[Trézène, ses îles et sa presqu'île]
Tardieu, 1821
[5] Sur les confins du pays d'Epidaure vous trouvez les
Trézéniens, qui font tout ce qu'ils peuvent pour
donner d'eux une grande idée ; car ils disent que leur
premier roi s'appellait Orus, et qu'il était originaire
du pays ; je crois pour moi que le nom d'Orus est plutôt
égyptien que grec ; quoi qu'il en soit, ils assurent
qu'Orus a régné sur eux, et que de son nom le pays
fut appellé l'Orée ; qu'ensuite Althépus
fils de Neptune et de Léis qui était fille d'Orus
ayant succédé à son aïeul, toute la
contrée prit le nom d'Althépie.
[6] Ce fut sous son règne, disent-ils, que Neptune et
Minerve disputèrent entre eux à qui aurait le pays
sous sa protection, et que Jupiter les mit d'accord en
partageant cet honneur entre l'un et l'autre ; c'est pour cela
qu'ils honorent Minerve Poliade et Minerve Sthéniade,
donnant deux noms différents à la même
divinité, et qu'ils révèrent Neptune sous
le titre de roi ; même l'ancienne monnaie de ce peuple
avait d'un côté un trident, et de l'autre une
tête de Minerve.
[7] A Althépus succéda Saron ; celui-ci, suivant
ce qu'ils racontent, bâtit un temple à Diane
Saronide dans un lieu où les eaux de la mer forment un
marécage ; aussi l'appellent-ils le marais
Phoebéen : ce prince aimait passionnément la
chasse. Un jour qu'il chassait un cerf, il le poursuivit
jusqu'au bord de la mer ; le cerf s'étant jeté
à la nage, il se jeta après lui, et se laissant
emporter à son ardeur, il se trouva insensiblement en
haute mer, où épuisé de forces et
lassé de lutter contre les flots il se noya. Son corps
fut rapporté dans le bois sacré de Diane
auprès de ce marais, et inhumé dans le parvis du
temple ; cette aventure a été cause que le marais
a changé de nom, et s'est appellé le marais
Saronique.
[8] Depuis Saron ils ignorent la suite de leurs rois
jusqu'à Hypérétès et à Antha.
Pour ces deux là, ils étaient fils, disent-ils, de
Neptune et d'Alcyone fille d'Atlas, et ce furent eux qui
bâtirent dans le pays les villes d'Hypérée
et d'Anthée. Ensuite Aëtius fils d'Antha ayant
succédé à son père et à son
oncle, changea le nom de l'une de ces villes, et voulut qu'elle
s'appellât Posidonia. Mais Thraezen et Pitthée
étant venus chez Aëtius, le pays eut trois rois au
lieu d'un ; et bientôt les deux fils de Pélops
devinrent les plus puissans.
[9] Ce qui le prouve, c'est que Pitthée après la
mort de Throezen, joignant ensemble Hypérée et
Anthée, de ces deux villes n'en fit qu'une seule, et
l'appella Trézène du nom de son frère.
Plusieurs années après, les descendants
d'Aétius fils d'Antha ayant eu ordre de conduire des
colonies en divers lieux, allèrent fonder Mynde et
Halycarnasse dans la Carie. Pour les fils de Throezen,
Anaphlystus et Sphettus, ils se transplantèrent en
Attique, où ils donnèrent leurs noms à deux
bourgades. Ce serait ici le lieu de parler de
Thésée petit-fils de Pitthée par sa fille ;
mais son histoire est si connue que je suis dispensé de
l'écrire ; je me contenterai donc d'éclaircir
celle de Trézène.
[10] Après le retour des Héraclides dans le
Péloponnèse, les Trézéniens
reçurent les Doriens dans Trézène ; je veux
dire ceux des Argiens qui voulurent y venir demeurer ; ils se
souvenaient qu'ils avaient été soumis
eux-mêmes à la domination d'Argos ; car
Homère dans son dénombrement dit qu'ils
obéissaient à Diomède. Or Diomède et
Euryalus fils de Mécistée, après avoir pris
la tutèle de Cyanippe fils d'Egialée, conduisirent
les Argiens à Troie. Quant à
Sténélus, il était, comme j'ai dit, d'une
naissance beaucoup plus illustre, et de la race de ceux que l'on
nommait Anaxagorides ; c'est pourquoi l'empire d'Argos lui
appartenait. Voilà à peu près tout ce que
l'histoire nous apprend des Trézéniens ; ce n'est
pas que l'on ne pût dire encore bien des choses des
colonies qu'ils ont envoyées de côté et
d'autre ; mais il est temps de venir à la description de
leurs temples et des autres curiosités de leur
pays.
XXXI. [1] Dans la place de Trézène on voit un
temple et une statue de Diane conservatrice ; les
Trézéniens assurent que ce temple fut
consacré par Thésée, et que l'on donna ce
surnom à la déesse, lorsque ce héros se
sauva si heureusement de Crète après avoir
tué Astérion fils de Minos ; et
véritablement de tous les exploits de
Thésée, celui-là est à mon avis le
plus mémorable, non seulement parce qu'Astérion
surpassait en force et en courage tous ceux que
jusques-là Thésée avait vaincus, mais parce
que Thésée après une action si hardie,
trouva le moyen de sortir du labyrinthe sans être vu de
personne, malgré les détours qui en rendaient le
chemin si difficile ; ce qui fait bien voir que la divine
Providence prenait un soin tout particulier de lui et de ses
compagnons.
[2] Dans ce temple il y a des autels consacrés aux dieux
infernaux ; ces autels cachent, dit-on, deux ouvertures ; par
l'une Bacchus retira Sémélé des enfers, et
par l'autre Hercule emmena avec lui le Cerbère : pour moi
j'estime que Sémélé comme femme de Jupiter
eut le privilège de ne pas mourir. A l'égard du
Cerbère, je dirai ailleurs ce que j'en pense.
[3] Derrière le temple est le tombeau de Pitthée,
sur lequel il y a trois sièges de marbre blanc, où
l'on dit qu'il rendait la justice avec deux hommes de
mérite qui étaient comme ses assesseurs.
