[Olympie - Autres curiosités de l'Altis]
XXI. [1] Il me faut maintenant parler de plusieurs autres
monuments qui sont consacrés dans l'Altis ; quoique le
nombre en soit grand, je tâcherai d'éviter la
confusion : car n'en est pas comme de la citadelle
d'Athènes, où tout ce que l'on voit est
également consacré aux dieux. Dans l'Altis parmi
les divers monuments dont il est rempli, les uns sont faits en
vue d'honorer les dieux, les autres se rapportent aux hommes,
à qui l'honneur d'une statue tient lieu de
récompense. Je parlerai des uns et des autres ; mais il
faut commencer par ce qui regarde les dieux.
[2] En allant du temple de la mère des dieux au stade,
quand on est au pied de la montagne de Saturne, on trouve sur la
gauche une balustrade de pierre, d'où le terrain
s'élève insensiblement jusqu'à la montagne
par des marches faites de main d'homme. Là sont
placées six statues de Jupiter, qui toutes six sont de
bronze, et qui ont été faites du produit des
amendes auxquelles ont été condamnés des
athlètes qui avaient usé de fraude et de
supercherie pour remporter le prix aux jeux olympiques.
[3] Ces statues sont nommées en langage du pays les six
Zanès : elles furent posées en la
quatre-vingt-dix-huitième olympiade ; car ce fut en ce
temps-là qu'Eupôlus Thessalien corrompit ceux qui
se présentaient avec lui pour le combat du ceste, savoir
Agétor d'Arcadie, Prytanis de Cysique, et Phormion
d'Halicarnasse, qui l'olympiade précédente avait
été couronné. Ce sont les premiers,
à ce que l'on dit, qui ont introduit la fraude dans les
jeux olympiques, et les premiers aussi que les Eléens ont
condamnés à l'amende : Eupôlus pour avoir
donné de l'argent, et les trois autres pour en avoir
reçu. De ces six statues, Cléon de Sicyone en a
fait deux, les quatre autres, je ne sais de qui elles
sont.
[4] La troisième et la quatrième n'ont point
d'inscription ; aux autres il y a des vers
élégiaques. Ceux de la première avertissent
que le prix des jeux olympiques s'acquiert non par argent, mais
par la légèreté des pieds et par la force
du corps. Ceux de la seconde disent que la statue a
été érigée à Jupiter par un
motif de religion, et pour faire craindre aux athlètes la
vengeance du dieu, s'ils osent violer les lois qui leur sont
prescrites. L'inscription de la cinquième est un
éloge des Eléens, surtout pour avoir noté
d'infamie ceux qui avaient voulu tromper au combat du ceste. Les
vers qui sont au bas de la sixième, disent que la
consécration de ces statues avertit les Grecs que ce
n'est pas par des largesses qu'il faut chercher à vaincre
dans les combats institués en l'honneur de Jupiter
Olympien.
[5] Depuis la condamnation d'Eupôlus, on dit que Callippe
Athénien acheta de ses antagonistes le prix du pentathle
: cela arriva en la cent deuxième olympiade. Les
Eléens ayant mis à l'amende Callippe et ses
complices, Hypéride député des
Athéniens, vint demander grâce pour les coupables.
Sur le refus des Eléens, les Athéniens
défendirent à Callippe de payer cette amende, et
furent exclus des jeux olympiques, jusqu'à ce qu'ayant
envoyé consulter l'oracle de Delphes, et leur fut
déclaré que le dieu n'avait aucune réponse
à leur rendre qu'au préalable ils n'eussent
donné satisfaction aux Eléens.
[6] Alors ils se soumirent à l'amende, dont on eut six
autres statues de Jupiter, avec des inscriptions en vers qui
n'étaient pas moins sévères que les
précédentes. La première portait que ces
six statues avaient été érigées
à Jupiter en conséquence d'un oracle de Delphes,
qui confirmait l'arrêt rendu par les Eléens contre
la fraude et la mauvaise foi des pentathles. La seconde et la
troisième contenaient un éloge de la
sévérité des Eléens.
[7] La quatrième disait que c'était par le
mérite et non par les richesses qu'il fallait disputer le
prix des jeux olympiques. La cinquième exposait à
quelle occasion les six statues avaient été
placées, et la sixième renfermait l'oracle de
Delphes tel qu'il avait été rendu aux
Athéniens.
[8] Outre ces six statues il y en a encore deux, où il
est fait mention d'une amende imposée pour cause de
prévarication dans le combat du palet : ni mes
antiquaires ni moi n'avons pu savoir le nom des
prévaricateurs, quoique ces deux statues aient aussi des
inscriptions. Par la première, on voit que les Rhodiens
ont été taxés à une somme d'argent
pour expier le crime d'un de leurs citoyens, qui avait voulu
gagner le prix du palet en corrompant ses adversaires ; et par
la seconde que la statue avait été faite aux
dépens de ceux qui ne pouvant vaincre au palet par la
force et par l'adresse, avaient eu la
témérité de tenter de mauvaises
voies.
[9] Les autres statues, à ce que me dirent mes
antiquaires, ont été consacrées en la cent
soixante et dix-huitième olympiade, à l'occasion
d'Eudélus, qui avait reçu de l'argent de
Philostrate pour lui laisser remporter le prix du pancrace et de
la lutte ; et selon eux, ce Philostrate était de Rhodes.
