[Le reste de l'Attique - Marathon - Rhamnonte - Salamine]
Tardieu, 1821
XXXI. [1] Il me faut maintenant parcourir en peu de mots les
bourgades de l'Attique, selon qu'elles se rencontrent ; je
raconterai donc aussi ce qu'elles ont de curieux et de
particulier. A Alime on voit un temple consacré à
Cérès Thesmophore ou législatrice,
et à Proserpine. Au Zoster sur le bord de la mer,
Minerve, Apollon, Diane et Latone sont particulièrement
honorées, et y ont leurs autels ; on ne croit pas que
Latone y ait fait ses couches, mais on dit que sentant son terme
approcher, elle y délia sa ceinture, et c'est de
là que ce lieu a pris son nom. Les Prospaltiens ont aussi
un temple de Cérès et de Proserpine. Les
Anagyrasiens en ont un dédié à la
mère des dieux. A Céphalé on honore
singulièrement les Dioscures, et même on les met au
nombre des grands dieux.
[2] Les Prasiens ont un temple d'Apollon, où l'on dit
que les Hyperboréens sont soigneux d'envoyer les
prémices de leurs fruits ; ces peuples les confient aux
Arimaspes, les Arimaspes aux Issédons de qui les Scythes
les reçoivent et les envoient à Sinope,
d'où elles sont portées par des Grecs à
Prasies, et ensuite à Délos par des
Athéniens. Ces prémices sont couvertes de paille
de froment, et il n'est permis à personne de les voir.
Dans la même bourgade de Prasie on voit le tombeau
d'Erysicthon, qui en revenant de Délos où il avait
transporté le culte et la religion de son pays, mourut
dans le cours de sa navigation.
[3] J'ai déjà dit que Cranaüs roi
d'Athènes avait été chassé par
Amphyction son gendre ; les Lampréens assurent qu'il se
retira chez eux avec ce qu'il avait de troupes, qu'il y mourut,
et y fut inhumé : ce qui est de certain, c'est que l'on
montre son tombeau à Lamprée. Ion, qui
était fils de Xuthus, a le sien à Potamos, autre
bourgade ; car Ion s'était établi en Attique, et
même il commandait les Athéniens dans la guerre
qu'ils eurent contre les Eleusiniens : telle est la tradition de
ces peuples.
[4] Les Phlyens ont un temple où l'on voit plusieurs
autels dédiés, l'un à Apollon Dionysodotus,
l'autre à Diane Lucifera, un autre à Bacchus le
fleuri, un autre aux Nymphes Isménides, et un autre
à la Terre qu'ils nomment la grande déesse. Les
Myrrhinusiens en ont un de même, où ils honorent
Cérès Anésidore, Jupiter Crésius,
Minerve Tithroné, Proserpine l'ancienne et les
Euménides, déesses qu'ils qualifient de
sévères. A Myrrhinunte on voit la statue de la
déesse Colénis, comme à Athmonie on en voit
une de Dian Amarysia.
[5] Voici ce que je pense de ces deux surnoms. Amarynthus est
une ville de l'Eubée, là où on honore Diane
Amarysia, et même les Athéniens
célèbrent sa fête avec autant de
solemnité que ces peuples de l'Eubée ; il y a bien
de l'apparence que ce nom d'Amarysia a passé de là
à Athmonie. Pour celui de Colénis qui est connu
à Myrrhinunte, je crois qu'il vient de Colénus.
J'ai déjà dit que dans ces bourgades de l'Attique
plusieurs croient qu'il y a eu des rois à Athènes
avant Cécrops : or les Myrrhinusiens veulent que
Colénus ait été un de ces rois.
[6] A Acharna on rend un culte particulier à Apollon
Agyieus, à Hercule et à Minerve Hygéia ou
déesse de la santé ; on y voit une statue
équestre de Minerve et une de Bacchus sous le nom de
Bacchus chantant ; ce dieu y est aussi appellé le dieu du
lierre, parce que c'est le premier canton de l'Attique où
l'on ait vu du lierre.
