[Olympie - Les temples et les autels de l'Altis]

X. [1] La Grèce est certainement pleine de merveilles, qui causent de l'admiration à ceux qui les voient ou qui en entendent parler ; mais il n'y en a point que la religion ait consacrées avec tant de pompe que les mystères de Cérès à Eleusis, et que les jeux qui se célèbrent en l'honneur de Jupiter à Olympie. Le bois sacré du dieu est appellé Altis, ancien mot dont Pindare s'est servi dans cette signification en louant un de ses héros qui avait été vainqueur aux jeux olympiques.

[2] Le temple et la statue de Jupiter sont le fruit des dépouilles que les Eléens remportèrent sur les Pisans et leurs alliés ; car ils vainquirent ces peuples et saccagèrent Pise. La statue du Dieu est un ouvrage de Phidias, comme en fait foi l'inscription que l'on voit aux pieds de Jupiter et qui est telle : Phidias fils de Charmidas Athénien m'a fait.

[3] Le temple est d'une architecture dorique : il est tout environné de colonnes par dehors, en sorte que la place où il est bâti forme un beau péristyle. On a employé à cet édifice des pierres du pays, mais qui sont d'une nature et d'une beauté singulière. La hauteur du temple depuis le rez-de-chaussée jusqu'à la couverture est de soixante-huit pieds, sa largeur est de quatre-vingt-quinze, et sa longueur de deux cent trente. Libon originaire et natif du pays en a été l'architecte. Ce temple est couvert non de tuiles, mais d'un beau marbre tiré des carrières du mont Pentélique, et taillé en forme de tuiles. On en attribue l'invention à Bysès de Naxi, dent on dit qu'il y a plusieurs statues dans cette île, avec une inscription qui porte que ces statues ont été faites par Bysès natif du pays, qui le premier a trouvé l'art de tailler le marbre en façon de tuile. On prétend que ce Bysès florissait dans le temps qu'Halyatte était roi de Lydie, et qu'Astyage fils de Cyaxare régnait sur les Mèdes.

[4] Deux chaudières dorées sont suspendues à la voûte, l'une à un bout, l'autre à l'autre. Du milieu de la voûte pend une Victoire de bronze doré, et au-dessous de la Victoire un bouclier d'or, sur lequel est une tête de la Gorgone Méduse. L'inscription du bouclier porte que ce sont les Tanagréens alliés de Sparte qui ont fait ces riches présents à Jupiter, en lui consacrant la dîme des dépouilles qu'ils avaient remportées sur les Athéniens, les Argiens, et les Ioniens auprès de Tanagre. J'ai fait mention de ce combat dans mon premier livre, en parcourant les tombeaux qui se voient à Athènes.

[5] Par dehors au-dessus des colonnes il règne un cordon tout autour du temple. A ce cordon sont attachés vingt-et-un boucliers dorés qui furent autrefois consacrés à Jupiter par Mummius général des Romains, après qu'il eut défait l'armée des Achéens, pris Corinthe, et chassé tous les habitants qui avaient embrassé le parti des Doriens.

[6] Sur le fronton de devant on a représenté le combat de Pélops et d'Oenomaüs. Il semble que ces deux héros soient tout prêts à entrer dans la lice pour se disputer l'honneur de cette fameuse course de chevaux. Jupiter occupe le milieu du fronton ; à la droite du dieu est Oenomaüs, qui a la tête dans un casque ; auprès de lui est sa femme Stérope, une des filles d'Atlas. Au-devant du char et à la tête des chevaux qui sont au nombre de quatre, on voit Myrtil l'écuyer d'Oenomaüs ; derrière lui sont deux autres hommes dont on ne sait point le nom, mais qui paraissent être là pour avoir soin des chevaux.

[7] Dans le coin vous voyez le fleuve Cladée, qui après l'Alphée est celui que les Eléens honorent le plus. A la gauche de Jupiter, Pélops et Hippodamie tiennent le premier rang. L'écuyer de Pélops est auprès de ses chevaux, accompagné de deux palefreniers. En cet endroit le fronton se retrécit, et c'est-là que l'on a placé le fleuve Alphée. L'écuyer de Pélops, si l'on en croit les Trézéniens, s'appellait Sphérus ; mais à Olympie mon antiquaire le nommait Cilla.

[8] Toutes ces figures sont l'ouvrage d'un Péonien, originaire de Mende ville de Thrace. Le fronton de derrière a été sculpté par Alcamène contemporain de Phidias, et le meilleur statuaire qu'il y eût après lui. Ce fronton nous présente le combat des Centaures et des Lapithes à l'occasion des noces de Pirithoüs. Ce prince occupe tout l'espace du milieu. Près de lui est Eurytion, qui enlève la nouvelle épouse malgré Cénéus qui fait ses efforts pour l'en empêcher. De l'autre côté c'est Thésée qui fait un horrible carnage des Centaures avec sa hache. Parmi les Centaures qui ont échappé à ses coups l'un veut ravir une jeune vierge, l'autre un beau garçon qu'il trouve à son gré. Je crois qu'Alcamène a choisi ce sujet, parce qu'il avait appris par les poésies d'Homère que Pirithoüs était fils de Jupiter : il savait aussi que Thésée descendait de Pélops par quatre degrés de génération.

[9] Au dedans du temple on a représenté une bonne partie des travaux d'Hercule. Sur les portes on voit la chasse du sanglier d'Erymanthe, et les exploits d'Hercule, soit contre Diomède roi de Thrace, soit contre Géryon dans l'île Erythée.

Augé de Lassus, 1878

Dans un autre endroit ce héros s'apprête à soulager Atlas de son fardeau ; dans un autre il nettoie les étables d'Augée et les champs des Eléens. Sur les portes de derrière Hercule combat une Amazone et lui arrache son bouclier. Tout ce que l'on raconte de la biche et du taureau de Gnosse, de l'hydre de Lerna, des oiseaux du fleuve Stymphale, et du lion de la forêt de Némée, est là gravé sur l'airain.

[10] Car les portes du temple sont d'airain. En entrant vous voyez à droite une colonne contre laquelle Iphitus est adossé avec sa femme Ecéchiria qui lui met une couronne sur la tête : les noms de l'un et de l'autre sont marqués dans une inscription en vers élégiaques. Dans le temple il y a deux rangs de colonnes qui soutiennent des galeries fort exaucées, sous lesquelles on passe pour aller au trône de Jupiter. On a aussi pratiqué un escalier en coquille, par où l'on peut monter jusqu'au toit.

Augé de Lassus, 1878

XI. [1] Le Dieu est représenté assis sur un trône : il est d'or et d'ivoire, et il a sur la tête une couronne qui imite la feuille d'olivier. De la main droite il tient une Victoire, qui est elle-même d'or et d'ivoire, ornée de bandelettes et couronnée ; de la gauche un sceptre d'une extrême délicatesse, et où reluisent toutes sortes de métaux. L'oiseau qui repose sur le bout de son sceptre est un aigle. La chaussure et le manteau du dieu sont aussi d'or : sur le manteau sont gravés toutes sortes d'animaux, toutes sortes de fleurs, et particulièrement des lys.

[2] Le trône du dieu est tout brillant d'or et de pierres précieuses : l'ivoire et l'ébène y font par leur mélange une agréable variété ; la peinture y a mêlé aussi divers animaux, et d'autres ornements. Aux quatre coins il y a quatre Victoires qui semblent se donner la main pour danser, et deux autres aux pieds de Jupiter. Les pieds du trône par devant sont ornés de sphynx, qui arrachent de tendres enfants du sein des Thébaines ; et au dessous des sphynx c'est Apollon et Diane qui tuent à coup de flèches les enfants de Niobé.