Mais cela ne s'accorde pas avec les registres publics, où
les Eléens ont soin de marquer les noms de tous ceux qui
ont été vainqueurs aux jeux olympiques : car
suivant ces registres que j'ai vus, ce fut Straton d'Alexandrie
qui en cette olympiade eut le prix du pancrace et de la lutte
dans un même jour. Alexandrie est une ville bâtie
par Alexandre fils de Philippe auprès de cette bouche du
Nil qui est près de Canope ; mais avant Alexandre les
Egyptiens avaient dans le même lieu une petite ville
qu'ils appelaient Rhacotis.
[10] Avant Straton trois athlètes avaient
été victorieux au combat du pancrace et de la
lutte, et trois autres le furent après lui. Le premier
fut Caprus Eléen, le second Aristomène de Rhodes,
ou de cette partie de la Grèce qui est au-delà de
la mer Egée ; le troisième Protophane de
Magnésie, le quatrième fut Straton lui-même.
Ensuite il y eut Marion d'Alexandrie, Aristée de
Stratonice, ville autrefois nommée Chrysaoris, et enfin
Nicostrate de la côte de Cilicie, lequel pourtant n'avait
de Cilicien que le langage.
[11] Car ce Nicostrate d'une naissance assez distinguée
avait été amené tout jeune de Prymnesse
ville de Phrygie, par des corsaires qui le vendirent à un
homme d'Egées. Cet homme quelque temps après eut
un songe où il lui semblait voir un jeune lionceau
couché sous le lit du petit Nicostrate, présage de
ce qui devait arriver un jour à cet enfant : car devenu
grand, il fut un fameux athlète qui remporta plusieurs
fois le prix du pancrace et de la lutte aux jeux
olympiques.
[12] En la deux cent soixante et dix-huitième olympiade
les Eléens mirent à l'amende plusieurs
athlètes, et entre autres un qui voulait disputer le prix
du pugilat. C'était Apollonius d'Alexandrie
surnommé Ranthi, car les Alexandrins prennent volontiers
des surnoms.
[13] Il fut le premier Egyptien que les Eléens
condamnèrent, non pour avoir donné ou reçu
de l'argent, mais pour ne s'être pas rendu à
Olympie dans le temps porté par la loi : il eut beau dire
qu'il avait été retenu aux Cyclades par les vents
contraires. Héraclide son compatriote fit voir la
fausseté de cette excuse, et qu'Apollonius n'était
arrivé trop tard que pour s'être voulu trouver aux
jeux publics d'Ionie et y gagner de l'argent.
[14] C'est pourquoi les Eléens l'exclurent des jeux
olympiques, lui et tous ceux qui étaient dans le
même cas, et ils décernèrent à
Héraclide une couronne qui ne lui coûta aucune
peine. Dans le temps qu'il la mettait sur sa tête,
Apollonius piqué de cet affront, tout armé qu'il
était pour le combat du pugilat, courut sur lui et le
poursuivit jusques dans les sièges des juges, attentat
dont il fut bien puni dans la suite.
[15] Il y a encore deux statues qui ont été mises
de nos jours ; car en la deux cent vingt-sixième
olympiade on surprit deux athlètes qui s'entendaient
ensemble pour le prix de la lutte : on les condamna à une
grosse amende, et de cette amende on fit faire deux statues de
Jupiter, dont l'une est à gauche, l'autre à droite
sur le chemin qui mène au stade. L'un des athlètes
avait nom Didas, et l'autre qui avait donné l'argent
s'appelait Garapammon ; ils étaient tous deux Egyptiens,
du gouvernement de l'Arsinoïde.
[16] On peut trouver surprenant que des étrangers
respectassent assez peu la majesté suprême de
Jupiter Olympien pour oser ainsi violer les lois des jeux
olympiques ; mais il est encore plus étrange que des
Eléens les violassent eux-mêmes : c'est
néanmoins ce qui arriva en la cent
quatre-vingt-douzième olympiade. Le jeune Polyctor fils
de Damonique Eléen, et le jeune Sosandre fils de Sosandre
de Smyrne devaient lutter l'un contre l'autre. Damonique
souhaitant passionnément que son fils pût
être couronné, gagna le jeune Sosandre par des
présents, et l'engagea à se laisser vaincre.
[17] Les juges informés de cet indigne trafic, punirent
non les enfants, mais les pères comme coupables de cette
supercherie ; et l'amende qu'ils payèrent servit à
avoir les deux statues dont je parle. L'une est placée
dans le lieu d'exercice des Eléens, l'autre dans l'Altis
devant un portique qu'ils nomment encore le Pécile,
à cause des peintures qui y étaient autrefois ;
d'autres l'appellent le portique de l'écho, parce
qu'il y a un écho qui rend les paroles jusqu'à
sept fois.
[18] Enfin en la deux cent unième olympiade un
pancratiaste d'Alexandrie nommé Sérapion eut si
grande peur de ses antagonistes que la veille du combat il
s'enfuit. C'est le seul que les Eléens aient
été obligés de punir pour un pareil sujet.
Au reste toutes les statues dont j'ai parlé jusqu'ici ont
été érigées pour les causes que j'ai
dites.
XXII. [1] Mais on voit plusieurs autres statues de Jupiter qui
ont été faites tant aux dépens des villes
que des particuliers. Dans l'Altis près du chemin par
où l'on va au stade, est un autel qui ne sert jamais aux
sacrifices : il est fait pour les joueurs de flûte et pour
les hérauts, qui se placent là et disputent entre
eux le prix de leur art. Auprès de cet autel il y a un
Jupiter haut de six coudées sur un scabelon de bronze. Le
dieu tient de ses deux mains un foudre. Cette statue a
été donnée par les Cynéthéens
: celle qui suit est un Jupiter, que l'on a
représenté dans la première jeunesse avec
un collier et sans barbe : c'est un présent de
Cléolas de Phliasie.