XXXII. [1] Les montagnes de l'Attique sont le
Pentélique, célèbre par ses
carrières de marbre, le Parnès où les
chasseurs trouvent une grande quantité d'ours et de
sangliers, et le mont Hymète qui est le lieu le plus
propre qu'il y ait au monde pour la nourriture des abeilles, si
vous en exceptez le pays des Halisons ; car chez ces peuples les
abeilles sont si douces et si familières qu'elles vont
aux champs avec les hommes, et qu'il n'est pas besoin de les
renfermer dans des niches ; elles travaillent çà
et là comme il leur plaît, et leur ouvrage est si
bien lié et d'un tissu si fort que l'on a de la peine
à séparer le miel d'avec la cire.
[2] Dans ces montagnes de l'Attique vous trouvez plusieurs
statues des dieux ; au Pentélique il y en a une de
Minerve, et au mont Hymète une de Jupiter
Hymétien, avec deux autels consacrés, l'un
à Jupiter pluvieux, l'autre à Apollon le
prévoyant. Au mont Parnès on voit un Jupiter
Parnétien en bronze, un autel de Jupiter
Séméléen, un autre autel où les
habitants sacrifient tantôt à Jupiter pluvieux,
tantôt à Jupiter bienfaisant. L'Anchesme est encore
une montagne, mais peu considérable : Jupiter y a une
statue sous le nom de Jupiter Anchesmien.
[3] Avant que de parler des îles qui appartiennent aux
Athéniens, je veux finir tout ce qui regarde les divers
peuples de l'Attique. Marathon est à une égale
distance d'Athènes et de Caristhée ville de
l'Eubée. C'est à Marathon que les Perses
débarquèrent, et qu'après un grand combat
où ils furent défaits, ils perdirent encore
plusieurs vaisseaux en se retirant. Là se voit la
sépulture de ces braves Athéniens qui
périrent dans le combat ; sur leur tombeau l'on a
élevé des colonnes où sont gravés
les noms, les tribus et les exploits de ces illustres morts. Les
Platéens, peuples de Béotie, ont aussi là
leur monument, et les esclaves le leur ; car en cette occasion
les esclaves furent enrôlés pour la première
fois.
Monin, 1830-Cliquez sur l'image pour l'agrandir
[4] Miltiade fils de Cimon a sa sépulture à part
; ce grand homme ayant échoué au siège de
Paros, fut exilé par le peuple d'Athènes et mourut
peu de temps après. Dans la campagne de Marathon l'on
entend toutes les nuits des hennissements de chevaux et un bruit
de combattants ; tous ceux que la curiosité y attire et
qui prêtent l'oreille à dessein, s'en retournent
fort maltraités ; mais ceux qui passant leur chemin
voient ou entendent quelque chose, n'offensent point les
mânes, et il ne leur arrive rien de mal. Les habitants du
lieu regardent comme autant de héros ceux qui furent
tués en combattant contre les Perses ; ils respectent
leur mémoire et encore plus celle de Marathon qui donna
son nom à cette bourgade. Mais ils honorent Hercule d'un
culte tout particulier, et ils passent même pour
être les premiers des Grecs qui lui aient consacré
des autels.
[5] Au reste, si on veut les en croire, il y eut en cette
fameuse journée un événement fort
singulier. Un inconnu qui avait l'air et l'habit d'un paysan
vint se mettre du côté des Athéniens durant
la mêlée, tua un grand nombre de barbares avec le
manche de sa charrue, et disparut aussitôt après.
Les Athéniens ayant consulté l'oracle pour savoir
qui était cet inconnu, n'eurent d'autre réponse,
sinon qu'ils honorassent le héros Echetlée.
Après le combat ils érigèrent dans le lieu
même un trophée de marbre blanc. Les
Athéniens se font honneur d'avoir donné la
sépulture à tous les Perses qui périrent
dans le combat, et en effet i1s ont toujours regardé
comme une action de piété d'enterrer les morts ;
cependant je n'ai vu dans toute la plaine de Marathon ni
tombeau, ni éminence, rien enfin qui ait l'air d'un
monument ; ce qui me fait croire que l'on jeta leurs corps dans
quelque fosse à mesure qu'on en rencontra.