Près de là on voit une chapelle consacrée
aux Muses ; c'est un ouvrage d'Ardalus fils de Vulcain, que les
Trézéniens disent avoir inventé la
flûte, et de son nom les Muses s'appellent Ardalides ; ils
assurent que Pitthée enseignait dans ce lieu l'art de
bien parler ; j'ai même lu un livre composé par cet
ancien roi, et rendu public par un homme d'Epidaure.
Au-delà de cette chapelle il y a un autel fort ancien,
qui, si on les en croit, a été aussi
consacré par Ardalus, et où ils sacrifient aux
Muses et au Sommeil ; car de tous les dieux c'est le Sommeil,
disent-ils, qui est le plus ami des Muses.
[4] Auprès du théâtre on voit un temple de
Diane Lycéa, bâti par Hippolyte : d'où vient
ce surnom, c'est ce qu'aucun de leurs savants n'a pu me dire ;
je croirais pour moi qu'il vient ou de ce qu'Hippolyte avait
purgé le pays des loups dont il était
infesté, ou de ce que par sa mère il descendait
des Amazones, qui avaient dans leur pays un temple de Diane sous
le même nom. Si c'est par une autre raison, elle ne m'est
pas connue. Devant la porte du temple il y a une grosse pierre
qu'ils appellent la pierre sacrée, et sur laquelle ils
prétendent qu'Oreste fut purifié du meurtre de sa
mère par d'illustres personnages de Trézène
au nombre de neuf.
[5] Assez près de là on trouve plusieurs autels
peu éloignés les uns des autres, l'un
consacré à Bacchus sauveur en conséquence
d'un certain oracle, l'autre à Thémis, et celui-ci
par Pitthée lui-même, à ce qu'ils disent ;
mais il y en a un troisième qu'ils
érigèrent à bon droit au Soleil le
libérateur, lorsqu'ils se virent délivrés
de la juste crainte qu'ils avaient de tomber sous l'esclavage de
Xerxès et des Perses.
[6] Vous trouverez aussi un temple d'Apollon Théorius,
qui, selon eux, a été rétabli et
décoré par Pitthée ; c'est de tous les
temples que je connaisse le plus ancien ; car quoique le temple
de Minerve qui est chez ces Phocéens d'Ionie, et qui a
été brûlé par le Mède
Harpagus, et celui d'Apollon Pythius qui est à Samos,
soient l'un et l'autre d'une grande antiquité, ils ont
néanmoins été bâtis longtemps
après celui de Trézène. La statue qui s'y
voit aujourd'hui est un présent d'Auliscus, et un ouvrage
du statuaire Hermon natif du pays. Vous y verrez aussi deux
statues de bois des Dioscures, qui sont de la même
main.
[7] Dans la même place il y a un portique orné de
plusieurs statues de femmes et d'enfants, toutes de marbre, ce
sont ces femmes que les Athéniens confièrent avec
leurs enfants aux habitants de Trézène, lorsqu'ils
prirent la résolution d'abandonner Athènes, dans
l'impossibilité où ils étaient de la
défendre contre les Perses avec le peu de forces qu'ils
avaient sur terre ; on n'érigea pas des statues à
toutes, car il n'y en a qu'un petit nombre, mais seulement aux
plus considérables d'entre elles.
[8] Devant le temple d'Apollon l'on vous fera remarquer un
vieux édifice qu'ils appellent encore le logis
d'Oreste, et où il demeura comme séparé
des autres hommes, jusqu'à ce qu'il fût lavé
de la tache qu'il avait contractée en trempant ses mains
dans le sang de sa mère ; car ils disent que
jusques-là aucun Trézénien n'avait voulu le
recevoir chez lui, de sorte qu'il fut obligé de passer
quelque temps dans cette solitude, et cependant on prenait soin
de le nourrir et de le purifier jusqu'à ce que son crime
fût entièrement expié ; et même encore
à présent les descendants de ceux qui furent
commis à sa purification mangent encore tous les ans
à certains jours en ce lieu ; ils disent qu'auprès
de cette maison, à l'endroit où l'on enterra les
choses qui avaient servi à cette purification, il poussa
un laurier qui s'est toujours conservé depuis.
[9] Et entre les différentes choses que l'on employa
pour purifier Oreste, ils citent particulièrement l'eau
de la fontaine Hyppocrène ; car ils ont aussi une
fontaine Hyppocrène, au sujet de laquelle ils ont une
tradition différente de celle des Béotiens ; ils
disent bien comme eux que Pégase ayant frappé du
pied contre terre, il en sortit une fontaine ; mais ils ajoutent
que Bellérophon vint à Trézène pour
demander à Pitthée sa fille Ethra en mariage, et
qu'avant que de la pouvoir épouser, il fut banni de
Corinthe.
[10] On voit aussi au même lieu une statue de Mercure
Polygius, devant laquelle ils assurent qu'Hercule consacra sa
massue faite de bois d'olivier. Quant à ce qu'ils
ajoutent que cette massue prit racine et poussa des branches,
c'est une merveille que le lecteur aura peine à croire :
quoi qu'il en soit, ils montrent encore aujourd'hui cet arbre
miraculeux, et à l'égard de la massue d'Hercule,
ils tiennent que c'était un tronc d'olivier qu'Hercule
avait trouvé auprès du marais Saronique. Vous
verrez encore à Trézène un temple de
Jupiter sauveur, bâti, dit-on, par Aëtius, lorsqu'il
prit possession du royaume après la mort de son
père Antha. Ils vous parleront aussi de leur fleuve
Chrysorrohës, ainsi le nomment-ils, qui durant une
sécheresse de neuf années qu'il ne tomba pas une
goutte de pluie, et que toutes les autres sources tarirent, fut
le seul qui conserva toujours ses eaux, et qui coula à
l'ordinaire.
XXXII. [1] Ils ont un fort beau bois consacré à
Hippolyte fils de Thésée, avec un temple où
l'on voit une statue d'un goût très ancien ; ils
croient que c'est Diomède qui a bâti ce temple, et
qui le premier a rendu des honneurs divins à Hippolyte.