[3] Entre les pieds du trône il y a quatre traverses qui vont d'un bout à l'autre. La première et celle que l'on voit en entrant, est chargée de sept figures : il y en avait une huitième, mais on ne sait ce qu'elle est devenue. Ces figures sont un monument des anciens jeux olympiques, avant que les jeunes gens y fussent admis ; mais du temps de Phidias on les y admettait. C'est pourquoi vous verrez aussi la figure d'un jeune homme qui a la tête ceinte d'un ruban, et qui à sa beauté paraît être Pantarcès, jeune Eléen que Phidias aimait. Ce Pantarcès en la quatre-vingt-sixième olympiade remporta le prix de la lutte dans la classe des jeunes gens.

[4] Sur les autres traverses vous voyez Hercule avec sa troupe, prêt à combattre contre les Amazones. Le nombre des combattants de part et d'autre est de vingt-neuf, et Thésée se fait remarquer parmi les compagnons d'Hercule. Ce ne sont pas seulement les pieds du trône qui le soutiennent, on y a ajouté de distance en distance des colonnes de pareille hauteur, et le trône porte aussi dessus. Si j'avais pu approcher de plus près et voir le dessous du trône, comme on voit celui du trône d'Apollon à Amycles, j'en rendrais compte de même : mais le trône de Jupiter à Olympie est entouré de balustres en manière de petits murs qui en défendent l'entrée.

[5] Le balustre de devant vis-à-vis de la porte est seulement peint en couleur de bleu céleste : pour les autres, ils sont enrichis d'excellentes peintures faites par Panénus. On voit sur le premier Atlas qui soutient le ciel et la terre, et auprès de lui Hercule qui va, ce semble, porter le même fardeau ; ensuite c'est Thésée avec Pirithoüs. Dans un autre endroit le peintre a représenté la Grèce, et en particulier la ville de Salamine, qui d'une main tient un de ces ornements que l'on met à la poupe des vaisseaux. Le second balustre nous présente le combat d'Hercule contre le lion de Némée,

[6] l'attentat d'Ajax sur Cassandre ; ensuite Hippodamie avec sa mère ; en dernier lieu Prométhée enchaîné, et Hercule qui le regarde ; car on dit que la délivrance de Prométhée attaché au mont Caucase, et sans cesse dévoré par un aigle, fut aussi l'un des travaux d'Hercule. Dans le premier tableau du dernier balustre c'est Penthésilée mourante et Achille qui la soutient : dans le second ce sont deux Hespérides qui apportent les pommes d'or confiées à leurs soins. Panénus qui a fait ces belles peintures était frère de Phidias : c'est lui qui a peint aussi le combat de Marathon que l'on voit dans le Poecile d'Athènes.

[7] A l'endroit le plus élevé du trône au-dessus de la tête du Dieu, Phidias a placé d'un côté les Grâces, et de l'autre les Heures, les unes et les autres au nombre de trois. La poésie fait aussi les Heures filles de Jupiter : mais Homère dans l'Iliade nous les représente comme les gardiennes du ciel, qui en ouvrent et qui en ferment les portes ainsi que d'un palais. Sur la base qui est au-dessous des pieds de Jupiter vous voyez des lions dorés, et le combat de Thésée contre les Amazones, cette expédition célèbre où les Athéniens signalèrent pour la première fois leur courage contre des troupes étrangères.

[8] Le piédestal ou scabelon qui soutient toute cette masse est enrichi de divers ornements qui donnent encore de l'éclat à la statue. Phidias y a gravé sur or d'un côté le soleil conduisant son char, de l'autre Jupiter et Junon ; à côté de Jupiter est une des Grâces ; après elle c'est Mercure, et Vesta ensuite. Vénus paraît sortir du sein de la mer, elle est reçue par l'Amour, et couronnée par la déesse Pitho. Apollon et Diane n'ont pas été oubliés sur ce bas-relief, non plus que Minerve et Hercule. Au bas du piédestal dans un coin on voit Amphitrite et Neptune : dans un autre la Lune paraît galoper à cheval ; les Eléens disent sur un mulet, à cause de je ne sais quelle fable d'un mulet qui a cours parmi le peuple.

[9] Je sais que plusieurs ont donné les dimensions de la statue de Jupiter, mais il ne faut pas s'en rapporter à eux, car on trouve la hauteur et la largeur bien au-dessus de leur estimation, quand on en juge par ses propres yeux. Pour moi, je dirai seulement que l'habileté de l'ouvrier eut Jupiter même pour approbateur ; car Phidias après avoir mis la dernière main à sa statue, pria le Dieu de marquer par quelque signe si cet ouvrage lui était agréable ; et l'on dit qu'aussitôt le pavé du temple fut frappé de la foudre, à l'endroit où l'on voit encore une urne de bronze avec son couvercle.

[10] Devant la statue le temple est pavé de marbre noir avec un rebord de marbre de Paros, qui fait un cercle tout alentour. Ce rebord sert à contenir l'huile dont on arrose continuellement le pavé du temple auprès de la statue, pour défendre l'ivoire contre l'humidité de la terre ; car et l'Altis et le temple de Jupiter à Olympie sont dans un lieu fort marécageux. Au contraire dans la citadelle d'Athènes la statue de Minerve, ou de la vierge, comme on l'appelle, se conserve par l'eau dont on a soin d'arroser le pavé du temple. C'est que ce lieu étant fort sec à cause de son élévation, la statue de la déesse qui est d'ivoire a besoin d'humidité pour se défendre contre la sécheresse.

[11] Je me souviens qu'étant à Epidaure, je demandai aux sacristains du temple d'Esculape pourquoi ils n'arrosaient ni d'huile ni d'eau le pavé du temple ; ils me répondirent qu'il y avait un puits sous le trône et la statue du dieu.

XII. [1] A propos de l'ivoire, si quelqu'un s'imagine que ce que l'on voit dans la bouche de l'éléphant et qui sort en dehors, soit des dents et non des cornes, il se trompe ; je le prie d'en juger par cette espèce d'animal qui est commun chez les Celtes, et par les boeufs d'Ethiopie. En effet l'espèce d'animal dont je parle a des cornes au-dessus des sourcils. Je dis le mâle, car les femelles n'ont point de cornes ; et aux boeufs d'Ethiopie, il en vient sur le nez. Est-ce donc une grande merveille qu'il y ait un animal avec des cornes qui lui sortent par la bouche ?

[2] Mais voici sur quoi j'appuie mon sentiment. Les cornes viennent aux animaux au bout d'un certain temps, elles tombent aussi réglément, et il en revient d'autres à la place ; c'est ce qui arrive aux cerfs, aux daims, et aux éléphants. En second lieu, nous ne voyons point que quand les dents tombent à un animal qui a atteint un certain âge de perfection, il en renaisse d'autres. Si donc l'ivoire était une dent et non une corne, par quel privilège particulier repousserait-il des dents aux éléphants ? D'ailleurs on sait que les dents résistent au feu, et que l'art ne saurait les mettre en oeuvre ; au contraire la corne soit de boeuf, soit d'éléphant, amollie par le feu, obéit à l'ouvrier, qui la tourne comme il lui plaît.

[3] Il est vrai que les défenses des sangliers et les dents des hippopotames sortent de leur mâchoire d'en bas, et nous ne voyons point que les cornes d'aucun animal naissent de la mâchoire. Mais aussi je ne prétends pas que les cornes des éléphants poussent de leur mâchoire ; elles prennent naissance de plus haut, descendent le long des tempes, et sortant par la mâchoire se jettent en dehors. Ce que j'en rapporte n'est pas fondé sur un ouï-dire, mais sur l'inspection d'un crâne d'éléphant que j'ai vu dans la Campanie en un temple de Diane qui n'est qu'à trente stades de Capoue, capitale de cette province. Les cornes ne poussent donc point à l'éléphant de la même manière qu'aux autres animaux : cet animal est singulier par là comme par la masse énorme de son corps et par sa figure. Au reste, rien à mon avis ne marque mieux la piété des Grecs et leur profusion, où il s'agit de décorer les temples, que la prodigieuse quantité d'ivoire qu'ils ont tirée des Indes et de l'Ethiopie pour faire les statues de leurs dieux.

