[Pise - Elis]
Tardieu, 1821
XXI. [4] A quarante stades du mont Saurus on trouve le temple
d'Esculape Déménète, ainsi appellé
du nom de son fondateur ; ce temple bâti sur une hauteur
près de l'Alphée ne présente plus
aujourd'hui que des ruines.
[5] Un peu plus loin vous avez le temple de Bacchus Leucyanite
; la rivière Leucyanias passe auprès, elle descend
du mont Pholoé, et se décharge aussi dans
l'Alphée. Dès que vous avez passé ce
fleuve, vous êtes sur les terres des Piséens.
[6] La première chose qui s'offre à vous c'est le
sommet d'une haute montagne, où vous voyez les ruines de
la ville de Phrixa, et d'un temple de Minerve surnommée
Cydonia, dont il ne reste plus qu'un autel. On dit que ce temple
avait été bâti par Clymenus l'un des
descendants d'Hercule Idéen, qui était venu de
Cydonia ville de Crète sur les rives du Jardan. Les
Eléens disent aussi que Pélops avant que de
combattre contre Oenomaüs, fit un sacrifice à
Minerve Cydonia.
[7] Pour peu que vous avanciez, vous trouverez bientôt le
fleuve Parthénias, et sur sa rive la sépulture des
cavales de Marmax. On prétend que ce Marmax fut le
premier qui rechercha Hippodamie en mariage, et le premier qui
fut tué par Oenomaüs. Ces cavales furent
égorgées sur son tombeau et enterrées
auprès de lui par ordre de ce prince ; l'une s'appelait
Eripha, l'autre Parthénias, d'où le fleuve a pris
son nom.
[8] L'Harpinnas est un autre fleuve près duquel vous
voyez les ruines de la ville Harpinne, et entre autres quelques
autels qui sont restés ; cette ville avait
été bâtie par Oenomaüs, qui du nom de
sa mère la nomma Harpinne.
[9] A quelques pas de là vous trouvez un tertre fort
élevé ; c'est la sépulture des malheureux
amants d'Hippodamie ; car Oenomaüs pour tout honneur se
contentait de les faire enterrer les uns auprès des
autres sur quelque éminence. Mais Pélops ensuite
les honora d'un magnifique tombeau, ce qu'il fit, dit-on, autant
pour la gloire d'Hippodamie que pour la leur. Peut-être
aussi ne fut-il pas fâché de laisser un monument de
la victoire qu'il avait remportée sur un prince qui
était fameux lui-même par tant de victoires.
[10] En effet si l'on en croit l'auteur du catalogue des femmes
illustres, après Marmax le premier que Oenomaüs
vainquit et à qui il en coûta la vie, ce fut
Alcathoüs fils de Parthaon. Euryalus, Eurymaque, et
Crotalus eurent ensuite le même sort. Je n'ai pu savoir de
quel pays ni de quelle famille étaient ces trois
combattants. Pour Acrias qui les suivit de près on peut
croire qu'il était Lacédémonien et qu'il
avait fondé la ville d'Acria. Oenomaüs triompha
ensuite de Capetus, de Lycurgue, de Lasius, de Chalcodon, et de
Tricolonus ; ces cinq périrent comme les autres. Les
Arcadiens disent que le dernier était petit-fils de ce
Tricolonus qui eut pour père Lycaon.
[11] Après lui Aristomaque, Prias, Pélagon,
Eolius et Cronius eurent la même destinée ; vaincus
à la course ils furent immolés à la
cruauté du vainqueur. Quelques-uns ajoutent Erythrus fils
de Leucon et petit-fils d'Athamas, lequel Erythrus donna son nom
à la ville d'Erythres en Béotie ; enfin à
cette liste on ajoute encore Eionée fils de Magnés
et petit-fils d'Eole. Tous ces héros ont une
sépulture commune, et l'on dit que Pélops tant
qu'il régna à Pise, allait chaque année les
honorer sur leur tombeau.
XXII. [1] Un stade plus loin vous trouvez quelques vestiges
d'un temple de Diane Cordace, surnom qui vient de ce que
les compagnons de Pélops en célébrant des
jeux à l'honneur de Diane et en action de grâces de
la victoire remportée par Pélops, dansaient
à la mode de leur pays une danse de ce nom, qui est en
usage parmi les habitants du mont Sipyle. Non loin de ce temple
est une petite chapelle où l'on conserve les os de
Pélops dans un coffre de bronze. Mais à l'endroit
où était Pise il ne reste plus ni murs ni
édifices ; tout ce lieu est à présent un
vignoble.