[2] Près de la chapelle d'Hippodamie on voit un
très beau piédestal de marbre en forme de
demi-cercle : au milieu du piédestal est un Jupiter entre
l'Aurore et Thétis, qui implorent l'assistance du dieu
pour leurs enfants. Sur les côtés de la base quatre
Grecs et quatre Barbares en posture de combattants sont
tournés les uns vers les autres, savoir Helenus et Ulysse
comme les deux plus sages de l'une et de l'autre armée ;
Pâris et Ménélas à cause de leur
ancienne haine, Enée et Diomède, Ajax fils de
Télamon, et Deïphobe.
[3] Ces statues sont de Lycius fils de Myron. Une inscription
qui est aux pieds du Jupiter apprend qu'elles ont
été consacrées par les habitants
d'Apollonie, ville bâtie par Apollon sur le bord de la mer
Ionienne, et que ces peuples y ont employé la
dixième partie des dépouilles qu'ils avaient
remportées sur les Abantes et sur la ville de Thronium.
Par la ville de Thronium et par les Abantes dont il est
parlé, on entend une ville et des peuples de la
Thesprotie d'Epire vers les monts Cérauniens.
[4] Car la flotte des Grecs en revenant de Troie ayant
été dispersée par la tempête, les
Locriens de Thronium sur le fleuve Boagrius, et les Abantes de
l'île Eubée avec leurs huit vaisseaux
échouèrent à la côte des monts
Cérauniens. Là ils bâtirent une ville qu'ils
appellèrent aussi Thronium, et ils donnèrent le
nom d'Abantide au pays qu'ils occupèrent. Dans la suite
ils furent chassés par les Apolloniates leurs voisins.
Apollonie selon d'autres est une colonie de Corcyréens,
et selon quelques-uns c'est une colonie de Corinthiens, qui
ayant chassé les anciens habitants, profitèrent de
leurs dépouilles.
[5] Un peu plus loin on trouve un autre Jupiter tourné
vers le soleil levant : il a une couronne de lys sur la
tête, et tient une aigle d'une main, et un foudre de
l'autre. C'est une offrande des Métapontins. L'ouvrage
est de la façon d'Aristonoüs de l'île d'Egine
: je ne sais ni qui a été le maître de ce
statuaire, ni même en quel temps il a vécu.
[6] Les Phliasiens ont aussi consacré plusieurs statues
qui représentent Jupiter, les filles d'Asopus et Asopus
lui-même. Voici l'ordre dans lequel ces statues sont
rangées. La première est Némée,
l'aînée des filles d'Asopus ; ensuite Egine, et
auprès d'elle Jupiter qui la caresse ; suit Harpine qui,
si l'on en croit les Eléens et les Phliasiens, fut
aimée du dieu Mars et eut de lui Oenomaüs qui
régna à Pise. Après Harpine c'est Corcyre
qui est suivie de Thébé ; et en dernier lieu
Asopus. On dit que Neptune devint amoureux de Corcyre, et
Pindare nous fait entendre que Thébé ne fut pas
indifférente à Jupiter.
[7] Des Léontins ont aussi érigé une
statue à Jupiter Olympien, non au nom de leur ville, mais
au leur propre. Jupiter haut de sept coudées tient une
aigle de la main gauche, et un javelot de la droite suivant les
idées des poètes ; ces Léontins furent
Hippagoras, Phrynon, et Enésideme ; mais je crois que cet
Enésideme est différent de celui qui devint le
tyran de Leontium.
XXIII. [1] Quand on a passé le chemin qui mène au
Sénat, on trouve un Jupiter qui est sans aucune
inscription. Si vous tournez ensuite du côté du
septentrion, vous verrez encore un Jupiter qui regarde le soleil
levant. Cette statue fut dédiée par tous les
peuples de la Grèce qui avaient combattu à
Platée contre Mardonius général de
l'armée des Perses. Les noms de ces peuples et de toutes
les villes qui eurent part à cette glorieuse
journée, sont gravés sur la face du
piédestal qui est à main droite. Les
Lacédémoniens sont les premiers, ensuite les
Athéniens, puis les Corinthiens et les Sicyoniens, en
cinquième lieu les Eginètes.
[2] Après les Eginètes viennent les
Mégaréens et les Epidauriens. Parmi les peuples
d'Arcadie on nomme les Tégéates et les
Orchoméniens, ensuite les Phliasiens, ceux de
Trézène et ceux d'Hermioné. Des confins
d'Argos il n'y a que les Tirynthiens de nommés, comme de
tous les peuples de la Boétie il n'y a que ceux de
Platée. Parmi les Argiens, ceux de Mycènes sont
aussi les seuls. Entre les insulaires on nomme ceux de Chio et
ceux de Milet. Les Ambraciotes étaient venus de la
Thesprotie d'Epire : on nomme aussi ceux de Ténos ; les
Lépréates sont les seuls de la Triphylie. Mais des
peuples qui habitent les environs de la mer Egée et les
Cyclades, ceux de Ténos ne sont pas les seuls ; car on
nomme encore ceux de Naxi et ceux de Cythnos. Il est même
fait mention des Styréens, peuples de l'Eubée.