[4] Le voile de laine que l'on voit dans le temple de Jupiter à Olympie, est teint en pourpre de Phénicie, et magnifiquement brodé à la mode des Assyriens : c'est un présent du roi Antiochus, qui a aussi donné l'égide d'or qui se voit au-dessus du théâtre à Athènes, et où il y a une tête de Gorgone. Mais les Eléens au lieu de relever le voile jusqu'à la voûte comme dans le temple de Diane d'Ephèse, le tiennent toujours abaissé jusqu'à terre.

[5] A l'égard des autres présents que l'on conserve dans le vestibule ou dans le temple, vous verrez en premier lieu le trône d'Arimnus roi des Etrusques, qui le premier entre les étrangers s'est distingué par cette offrande à Jupiter Olympien ; ensuite des chevaux de bronze consacrés par Cynisca, comme un monument de la victoire qu'elle remporta aux jeux olympiques. Ces chevaux plus petits que nature sont placés à l'entrée du temple à main droite. Là est aussi un trépied de bronze, sur lequel on mettait les couronnes destinées aux vainqueurs, avant que l'on eût fait faire une table exprès pour cela.

[6] Vous verrez encore plusieurs statues de marbre de Paros, dont les unes ont été érigées à l'empereur Hadrien par ces villes qui composaient l'état d'Achaïe, et les autres à Trajan par toute la nation grecque. Cet Empereur soumit à son obéissance les Gètes qui habitent au-dessus de la Thrace, et fit la guerre contre Osroès petit-fils d'Arsace et roi des Parthes. La ville d'Olympie lui est redevable de plusieurs ouvrages, dont les principaux sont des bains qui portent son nom ; un amphithéâtre d'un fort grand circuit ; un lieu pour les courses de chevaux, qui a bien deux stades de long, et un sénat pour les magistrats romains, lequel entre autres ornements est tout plafonné de bronze.

[7] On y voit deux statues posées sur des piédestaux fort délicats, l'une d'ambre, de l'empereur Auguste, l'autre d'ivoire, de Nicomède roi de Bithynie, qui a donné son nom à la plus grande ville de ce royaume ; car Nicomédie s'appellait auparavant Astaque. On croit que son premier fondateur a été Zypoetès, Thrace de nation autant que l'on en peut juger par son nom. L'ambre se trouve parmi le sable que roule l'Eridan ; mais il est très rare, et à cause de cela fort estimé : il semble au reste que l'ambre n'est autre chose qu'un mélange de l'or et de l'argent.

[8] On vous montrera encore dans le temple de Jupiter plusieurs couronnes qui ont été données par Néron : il y a surtout la troisième et la quatrième qui imitent parfaitement, l'une la feuille d'olivier, l'autre la feuille de chêne. Au même endroit vous verrez vingt-cinq boucliers d'airain pour ceux qui courent tout armés dans la carrière. Je ne parle point d'un grand nombre de colonnes qui sont dans ce temple ; mais il y en a surtout une où est gravé le serment par lequel les Eléens confirmèrent le traité d'alliance qu'ils avaient fait avec les Athéniens, les Argiens, et ceux de Mantinée pour cent ans.

XIII. [1] Dans l'Altis il y a aussi un temple et un espace de terre consacré à Pélops ; car les Eléens mettent autant Pélops au-dessus des autres héros qu'ils mettent Jupiter au-dessus des autres dieux. Ce temple est au nord à droite du temple de Jupiter, et de la porte par où l'on y entre. Il en est assez éloigné pour que l'espace d'entre-deux puisse contenir plusieurs statues, et divers monuments de la piété des peuples ; car il s'étend depuis le milieu du grand temple jusqu'à la porte de derrière. Un mur de pierres sèches défend tout ce terrain, qui est planté d'arbres et orné de statues.

[2] L'entrée est au couchant. On dit que c'est Hercule fils d'Amphytrion qui a consacré cette portion de terres à Pélops, ce qui est d'autant plus probable qu'Hercule descendait de Pélops par quatre degrés de génération. L'on dit aussi qu'il sacrifia à Pélops sur le bord d'une fosse, où tous les ans les archontes encore à présent ne manquent pas de faire un sacrifice avant que d'entrer en charge. Ils immolent un bélier noir, et leur sacrifice a cela de particulier, que l'on ne fait aucune part de la victime au devin : on se contente suivant l'ancien usage d'en donner le col à celui qui fournit le bois.

[3] Car parmi les ministres du temple de Jupiter il y en a un qui a soin de faire provision de bois, et d'en fournir pour un certain prix, soit aux villes, soit aux particuliers qui viennent faire des sacrifices, et ce bois est du peuplier blanc. Que si quelqu'un soit Eléen ou étranger mangeait des chairs de la victime immolée à Pélops, l'entrée du temple de Jupiter lui serait interdite. La même chose se pratique à Pergame sur le Caïque : ceux qui sacrifient à Téléphus et qui transgressent les lois du sacrifice, sont obligés de se purifier avant que d'entrer dans le temple d'Esculape.

[4] Quant à Pélops, voici ce que l'on en raconte. La guerre de Troie traînant en longueur, les devins avertirent les Grecs qu'ils ne prendraient point la ville, qu'auparavant ils n'eussent envoyé chercher les flèches d'Hercule et l'un des os de Pélops. Aussitôt on donna cette commission à Philoctète, qui étant allé à Pise, en remporta l'omoplate de Pélops ; mais le vaisseau en revenant joindre les Grecs, fit naufrage à la hauteur de l'île Eubée, de sorte que l'os de Pélops fut perdu dans la mer.

[5] Plusieurs années après la prise de Troie, un pêcheur nommé Démarmène de la ville d'Erétrie ayant jeté son filet dans cette mer, en retira un os. Surpris de la grosseur prodigieuse dont il était, il le cacha sous le sable et remarqua bien l'endroit. Ensuite il alla à Delphes pour savoir de l'oracle ce que c'était que cet os, et quel usage il en ferait.

[6] Par un coup de la Providence il se rencontra que des Eléens consultaient en même temps l'oracle sur les moyens de faire cesser la peste qui désolait leur pays. La Pythie répondit à ceux-ci qu'ils tâchassent de recouvrer les os de Pélops ; et à Démarmène, qu'il restituât aux Eléens ce qu'il avait trouvé et qui leur appartenait. Le pêcheur rendit aux Eléens cet os, et en reçut la récompense. Il eut surtout le privilège pour lui et pour ses descendants de garder à l'avenir cette relique, qui pourtant ne subsiste plus ; c'était l'omoplate de Pélops. Il y a bien de l'apparence que cet os qui avait été enfoncé dans le sable de la mer, fut carié par l'humidité, ou du moins par le temps qui détruit tout.

[7] Que Tantale et Pélops aient demeuré parmi nous, il y en a des preuves encore subsistantes aujourd'hui, telles que sont le port Tantale, et le tombeau de ce héros qui est assez connu. On voit le trône de Pélops au haut du mont Sipyle, immédiatement au-dessus de la chapelle dédiée à la mère des dieux. A Temnos au-delà du fleuve Hermus on montre une statue de Vénus, faite du bois d'un myrthe femelle. La tradition est que Pélops consacra cette statue par une dévotion particulière pour la déesse, et afin qu'elle lui fût favorable dans le dessein qu'il avait d'épouser Hippodamie.

[8] L'autel de Jupiter Olympien est placé à une égale distance du temple de Pélops et de celui de Junon, en face de l'un et de l'autre. Les uns disent qu'il a été élevé par Hercule Idéen, les autres par des héros du pays, environ deux générations après Hercule. Quoiqu'il en soit, cet autel est fait de la cendre des victimes offertes à Jupiter. Il y en a un de même à Pergame, un autre à Samos, érigé à Junon, et qui n'est guère plus propre que ces foyers sacrés faits à la hâte que l'on voit dans l'Attique.