[2] On dit que Pise avait eu pour fondateur Pisus fils de
Périérès et petit-fils d'Eole. Les
habitants furent eux-mêmes cause de leur ruine ; ils
irritèrent les Eléens en voulant
célébrer les jeux olympiques de leur propre
autorité. Les Eléens jaloux de leurs
privilèges appellèrent à leur secours
Phidon d'Argos qui par sa tyrannie s'était rendu odieux
à tous les Grecs, et soutenus par un si puissant
allié ils donnèrent ces jeux en la huitième
olympiade. Les Piséens et Pantaléon leur roi fils
d'Omphalion, ayant rassemblé toutes leurs forces,
donnèrent à leur tour ce spectacle en la
trente-quatrième.
[3] Ces olympiades sont regardées par les Eléens
comme de fausses olympiades, et il n'en est point fait mention
dans leurs fastes, non plus que de la cent quatrième, en
laquelle les Arcadiens voulurent présider aux jeux. En la
quarante-huitième Damophon fils de Pantaléon se
rendit suspect aux Eléens, parce qu'après avoir
marché avec eux contre Pise, à force de
prières et d'instances il les obligea à revenir
sans avoir rien exécuté de
considérable.
[4] Sous le règne de Pyrrhus second fils de
Pantaléon et frère de Damophon, ceux de Pise
déclarèrent la guerre aux Eléens. En
même temps les Macistiens et les Scilluntiens peuples de
la Triphylie se soulevèrent contre les Eléens, et
ceux de Disponte qui étaient encore plus voisins
suivirent leur exemple. Ceux-ci avaient toujours eu une
secrète inclination pour Pise, à cause de
Dispontée fils d'Oenomaüs qu'ils reconnaissaient
pour leur fondateur. Mais le succès de cette guerre fut
que les Piséens et leurs alliés se virent
chassés de leurs villes, d'où s'ensuivit leur
ruine totale.
[5] Si d'Olympie vous allez à Elis par les montagnes,
vous verrez devant vous les ruines de Pylos en Elide. Elis en
est éloignée de quatre-vingt stades. Pylos avait
été bâtie comme j'ai dit par Pylas de
Mégare fils de Cléson ; cette ville
détruite par Hercule et rebâtie ensuite par les
Eléens est depuis longtemps déserte. La
rivière de Ladon passe au milieu et va se jeter dans le
Pénée.
[6] Les Eléens sont persuadés que c'est de leur
ville de Pylos qu'Homère a voulu parler, lorsqu'il a dit
que Dioclès tirait son origine du fleuve Alphée,
qui arrose les terres des Pyliens, et je le crois aussi ; car
l'Alphée arrose en effet ce canton, et il n'y a point
d'autre Pylos à qui l'on puisse appliquer ce
témoignage d'Homère. L'Alphée ne passe
point par le pays de ces Pyliens qui sont au-dessus de
l'île Sphactérie, et dans toute l'Arcadie il n'y
eut jamais aucune ville du nom de Pylos.
[7] A quelque cinquante-stades d'Olympie les Eléens ont
le village d'Héraclée près duquel passe le
fleuve Cythérus. Près de là il y a une
fontaine qui va tomber dans ce fleuve, et sur le bord de la
fontaine un temple consacré à des nymphes qui ont
chacune leur nom particulier, car on les nomme Calliphaé,
Synallaxis, Pégée, et Iasis ; ce qui
n'empêche pas que d'un nom général on ne les
appelle aussi les nymphes Ionides. Les bains de cette
fontaine sont fort bons pour les lassitudes et pour toute sorte
de rhumatismes. Quant aux nymphes, on croit que le nom d'Ionides
leur a été donné à cause d'Ion fils
de Gargettus, qui quitta Athènes pour venir
s'établir là.
[8] Que si vous aimez mieux aller à Elis par la plaine,
quand vous aurez fait six-vingt stades vous arriverez à
Létrins ; de Létrins à Elis il y a environ
cent quatre-vingt stades. Létrins était autrefois
une petite ville, bâtie par Létréüs
fils de Pélops. Aujourd'hui il n'en reste que quelques
maisons et un temple de Diane Alphéa avec une statue de
la déesse.