Les Trézéniens honorent donc Hippolyte comme un
dieu ; le prêtre qui a soin de son culte est
perpétuel, et la fête du dieu se
célèbre tous les ans ; entre autres
cérémonies qu'ils pratiquent en son honneur, les
jeunes filles avant que de se marier coupent leur chevelure et
la lui consacrent dans son temple. Au reste ils ne conviennent
point que Hippolyte soit mort, comme on le dit, emporté
et traîné par ses chevaux, et ils se donnent bien
de garde de montrer son tombeau, mais ils veulent persuader que
les dieux l'ont mis dans le ciel au nombre des constellations,
et que c'est celle que l'on nomme le conducteur du
chariot.
[2] Dans le même bois il y a un temple d'Apollon
Epibatérius, qu'ils tiennent avoir été
dédié sous ce nom par Diomède, après
qu'il se fut sauvé de la tempête qui accueillit les
Grecs lorsqu'ils revenaient du siège de Troie ; ils
disent même que Diomède institua le premier les
jeux pythiques en l'honneur d'Apollon. Ils rendent un culte
à Auxésia et à Lamia aussi bien que les
Epidauriens et les Eginètes, mais ils racontent
différemment l'histoire de ces deux divinités ;
selon eux c'étaient deux jeunes filles qui vinrent de
Crète à Trézène, dans le temps que
cette ville était divisée par des partis
contraires ; elles furent les victimes de la sédition, et
le peuple qui ne respectait rien les assomma à coups de
pierres ; c'est pourquoi ils célèbrent tous les
ans à leur honneur un jour de fête qu'ils appellent
la lapidation.
[3] De l'autre côté c'est un stade que l'on nomme
le stade d'Hippolyte, et au-dessus un temple de Vénus
surnommée la regardante, parce que c'est de
là que Phèdre éprise d'amour pour Hippolyte
le regardait, toutes les fois qu'il venait s'exercer dans la
carrière ; c'est aussi là que l'on voit ce myrte
dont j'ai parlé, qui a les feuilles toutes
criblées ; car la malheureuse Phèdre
possédée de sa passion, et ne trouvant aucun
soulagement trompait son ennui en s'amusant à percer les
feuilles de ce myrte avec son aiguille de cheveux.
[4] Là se voit la sépulture de Phèdre, et
un peu plus loin celle d'Hippolyte, mais le tombeau de
Phèdre est plus près du myrte. J'ai
remarqué encore là une statue d'Esculape, faite
par Timothée, et l'on croit à
Trézène que c'est la statue d'Hippolyte ; pour la
maison où il demeurait, je l'ai vue ; il y a devant la
porte une fontaine dite la fontaine d'Hercule, parce que si vous
les en croyez, c'est Hercule qui l'a découverte.
[5] Dans la citadelle vous trouverez un temple de Minerve
Sthéniade, ainsi la nomment-ils. La déesse est
représentée en bois, c'est un ouvrage de Gallon
statuaire de l'île d'Egine ; ce Gallon avait
été disciple de Tectéus et
d'Angélion, qui firent une statue d'Apollon pour les
Déliens, et qui avaient appris leur art sous Dipoene et
sous Scyllis.
[6] En descendant de la citadelle on rencontre une chapelle
dédiée à Pan le libérateur, en
mémoire du bienfait que les Trézéniens
reçurent de lui, lorsque par des songes favorables il
montra aux magistrats de Trézène le moyen de
remédier à la famine qui affligeait le pays et
encore plus l'Attique. Si vous allez dans la plaine, vous verrez
sur votre chemin un temple d'Isis, et au-dessus un autre temple
de Vénus Acréa ; le premier a été
bâti par les habitants d'Halycarnasse, qui ont voulu
rendre cet honneur à la ville de Trézène
comme à leur mère ; pour la statue d'Isis, c'est
le peuple de Trézène qui l'a fait faire.
[7] Dans les montagnes du côté d'Hermione on
rencontre premièrement la source du fleuve Hilycus, qui
s'est appellé autrefois Taurius ; en second lieu, cette
roche qui a pris le nom de Thésée, depuis que ce
héros tout jeune encore la remua pour prendre la
chaussure et l'épée de son père qui les
avait cachés dessous ; car auparavant elle se nommait
l'autel de Jupiter Sthénius. Près de là on
vous fera voir la chapelle de Vénus surnommée
Nymphé, bâtie par Thésée, lorsqu'il
épousa Hélène.
[8] Hors des murs de la ville il y a un temple de Neptune
Phytalmius, surnom dont la raison est que ce dieu dans sa
colère inonda tout le pays des eaux salées de la
mer, fit périr tous les fruits de la terre, et ne cessa
d'affliger de ce fléau les Trézéniens,
jusqu'à ce qu'ils l'eussent apaisé par des voeux
et des sacrifices. Au-dessus est le temple de
Cérès législatrice, consacré,
à ce qu'ils disent, par Althippus.
[9] Si vous allez au port qui est dans un bourg nommé
Célenderis, vous verrez un lieu qu'ils appellent le
berceau de Thésée, parce que c'est là
que Thésée naquit. Vis-à-vis on a
bâti un temple au dieu Mars, dans le lieu même
où Thésée défit les Amazonés
; c'était apparemment un reste de celles qui avaient
déjà combattu dans l'Attique contre les
Athéniens, commandés par ce héros.
[10] En avançant vers la mer Pséphée vous
trouverez un olivier sauvage qu'ils nomment le rhachos
tortu ; car ils donnent le nom de rhachos à tous
les oliviers qui ne portent point de fruit ; et ils appellent
celui-ci tortu, parce que ce fut autour de cet arbre que
les rênes des chevaux d'Hippolyte s'embarrassèrent,
ce qui fit renverser son char. Un peu plus loin vous avez le
temple de Diane Saronia, dont j'ai déjà dit tout
ce qu'il y avait à dire ; j'ajouterai seulement qu'ils
célèbrent tous les ans à l'honneur de la
déesse une fête qu'ils nomment aussi Saronia.