Ensuite on vient aux Eléens, à ceux de
Potidée, aux Anactoriens ; ceux de Chalcis sur l'Euripe
sont les derniers.
[3] Du nombre des villes qui ont place dans cette inscription,
plusieurs sont aujourd'hui détruites : car les Argiens
rasèrent Mycènes et Tirynthe, incontinent
après que les Perses eurent été
chassés de Grèce. Les Ambraciotes et les
Anactoriens qui étaient des colonies de Corinthiens,
furent transférés à Nicopolis sur le
promontoire d'Actium par Auguste. Pour ceux de Potidée,
après avoir été chassés deux fois de
leur ville, la première par les Athéniens, la
seconde par Philippe fils d'Amyntas, ils furent rétablis
par Cassander ; mais la ville changea de nom et s'appella
Cassandrie du nom de son restaurateur. Cette statue fut donc
faite et posée dans le bois sacré de Jupiter
à Olympie, aux dépens et au nom de tous ces
peuples. C'est un ouvrage d'Anaxagore d'Egine, dont pourtant
ceux qui ont écrit l'histoire de Platée ne font
aucune mention.
[4] Devant la statue de Jupiter il y a une colonne de bronze,
sur laquelle est gravé un traité d'alliance entre
les Athéniens et les Lacédémoniens pour
l'espace de trente ans. Les Athéniens firent ce
traité après avoir conquis pour la seconde fois
toute l'Eubée, la troisième année de
l'olympiade où Crison d'Himéra remporta le prix du
stade. Le traité porte que la ville d'Argos n'est point
comprise dans les conditions, mais que cependant les
Athéniens et les Argiens auront la liberté de
faire alliance entre eux, s'ils le jugent à propos.
[5] Près du char de Cléosthène dont il
sera parlé dans la suite, on voit encore une statue de
Jupiter, qui a été donnée par les
Mégaréens, et faite par deux frères,
Thylacus et Onéthus, et par leurs enfants. Je n'ai pu
savoir en quel temps ils vivaient, ni de quel pays ils
étaient, ni sous quel maître ils avaient appris
leur art.
[6] Auprès du char de Gélon il y a un Jupiter
debout qui tient un sceptre. Cette statue est d'un goût
fort ancien : on dit que c'est un présent des
Hybléens. Pour moi, je connais deux villes d'Hybla en
Sicile, l'une surnommée Galéotis, l'autre la
Grande, parce qu'en effet c'était la plus grande. Toutes
deux conservent encore leur nom ; mais l'une bâtie aux
environs de Catane, est aujourd'hui entièrement
déserte, et l'autre qui n'en était pas loin, n'est
plus qu'un village, où néanmoins il s'est
conservé un temple célèbre dans la Sicile,
dédié à la déesse Hybléa : je
croirais que ce sont les habitants de cette dernière, qui
ont autrefois transporté à Olympie la statue dont
je parle ; et ce qui me le fait croire, c'est que Philiste fils
d'Archoménide nous représente ces peuples comme
versés dans l'interprétation des songes et des
prodiges, et comme beaucoup plus religieux que les autres
barbares de la Sicile.
[7] Après ce monument de la piété des
Hybléens, vous trouvez un prodigieux scabelon de bronze,
sur lequel est une statue colossale de Jupiter, haute, à
ce qu'il m'a paru, de dix-huit pieds. Une inscription en vers
élégiaques dit que les Clitoriens ayant pris
plusieurs villes, consacrèrent à Jupiter la
dixième partie de leurs dépouilles, en lui offrant
cette statue faite par Télétas et par Ariston qui
étaient frères. Je crois que ces deux statuaires,
Spartiates de nation, n'étaient pas fort
célèbres en Grèce ; car les Eléens
m'en auraient parlé, et encore plus les
Lacédémoniens qui ne se seraient pas tus sur le
mérite de leurs compatriotes.
XXIV. [1] On trouve ensuite un autel consacré à
Jupiter et à Neptune, l'un et l'autre surnommés
Plébéens ou amis du peuple. Près de cet
autel est un Jupiter de bronze sur un piédestal de
même matière ; c'est une offrande du peuple de
Corinthe, et un ouvrage de Musus : ce Musus ne m'est pas
autrement connu. Si du Sénat vous allez au grand temple,
vous verrez sur votre gauche un autre Jupiter qui tient un
foudre de sa main droite. Il a sur la tête une couronne
qui imite fort bien les fleurs : cette statue est d'Ascarus de
Thèbes élève d'un célèbre
Sicyonien.
[2] On dit que les Thessaliens firent ce présent
à Jupiter après la guerre qu'ils eurent contre les
Phocéens, et que ce fut une portion des dépouilles
remportées sur l'ennemi. Cette guerre arriva avant que
Xerxès vînt en Grèce ; ainsi ce n'est pas de
la guerre sacrée, comme on l'a nommée, que je
prétends parler. A quelques pas de là autre statue
de Jupiter, donnée par les Psophidiens après
l'heureux succès d'un combat, comme on l'apprend par
l'inscription.
[3] Près du grand temple à droite vous voyez un
Jupiter qui est tourné vers l'orient : il a douze pieds
de haut. Cette statue fut consacrée par les
Lacédémoniens, lorsque les Messéniens
qu'ils avaient domptés secouèrent le joug pour la
seconde fois : ces deux vers qui servent d'inscription en font
foi :
Puissant fils de Saturne accepte cet hommage,
Sois favorable à Sparte et soutien son courage.
