut un lion et la peur qu'il en eut lui fit jeter un
grand cri bien articulé. Près de sa statue, il y a
un Apollon qui a été fait par ordre des
Amphictyons, et de l'amende imposée aux Phocéens
pour l'attentat qu'ils avaient commis contre le Dieu.
XVI. [1]De tous les présents faits par les rois de
Lydie, il ne reste plus que la soucoupe d'un gobelet
donné par Alyatte ; cette soucoupe est de fer, et c'est
un ouvrage de Glaucus de Chio, qui le premier a trouvé
l'art de souder le fer. Les différentes pièces qui
le composent ne sont jointes ensemble ni par des clous, ni
même par des pointes, mais uniquement par de la
soudure.
[2] Sa figure est celle d'une tour ; large par en bas elle
s'étrécit par en haut, chaque côté
n'est pas d'une seule pièce. Ce sont plusieurs bandes de
fer mises les unes sur les autres en manière
d'échelons, et les dernières, je veux dire celles
d'en haut, sont un peu renversées en dehors. Voilà
comment cette soucoupe est faite.
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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition
de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage
complété.