XXXIII. [1] Je viens maintenant aux îles qui sont sous la
domination de Trézène ; il y en a une qui est si
près du continent que l'on y peut passer à pied ;
c'était autrefois l'île Sphérie, aujourd'hui
c'est l'île sacrée pour la raison que je vais dire.
Sphérus qui selon eux était l'écuyer de
Pélops y est inhumé ; Ethra fut avertie en songe
par Minerve d'aller rendre à Sphérus les devoirs
que l'on rend aux morts ; étant venue dans l'île
à ce dessein, il arriva qu'elle eut commerce avec Neptune
; Ethra après cette aventure consacra un temple à
Minerve surnommée Apaturie, ou la trompeuse, et voulut
que cette île qui s'appellait l'île Sphérie
s'appellât à l'avenir l'île sacrée ;
elle institua aussi cet usage, que toutes les filles du pays en
se mariant consacreraient leur ceinture à Minerve
Apaturie.
[2] Pour Calaurée, ils prétendent que du
commencement cette île fut consacrée à
Apollon, c'est-à-dire dans le temps que Neptune
possédait Delphes ; mais que dans la suite ces dieux
firent un échange, de sorte que Neptune eut l'île
de Calaruée, et Apollon la ville de Delphes ; ils citent
même à ce sujet un oracle, qui dit que
Calaurée, Délos, Pytho et Ténare devaient
être toujours le séjour de quelque divinité.
Quoi qu'il en soit, vous pourrez voir à Calaurée
un temple de Neptune qui est très célèbre,
et dont la prêtresse est une vierge qui ne quitte son
ministère que quand elle veut se marier.
[3] Dans le parvis de ce temple on vous montrera le tombeau de
Démosthène. Le sort a fait voir en la personne de
ce grand homme et longtemps auparavant en celle d'Homère,
combien il est injuste envers le mérite et la vertu ; car
non seulement il priva Homère de la vue, mais pour
ajouter à un si grand malheur un nouveau mal, il le
réduisit à une telle pauvreté, que ce grand
poète fut obligé d'errer de ville en ville pour
chercher sa subsistance. Quant à
Démosthène, le sort le persécuta sur la fin
de son âge à un tel point qu'après lui avoir
fait endurer la peine de l'exil, il le mit encore dans la
nécessité d'abréger ses jours. Son
innocence a été suffisamment prouvée par
lui-même et par le témoignage des autres ; on sait
qu'il ne se laissa point corrompre par l'or et l'argent
qu'Harpalus avait apporté d'Asie ; mais il ne sera
pourtant pas hors de propos de dire ici quelle fut la suite de
cette affaire.
[4] Harpalus s'étant sauvé d'Athènes passa
en Crète, où peu de temps après son
arrivée il fut tué par ses propres domestiques ;
d'autres disent que Pausanias, Macédonien de nation, lui
dressa des embûches où il périt ; ce qui est
de certain, c'est que Philoxène autre Macédonien
qui voulait obliger les Athéniens à lui livrer
Harpalus, prit du moins son intendant, comme il s'enfuyait
à Rhodes ; quand il l'eut en sa puissance, il le fit
appliquer à la question pour savoir de lui tous ceux qui
avaient pris de l'argent d'Harpalus.
[5] Après quoi il écrivit aux Athéniens
une lettre qui contenait les noms de tous ces traîtres, et
la somme que chacun d'eux avait touchée ; dans cette
lettre il n'était fait aucune mention de
Démosthène, quoiqu'Alexandre le haït
mortellement, et que Philoxène fut son ennemi
particulier. C'est donc avec justice que dans plusieurs autres
endroits de la Grèce, et surtout à Calaurée
on a depuis rendu de grands honneurs à cet illustre
malheureux.
XXXIV. [1] Une bonne partie du pays de Trézène
est, à proprement parler, un isthme qui avance
considérablement dans la mer. Méthane petite ville
est bâtie sur cette langue de terre ; vous y trouvez un
temple d'Isis, et dans le marché deux statues ; l'une de
Mercure, l'autre d'Hercule. A quelques trente stades
au-delà il y a des bains d'eau chaude. Les gens du lieu
disent que cette fontaine se forma du temps qu'Antigonus fils de
Démétrius régnait en Macédoine ; des
feux souterrains s'étaient fait sentir auparavant et
avaient entr'ouvert la terre ; puis quand ils se furent
éteints, parut une source d'eau chaude qui s'est
conservée jusqu'à nos jours ; mais ces eaux sont
extrêmement salées, et ceux qui s'y baignent ne
peuvent ni la tempérer d'eau froide, parce qu'il n'y en a
pas dans le voisinage, ni même se baigner ensuite dans la
mer, parce que de ce côté-là la mer est
pleine de monstres et surtout de chiens marins qui sont
très dangereux.
[2] Je rapporterai ici une singularité que j'ai vue
à Méthane et qui m'a fort surpris. Quand la vigne
commence à pousser, si le vent d'Afrique qui vient du
golfe Saronique se fait sentir, il brûle tous les
bourgeons et détruit l'espérance de l'année
; lors donc que ce vent souffle, deux hommes prennent un coq de
plumage blanc, et le tirant chacun par une aile le
déchirent en deux, ensuite ils courent tout autour des
vignes avec cette moitié de coq à la main, puis se
rendant ensemble au même lieu d'où ils sont partis,
ils enterrent ce coq, et croient par-là garantir leurs
vignes.
[3] Outre les îles dont j'ai parlé, il y en a neuf
autres qui sont fort peu éloignées du continent et
qu'ils nomment les îles de Pélops ; ils disent que
de ces neuf îles il y en a une où il ne pleut
jamais, lors même que les autres sont inondées des
eaux du ciel ; je ne sais pas ce qui en est, mais ceux de
Méthane me l'ont assuré ; pour moi j'ai vu des
gens qui par le moyen de certains enchantements
détournaient la grêle de dessus leurs terres.
[4] Méthane est un isthme du Péloponnèse ;
pour l'isthme de Trézène, il s'étend
jusqu'à Hermioné, ville fort ancienne, qui, si
l'on en croit les habitants, a eu pour fondateur Hermion fils
d'Europs : à l'égard d'Europs, on le croit fils de
Phoronée ; mais Hérophane de Trézène
dit nettement qu'au cas où Europs fût fils de
Phoronée, il était bâtard ; et la raison
qu'il en donne, c'est que l'empire d'Argos n'eût pas
passé à Argus petit-fils de Phoronée par sa
fille Niobé, si Phoronée avait laissé un
fils légitime.