[4] Nul Romain que je sache, ni patricien, ni
plébéien n'avait encore fait d'offrandes dans
aucun temple des Grecs avant Mummius. Ce fut Mummius qui le
premier, des dépouilles remportées sur les
Achéens, consacra une statue de bronze à Jupiter
dans Olympie. Cette statue est à gauche de celle des
Lacédémoniens tout contre la première
colonne du temple. Mais de toutes les statues de bronze qui sont
dans l'Altis, la plus grande est un colosse de Jupiter de
ving-sept pieds de hauteur, posé par les Eléens
après la guerre qu'ils eurent contre les Arcadiens.
[5] Près du temple de Pélops on voit une colonne
de hauteur médiocre. Sur cette colonne est une petite
statue de Jupiter avec une main avancée. Vis-à-vis
on a placé de suite plusieurs statues, parmi lesquelles
vous en voyez une de Jupiter et une de Ganymède.
Homère dit dans l'Iliade que Ganymède fut
enlevé par les dieux pour servir à boire à
Jupiter, et qu'en récompense Jupiter donna de fort beaux
chevaux à Tros père du jeune échanson.
C'est un Thessalien nommé Gnothis qui a
dédié ces deux statues, et c'est Aristocle fils et
disciple de Cleoetas qui les a faites.
[6] Là même est un Jupiter encore jeune et sans
barbe : il fait partie de plusieurs autres présents
attribués à Smicythus. Je dirai dans la suite qui
était ce Smicythus, et pourquoi il a fait tant de riches
offrandes à Jupiter.
[7] Sur le même chemin en avançant un peu, vous
trouvez encore un Jupiter sans barbe : c'est un don des
Elaïtes, peuples qui des bords du Caïque sont
descendus vers la mer, et ont occupé l'Eolie. Cette
statue est suivie d'une autre. L'inscription porte que ce sont
les Cnidiens habitants de la Chersonèse, qui en
érigeant ce monument ont voulu consacrer à Jupiter
une partie du butin qu'ils avaient fait sur leurs ennemis. Ils
ont mis auprès de Jupiter d'un côté
Pélops, de l'autre le fleuve Alphée. Cnide ville
de Carie est pour la plus grande partie dans le continent, et la
Chersonèse est une île jointe par un pont au
continent de la Carie.
[8] Je crois donc que ce sont les insulaires qui ont fait
présent de cette statue à Jupiter, comme ces
Ephésiens qui habitent Corèse en ont donné
une en leur propre et privé nom. Près des murs de
l'Altis vous verrez un Jupiter tourné vers l'occident. La
statue est sans inscription ; mais on croit que c'est Mummius
qui a fait encore ce présent après avoir
heureusement terminé la guerre d'Achaïe.
[9] Dans le sénat il y a un Jupiter Horcius qui a un air
terrible, et tout propre à donner de la crainte aux
perfides et aux méchants. Il tient un foudre de l'une et
de l'autre main. C'est en sa présence que tous les
athlètes, leurs pères, leurs frères et
leurs maîtres d'exercice jurent solemnellement qu'ils ne
commettront aucune fraude dans la poursuite du prix des jeux
olympiques. On immole un porc, on le met en pièces, et
c'est sur les membres de la victime que l'on fait prêter
ce serment. Les athlètes jurent aussi qu'ils ont
employé dix mois entiers à apprendre
l'espèce d'exercice et de combat pour lequel ils se
présentent.
[10] Ceux qui sont établi pour examiner les enfants qui
doivent combattre, et les jeunes poulains dont on veut se servir
dans ces jeux, jurent qu'ils ne se laisseront point corrompre,
que rien ne les empêchera de décider selon la
justice et la conscience, et qu'ils garderont le secret sur les
raisons qui leur auront fait approuver les uns et rejeter les
autres. Je ne songeai point à demander à mes
antiquaires ce que l'on faisait de la victime après ce
serment. Je sais seulement en général que c'est
une très ancienne coutume que de ne point manger d'une
victime sur laquelle on a fait un serment.
[11] Homère nous en fournit une preuve, lorsqu'il dit
que le héraut Talthybius jeta dans la mer ce porc sur
lequel Agamemnon jura qu'il n'avait jamais pris aucune
familiarité avec Briséis. C'était l'usage
de l'ancien temps. Sous les pieds de Jupiter Horcius est un
cadre de bronze où l'on a gravé des vers
élégiaques qui contiennent des imprécations
contre ceux qui se parjurent. Voilà un détail
très exact de toutes les statues de Jupiter qui se voient
dans l'Altis ; car pour celle qui est auprès du grand
temple, c'est un Corinthien qui l'a consacrée, non pas un
Corinthien de l'ancienne Corinthe, mais depuis que la ville a
été rétablie et repeuplée par
César ; et sous la forme de Jupiter, c'est Alexandre fils
de Philippe que l'on a voulu représenter.
XXV. [1] Il me faut aussi faire mention des statues qui ont
quelque rapport à Jupiter, non immédiatement par
leur ressemblance avec le Dieu, mais seulement par le motif de
religion qui les a fait ériger. Car je distingue
celles-là des statues dont la consécration se
rapporte uniquement à la gloire des hommes, et dont je
parlerai aussi en donnant la liste des célèbres
athlètes.