[9] L'enceinte où l'on présente les victimes, est fermée par une balustrade qui a pour le moins cent vingt-cinq pieds de circuit. Depuis cette balustrade jusqu'à l'autel il y a trente-deux marches : l'autel a vingt-deux pieds de hauteur. On amène les victimes jusqu'à la balustrade : là on les égorge. On en prend les cuisses, et on les porte en haut pour les faire rôtir sur l'autel.

[10] On arrive à cette balustrade par des marches de pierres qui sont aux deux côtés. De là jusqu'au haut de l'autel ce sont des marches faites avec la cendre des victimes. Les femmes et les filles peuvent approcher jusqu'à la balustrade, aux jours qu'il leur est permis d'être à Olympie ; mais il n'y a que les hommes qui puissent monter jusqu'à l'autel. Les étrangers sont reçus tous les jours à faire des sacrifices, sans qu'il soit besoin d'attendre les jours plus solemnels, comme les temps de foires. Pour les Eléens, il ne se passe point de jour qu'ils ne sacrifient à Jupiter Olympien.

[11] Chaque année le dix-neuf de Mars les devins apportent de la cendre du prytanée ; ils la délayent dans de l'eau du fleuve Alphée, et en font une espèce de mortier dont ils enduisent l'autel : ce mortier ne se peut faire avec d'autre eau. C'est pourquoi l'Alphée passe pour être de tous les fleuves le plus agréable à Jupiter. A Didymes, ville du ressort de Milet, il y a un autel érigé, dit-on, par Hercule de Thèbes, et construit avec du mortier délayé dans le sang des victimes ; mais cet autel étant devenu moins célèbre, les sacrifices ont diminué, et l'autel en est moins bien entretenu.

XIV. [1] Une autre merveille que l'on raconte de l'autel de Jupiter à Olympie, c'est que les milans qui de tous les oiseaux de proie sont les plus carnassiers, respectent le temps du sacrifice. Si par hasard un milan se jetait sur les entrailles ou sur la chair des victimes, on en tirerait un mauvais augure. On conte aussi qu'Hercule fils d'Alcmène sacrifiant un jour à Jupiter dans Olympie, fut si incommodé des mouches, que sur le champ, soit de son propre mouvement, soit par le conseil de quelqu'un des assistans, il immola une victime à Jupiter Apomyius ; et le sacrifice ne fut pas plutôt achevé que l'on vit toutes les mouches s'envoler au-delà de l'Alphée.

[2] Depuis ce temps-là les Eléens ont coutume de faire tous les ans un sacrifice pour être délivrés de l'importunité des mouches durant les jours de fêtes qui sont consacrés à Jupiter. Et dans tous les sacrifices qu'ils font à ce Dieu, ils observent inviolablement de ne brûler que du peuplier blanc. Je crois que la raison de cette préférence, est qu'Hercule a le premier apporté cet arbre de la Thesprotie en Grèce, et qu'il ne se servait pas d'un autre bois pour faire rôtir les cuisses des victimes. Il trouva cet arbre sur les bords de l'Achéron, et l'on croit que c'est pour cela qu'Homère en parlant du peuplier blanc, le nomme le chêne de l'Achéron.

[3] Car de tout temps les rivières et les fleuves ont produit différentes sortes d'herbes et de plantes. La bruyère se plaît sur les rives du Méandre ; l'Asope, fleuve de Béotie, pousse des joncs d'une hauteur extraordinaire, et l'arbre de Persée ne vient que sur les bords du Nil. Il n'y a donc pas à s'étonner si le peuplier blanc a crû d'abord sur les rives de l'Achéron, comme l'olivier sur les bords de l'Alphée, et le peuplier noir chez les Celtes dans les lieux qui sont arrosés de l'Eridan.

[4] Après avoir parlé du grand autel, il est bon de parcourir aussi les autres suivant l'ordre que les Eléens eux-mêmes observent dans leurs sacrifices. Car ils ont premièrement six autels érigés en l'honneur des douze dieux dans le temple même de Jupiter, en sorte que l'on sacrifie à deux divinités tout à la fois sur le même autel.

[5] A Jupiter et à Neptune sur le premier ; à Junon et à Minerve sur le second ; à Mercure et à Apollon sur le troisième ; aux Grâces et à Bacchus sur le quatrième ; à Saturne et à Rhéa sur le cinquième ; à Vénus et à Minerve Ergané sur le sixième. Les descendants de Phidias sont chargés du soin de nettoyer la statue de Jupiter, et de la tenir toujours dans une grande propreté. Avant que de se mettre à l'ouvrage, ils font un sacrifice à Minerve Ergané. Minerve a encore un autre autel auprès du temple : celui qui suit est l'autel de Diane ; carré par en bas il se rétrécit insensiblement à mesure qu'il s'élève, et il se termine en pointe.

[6] Après ces autels vous en trouverez un qui est commun à Diane et à Alphée. Pindare en donne la raison dans une de ses odes ; et je la donnerai moi-même dans un endroit de cet ouvrage, où il sera parlé de la ville de Létrines. Un peu plus loin Alphée a un autel qui lui est consacré uniquement : Vulcain a le sien auprès. Quelques Eléens disent pourtant que c'est l'autel de Jupiter Aréus : car ils prétendent qu'Oenomaüs avait coutume de sacrifier sur cet autel à Jupiter Aréus, toutes les fois qu'il entreprenait un combat contre ceux qui recherchaient sa fille Hippodamie en mariage.

[7] Ensuite vous voyez cet autel dont j'ai parlé, qui est dédié à Hercule Parastatès, et quatre autres dédiés à ses frères, Epimede, Ida, Péonéus, et Iasus ; cependant l'autel d'Ida est nommé par quelques-uns l'autel d'Acésidas. Dans la place où était le palais d'Oenomaüs il y a deux autels qui ont été élevés à Jupiter, l'un sous le titre de Jupiter Herceus par Oenomaüs même selon toute apparence ; l'autre sous le titre de Jupiter Ceraunius, qui après la mort de ce prince, lorsque sa maison eut été frappée de la foudre.

[8] J'ai suffisamment parlé du grand autel de Jupiter, autrement dit l'autel de Jupiter Olympien : tout auprès c'est l'autel des dieux inconnus. On trouve ensuite l'autel de Jupiter Catharsius, et celui de la Victoire : l'autel de Jupiter surnommé Cthonius ou le terrestre : un autre consacré à tous les dieux : un autre en l'honneur de Junon Olympienne, fait de la cendre des victimes, et élevé par Clymenus à ce que l'on croit. Suit l'autel d'Apollon et de Mercure : il est commun à l'un et à l'autre, parce que les Grecs regardent Mercure comme l'inventeur de la lyre, et Apollon comme l'inventeur de la cythare.

[9] L'autel de la Concorde vient après, puis celui de Minerve et celui de la mère des dieux. Auprès du stade on voit deux autels, l'un dédié à Mercure Enagonius, l'autre au dieu de l'Opportunité. Je connais un hymne du poète Ion, où il fait le dieu de l'Opportunité fils de Saturne et le dernier de ses fils. Près du trésor des Sicyoniens on voit l'autel d'Hercule, soit que cet Hercule fût un des Curètes, comme veulent quelques-uns, ou que ce fût le fils d'Alcmène, comme d'autres prétendent.

[10] Dans la partie qui est consacrée à la Terre, il y a son autel qui est aussi fait de la cendre des victimes. Les Eléens disent que de tout temps la déesse a rendu là ses oracles. Sur le Stomium, c'est un endroit qu'ils appellent ainsi, Thémis a son autel. Près de là est aussi celui de Jupiter surnommé Catebatès ; il est environné d'un mur, et fort peu distant du grand autel. Au reste en parcourant tous ces autels, j'avertis le lecteur que j'ai suivi l'ordre, non de leur situation, mais des sacrifices que les Eléens ont accoutumé d'y faire. A côté du temple de Pélops on voit encore un autel consacré à Bacchus et aux Grâces. Entre deux c'est l'autel des Muses, et celui des Nymphes ensuite.