[5] Cependant je sais pour moi qu'Europs était
légitime et qu'il mourut avant son père ;
d'ailleurs quand il lui aurcit survécu, je crois qu'il
n'aurait jamais égalé Argus en puissance, car cet
Argus passait pour être fils de Jupiter et de
Niobé. Dans la suite des temps ces Doriens qui
étaient sortis d'Argos s'établirent à
Hermioné non par la force, mais par la bonne
volonté des habitants ; car si c'eût
été par la voie des armes, l'histoire d'Argos en
dirait quelque chose.
[6] Le chemin qui conduit de Trézène à
Hermioné passe auprès de cette roche qui
s'appellait autrefois l'autel de Jupiter Sthénius, et que
l'on nomme la roche de Thésée, depuis que ce
héros y trouva les marques auxquelles il se fit
reconnaître pour le fils d'Egée. Quand vous
êtes à cette roche, si vous prenez le chemin de la
montagne, vous arriverez bientôt au temple d'Apollon
Platanistius. Près de là est le bourg
d'Ilée où il y a deux chapelles
dédiées, l'une à Cérès,
l'autre à Proserpine. Du côté de la mer,
où se termine le territoire d'Hermioné vous
trouvez le temple de Cérès surnommée
Thermésia.
[7] Sur la même ligne à la distance de
quatre-vingt stades au plus on rencontre le promontoire de
Scylla, ainsi appellé du nom de la fille de Nisus ; car
après que cette princesse eut par sa perfidie
facilité à Minos la prise de Nisée et de
Mégare, non seulement Minos ne l'épousa point,
mais il la fit jeter dans la mer par les Crétois ; le
flot emporta son corps au pied de ce promontoire, où il
demeura exposé et fut la proie des oiseaux de la mer ;
aussi ne peut-on montrer nulle part sa sépulture.
[8] En allant par mer, du promontoire de Scylla vers la ville,
on découvre encore un cap qu'ils nomment le cap
Bucéphale, et ensuite quelques îles. La
première qui est Haliouse a un port très commode
pour l'abord des vaisseaux ; la seconde est Pityouse ; on nomme
la troisième Aristère. Quand vous avez
passé ces îles, vous trouvez un autre promontoire
qui joint le continent, et que l'on n'appelle point autrement
qu'Acra ; bientôt après vous voyez l'île
Tricarne, ensuite une montagne du Péloponnèse qui
donne sur la mer, et qui a nom Buporthmos : sur son sommet on a
bâti deux temples, l'un à Cérès et
à Proserpine, l'autre à Minerve surnommée
Promachorme.
[9] Vis-à-vis de cette montagne est l'île
Apétopia, et une autre assez voisine nommée
Hydréa. Après cette dernière le rivage
forme une espèce de demi-lune dont le terrain aboutit
à un temple de Neptune, et la côte qui en
commençant regarde l'orient se tourne sur la fin vers
l'occident ; dans son étendue elle renferme un port ; sa
longueur est d'environ sept stades, et sa largeur de trois tout
au plus.
[10] C'est dans cet espace qu'était l'ancienne
Hermioné, dont il reste encore quelques temples, comme
celui de Neptune qui est à l'extrémité de
la côte au bord de la mer. Sur la hauteur on voit un
temple de Minerve, et un peu plus loin les fondements d'un
stade, où l'on dit que les enfants de Tyndare avaient
accoutumé de s'exercer. Vous y trouvez encore une petite
chapelle dédiée à Minerve, mais dont le
toit est tombé : de plus un temple du Soleil, un bois
consacré aux Grâces ; enfin un temple d'Isis et de
Sérapis, dont l'enceinte est fermée par un mur de
belles et grandes pierres : on célèbre encore
aujourd'hui dans ce temple les mystères de
Cérès les plus secrets.
[11] Voilà ce que les habitants d'Hermioné
possèdent sur la câte. La ville qui subsiste de nos
jours n'est éloignée que de quatre stades du
promontoire où est le temple de Neptune ; bâtie sur
le penchant du mont Pronos, elle s'élève
insensiblement avec ce côteau ; elle est toute
entourée de murs, et renferme plusieurs choses dignes
d'entrer dans cette histoire, mais particulièrement un
temple dédié à Vénus Pontia et
Liménia, où il y a une statue de marbre blanc, qui
pour sa grandeur et pour la beauté de l'ouvrage
mérite d'être vue.
[12] Ce n'est pas même le seul temple que Vénus
ait à Hermioné : mais entre les divers honneurs
que les habitants lui rendent, c'est une coutume que toutes les
filles qui se marient, et même les veuves qui veulent
encore s'engager, aillent sacrifier à la déesse
avant leurs noces. Cérès Thermésia a aussi
deux temples dans le pays, l'un sur les confins des
Trézéniens, dans une de ces bourgades qu'ils
habitaient avant la fondation d'Hermioné, et l'autre dans
la ville même.
XXXV. [1] Auprès de ce dernier il y en a un autre
dédié à Bacchus Mélanégis, le
dieu y est représenté en bronze, appuyant un de
ses pieds sur un dauphin ; tous les ans on célèbre
en son honneur des jeux publics ; musiciens, nageurs et rameurs
disputent le prix entre eux. Diane Iphigénie, c'est le
surnom qu'ils lui donnent, a aussi là son temple ; celui
de Vesta qui n'en est pas loin n'a aucune statue, on y voit un
simple autel où l'on fait des sacrifices à la
déesse.
[2] Pour Apollon, il a trois temples dans la ville, et autant
de statues. Le premier est simplement dédié
à Apollon, le second à Apollon Pythaéus, et
le troisième à Apollon Hotius : ces peuples ont
pris des Argiens le surnom de Pythaëus ; car
Télésille témoigne que les Argiens furent
les premiers de tous les Grecs que Pythaëus fils d'Apollon
honora de sa présence. Quant au surnom d'Hotius, je ne
sais d'où ils l'ont tiré je croirois volontiers
qu'ils eurent autrefois quelque différend sur leurs
limites avec leurs voisins, et que ce différend ayant
été heureusement terminé soit par la voie
des armes, soit en justice réglée, ils
bâtirent un temple à Apollon comme à la
divinité tutélaire de leurs limites.