[2] Ces Messéniens qui habitent près du
détroit de Sicile ayant envoyé, suivant leur
coutume de temps immémorial, une troupe de trente-cinq
enfants, avec leur maître de musique et un joueur de
flûte, pour assister à une fête que ceux de
Rhegium célèbrent tous les ans avec beaucoup de
solemnité, il arriva que le vaisseau qui les portait
périt sans qu'il s'en pût sauver un seul. Ce bras
de mer est en effet très dangereux.
[3] Les vents qui soufflent de la mer Adriatique d'un
côté, et de la mer Tyrrhénienne de l'autre,
soulevant les flots du détroit y excitent de furieuses
tempêtes. Et lors même que les vents sont
tombés ce bras de mer reste si agité, d'ailleurs
il est si plein de monstres marins que les passagers qui y font
naufrage perdent toute espérance de salut. Si Ulysse fit
naufrage dans ce détroit, il ne se sauva et n'aborda en
Italie que par le secours des dieux, dont la protection peut
aisément nous tirer des plus grands dangers.
[4] Les Messéniens pleurèrent la mort de ces
enfants, et entre autres honneurs qu'ils rendirent à leur
mémoire, ils érigèrent une statue de bronze
à chacun d'eux dans le bois sacré de Jupiter
à Olympie, sans oublier ni le maître de musique, ni
le joueur de flûte. Une vieille inscription porte que
c'est un monument des Messéniens qui habitent près
du détroit. Dans la suite des temps Hippias qui
était en grande réputation de sagesse parmi les
Grecs, fit une autre inscription en vers
élégiaques. Ces statues sont de Callon
Eléen.
[5] En Sicile vers le promontoire Pachynum qui est au midi et
qui regarde la Libye, il y a une ville nommée Motye, qui
est peuplée de Phéniciens et de Libyens. Les
Agrigentins ayant fait la guerre à ces barbares et pris
leur ville, employèrent une partie des dépouilles
à représenter en bronze de jeunes enfants qui
tendent les bras comme pour implorer le secours du ciel, puis
ils consacrèrent ces statues à Jupiter Olympien :
elles sont le long des murs du bois sacré ; je les crois
de Calamis, et elles passent pour telles.
[6] Quant à la Sicile, elle est peuplée de
plusieurs nations, grecques et barbares. Les nations barbares
sont les Sicaniens et les Sicules qui y sont descendus d'Italie
; les Phrygiens qui y sont venus des rives du Scamandre et de la
Troade ; les Phéniciens et les Libyens qui ont aussi
passé dans cette île, lorsque les Carthaginois y
envoyèrent une colonie. Les Grecs sont des Doriens, des
Ioniens avec quelque mélange de Phocéens et
d'Athéniens.
[7] Ce monument des Agrigentins est placé auprès
des murs de l'Altis avec deux statues d'Hercule, jeune et tout
nu : l'une le représente tuant à coups de
flèches le lion de la forêt de Némée.
L'Hercule et le lion sont de Nicodamus, et c'est Hippotion de
Tarente qui en a fait présent ; l'autre a
été donnée par Anaxippe de Mende. Les
Eléens l'ont transportée en ce lieu ; car
autrefois elle était au bout du chemin qui mène
d'Elis à Olympie, et que l'on nomme la voie
sacrée.
[8] Tous les peuples d'Achaïe à frais communs ont
consacré à Jupiter autant de statues qu'il y eut
de Grecs qui tirèrent au sort pour voir à qui
combattrait contre Hector, qui leur avait fait un défi.
Ces illustres Grecs sont rangés sur un même
piédestal près du grand temple : ils sont
armés de piques et de boucliers. Vis-à-vis est
Nestor sur un piédestal à part, qui jette leurs
noms dans un casque ; car ils furent neuf qui tirèrent au
sort, mais il ne pariait que huit statues, parce que
Néron, à ce que l'on prétend, transporta
celle d'Ulysse à Rome.
[9] Agamemnon est le seul dont le nom soit marqué, et
son nom est écrit contre l'ordre naturel, de la droite
à la gauche. Celui sur le bouclier de qui l'on voit un
coq pour symbole, c'est Idoménée petit-fils de
Minos, et qui par sa mère Pasiphaé descendait du
soleil ; car le coq est regardé comme un oiseau
consacré au soleil, parce qu'il annonce le lever de cet
astre.
[10] Deux vers élégiaques gravés sur le
bronze disent que ce sont les Achéens, peuples descendus
du divin Pélops fils de Tantale, qui ont fait
présent de ces belles statues à Jupiter ; et deux
autres nous apprennent que c'est le célèbre Ondtas
d'Egine fils de Mycon qui les a faites.
[11] Près de ce monument des Achéens on voit un
Hercule qui combat pour un bouclier contre une Amazone
représentée à cheval. Evagoras de Zancle a
donné cet Hercule, et c'est un ouvrage d'Aristocle
Cydoniate : cet Aristocle est au nombre des plus anciens
statuaires ; on ne peut pas même dire en quel
siècle il florissait. On sait seulement que cette statue
a été posée avant que Zancle eut le nom de
Messène, comme elle l'a aujourd'hui.
[12] Ceux de Thase ont aussi fait don d'un Hercule de bronze
avec son piédestal. Ces peuples sont originairement
Phéniciens ; car sortis de Tyr et des autres endroits de
la Phénicie, ils s'embarquèrent avec Thasus fils
d'Agénor pour aller chercher Europe. L'Hercule qu'ils ont
dédié à Jupiter Olympien, est haut de dix
coudées : il tient de la main droite une massue, et de la
gauche un arc. J'ai ouï dire à Thase que du
commencement l'Hercule qu'ils honoraient était l'Hercule
de Tyr ; mais que dans la suite ayant eu commerce avec les
Grecs, ils avaient aussi honoré leur Hercule fils
d'Amphytrion.