XV. [1] Au-delà de l'Altis est un édifice que l'on homme l'atelier de Phidias ; c'est dans cette maison qu'il a fait la statue de Jupiter : vous y trouverez un autel dédié à tous les dieux.

[2] En revenant au bois sacré on a devant soi le palais Léonidas. C'est un édifice hors de l'enceinte du temple : il a été consacré à Jupiter par Léonidas Eléen, et il donne sur le chemin que l'on tient pour aller au temple les jours de cérémonie. Aujourd'hui il sert à loger les magistrats Romains qui ont leurs départements en Grèce. Cette maison n'est séparée du chemin que par une espèce de cul-de-sac.

[3] Si vous prenez ensuite à gauche dans l'Altis, vous verrez l'autel de Vénus, puis celui des Heures. Sur le derrière du grand temple il y a un olivier que l'on nomme par excellence l'olivier aux belles couronnes ; parce qu'en effet on se sert de ses rameaux pour couronner les vainqueurs. Auprès est un autel dédié aux Nymphes, et ces Nymphes s'appellent aussi les Nymphes aux belles couronnes.

[4] Dans l'Altis ou bois sacré, à droite du palais Léonidas, vous avez l'autel de Diane Agoréa, puis l'autel de cette divinité que les Grecs ne nomment point autrement que la Maîtresse. Je dirai ce que c'est quand j'en serai à la description de l'Arcadie. Vous trouverez ensuite l'autel de Jupiter Agoreüs ; et devant le lieu où s'assemblent les sénateurs, l'autel d'Apollon Pythius. Plus loin c'est un autel de Bacchus que l'on dit avoir été érigé il n'y a pas longtemps par des particuliers.

[5] Sur le chemin qui mène aux barrières, on voit un autel avec cette inscription : Au conducteur des Parques. On ne peut pas douter que ce ne soit un surnom de Jupiter ; car lui seul commande aux Parques, et sait ce que le destin réserve aux hommes. L'autel des Parques est presque attenant et s'étend en long ; celui de Mercure suit de près. Ensuite on en voit deux autres dédiés à Jupiter le très haut. Dans cet espace que l'on nomme les barrières, vers le milieu, Neptune et Junon représentés à cheval ont chacun un autel tout découvert. Près de là il y a une colonne, contre laquelle est adossé l'autel des Dioscures.

[6] Et à l'entrée de la lice, pas loin de ce qu'ils appellent l'Eperon, Mars et Minerve, tous deux à cheval hors de la barrière, ont aussi leur autel, l'un d'un côté, l'autre de l'autre. Au dedans près de l'Eperon c'est l'autel de la bonne Fortune ; ensuite celui de Pan et celui de Vénus. Plus loin c'est l'autel de ces nymphes qu'ils nomment invincibles. En revenant du portique d'Agaptus, ainsi appellé du nom de son architecte, vous avez à votre droite l'autel de Diane.

[7] Et en rentrant dans le bois sacré par le chemin que l'on tient aux jours solemnels, vous voyez derrière le temple de Junon deux autels dédiés, l'un au fleuve Cladée, l'autre à Diane. Un peu au-delà il y en a trois autres, dont le premier est consacré à Apollon, le second à Diane surnommée Coccôca, et le troisième à Apollon dit Thermius, surnom que l'on entend aisément, sa signification étant la même chez les Eléens que chez les Athéniens. Pour celui de Coccôca qu'ils donnent à Diane, je n'en ai pu savoir la raison.

[8] Devant le Théécoléon, comme ils l'appellent, il y a un édifice, et dans un coin de cet édifice un autel de Pan : le prytanée est dans le bois sacré de Jupiter auprès du gymnase, où l'on s'exerce à la course et à la lutte. Devant la porte du prytanée on voit un autel de Diane chasseresse.

[9] Et dans le prytanée même, près du lieu où est le foyer sacré, il y a encore un autel dédié à Pan. Ce foyer sacré est fait de cendres, et l'on y entretient soigneusement du feu jour et nuit toute l'année. On en prend la cendre, qui sert plus que toute autre à faire cette espèce de mortier dont on répare ou l'on entretient l'autel de Jupiter, ainsi que je l'ai raconté.

[10] Chaque mois les Eléens sacrifient sur tous les autels dont j'ai fait mention. Ils couvrent l'autel de feuilles d'olivier, brûlent de l'encens et de la farine de froment pétrie avec du miel, et usent de vin dans leurs libations, excepté lorsqu'ils sacrifient aux Nymphes, ou à cette divinité qu'ils nomment la Maîtresse, ou à tous les dieux en général, car alors ils ne se servent point de vin. Le soin de ces sacrifices est confié au prêtre qui est en tour de présider, car chacun a son mois d'exercice. Il est assisté des devins, de ceux à qui il appartient d'apporter les libations, des interprètes, d'un joueur de flûte, et de celui qui fournit le bois.

[11] Quant aux paroles qu'ils prononcent en faisant les libations dans le prytanée, et aux hymnes qu'ils chantent, je me crois dispensé de les rapporter dans ces mémoires. Non seulement les Eléens font des libations aux dieux de la Grèce, mais ils en font encore à Jupiter Ammon, à Junon Ammonia, et à Parammon : Parammon est un surnom de Mercure. On voit que de tout temps ils ont eu recours à l'oracle de Lybie : des autels consacrés par les Eléens dans le temple de Jupiter Ammon en font foi ; l'inscription marque et la nature des choses sur quoi ils consultaient l'oracle, et la réponse de l'oracle, et les noms de ceux qu'ils avaient envoyés le consulter.

[12] Ils font aussi des libations en l'honneur de leurs héros et des femmes de ces héros. Dans ce nombre ils comprennent les héros d'Etolie comme ceux d'Elide. Tout ce qui se chante dans le prytanée est écrit en langue dorique ; mais ils ne savent pas eux-mêmes qui est l'auteur de ces cantiques. Enfin ils ont dans le prytanée une salle pour les festins publics vis-à-vis de l'endroit où ils gardent le feu sacré ; et c'est là que sont traités ceux qui remportent la victoire aux jeux olympiques.

XVI. [1] Il me faut maintenant parler du temple de Junon et de ce qu'il contient de plus remarquable. Les Eléens disent que ce sont les Scilluntiens, peuples de Triphylie, qui ont bâti ce temple la huitième année du règne d'Oxylus. L'architecture en est dorique, une colonnade règne tout alentour, et des deux colonnes qui soutiennent la partie de derrière, il y en a une qui est de bois de chêne. Ce temple a soixante-trois pieds de longueur : on ne sait point qui en a été l'architecte.

[2] Seize matrones sont commises pour broder un voile que l'on consacre à Junon tous les cinq ans ; et ce sont elles aussi qui font célébrer des jeux en l'honneur de la déesse. Ces jeux consistent à voir les filles disputer le prix de la course entre elles. Pour cela on les distribue toutes en trois classes : la première est composée des plus jeunes, la seconde de celles d'un âge au-dessus, la troisième des plus âgées ; et il y a un prix pour chaque classe.

[3] Quand elles courent, elles ont les cheveux flottants, la tunique abaissée jusqu'au-dessous du genou, l'épaule droite toute nue et débarrassée jusqu'au sein. Elles font aussi preuve de leur légèreté dans le stade d'Olympie ; seulement on abrège la carrière de la sixième partie pour l'amour d'elles. Les victorieuses remportent une couronne d'olivier, et reçoivent une portion de la génisse qui a été immolée à Junon ; même il est permis d'appendre leurs portraits pour éterniser leur nom et leur gloire. Les seize matrones président à ces jeux avec un pareil nombre d'associées, qui jugent avec elles.