[6] On voit à Marathon une fontaine qui porte le nom de
Macarie par la raison que je vais dire. Hercule étant
obligé de quitter Tirynthe pour se dérober
à la persécution d'Eurysthée, se retira
auprès de Céix roi des Trachiniens et son ami.
Après la mort d'Hercule, Eurysthée voulut avoir en
sa puissance les enfants de ce héros ; Céix qui
n'était pas en état de soutenir la guerre contre
lui, ne sut mieux faire que d'envoyer ces enfants à
Thésée, afin qu'il les prît sous sa
protection. Ils vinrent donc à Athènes ;
aussitôt les Péloponnésiens, sur le refus
que fit Thésée de livrer ces enfants à
Eurysthée, déclarèrent la guerre aux
Athéniens. Ceux-ci ayant consulté l'oracle, il
leur fut répondu qu'il fallait que l'un de ces enfants se
dévouât volontairement, et que les Athéniens
ne pouvaient être victorieux qu'à ce prix. Alors
Macarie fille d'Hercule et de Déjanire, informée
de la réponse de l'oracle, se donna la mort. Les
Athéniens remportèrent la victoire, et pour
conserver le souvenir d'une action si généreuse,
ils onnèrent le nom de Macarie à la fontaine de
Marathon.
[7] Dans la plaine il y a un lac fort bourbeux ; on dit que les
Perses, par méprise et pour ne pas savoir les chemins, se
jetèrent tout au travers, et qu'il en périt
là un grand nombre. Au-dessus du lac subsistent encore
les écuries d'Artaphernes, bâties de pierres, et
l'endroit où il attachait son pavillon se fait remarquer.
Ce lac forme une rivière, dont l'eau vers sa source est
fort bonne pour les bestiaux, mais vers son embouchure elle est
salée et pleine de poissons de mer. Un peu plus loin que
la plaine de Marathon il y a une caverne digne d'être vue,
l'entrée en est étroite ; mais quand vous
êtes dedans, vous trouvez des chambres, des baignoires,
une étable appellée communément
l'étable de Pan, et des pierres taillées en figure
de chèvres.
XXXIII. [1] Brauron n'est pas fort loin de Marathon ; ce lieu
est renommé pour avoir reçu Iphigénie fille
d'Agamemnon, lorsqu'elle se sauva avec la statue de Diane
Taurique. On dit qu'ayant laissé cette statue à
Brauron, elle alla ensuite à Athènes, et
d'Athènes à Argos. Pour dire le vrai, la statue de
Diane que l'on montre à Brauron est fort ancienne ; mais
je crois que la Diane Taurique est ailleurs, et je hasarderai
mes conjectures là-dessus dans un autre endroit de cet
ouvrage.
[2] A soixante stades de Marathon en allant le long du rivage
vers Orope, vous trouvez Rhamnus ; les habitants ont leurs
maisons sur le bord de la mer, et Némésis a son
temple sur une éminence. C'est de toutes les
divinités celle qui s'irrite le plus de l'insolence des
hommes ; on dit que sa colère se fit surtout sentir aux
Perses qui débarquèrent à Marathon. Ces
barbares fiers de leur puissance méprisaient les forces
d'Athènes, et croyant marcher à une victoire
certaine, ils avaient déjà fait venir du marbre de
Paros pour ériger un trophée sur le champ de
bataille ; mais ce marbre servit à un usage bien
différent.
[3] Phidias l'employa à une statue de
Némésis qui se voit encore à Rhamnus. La
déesse a sur la tête une couronne surmontée
de cerfs et de petites victoires ; elle tient de sa main gauche
une branche de pommier, et de la droite une coupe où sont
représentés des Ethiopiens : je n'en saurais
deviner la raison, mais je ne me rends point à celle que
les autres en donnent. Ils prétendent que ces Ethiopiens
sont là pour signifier le fleuve Océan qui selon
eux, est le père de Némésis.