[3] Ils ont aussi un temple de la Fortune, qu'ils disent
être le moins ancien de tous leurs temples, et où
la déesse est représentée par une statue
colossale de marbre de Paros. J'ai vu dans leur ville deux
fontaines ; l'une est à ce qu'ils disent d'une grande
antiquité, l'eau y vient par des chemins inconnus, et ne
tarit point, quoique les habitants y puisent sans cesse ; pour
l'autre, ils l'ont faite de nos jours, et l'eau coule d'un lieu
voisin qu'ils nomment le Pré.
[4] Au haut du mont Pronoso on voit un temple de
Cérès qui mérite qu'on en parle ; ils
assurent que ce temple a été bâti par
Clyménus fils de Phoronée et par sa soeur
Chthonia. Les Argiens racontent ce fait d'une autre
manière, et disent que Cérès étant
venue dans leur pays, Athéras et Mysius eurent l'honneur
de la loger, tandis que Colontas ne daigna seulement pas lui
offrir sa maison, ni lui rendre les moindres soins, ce qui
déplut fort à Chthonia sa fille. Colontas pour sa
peine fut brûlé, lui et sa maison ; mais
Cérès prit soin de sa fille, et la mena avec elle
à Hermioné, où depuis par reconnaissance
Chthonia bâtit un temple à la déesse, qui y
est honorée sous le nom de Chthonia, et tous les ans en
été on y célèbre un jour de
fête sous ce même nom.
[5] La cérémonie se fait en cette manière.
Les prêtres des deux déesses, et les magistrats qui
sont en année d'exercice, car chez ces peuples la
magistrature ne dure qu'un an, conduisent la procession et sont
à la tête ; ensuite marchent les femmes et les
hommes, puis les enfants qui ont aussi grande part à
cette pompe ; ils sont tous en habit blanc et ont des couronnes
de fleurs sur la tête : ces couronnes sont faites de
fleurs de comosandale, qui ressemble fort à nos jacinthes
soit pour la figure, soit pour la couleur, avec les marques de
deuil, je veux dire les mêmes lettres que l'on voit sur
les jacinthes.
[6] A la queue de la procession viennent les victimes en grande
pompe ; ce sont quatre génisses que des hommes
mènent avec des cordes, et qu'ils ont assez de peine
à retenir ; quand elles sont près du temple on
l'ouvre, on en fait entrer une, et l'on ferme aussitôt la
porte ; en même temps quatre matrones qui sont en dedans
assomment la victime et l'égorgent,
[7] elles rouvrent ensuite la porte pour laisser entrer la
seconde victime, et de même pour la troisième et
pour la quatrième qui sont ainsi égorgées
les unes après les autres par ces matrones. Si on les en
croit, les trois dernières victimes tombent toujours du
même côté que la première, et cela se
dit comme un prodige.
[8] Devant la porte du temple on voit quelques statues de
femmes oui ont été honorées du sacerdoce de
Cérès, et dans le temple même des
espèces de trône où ces quatre matrones
s'asseyent en attendant que les victimes approchent. On y voit
aussi une statue de Cérès, et une autre de
Minerve, qui toutes deux ne sont pas fort anciennes ; mais il y
a dans ce temple quelque autre chose qu'ils
révèrent encore plus, et dont qui que ce soit n'a
connaissance, ni étranger, ni citoyen, à la
réserve de ces quatre matrones dont j'ai
parlé.
[9] Vis-à-vis du temple de Chthonia il y en a un autre
fort enrichi de statues, c'est celui de Ciyménus à
qui ils font aussi des sacrifices. Pour moi je ne connais point
d'Argien du nom de Clyménus, qui soit venu à
Hermioné ; je croirais plutôt que c'est quelque
surnom du dieu des enfers.
[10] Dans ce même endroit vous trouvez un temple
dédié à Mars avec une statue du dieu. A la
droite du temple de Chthonia il y a un portique nommé le
portique de l'écho, qui est construit de
manière que l'écho y rend les sons jusqu'à
trois et quatre fois. Derrière le même temple vous
verrez trois grandes places fermées par des balustrades
de pierres ; ils appellent l'une la place de Clyménus,
l'autre la place de Pluton, et la troisième le marais de
l'Achéron ; dans le première ils montrent une
ouverture par où ils disent qu'Hercule amena avec lui le
chien du dieu des enfers.
[11] Vers la porte de la ville qui est du côté de
Masès, on trouve en deçà des murs un temple
consacré à Lucine ; la déesse y est
honorée chaque jour en bien des manières, mais
surtout par des sacrifices, par des parfums que l'on brûle
sur son autel, et par quantité d'offrandes ; cependant il
n'y a que ces prêtresses qui aient la permission de voir
sa statue.
XXXVI. [1] Lorsque vous serez dans le chemin qui mène
droit à Masès, et que vous aurez avancé
environ sept stades, en détournant à gauche, vous
verrez une autre route qui conduit à Halicé ; ce
lieu aujourd'hui désert a été autrefois une
ville, car sur une de ces colonnes que l'on voit dans le bois
sacré d'Epidaure, et où l'on a marqué les
remèdes qu'Esculape donnait aux malades, on trouve le nom
et le témoignage d'un habitant d'Halicé ; mais du
reste je ne connais aucun écrit digne de foi où il
soit fait mention de cette ville ni de ses habitants ; cependant
il y a un chemin qui y mène, et ce chemin est entre deux
collines dont la dernière appellée autrefois
Thornax porte à présent le nom de Coccygie, parce
que Jupiter, dit-on, s'y métamorphosa en coucou.
[2] On voit encore au haut de ces collines deux temples ; le
premier dédié à Jupiter sur le mont
Coccygie, le second à Junon sur l'autre colline ; au bas
du mont Coccygie il y a un vieux temple sans toit, ni porte, ni
statues, que l'on croit un temple d'Apollon. Pour aller de
là à Masès il y a un chemin de traverse.