[4] Les Eléens prétendent que cette institution est fort ancienne ; ils l'attribuent à Hippodamie, qui voulant remercier Junon du bonheur qu'elle avait eu d'épouser Pélops, choisit seize de ses compagnes, et de concert avec elles institua ces jeux en l'honneur de la déesse. Ils disent que Chloris fut la première qui remporta la victoire, et que cette Chloris fille d'Amphion était restée seule d'un grand nombre d'enfants avec un de ses frères. J'ai rapporté dans mon voyage d'Argos tout ce que je savais de cette malheureuse race de Niobé.

[5] Quant aux seize matrones qui jugent du prix de la course, on en raconte encore une autre origine. On dit que Démophon, tyran de Pise, fit des maux infinis aux Eléens, et qu'après sa mort, comme les Piséens n'avaient point été complices de sa méchanceté, les Eléens voulurent bien s'en rapporter à eux du dédommagement qu'ils demandaient. Il y avait alors seize villes dans toute l'Elide. Les deux peuples pour terminer leur différend à l'amiable, convinrent de choisir dans chaque ville une femme respectable par son âge, par sa naissance et par sa vertu.

[6] On nomma donc seize graves matrones, qui par leur prudence réglèrent les prétentions des Eléens, et rétablirent la bonne intelligence entre les deux peuples. Dans la suite on leur confia la direction des jeux qui se célèbrent en l'honneur de Junon, et le soin de faire le voile de la déesse. Elles sont aussi chargées de l'entretien de deux choeurs de musique, dont l'un est nommé le choeur de Physcoa, l'autre le choeur d'Hippodamie. Physcoa, suivant ce qu'ils en disent, était une fille de la basse Elide, et de la tribu d'Orthia.

[7] Elle fut aimée de Bacchus, dont elle eut un fils qui eut nom Narcée. Ce fils, devenu grand, fit la guerre à ses voisins, se rendit fort puissant et bâtit un temple à Minerve sous le nom de Minerve Narcéa. Il institua le premier des sacrifices à Bacchus ; et en l'honneur de Physcoa il institua ce choeur de musique qui porte encore son nom, pour ne rien dire de beaucoup d'autres honneurs qu'il lui fit rendre. Les Eléens conservent toujours le même nombre de matrones ; mais ce n'est plus à cause de leurs seize villes, c'est qu'étant aujourd'hui partagés en huit tribus, ils élisent deux femmes de chaque tribu.

[8] Ces seize matrones, ainsi que les directeurs des jeux olympiques au nombre de dix, n'entrent point en fonction qu'elles ne se soient purifiées par le sacrifice d'un porc et avec de l'eau de la fontaine Piera, qui est dans la plaine par où l'on va d'Olympie à Elis. Toutes ces choses me sont connues telles que je les rapporte.

XVII. [1] Dans le temple de Junon la déesse est assise sur un trône, Jupiter est auprès : il est représenté debout la tête dans un casque, avec de la barbe au menton. Le trône et les statues sont d'un goût fort ancien, pour ne pas dire grossier : les Heures sont aussi assises sur des trônes, et leur mère Thémis auprès. C'est Emilus d'Egine qui a fait les Heures. Pour la statue de Thémis, c'est un ouvrage de Doryclidas Lacédémonien, disciple de Dipoene et de Scyllis.

[2] Les cinq Hespérides que l'on voit ensuite sont de Théoclès aussi Lacédémonien fils d'Hegylus, et élève des mêmes maîtres. La Minerve qui suit armée d'un casque, d'une pique et d'un bouclier, passe pour être de Médon autre Lacédémonien, qui était, dit-on, frère de Doryclidas, et sorti de la même école.

[3] Cérès et Proserpine sont couchées vis-à-vis l'une de l'autre. Apollon et Diane sont aussi l'un d'un côté, l'autre de l'autre, mais debout. On voit ensuite une Latone, une Fortune, un Bacchus, et une Victoire avec des ailes. On ne sait point de qui sont ces statues ; elles m'ont paru fort anciennes. Toutes celles dont j'ai parlé jusqu'ici sont d'or et d'ivoire. Mais il y en a plusieurs d'un goût plus moderne, entre autres un Mercure de marbre, qui porte le petit Bacchus entre ses bras ; une Fortune de Praxitèle, une Vénus de bronze faite par Cléon Sicyonien, disciple d'Antiphane, qui avait eu pour maître Périclète, élève de Praxitèle d'Argos.

[4] Aux pieds de la Vénus est assis un enfant nu ; c'est une petite statue de bronze doré, que l'on attribue à Boëthus de Carthage. Pour les statues d'Olympias et d'Eurydice que l'on voit ensuite, et qui sont d'or et d'ivoire, elles ont été transférées de la rotonde de Philippe dans le temple de Junon.

[5] Mais une des raretés les plus considérables du temple, c'est un grand coffre de bois de cèdre, dont le dessus est orné de figures d'animaux, les unes d'or, les autres d'ivoire, et les autres gravées sur le cèdre même. On dit que la mère de Cypsélus ayant accouché de lui, et sachant que les Bachiades cherchaient cet enfant pour le faire périr, s'avisa de le cacher dans ce coffre. C'est le même Cypsélus qui depuis fut le tyran de Corinthe. Les Cypsélides ses descendants consacrèrent ce coffre à Junon Olympienne, en action de grâces de ce que l'auteur de leur nom avait été si heureusement sauvé. Le nom même de Cypsélus vient d'un mot grec dont les Corinthiens se servaient pour signifier un coffre.

[6] Quoi qu'il en soit, il y a sur ce coffre plusieurs inscriptions en caractères fort anciens ; les unes sont composées de lignes qui vont toujours de gauche à droite, selon l'ordre naturel et communément suivi ; les autres de lignes qui vont en rétrogradant comme par sillons, à la manière dont les boeufs labourent la terre, ou dont nous voyons que le stade se double à la course : quelques-unes même sont écrites en lettres dont les traits sont si brouillés et si confus qu'il n'est pas possible de les déchiffrer. Si vous considérez ce coffre depuis le bas jusqu'en haut, vous serez surpris de la quantité de figures que l'on a gravées dessus.

[7] Premièrement en bas sur le devant vous voyez Oenomaüs qui poursuit Pélops fuyant avec Hippodamie. Ils ont chacun un char attelé de deux chevaux ; mais les chevaux de Pélops ont des ailes. Ensuite vous voyez le palais d'Amphiaraüs, et une vieille qui porte dans ses bras le jeune Amphiloque. Devant la porte du palais vous distinguez Eryphile avec son collier, elle est debout ayant à côté d'elle ses filles Eurydice et Démonasse avec le petit Alcméon, qui est représenté nu.

[8] On a oublié Alcmène, s'il est vrai, comme le poète Asius le dit, qu'elle fut fille d'Amphiaraüs et d'Eryphile. Baton l'écuyer d'Amphiaraüs tient les rênes de ses chevaux d'une main, et une lance de l'autre. Amphiaraüs a déjà un pied sur son char : il tient son épée nue, et tournée vers sa femme ; on voit qu'il s'emporte contre elle, et que peu s'en faut qu'il ne la perce.

[9] Derrière le palais d'Amphiaraüs on célèbre des jeux fénèbres en l'honneur de Pélias. Il y a une foule de spectateurs au milieu desquels est Hercule assis sur un trône. Derrière lui est une femme qui joue de la flûte phrygienne, et l'inscription la fait connaître. Pisus fils de Périérès, et Astérion fils de Cométas montés chacun sur un char, poussent leurs chevaux dans la carrière : on dit qu'Astérion fut du nombre des Argonautes. Pollux, Admète et Eupheme disputent le même prix. Si l'on en croit les poètes, cet Eupheme était fils de Neptune, et il accompagna Jason à l'expédition de la Colchide. Quoi qu'il en soit, on voit que c'est lui qui remporte la victoire.