[4] Mais l'Océan n'est point un fleuve, c'est une mer et
une mer dangereuse, autour de laquelle habitent les
Ibériens et les Celtes ; l'île Britannique est
aussi sur cette mer. Du côté de la mer Rouge,
au-dessus de Siène, les peuples les plus reculés
sont les Ictyophages ; et tout ce golfe aux environs duquel ils
s'étendent, se nomme le golfe Ictyophage. La ville de
Méroé et les plaines Ethiopides, ainsi les
appelle-t-on, sont habitées par les peuples de la terre
les plus justes ; c'est chez eux, dit-on, que le soleil tient sa
table ; mais ils n'ont dans leur pays aucune mer, ni même
d'autre fleuve que le Nil.
[5] Il y a d'autres Ethiopiens qui sont voisins des Maures, et
qui touchent presque aux Nasamons ; Hérodote a cru que
les Nasamons étaient les mêmes que les Atlantes ;
mais ceux qui ont plus étudié la géographie
prétendent que les Nasamons sont les Loxites qui habitent
vers le mont Atlas à l'extrémité de la
Libye, peuples sauvages qui ne sèment rien de ce qui est
nécessaire à la vie, et qui ont pour nourriture ce
mauvais raisin que produit la vigne quand elle n'est pas
cultivée. Quoi qu'il en soit, ni ces derniers Ethiopiens,
ni les Nasamons n'ont aucun fleuve chez eux.
[6] Car encore que la source d'eau qui sort du mont Atlas
semble se partager en trois canaux, aucun de ces canaux ne forme
néanmoins un fleuve, parce que le sable boit toute l'eau
à mesure qu'elle coule. Il s'ensuit de là que ni
les uns ni les autres Ethiopiens ne sont auprès d'aucune
mer, ni d'aucun fleuve qui porte le nom d'Océan. L'eau
qui tombe du mont Atlas, pour ne laisser rien à dire sur
cet article, est fort limoneuse ; et sur les bords de ces canaux
dont j'ai parlé, il s'engendre des crocodiles hauts d'une
coudée, qui se jettent dans l'eau au moindre bruit qu'ils
entendent. Comme on en voit aussi en Egypte, quelques-uns ont
soupçonné que le Nil prenait sa source de ces
mêmes eaux, qui, après être rentrées
sous terre, en sortaient avec impétuosité pour
former ce grand fleuve. Quant au mont Atlas, il est si haut que
son sommet semble toucher au ciel ; les arbres qui le couvrent
et les torrents d'eau dont il est comme inondé, le
rendent inaccessible, de sorte qu'il n'est bien connu que du
côté qui regarde les Nasamons ; car du
côté de la mer aucun vaisseau jusqu'à
présent n'a pu en approcher.
[7] Pour revenir à mon sujet, ni la statue dont je
parle, ni aucune autre ancienne statue de Némésis
n'est ailée ; mais à Smyrne j'en ai vu
quelques-unes qui sont en grande vénération et qui
ont des ailes. Comme on donne des ailes à Cupidon, de
même en a-t-on donné à
Némésis, parce qu'elle exerce principalement son
empire sur les amants ; du moins c'est la raison que j'en
imagine. Je veux aussi vous parler des bas-reliefs qui sont sur
le piédestal de la statue ; mais pour les bien entendre,
il faut savoir que dans l'opinion des Grecs,
Némésis était la mère
d'Hélène, et Léda sa nourrice ; car pour
son père, on convient que c'était Jupiter et non
pas Tyndare.
[8] Phidias qui n'ignorait pas ce point d'histoire a
représenté Léda sous la figure d'une
nourrice qui mène Hélène à
Némésis : voilà pour le premier bas-relief.