[9] Quant au surnom d'Alphéa, voici la raison que l'on
en donne. Alphée, dit-on, devint amoureux de Diane, et
voyant que ni par prières, ni par aucun autre moyen il ne
pouvait l'engager à l'épouser, il résolut
de l'enlever. Diane qui se douta de son dessein l'attira
à Létrins, où pour faire sa cour à
la déesse, il avait accoutumé d'assister à
des divertissements qu'elle donnait les soirs aux nymphes de sa
compagnie. Mais pour rompre les mesures de son amant on dit
qu'elle s'avisa de se barbouiller le visage avec de la boue, et
qu'elle en fit autant à toutes ses compagnes ; de sorte
que Alphée étant entré dans la chambre
où elles étaient, et ne pouvant distinguer la
déesse, il s'en retourna sans rien entreprendre.
[10] Depuis cette aventure Diane fut surnommée
Alphéa par ceux de Létrins. Cependant les
Eléens qui ont toujours été en liaison avec
ces peuples disent avoir reçu d'eux le culte de Diane
Elaphiéa, et s'il faut les en croire, on disait
anciennement Alphiéa ; mais ce mot s'étant
corrompu avec le temps, on a dit depuis Elaphiéa.
[11] Pour moi je crois que les Eléens ont donné
à Diane le surnom d'Elaphiéa à cause de la
chasse du cerf, à quoi elle se plaît
particulièrement. Je sais pourtant qu'une de leurs
traditions est que cette déesse a eu pour nourrice une
femme de leur pays, qui se nommait Elaphion. A six stades de
Létrins on trouve un grand lac d'eau vive qui a bien
trois stades de diamètre.
XXIII. [1] A Elis ce qui mérite le plus votre
curiosité, c'est un ancien lieu d'exercice où les
athlètes avant que de paraître aux jeux olympiques
s'exercent, et observent durant un certain temps tout ce qui est
prescrit par les lois et par la coutume. En dedans tout le long
de la lice il y a des platanes fort hauts qui donnent de
l'ombre. Toute cette enceinte se nomme le Xyste, parce
qu'Hercule fils d'Amphytrion pour s'endurcir au travail
nettoyait tous les jours ce lieu, et en arrachait les ronces et
les épines.
[2] Cette grande enceinte est partagée en plusieurs
pièces, dont l'une est destinée à
l'exercice de la course ; on la nomme le lieu sacré. Dans
une autre on s'exerce à la course et au pentathle. Il y
en a une troisième appelée l'arpent, parce qu'elle
contient un arpent de terre ; c'est là que les directeurs
des jeux mettent eux-mêmes aux mains les athlètes
qui se présentent suivant leur âge et les
différents exercices auxquels ils sont propres.
[3] Dans ce lieu d'exercice vous voyez plusieurs autels
consacrés à quelques divinités, l'un
à Hercule Idéen surnommé le Dieu de bon
secours, l'autre à l'Amour, un autre à cette
divinité que les Eléens aussi bien que les
Athéniens nomment Anthéros, un autre à
Cérès, un autre enfin à Proserpine. On a
érigé à Achille non un autel, mais un
cénotaphe en conséquence d'un certain oracle ; et
dans le temps de la célébration des jeux à
jour marqué et à l'heure que le soleil se couche
les femmes du pays viennent honorer Achille sur ce tombeau,
où l'une de leurs pratiques est de se frapper la poitrine
en pleurant ce héros.
[4] Près de la grande enceinte il y en a une plus petite
qui est contiguë, et qui à cause de sa figure
carrée se nomme le Tétragone. C'est là que
les jeunes athlètes s'exercent au pugilat,
particulièrement ceux qui n'en pouvant pas encore
soutenir tout le poids, ont permission de se servir de gantelets
plus minces et plus délicats. On voit en ce lieu une de
ces deux statues que l'on consacra à Jupiter de l'amende
à laquelle furent mis Sosander de Smyrne, et Polyctor
d'Elis.
[5] Enfin il y a une troisième enceinte, qui parce que
le terrain en est plus doux et plus mol, s'appelle
Maltho. Ce lieu est ouvert aux enfants pendant tout le temps
que durent les jeux à Olympie. Dans un des coins on voit
un buste d'Hercule, et le modèle d'une de ces
écharpes dont les athlètes couvrent leur
nudité. Sur ce modèle sont
représentées les deux divinités Eros et
Anthéros ; le premier tient une branche de palmier, et le
second veut la lui arracher.