Masès était anciennement une ville ; Homère
ne l'a pas oubliée dans le dénombrement qu'il a
fait des villes appartenant aux Argiens ; mais à
présent c'est le havre et l'arsenal des
Hermionéens.
[3] Quand vous avez passé Masès, vous trouvez sur
la droite un chemin qui vous mène au promontoire de
Struthunt. De là, après avoir marché
l'espace de deux cent cinquante stades sur la croupe des
montagnes, vous arrivez à Philanorion et à
Bolée ; ce dernier lieu est tout rempli de grosses
pierres, choisies pour quelque dessein et entassées les
unes sur les autres. Vingt stades plus loin vous trouvez un
bourg nommé les Gémeaux, où il y a trois
chapelles dédiées à Apollon, à
Neptune et à Cérès, avec des statues de
marbre blanc qui représentent ces divinités.
[4] La ville d'Asiné aujourd'hui de la dépendance
d'Argos avait été bâtie dans ce
canton-là ; mais ce n'est plus qu'un monceau de pierres
que l'on voit sur le bord de la mer, et voici ce qui en a
causé la destruction. Les Lacédémoniens
sous la conduite de leur roi Nicandre fils de Carillus,
petit-fils de Polydecte, arrière-petit-fils d'Eunomus, et
par tous ces degrés issu en droite ligne de Prytanis fils
d'Eurypon ; les Lacédémoniens, dis-je, sous la
conduite de Nicandre entrèrent à main armée
dans les états d'Argos ; les Asinéens profitant de
l'occasion se joignirent à eux, et tous ensemble
ravagèrent les terres des Argiens. Après cette
expédition les Lacédémoniens s'en
retournèrent chez eux ; mais les Argiens eurent leur tour
; car se mettant aussitôt en campagne sous le commandement
d'Eratus leur roi, ils vinrent assiéger
Asiné.
[5] Les habitants se défendirent quelque temps,
tuèrent même de dessus leurs murailles bon nombre
d'Argiens, et entre autres Lysistrate l'un des plus
distingués par sa valeur ; mais enfin voyant l'ennemi
maître des murs, ils s'embarquèrent
secrètement avec leurs femmes et leurs enfants, et
abandonnèrent leur ville et leurs terres au vainqueur.
Les Argiens rasèrent la ville, et réunirent les
terres au domaine d'Argos. Seulement ils
épargnèrent le temple d'Apollon Pythaëus, car
il subsiste encore, et près de ce temple ils
enterrèrent Lysistrate.
Tardieu, 1821
[6] Cette partie de la mer qui est vers le marais de Lerna
n'est éloignée d'Argos que de quarante stades ; en
allant à ce marais on descend toujours, et sur le chemin
on trouve le fleuve Erasinus qui tombe dans le Phrixus, lequel
tombe lui-même dans ce bras de mer qui est entre
Téménion et Lerna. Si vous quittez l'Erasinus, en
prenant à gauche, vous n'aurez pas fait huit stades ou
environ que vous trouverez un temple des Dioscures ; leurs
statues sont de bois et de la même figure que celles qui
se voient à Argos.
[7] Si ensuite vous reprenez le droit chemin, vous passerez
l'Erasinus, et vous arriverez à un torrent près
duquel il y a un endroit fermé de tous côtés
par un mur ; c'est par-là, disent-ils, que Pluton
après avoir enlevé Proserpine, descendit dans ces
lieux souterrains où les hommes ont placé son
empire. Lerna est, comme j'ai dit, tout auprès de la mer
; on y célèbre les mystères de
Cérès, et on les appelle du nom de ce lieu les
mystères Lernéens.
[8] La déesse a là un bois qui lui est
consacré et qui commence au mont Pontinus ; cette
montagne a cela de particulier qu'elle boit toute l'eau du ciel
et n'en laisse rien écouler ; mais du sommet tombe un
fleuve qui a nom aussi Pontinus ; il y avait autrefois sur cette
montagne un temple de Minerve Saïtis, dont il ne reste plus
que les ruines ; on y voit aussi les fondements de la maison
d'Hippomédon qui amena du secours à Polynice fils
d'Oedipe durant la guerre de Thèbes.
XXVII. [1] Le bois de Cérès est un bois de
platanes qui s'étend depuis la montagne jusqu'à la
mer, il est terminé d'un côté par le fleuve
Pontinus, et de l'autre par l'Amymone, rivière qui a pris
son nom d'une fille de Danaüs. Dans ce bois il y a deux
statues, l'une de Cérès Prosymna, l'autre de
Bacchus ; mais celle de Cérès est plus petite, et
représente la déesse assise ; toutes les deux sont
de marbre.
[2] Vous y voyez aussi un temple consacré à
Neptune Sauveur, où le dieu est en bois et assis. Proche
de la mer on trouve une Vénus de marbre ; la tradition du
pays est que cette statue a été consacrée
par les filles de Danaüs, et que Danaüs lui-même
fit bâtir un temple à Minerve sur le mont Pontinus.
Quant aux mystères de Lerna, on croit dans le pays que
c'est Philammon qui en est l'auteur. A l'égard des hymnes
et des prières dont ils accompagnent le sacrifice, il est
évident qu'elles ne sont pas, à beaucoup
près, d'une aussi grande antiquité,
[3] non plus que ce que j'ai ouï dire qui était
écrit sur un coeur de laiton : de de nos jours Arriphon a
fait voir que rien de tout cela ne pouvait s'attribuer à
Philammon cet Arriphon était un savant homme, originaire
de Triconion ville d'Etolie, et fort estimé des Lyciens
parmi lesquels il vivait ; critique judicieux, il
découvrait bien des choses à quoi les autres
n'avaient pas pensé ; c'est lui qui a remarqué le
premier que tout ce qui concerne ces mystères de Lerna,
vers, prose, ou mélange de l'un et de l'autre,
était écrit en langue dorique. Or avant
l'arrivée des Héraclides dans le
Péloponnèse les Argiens parlaient la même
langue que les Athéniens, et du temps de Philammon le nom
de Dorien, autant que j'en puis juger, était encore
inconnu à la plupart des Grecs : telle est la
découverte dont nous sommes redevables à
Arriphon.