Sur le second vous voyez Tyndare et ses enfants, avec un homme
à cheval qui n'a point d'autré nom que le
Cavalier. Sur le troisième vous reconnaissez Agamemnon,
Ménélas et Pyrrhus fils d'Achille, qui est
là comme ayant été le premier mari
d'Hermione fille d'Hélène ; il n'est point
question d'Oreste à cause de l'horrible cruauté
qu'il exerça contre sa mère, quoique pourtant
Hermione ne l'ait point abandonné, et que même elle
ait eu de lui un fils. Le quatrième bas-relief
représente Epochus avec un autre jeune homme : je n'ai pu
rien apprendre de l'un ni de l'autre, sinon qu'ils
étaient frères d'Oenoé, de laquelle une
bourgade de l'Attique a pris son nom.
XXXIV. [1] La plaine d'Orope qui est entre l'Attique et Tanagre
appartenait autrefois aux Béotiens, mais aujourd'hui les
Athéniens en sont les maîtres ; car après
avoir fait la guerre longtemps et inutilement pour s'en emparer,
ils l'obtinrent enfin de Philippe, lorsqu'il eut pris
Thèbes. Pour la ville d'Orope, elle est sur le bord de la
mer, et du reste n'a rien qui mérite qu'on en
parle.
[2] A quelque douze stades de la ville il y a le temple
d'Amphiaraüs, dans le lieu même où l'on dit
que ce devin, comme il s'enfuyait de Thèbes, fut englouti
avec son char, la terre s'étant ouverte sous ses pieds ;
d'autres disent que cela arriva sur le chemin de Thèbes
à Chalcis, dans un endroit qui s'appelle encore à
présent Harma, c'est-à-dire le char. Mais
on convient que les Oropiens sont les premiers qui ont mis
Amphiaraüs au nombre des dieux, en quoi ils ont
été suivis de tous les Grecs. Ce n'est pas le seul
mortel dont les Grecs aient fait l'apothéose ; j'en
pourrais citer plusieurs autres qui ont eu les honneurs divins
après leur mort, et à qui même l'on a
consacré des villes : témoin Eléüse,
ville située dans une péninsule de la Troade, et
Lébadie en Béotie, car la première est
consacrée à Protésilas, et la seconde
à Trophonius. C'est ainsi que chez les Oropiens
Amphiaraüs a un temple avec une statue de marbre
blanc.
[3] Son autel est divisé en cinq parties, dont la
première est dédiée à Hercule,
à Jupiter et à Apollon Péonien ; la seconde
à divers héros et à leurs femmes ; la
troisième à Vesta, à Mercure, à
Amphiaraüs lui-même et à Amphiloque l'un de
ses enfants ; car pour Alcméon qui était l'autre,
il ne partage cet honneur ni avec Amphiaraüs ni avec
Amphiloque, à cause du meurtre d'Eriphyle qui l'avait
rendu odieux ; la quatrième à Vénus,
à Panacée, à Jason, à Hygéia
et à Minerve Péonienne ; la cinquième enfin
aux Nymphes, à Pan et à deux fleuves, le
Céphise et l'Achéloüs. Amphiloque a aussi un
autel à Athènes, mais il rend ses oracles à
Mallus, ville de Cilicie ; et de tous les oracles qui se sont
conservés jusqu'à mon temps, il n'y en a point lui
soient moins trompeurs que les siens.
[4] Auprès du temple d'Amphiaraüs on voit une
fontaine qui porte aussi son nom ; l'eau de cette fontaine ne
sert ni aux sacrifices, ni aux lustrations, pas même
à laver les mains. Ceux qui sont guéris de quelque
maladie par le secours du dieu sont seulement obligés de
jeter quelque pièce d'or ou d'argent dans la fontaine ;
et la raison que l'on en donne, c'est qu'Amphiaraüs
déjà devenu un dieu sortit par là de
dessous terre. Jophon de Gnosse, un de ceux qui m'expliquaient
les antiquités du pays, me dit qu'il y avait plusieurs
prophéties d'Amphiaraüs écrites en vers
hexamètres, et entre autres une réponse qu'il
avait rendue aux Argiens, lorsqu'ils allèrent
assiéger Thèbes. Pour moi je n'y ai pas de foi ;
tout ce qui plaît au peuple et qui a quelque air de
merveilleux, trouve aisément créance, et l'on ne
s'en désabuse qu'avec peine ; mais à l'exception
des oracles d'Apollon qui sont attestés par toute
l'antiquité, je ne crois pas qu'il y en ait eu aucun.