[6] Des deux côtés par où l'on entre dans
cette dernière enceinte on voit la figure d'un jeune
athlète qui a été vainqueur au pugilat. Un
de ces magistrats qui ont le titre de conservateurs des lois me
dit que ce jeune athlète était Sérapion
d'Alexandrie au-dessus du Phare, et qu'on lui avoir fait cet
honneur, parce que dans une année de
stérilité en venant aux jeux olympiques il avait
amené avec lui une grande quantité de blé.
Le service qu'il rendit aux Eléens en cette occasion, et
la couronne qu'il mérita à Olympie tombent en la
deux cent dix-septième olympiade.
[7] Dans le même gymnase ou lieu d'exercice, les
Eléens ont leur sénat, où leurs savants
viennent donner des preuves de leur capacité soit par des
discours faits sur le champ, soit par tout autre genre de
littérature ; ce lieu d'assemblée est
appellé Lolichmium, du nom de celui qui l'a
consacré à cet usage ; il est orné de
boucliers qui ne sont là que pour servir de parade. Du
gymnase on peut aller aux bains publics par la rue du silence,
et en laissant le temple de Diane Philoméirax à
côté ; cette Déesse est ainsi nommée
à cause de cette école de la jeunesse qui est dans
le voisinage de son temple.
[8] Pour la rue du silence, voici d'où l'on dit qu'elle
a tiré sa dénomination. Des espions qu'Oxylus
envoyait à Elis, après s'être
exhortés mutuellement à bien exécuter leurs
ordres, approchant des murs résolurent de garder le
silence et d'écouter seulement ; ils se glissèrent
dans la ville, observèrent tout ce qu'ils voulurent sans
dire mot, et s'en retournèrent au camp des Etoliens.
Depuis cette aventure la rue par laquelle ils étaient
entrés fut nommée la rue du silence.
XXIV. [1] Le gymnase a une autre issue qui conduit à la
place publique, et à un endroit où les directeurs
des jeux tiennent conseil. Cet endroit est au-dessus du tombeau
d'Achille ; c'est par là que les directeurs viennent au
gymnase ; ils s'y rendent tous les jours avant le lever du
soleil pour voir les jeunes gens s'exercer à la course,
et sur le midi ils assistent au pentathle et aux autres
exercices plus violents.
[2] La place publique n'est point faite comme celle des villes
d'Ionie, ni même des villes voisines ; elle est
bâtie à l'ancienne mode. Les portiques en sont
distants les uns des autres et séparés par des
rues de traverse. Les Eléens appellent cette place
l'hippodrome, parce qu'en effet ils y dressent leurs chevaux. Le
portique le plus exposé au midi est d'une architecture
dorique. Trois rangs de colonnes le partagent en trois, les
directeurs des jeux y passent une bonne partie du jour.
[3] On élève à Jupiter des autels qui sont
adossés contre ces colonnes, de manière qu'ils
sont à découvert, et qu'ils donnent dans la place.
On les fait et on les défait en très peu de temps
selon le besoin. En allant dans la place tout le long de ce
portique, on trouve au bout sur la gauche le logis des
directeurs, lequel n'est séparé de la place que
par une rue. Ils l'habitent dix mois de suite, et pendant ce
temps-là ils sont instruits par les conservateurs des
lois de tout ce qui concerne les jeux olympiques.
[4] Entre le premier portique où les directeurs se
tiennent durant le jour, et un autre que les Eléens
nomment le portique des Corcyréens, il n'y a que la rue
entre deux. Celui-ci est ainsi appelé, parce que les
Corcyréens ayant fait une descente en Elide et
enlevé beaucoup de butin, les Eléens
ravagèrent leurs terres à leur tour, et
remportèrent des dépouilles beaucoup plus
considérables, dont la dixième partie fut
employée à bâtir ce portique.
[5] C'est un édifice de l'ordre dorique, avec deux rangs
de colonnes, dont l'un regarde la place, et l'autre regarde un
quartier plus éloigné. Le plafond de
l'édifice porte non sur des colonnes, mais sur deux murs
qui sont ornés de statues. Du côté de la
place vous voyez la statue de Pyrrhon fils de Pistocrate, ce
fameux sophiste qui doutait de tout et n'affirmait jamais rien.
Son tombeau est près d'E1is dans un lieu dit la
Roche, et qui paraît avoir été autrefois
une bourgade.