[13] Quoi qu'il en soit, deux vers élégiaques qui
servent d'inscription à la statue, ne laissent pas douter
que ce ne soit un ouvrage d'Onâtas fils de Micon et natif
d'Egine : c'était un excellent statuaire, que je ne crois
inférieur à aucun de ceux qui ont paru depuis
Dédale, ou qui sont sortis de l'école
d'Athènes.
XXVI. [1] Vous verrez encore une statue de la Victoire
posée sur une colonne ; elle est de la façon de
Péonius de Mende : c'est un monument de ces
Messéniens descendus des Doriens, qui reçurent
Naupacte de la libéralité d'Athènes. Je le
crois fait des dépouilles remportées sur les
Acarnaniens et les Oeniades : mais si l'on s'en rapporte aux
Messéniens, c'est le tribut qu'ils payèrent
à Jupiter après la victoire par eux
remportée dans l'île Sphactérie ; et la
preuve qu'ils en donnent, c'est que s'il s'était agi des
Acarnaniens et des Oeniades, ils n'auraient pas
hésité à marquer le nom de ces peuples,
sans craindre de les offenser, au lieu que s'agissant d'ennemis
tels que les Lacédémoniens ils ont voulu les
ménager, et ont mieux aimé ne point mettre
d'inscription à la statue.
[2] En parcourant le bois sacré, j'y ai trouvé
des présents de Smicythus épars de tous
côtés : mais après la statue d'Iphitus et
celle d'Ecéchiria qui de sa main couronne ce
héros, vous voyez de suite plusieurs statues
données par ce même Smicythus, une Amphitrite, un
Neptune, une Vesta, tous ouvrages de Glaucus d'Argos ; et sur la
gauche du grand temple une Proserpine, une Vénus, un
Ganymède, une Diane, Homère et Hésiode
l'élite des poètes, ensuite un Esculape et une
Hygeia.
[3] Enfin le dieu Agon que vous reconnaissez à deux
contrepoids d'athlètes qu'il porte en ses mains. Ces
contrepoids sont faits en manière de demi-cercle, non
parfaitement rond, mais un peu ovale, et au défaut du
cercle il y a un endroit par où l'on passe les doigts
comme entre les courroies d'un bouclier. Après le dieu
Agon est un Bacchus, un Orphée, et ce Jupiter dont j'ai
déjà parlé. Toutes ces statues sont de
Denys d'Argos. On prétend que Smicythus en avait
donné plusieurs autres, que Néron a
enlevées.
[4] On ne dit point de quelle école étaient ces
deux statuaires d'Argos, Dionysius et Glaucus : pour le temps
où ils ont vécu, on en peut juger par le temps du
pieux et riche personnage qui les a employés : car
Hérodote nous apprend que Smicythus fut
premièrement domestique d'Anaxilas tyran de Rhegium,
qu'ensuite il devint son intendant, et qu'après la mort
de son maître il se retira à
Tégée.
[5] On voit par plusieurs inscriptions qu'il était fils
de Choerus, qu'il naquit à Rhegium, et que Messine sur le
détroit fut lieu de son domicile : par d'autres on voit
qu'il demeurait à Tégée. La plupart de ses
riches présents n'étaient que l'accomplissement
d'un voeu qu'il avait fait à Jupiter pour obtenir la
guérison de son fils, malade de phthisie. Les dons qu'il
a faits sont de deux espèces, les uns plus
considérables de la façon de Glaucus d'Argos, les
autres moins, de la main de Denys.
[6] Auprès des premiers on a placé une Minerve
qui a son casque et son égide. Cette statue est une
offrande des Eléens, et c'est Nicodamus de Ménale
qui l'a faite. A côté de Minerve est une Victoire
donnée par ceux de Mantinée, après une
guerre dont le succès fut heureux : l'inscription ne dit
point quelle guerre c'était. Cette Victoire passe pour
être de Calamis, qui ne lui a point donné d'ailes,
ayant pris pour modèle celle qui est à
Athènes et qui n'est point allée.
[7] Auprès des seconds on voit une partie des travaux
d'Hercule, son combat contre le lion Néméen et
contre l'hydre, son entreprise sur le cerbère, et sa
victoire sur le sanglier qui infestoit les bords du fleuve
Erymanthe. Toutes ces statues d'Hercule furent données
par les Héracléotes, après qu'ils eurent
ravagé le pays des Mariandyniens, qui étaient des
barbares limitrophes. Héraclée est une ville sur
le Pont-Euxin, bâtie par une peuplade de
Mégaréens et de Tanagréens, qui vint
s'établir là.
XXVII. [1] Vis-à-vis de ces dernières statues
vous en voyez un grand nombre d'autres qui se suivent ; elles
sont au midi et tout contre le temple de Pélops. Les plus
dignes de curiosité sont celles qui ont été
consacrées par Phormis. C'était un
Ménalien, qui ayant passé en Sicile, s'attacha
à Gélon fils de Dinomène, puis à
Hiéron frère de Gélon : il acquit beaucoup
de gloire à la guerre sous ces deux princes ; et parvenu
à une grande fortune, il fit de riches présents
non seulement à Jupiter Olympien, mais aussi à
Apollon de Delphes.