[4] A la source de l'Amimone il y a un platane sous lequel on
dit que s'engendra l'hydre de Lerna. Je crois sans peine que ce
monstre était d'une grosseur extraordinaire et si
venimeux, que son fiel put bien empoisonner les flèches
d'Hercule ; mais je ne puis croire qu'il eût plus d'une
tête ; cependant Pisandre de Camire pour faire cet hydre
encore plus terrible et pour donner plus de merveilleux à
sa poésie, nous le représente avec plusieurs
têtes.
[5] J'ai vu encore dans le même canton ce qu'ils
appellent la fontaine d'Amphiaraüs, et le marais d'Alcyone,
par où les Argiens disent que Bacchus descendit aux
enfers pour en retirer Sémélé, et ce chemin
lui fut, dit-on, enseigné par Polymnus ; ce qui est de
vrai, c'est que ce marais est d'une profondeur excessive, et que
qui que ce soit jusqu'à présent n'en a pu trouver
le fond, de quelque machine qu'il se soit servi pour cela ; car
Néron même fit lier des cables bout à bout
de la longueur de plusieurs stades, et par le moyen d'un plomb
que l'on y attacha, il fit sonder le fond de ce marais sans
qu'il fût possible de le trouver.
[6] On en raconte encore une autre particularité, c'est
que l'eau de ce marais qui paraît toujours comme dormante,
tournoie néanmoins tellement, que quiconque oserait y
nager ne manquerait pas de se perdre. Au reste le circuit de ce
marais n'a guère plus d'un tiers de stade, et les bords
en sont pleins d'herbes et de joncs. Quant aux sacrifices
nocturnes qui s'y font tous les ans à Bacchus, il ne
m'est pas permis de les divulguer.
XXXVIII. [1] Entre Lerna et Téménion le Phryxus
se décharge dans la mer. Téménion est une
forteresse sur les confins des états d'Argos, laquelle a
pris son nom de Téménus fils d'Aristomaque ; car
Téménus s'étant rendu maître de ce
lieu, il le fortifia ; et ensuite ayant avec les Doriens
entrepris la guerre contre Tisamène et les
Achéens, il faisait de là des courses dans le pays
ennemi. Neptune et Vénus ont chacun un temple à
Téménion, et l'on y voit aussi le tombeau de
Téménus, qui est même encore honoré
par les Doriens soumis à la domination d'Argos.
[2] De Téménion à Nauplia on compte
cinquante stades, si je ne me trompe ; cette ville est
aujourd'hui déserte, et fut autrefois bâtie par
Nauplius qui était fils, à ce que l'on croit, de
Neptune et d'Amimone ; les murs en sont tombés, mais on y
peut voir encore un temple dédié à Neptune,
un port et une fontaine appellée Canathos, où l'on
dit que Junon recouvrait sa virginité en s'y baignant
tous les ans ; fable qui tire son origine des mystères
secrets qne l'on célèbre en l'honneur de cette
Déesse.
[3] Je ne daigne pas rapporter un autre conte que l'on fait
d'un âne qui est gravé là sur une pierre ;
cet animal, disent-ils, ayant brouté un cep de vigne, on
remarqua que l'année suivante ce cep porta beaucoup plus
de raisin qu'à l'ordinaire, ce qui donna lieu de tailler
la vigne que l'on ne taillait point auparavant.
[4] Au sortir de Lerna on trouve un autre chemin qui va le long
de la mer et qui mène au bourg Génésius ;
là sur le rivage on voit un temple de grandeur
médiocre consacré à Neptune
Génésius. Ce bourg tient presque à un autre
nommé l'Apobathme, parce que c'est le premier endroit des
terres d'Argos où Danaüs débarqua avec ses
enfants. De là vous allez gagner le défilé
d'Anigrée, dont le chemin est fort étroit et fort
difficile ; mais quand vous l'avez passé, vous avez sur
votre gauche une étendue de terre qui va jusqu'à
la mer, et qui est toute plantée d'arbres fruitiers,
surtout d'oliviers.
[5] Si ensuite vous quittez le rivage et que vous regagniez le
continent, vous trouverez la plaine de Thyrée fameuse
pour avoir servi de champ de bataille à trois cents
Argiens choisis contre trois cents Lacédémoniens,
au sujet de la querelle des deux nations qui se disputaient ce
lieu-là même ; dans ce combat les
Lacédémoniens s'étant tous fait tuer
à la réserve d'un seul, et les Argiens à la
réserve de deux, on donna à ces braves gens une
sépulture commune. Dans la suite il y eut un combat
général entre ces deux peuples ; et les
Lacédémoniens ayant remporté la victoire,
ils se mirent en possession de ce lieu fatal qu'ils
donnèrent ensuite aux Eginètes, lorsqu'ils furent
chassés de leur île par les Athéniens.
Cependant aujourd'hui les Argiens jouissent de ce canton et
disent l'avoir recouvré par les voies de la
justice.
[6] Après le tombeau des Argiens et des
Lacédémoniens si vous avancez dans les terres vous
trouverez le village d'Athènes qui a été
autrefois habité par les Eginètes, ensuite celui
de Néris, et enfin celui d'Eva qui est le plus grand des
trois ; il y a dans ce dernier un temple consacré
à Polémocrate fils de Machaon et frère
d'Alexanor ; ce Dieu guérit aussi les malades, c'est
pourquoi les habitants du lieu l'honorent d'un culte
particulier.
[7] Au-dessus de ces villages s'élève le mont
Parnon, qui sépare les Lacédémoniens des
Argiens et des Tégéates ; les limites de chacun de
ces peuples sont marquées par des hermès de
pierre, d'où ce lieu a pris sa dénomination. Au
bas est le fleuve Tanus ; c'est le seul qui sorti du mont
Parnon, après avoir passé par les terres des
Argiens, aille tomber dans le golfe de Thyrée.
Chapitre suivant
Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition
de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage
complété.