Tous ceux qui se sont mêlés de prédire
l'avenir étaient des interprètes de songes, ou des
gens qui avaient quelque connaissance du vol des oiseaux ou des
entrailles des victimes.
[5] Il y a donc bien plus d'apparence qu'Amphiaraüs
excellait dans l'interprétation des songes ; et ce qui me
le persuade, c'est qu'encore à présent qu'il est
honoré comme un dieu, il ne rend ses réponses que
sur des songes, ceux qui viennent le consulter commencent par se
purifier, ensuite ils sacrifient non seulement à
Amphiaraüs, mais aux autres divinités sous le nom
desquelles son autel est consacré ; après quoi ils
lui immolent à lui nommément un bélier ; la
cérémonie achevée, ils étendent la
peau du bélier sur le plancher, se couchent dessus et
s'endorment dans l'espérance d'avoir quelque songe qui
soit suivi d'une explication favorable.
XXXV. [1] Les îles qui appartiennent aux Athéniens
dans l'Attique ne sont pas éloignées du continent.
L'île Patrocle en est une ; j'en ai déjà dit
tout ce qu'il y avait à dire. Il y en a une autre
au-dessus de Sunium, et que l'on trouve sur la gauche quand on
va par mer à Athènes ; c'est l'île
d'Hélène, ainsi appellée parce
qu'Hélène y aborda après la prise de
Troie.
[2] Salamine est située vis-à-vis d'Eleusis et
s'étend jusqu'au territoire de Mégare. On dit que
Cychreus donna à cette île le nom de Salamis sa
mère qui était fille d'Asopus ; que Télamon
y mena une colonie d'Eginètes ; qu'ensuite elle fut
donnée aux Athéniens par Phylée fils
d'Eurysace et petit-fils d'Ajax ; lequel Phylée avait
été fait citoyen d'Athènes ; que longtemps
après les Athéniens détruisirent Salamine,
parce qu'elle n'avait pas fait son devoir durant la guerre
qu'ils eurent avec Cassander, et qu'elle avait ouvert ses portes
aux Macédoniens plutôt volontairement que par force
; on ajoute qu'Ascétadès qui commandait dans la
ville fut condamné à perdre la vie, et que les
Athéniens jurèrent solennellement de n'oublier
jamais la trahison des habitants.
[3] On voit encore à Salamine les ruines d'une place
publique, et un temple d'Ajax avec une statue
d'ébène. Quant aux honneurs que les
Athéniens décernèrent à Ajax et
à son fils Eurysace, il en reste encore des marques
aujourd'hui ; car Eurysace a son autel dans Athènes. On
montre à Salamine auprès du port, une pierre
où l'on dit que Télamon s'assit pour suivre des
yeux ses fils qui venaient de s'embarquer, et qui allaient
joindre la flotte des Grecs en Aulide.
[4] Les habitants racontent qu'après la mort d'Ajax on
vit naître dans le pays pour la première fois une
fleur blanche et rougeâtre, assez semblable au lys quant
à la figure ; mais beaucoup plus petite, et
marquée des mêmes lettres que nos jacinthes. A
l'égard des armes d'Achille qui furent adjugées
à Ulysse au préjudice d'Ajax, j'ai ouï dire
à ces Eoliens dont les ancêtres s'établirent
dans la Troade après la prise de Troie, que la même
tempête qui causa le naufrage d'Ulysse, porta les armes
d'Achille jusqu'au tombeau d'Ajax.
[5] Un Mysien m'a conté que l'ouverture de ce tombeau
est assez grande du côté de la mer, parce qu'il est
continuellement battu des vagues, et que l'eau l'a miné ;
il assurait l'avoir vu, et pour faire juger de la grandeur
d'Ajax, il me disait que la rotule de ses genoux était
comme ces palets dont se servent les jeunes athlètes aux
jeux olympiques. Pour moi j'ai vu ces Celtes qui sont voisins de
ces contrées qu'un froid excessif rend désertes,
et quelque chose que l'on dise de leur stature, je n'ai pas
trouvé qu'elle eût rien de fort surprenant, ni qui
passât la grandeur de quelques momies que l'on voit en
Egypte.