[10] D'un autre côté Admète et Mopsus fils d'Ampyx sont aux prises et soutiennent le combat du ceste. Au milieu d'eux est un homme qui joue de la flûte comme il se pratique encore de notre temps, pour animer les pentathles au combat du saut. Le combat de la lutte se passe entre Jason et Pélée ; ils paraissent de force égale. Eurybote est dans la posture d'un homme qui jette son palet. Cet Eurybote, quel qu'il soit, s'est rendu célèbre dans cette espèce de combat. Mélanion, Néothée, Phalarée, Argius et Iphiclus sont les cinq qui paraissent avoir disputé le prix de la course à pied : Iphiclus remporte le prix, et Acaste lui met une couronne sur la tête. Cet Iphiclus était le père de Protésilas qui alla au siège de Troie.

[11] On voit dans le même tableau plusieurs trépieds pour les vainqueurs. Les filles de Pélias assistent à ces jeux ; l'une d'elles est nommée dans l'inscription, c'est Alceste. Iolas le compagnon volontaire des travaux d'Hercule remporte le prix de la course du char à quatre chevaux, et c'est par là que finissent les jeux funèbres de Pélias. On voit encore Hercule qui tue à coups de flèches l'hydre de la fontaine d'Amymone, et Minerve auprès de lui : aucune inscription n'indique ni le héros, ni l'entreprise, parce que l'on ne peut s'y méprendre. La dernière peinture de ce tableau représente Phinée roi de Thrace et les fils de Borée qui chassent les harpies.

XVIII. [1] La face du côté gauche n'est pas moins remplie ni moins diversifiée. Vous y voyez une femme qui tient deux enfants dans ses deux bras, l'un d'un côté, l'autre de l'autre ; l'un blanc, l'autre noir ; l'un qui dort, l'autre qui semble dormir, tous les deux ont les pieds contrefaits. Une inscription les fait connaître : mais indépendamment de toute inscription, qui peut douter que l'un de ces enfants ne soit le Sommeil, l'autre la Mort, et que la femme qui le tient ne soit la Nuit, qui est comme la nourrice de l'un et de l'autre ?

[2] Une autre femme de figure gracieuse en tient une laide par le col, et de la main droite lève le bâton sur elle : c'est la Justice qui réprime et châtie l'Injustice. Deux autres femmes pilent quelque chose dans des mortiers ; apparemment qu'elles étaient versées dans la pharmacie ; c'est tout ce que l'on en peut dire faute d'inscription. Mais on ne saurait être trompé à la figure qui suit. Le graveur a eu soin de marquer que c'est la belle Marpesse qu'Apollon avait ravie à Idas, et qui d'elle-même vient retrouver son mari.

[3] Vous voyez ensuite un homme vêtu d'une tunique qui tient une coupe d'une main, et un collier de l'autre : il les présente à Alcmène qui les reçoit ; ce qui a peut-être du rapport à ce que disent les poètes Grecs, que Jupiter prit la ressemblance d'Amphytrion pour tromper Alcmène. Plus loin c'est Ménélas en cuirasse, qui l'épée à la main poursuit Hélène, comme on dit qu'il fit après la prise de Troie. Médée est assise sur un trône, ayant Jason à sa droite, et Vénus à sa gauche. Un vers hexamètre écrit au-dessous, fait connaître les personnages :

Médée est à Jason, Vénus ainsi l'ordonne.

[4] On voit aussi les Muses qui se disputent à chanter, et Apollon qui leur donne le ton ; l'inscription le marque par ce vers :

Au concert des neuf soeurs Apollon préludant.

Dans le tableau suivant c'est Atlas qui porte le ciel et la terre sur ses épaules comme le dit la fable. Il tient en ses mains les pommes d'or des Hespérides. L'inscription ne dit point qui est celui qui s'approche d'Atlas avec une épée à la main ; mais on conjecture aisément que c'est Hercule.

[5] Après Atlas vous voyez Mars armé, qui emmène Vénus : l'inscription marque seulement le nom du dieu. Ensuite c'est la jeune Thétis : Pélée veut l'embrasser, mais Thétis un serpent à la main menace Pélée. Ce tableau finit par les soeurs de Méduse, qui poursuivent Persée dans les airs ; car elles ont des ailes aussi bien que lui ; il n'est parlé que de Persée dans l'incription.

[6] Le derrière du coffre vous présente une image de guerre. Vous voyez deux gros d'infanterie avec quelques chefs qui sont sur des chars. Une partie de ces troupes semble vouloir en venir aux mains, et vous diriez que les autres les reconnaissent et sont prêts à les embrasser. Les interprètes ne sont pas d'accord sur le sujet de ce tableau. Les uns disent qu'il représente les Etoliens sous la conduite d'Oxylus, et rangés en bataille contre les anciens Eléens : que ces peuples se souvenant qu'ils étaient tous sortis de la même origine, mettent bas les armes, et d'ennemis qu'ils étaient deviennent amis. Les autres veulent que ce soient les Pyliens et les Arcadiens qui vont se livrer bataille auprès de Phigalée sur le Jardan.

[7] Mais je n'approuve pas le sentiment de quelques autres, qui prétendent que l'aïeul maternel de Cypsélus qui était Corinthien, et qui possédait ce riche coffre, eut ses raisons pour ne pas choisir un sujet tiré de l'histoire de Corinthe, et qu'il aima mieux faire graver quelque événement étranger qui d'ailleurs n'eût rien de fort mémorable. Pour moi, je hasarderai aussi ma conjecture. Cypsélus en remontant jusqu'à la sixième génération, se trouvait originaire de Gonuse petite ville au-dessus de Sicyone.

[8] Dans mes mémoires sur Corinthe j'ai dit que Mélas fils d'Antasus était venu avec quelques troupes pour s'établir à Corinthe, mais qu'Aletès à cause de je ne sais quel oracle, ne l'avait pas voulu recevoir : dans la suite Mélas fit si bien sa cour à Aletès qu'après beaucoup d'importunités il fut enfin reçu dans la ville, lui et ses troupes. C'est, je crois, cet événement que l'on a voulu représenter.

XIX. [1] Il me reste à décrire l'autre côté du coffre, c'est-à-dire le quatrième en prenant par la gauche. Vous voyez premièrement Borée qui enlève Orithyie : il a des queues de serpents en guise de pieds. Hercule combat contre Géryon, et l'on voit comme trois Géryons dans un même corps. Thésée qui suit semble jouer de la lyre ; Ariadne est à côté de lui et tient une couronne.

[2] Vous avez ensuite le combat d'Achille et de Memnon ; ces deux héros ont leurs propres mères pour témoins de leur valeur. Celui qui suit c'est Mélanion : près de lui est Atalante qui tient un faon, Hector et Ajax après s'être défiés en viennent aux mains, la Discorde se fait voir au milieu d'eux, et la figure en est hideuse. C'est cette Discorde que Calyphon de Samos a copiée lorsque dans le temple de Diane à Ephèse il a voulu peindre le combat des Grecs auprès de leurs vaisseaux. Ensuite sont représentés les Dioscures : l'un de ces frères n'a point encore de barbe.

[3] Hélène est au milieu d'eux, et à ses pieds Ethra fille de Pittheüs en habit de deuil. L'inscription est telle :

Hélène avec Ethra d'Athènes ramenée.

[4] Iphidamas fils d'Anténor est couché par terre, et Coon pour le venger se bat contre Agamemnon. La Terreur est figurée par une tête de lion sur le bouclier de ce prince. On 1it deux inscriptions dont l'une est ainsi conçue :

Coon venge la mort du brave Iphidamas.

Et l'autre sur le bouclier d'Agamemnon est en ces termes :

Le ferme appui des Grecs et l'effroi des mortels.