[2] On voit entre autres à Olympie deux beaux chevaux de
bronze ; ils ont chacun un palefrenier qui les tient par la
bride. Denys d'Argos a fondu l'un, et Simon d'Egine a fondu
l'autre. Sur le flanc du premier on a gravé une
inscription qui porte que c'est Phormis Arcadien, natif de
Ménale et présentement Syracusain qui a offert ces
chevaux à Jupiter.
[3] Les Eléens sont persuadés que l'on a
versé dans un de ces chevaux ce dangereux philtre qu'on
appelle hippomane, et tout autre peut croire que quelque
magicien, par un effet de son art, a donné à cette
statue la vertu surprenante qu'elle a d'attirer les chevaux. Car
quoique ce ne soit pas le plus beau cheval de bronze qu'il y ait
dans l'Altis, et que même il ait la queue coupée,
ce qui le rend un peu difforme, cependant les chevaux entiers
non seulement au printemps, mais durant toute l'année,
sont si épris de cette statue,
[4] que rompant leurs licous, ils s'échappent de
l'écurie, courent tout le bois sacré, et viennent
pour monter sur ce cheval, comme si c'était une belle
cavale qui eût vie. Il est vrai que leurs pieds glissent
sur le bronze ; mais ils ne se rebutent pas pour cela, au
contraire ils redoublent leurs efforts, ils écument, ils
hennissent ; et pour les faire cesser, il faut les
éloigner à grands coups de fouet et de
fourches.
[5] J'ai vu en Lydie une autre merveille, à la
vérité d'espèce différente, mais
où je crois que la magie a part aussi. Ces Lydiens que
l'on surnomme Persiques ont deux villes,
Hiérocésarée et Hypépas, dont
chacune a un temple, dans chaque temple est une chapelle avec un
autel, et sur cet autel il y a toujours de la cendre qui pour la
couleur ne ressemble à nulle autre.
[6] Le Mage qui a soin de la chapelle, met du bois sec sur
l'autel ; il prend sa tiare, il invoque je ne sais quel Dieu,
par des oraisons tirées d'un livre écrit en langue
barbare, et inconnue aux Grecs ; ensuite le bois s'allume de
lui-même sans feu, et la flamme en est très claire
; c'est ce que j'ai vu de mes propres yeux.
[7] Parmi les offrandes de Phormis on voit sa propre statue. Il
est représenté combattant l'ennemi, et se battant
seul contre trois. L'inscription porte que ce brave soldat est
Phormis de Ménale, et que c'est Lycortas de Syracuse qui
a consacré cette statue. Sans doute que ce Lycortas
était un ami de Phormis ; mais les Grecs confondant les
présents de l'un avec les présents de l'autre les
attribuent tous indistinctement à Phormis.
[8] Quant au Mercure qui porte un bélier sous son bras,
la tête dans un casque, et vêtu d'une tunique et
d'un manteau, il n'est pas au nombre des statues données
par Phormis : ce sont les Phénéates peuples
d'Arcadie qui l'ont consacré à Jupiter, et
l'inscription dit que c'est un ouvrage d'Onatas et de Callitele.
Ce Callitele, autant que j'en puis juger, était ou fils
ou éleve d'Onatas. Après ce Mercure vous en voyez
un autre qui tient un caducée : suivant l'inscription
c'est Glaucia de Rhegium qui l'a donné, et Callon
Eléen qui l'a fait.
[9] On voit aussi deux vaches de bronze consacrées,
l'une par ceux de Corcyre, l'autre par ceux d'Erétrie, et
toutes deux de la façon de Philésius
d'Erétrie. Dans mes mémoires sur la Phocide je ne
manquerai pas de dire pourquoi les Corcyréens ayant fait
faire deux vaches de bronze, donnèrent l'une à
Jupiter Olympien, et l'autre à Apollon de Delphes :
cependant voici une particularité que j'ai ouï
raconter de celle qui est à Olympie.
[10] Un enfant qui s'était couché sous le ventre
de cette statue, après s'être amusé quelque
temps à jouer, voulut se lever, et en se levant il se
heurta si rudement la tête contre le bronze, qu'au bout de
quelques jours il en mourut. Les Eléens voulant punir la
statue comme coupable de meurtre, furent sur le point de la
mettre hors du bois sacré ; mais l'oracle de Delphes les
en empêcha, en les avertissant qu'ils devaient se
contenter des purifications que les Grecs ont accoutumé
de pratiquer pour expier un meurtre involontaire.
[11] Vers le milieu de l'enceinte du bois sacré vous
trouvez un trophée sous des platanes. Une inscription
gravée sur un bouclier, porte que ce trophée a
été érigé par les Eléens
vainqueurs des Lacédémoniens. Je ne doute point
que ce ne soit après le combat dont j'ai parlé, et
où fut blessé cet Eléen dont on trouva le
corps en réparant la voûte du temple de
Junon.
[12] Près de là est une statue
dédiée par ceux de Mende en Thrace. Je la pris
d'abord pour une statue d'athlète, parce qu'elle est
auprès de celle d'Anauchidas Eléen, qui tient deux
contrepoids d'athlète dans ses mains ; mais par une
inscription gravée sur la cuisse du Thrace, on apprend
que ceux de Mende s'étant rendus maîtres de
Siptée en consacrèrent les dépouilles
à Jupiter. Siptée était apparemment quelque
ville ou quelque forteresse de Thrace. Pour ceux de Mende, ils
sont originairement Grecs et même Ioniens, et ils habitent
cette côte maritime de la Thrace où est la ville de
Sané.
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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition
de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage
complété.