[6] Mais voici ce qui m'a paru de plus extraordinaire en ce
genre. Chez les Magnésiens qui sont sur les bords du
fleuve Léthée, il y a eu un certain
Protophanès qui en un même jour remporta le prix du
pancrace et celui de la lutte à Olympie. Des voleurs
attirés par l'espérance du gain,
fouillèrent dans son sépulcre, et plusieurs gens y
entrèrent ensuite par pure curiosité ; ils virent
que les côtes de ce fameux athlète n'étaient
pas distinguées comme celles des autres hommes, et qu'au
lieu de côtes il avait un seul os qui régnait
depuis l'épaule jusqu'à ces petites côtes
que les médecins appellent bâtardes.
Vis-à-vis de Milet il y a l'île Ladé qui se
sépare en deux autres petites îles, dont l'une
porte le nom d'Astérius, parce qu'Astérius y a son
tombeau ; il était fils d'Anax que l'on dit avoir
été fils de la Terre : le corps d'Astérius
n'a pas moins de dix coudées de long.
[7] Mais ce qui m'a encore plus étonné, c'est ce
que j'ai vu dans une petite île de la haute Lydie, qui n'a
point d'autre nom que les portes de
Téménus. Là un tombeau s'étant
entrouvert par l'injure des temps, on aperçut des os
d'une si prodigieuse grandeur, que s'ils n'avaient eu la figure
d'os de corps humain, on ne les aurait jamais crus tels.
Aussitôt le bruit courut dans le pays que l'on avait
trouvé le corps de Géryon fils de Chrysaor ; et
sur une montagne voisine on montrait une grosse roche que l'on
assurait lui avoir servi de trône ; les habitants du lieu
donnaient le nom d'Océan à un torrent qui roule
ses eaux près de là, et les gens de la campagne
disaient qu'ils avaient souvent trouvé des cornes en
labourant la terre, afin que tout cadrât avec l'histoire
de Géryon, qui dit qu'en effet il nourrissait des boeufs
d'une excellente beauté.
[8] Pour moi je combattais leur opinion en soutenant que
Géryon habitait à Godes, que son tombeau ne se
trouvait nulle part, et que l'on voyait seulement dans le lieu
où il avait demeuré un arbre qui prenait plusieurs
formes. Quelques Lydiens plus savants dans les antiquités
de leur pays me dirent que ce prodigieux corps était le
corps d'Hyllus, et que cet Hyllus était un fils de la
terre qui avait donné son nom au fleuve de cette
contrée ; ils ajoutaient qu'Hercule, en mémoire du
séjour qu'il avait fait chez Omphale, n'avait pas voulu
que son fils portât un autre nom que celui du
fleuve.
XXXVI. [1] Pour revenir à mon sujet, on voit à
Salamine un temple de Diane, et un trophée qui a
été dressé pour conserver le souvenir de la
célèbre victoire que Thémistocle fils de
Néoclès fit remporter aux Grecs. On y voit aussi
un temple bâti en l'honneur de Cychréus à la
même occasion ; car on tient que durant le combat qui fut
donné près de Salamine, il parut un dragon au
milieu de la flotte des Athéniens, et que ceux-ci ayant
consulté l'oracle sur un prodige si extraordinaire, il
leur fut répondu que ce dragon était le
héros Cychréus.
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[2] Devant Salamine est l'île Psytalie ; on dit que les Perses y débarquèrent quatre cent hommes, et qu'après le combat naval où leur flotte fut défaite, les Grecs passèrent dans cette île et firent main basse sur ces quatre cent hommes, en sorte qu'il ne s'en sauva pas un seul. Dans toute l'île il n'y a pas une seule statue qui soit travaillée avec art ; on en voit seulement quelques-unes consacrées à Pan, mais qui sont fort grossières.
Chapitre suivant
Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition
de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage
complété.