[5] A droite on voit Mercure qui présente les trois déesses à Pâris fils de Priam pour être jugées sur leur beauté, et c'est ce que dit l'inscription. Diane vient après, tenant un léopard d'une main et un lion de l'autre ; elle a des ailes aux épaules, et je n'en devine pas la raison. La peinture suivante représente Cassandre embrassant la statue de Minerve, et Ajax qui l'en arrache ; voici l'inscription :

Cassandre implore en vain le secours de Minerve.

[6] Vous distinguez ensuite les malheureux fils d'Oedipe : on voit Polynice tombé sur ses genoux, et son frère Etéocle qui lui met le pied sur la gorge. Derrière Polynice est une femme qui a ses dents aiguisées, et à ses ongles crochus paraît un monstre cruel. L'inscription dit que c'est la Mort, cette Parque impitoyable, pour faire entendre que Polynice cède à la force de son destin, et qu'Etéocle est justement puni. Enfin vous voyez Bacchus, couché tout de son long dans une grotte : il a de la barbe au menton ; il tient une coupe d'or à la main, et une longue tunique lui descend jusqu'aux talons : des ceps de vigne, des pommiers et des grenadiers tapissent l'entrée de la grotte.

[7] Le dessus du coffre est sans aucune inscription ; il faut deviner le dessein de l'ouvrier par la nature des sujets qu'il a traités. Le premier qui se présente c'est un homme et une femme couchés ensemble sur un lit dans un antre ; on comprend aisément que c'est Ulysse et Circé ; le nombre des femmes qui attendent leur maîtresse à la porte, et l'ouvrage qu'elles font, n'en laissent pas douter ; car elles sont quatre, et leur occupation est telle qu'Homère la décrit. On voit ensuite un Centaure avec des pieds d'homme par devant, et des pieds de cheval par derrière.

[8] Près de lui sont des chars attelés, et des femmes dedans. Les chevaux sont ailés, et leurs ailes sont dorées. Une de ces femmes reçoit une armure de la main d'un homme. Il y a toute apparence que cela regarde la mort de Patrocle ; car je croirais que ces femmes sont des Néréides, dont l'une qui est Thétis reçoit de Vulcain les armes qu'il avait fabriquées pour Achille. En effet celui qui présente ces armes paraît n'être pas bien ferme sur ses pieds, et celui qui le suit a tout l'air d'un forgeron ; il tient même des tenailles.

[9] On peut aussi croire que le Centaure n'est autre que Chiron, qui déjà passé d'une vie à l'autre et mis au nombre des dieux, vient donner quelque consolation à Achille. Pour les deux filles qui suivent, portées sur une espèce de char par des mulets, et dont l'une tient les rênes, l'autre a un voile sur la tête, on croit que c'est Nausicaé fille d'Alcinoüs qui va au lavoir avec une de ses femmes. Quant à celui qui décoche des flèches contre des Centaures et qui en tue un grand nombre, on ne peut douter que ce ne soit Hercule, et l'un de ses travaux que l'on a voulu représenter.

[10] Au reste je n'ai jamais pu savoir ni même deviner qui a fait ce coffre. Pour les inscriptions, je puis me tromper ; mais je les crois d'Eumélus de Corinthe : j'en juge par plusieurs autres de ses ouvrages, et surtout par un hymne qu'il a fait pour le dieu de Délos.

XX. [1] Dans le temple de Junon il y a bien d'autres offrandes faites à la déesse, et dignes de curiosité. On voit entre autres un petit lit garni d'ivoire, le palet d'Iphitus, et une table sur laquelle on met les couronnes réservées aux vainqueurs. On prétend que le lit était un bijoux d'Hippodamie. A l'égard du palet d'Iphitus, les Eléens s'en servent pour indiquer les jeux olympiques avec le temps de trève et les franchises dont ils sont toujours accompagnés. Ces lois sont écrites sur le palet, non en lignes droites comme il se pratique ordinairement, mais tout alentour et en rond.

[2] La table est d'or et d'ivoire : c'est un ouvrage de Celotès, qui était, dit-on, un descendant d'Hercule. Cependant ceux qui ont recherché l'origine des fameux ouvriers font celui-ci natif de Paros, et disciple de Pasitele. On voit aussi plusieurs statues de divinités ; un Jupiter, une Junon, une mère des dieux, un Apollon et une Diane. Dans la partie la plus reculée du temple il y a une description des jeux olympiques.

[3] A l'un des côtés vous trouvez un Esculape et une Hygéia, une statue de Mars avec la représentation d'un combat : de l'autre côté vous voyez Pluton, Proserpine, Bacchus et deux nymphes, dont l'une tient une boule, l'autre une clef ; car la clef est le symbole du dieu des enfers, et lui-même ferme si bien la porte de ces lieux souterrains que nul de ceux qui y sont une fois entrés n'en peut sortir.

[4] Je ne dois pas omettre ici ce qu'Aristarque mon antiquaire me conta comme une chose arrivée de son temps et dont il avait été témoin. Lorsque les Eléens firent réparer le temple de Junon, dont la voûte menaçait ruine, on trouva entre la voûte et la couverture le cadavre d'un homme armé en guerre et mort de ses blessures : c'était apparemment un de ces Eléens qui soutinrent le siège contre les Lacédémoniens dans l'Altis.

[5] Car ils se retirèrent dans les temples pour combattre l'ennemi de plus haut et avec avantage ; cet homme percé de coups s'était traîné là, et y avait rendu l'âme. Quoi qu'il en soit, depuis tant d'années son corps s'était conservé entier, par la raison, comme je crois, que dans cette cache n'étant exposé ni au chaud ni au froid, il avait peu souffert de l'impression de l'air. Aristarque me dit que ce corps avait été transporté hors de l'Altis et inhumé avec ses armes.

[6] En allant du grand autel au temple de Jupiter, on trouve une colonne de bois, que les Eléens appellent la colonne d'Oenomaüs ; c'est à gauche. Quatre autres colonnes soutiennent le plafond de ce côté-là, et servent aussi d'appui à la colonne de bois, tellement cariée de vétusté, qu'on a été obligé de la revêtir de cercles de fer. On dit que c'était autrefois une colonne du palais d'Oenomaüs, et que ce fut tout ce qui en resta lorsque ce palais fut brûlé par le feu du ciel.

[7] Des vers gravés sur une lame de cuivre attestent cette particularité :

Seule d'un grand palais à la flamme échappée,
Pour un plus saint emploi je fus ici portée.
Les fers succédèrent à mon premier malheur,
Mais je fais de ces fers ma gloire et mon bonheur.

[8] Dans le temps que j'étais à Olympie, un sénateur romain ayant remporté le prix aux jeux olympiques voulut placer sa statue avec une inscription, pour laisser un monument de sa victoire. En creusant la terre auprès de la colonne d'Oenomaüs, on trouva des débris de chars, de morts, de boucliers et d'armes de toute sorte, que j'eus tout le temps de considérer.

[9] Je ne dois pas oublier un grand temple dont l'architecture est dorique. Les Eléens disent que c'est un temple de la mère des dieux, quoique l'on n'y voie aucune statue de cette déesse ; car pour moi, je n'y ai vu que des statues d'Empereurs romains. Le temple est dans l'Altis tout auprès d'une chapelle que l'on nomme la rotonde de Philippe, parce qu'en effet elle est bâtie en rotonde. Un gros pavot de bronze sert de lien et de clef à la voûte.

[10] Cette chapelle est à l'extrémité de l'Altis, et à gauche du prytanée : elle est de briques, et soutenue de tous côtés par des colonnes. Philippe la fit bâtir après cette grande victoire qu'il remporta sur les Grecs à Chéronée. On y voit de magnifiques statues d'or et d'ivoire faites par Léocharès ; ce sont les statues de Philippe, d'Alexandre et d'Amyntas père de Philippe : Olympias et Eurydice y avaient aussi les leurs.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.