[6] Dans la place il y a plusieurs choses dignes d'être
vues, entre autres le temple et la statue d'Apollon
Acésius, surnom qui répond à celui de
préservateur que les Athéniens donnent à la
même divinité : vous voyez d'un autre
côté deux belles statues de marbre, l'une du
Soleil, l'autre de la Lune ; il sort des cornes de la tête
de la Lune, et des rayons de celle du Soleil. Les Grâces y
ont aussi leur temple et sont représentées en bois
avec des habits dorés ; elles ont le visage, les mains et
les pieds de marbre blanc ; l'une tient une rose, la seconde un
dé, et la troisième un bouquet de myrte.
[7] Il n'est pas malaisé de voir la raison de ses
symboles ; car on sait que le myrte et la rose sont
consacrés à Vénus, et qu'à cause de
sa beauté les Grâces se plaisent plus en sa
compagnie qu'avec toute autre déesse. Pour le dé,
il signifie le badinage et les jeux, qui ne seyent pas mal
à la jeunesse. L'Amour est sur le même
piédestal à la droite des Grâces.
[8] Là vous verrez encore un temple du Silène,
mais un temple qui lui est propre et particulier sans que
Bacchus en partage l'honneur. Methé lui verse du vin dans
une coupe. Les Silènes sont de race mortelle, on en peut
juger par leurs sépultures ; car dans le pays des
Hébreux on voit le tombeau d'un Silène, et il y en
a un autre à Pergame.
[9] Les Eléens ont dans leur place publique un autre
temple d'une espèce singulière ; ce temple est
d'une hauteur médiocre et n'a point de murs, il est
soutenu par des piliers de bois de chêne. On croit
à Elis que c'est la sépulture de quelque grand
personnage, mais on ne sait pas de qui ; s'il en faut croire un
vieillard que je questionnai, c'est le tombeau d'Oxylus.
[10] Les seize matrones qui sont chargées de faire le
voile de Junon, ont aussi leur logis dans la place. Près
de cette place est un vieux temple. C'est un péristyle
dont le toit est tombé et où il ne reste plus
aucune statue ; il était consacré aux Empereurs
romains.
XXV. [1] Derrière le portique qui a été
bâti des dépouilles des Corcyréens vous
trouverez un temple de Vénus, et auprès un morceau
de terre qui en dépend ; cette Vénus a le nom de
Céleste, elle est d'or et d'ivoire, et c'est un ouvrage
de Phidias ; la Déesse a un pied sur une tortue. Le
morceau de terre qui est de la dépendance du temple est
entouré d'un petit mur. Au-dedans il y a une balustrade
sur laquelle on a posé une statue de la Vénus
Vulgaire ; cette statue est de bronze et assise sur un bouc de
même métal ; l'ouvrage est de Scopas.
[2] On voit encore à Elis un temple et une enceinte
dédiés à Pluton. L'un et l'autre ne
s'ouvrent qu'une fois l'an, et même alors il n'est permis
qu'au seul sacrificateur d'y entrer. De tous les peuples connus
les seuls qui honorent le dieu des enfers d'un culte si
particulier. Voici la raison de ce culte ; Hercule à la
tête d'une armée vint assiéger Pylos en
Elide ; dans cette expédition Minerve le
protégeait. Pluton à qui les Pyliens avaient
toujours rendu de grands honneurs prit leur défense et
par amour pour eux et par haine contre Hercule.
[3] Les Eléens pour preuve de cet
événement allèguent des vers
d'Homère où il dit qu'au siège de Pylos
Hercule atteignit le dieu des enfers d'un coup de flèche
qui lui fit souffrir de grandes douleurs. Que si dans la guerre
d'Agamemnon et de Ménélas contre les Troyens,
Neptune, comme le dit Homère, vint au secours des Grecs,
suivant les idées du même poète il n'est pas
hors de la vraisemblance que Pluton ait aussi défendu les
Pyliens. Ce Dieu a donc un temple chez les Eléens comme
leur protecteur, et comme l'ennemi d'Hercule ; et son temple ne
s'ouvre qu'une fois l'année, pour marquer, je crois, que
l'on ne descend qu'une fois dans les lieux souterrains où
il tient son empire.
[4] Vous verrez encore à Elis un temple de la Fortune ;
dans le vestibule il y a une statue de la Déesse d'une
grandeur étonnante ; c'est une statue de bois, mais toute
dorée, à la réserve du visage, des pieds et
des mains qui sont de marbre blanc. A la gauche du temple est
une petite chapelle où l'on rend les honneurs divins
à Sosipolis ; il est représenté
d'après une apparition en songe, sous la forme d'un
enfant, avec un habit de plusieurs couleurs et semé
d'étoiles, tenant d'une main une corne d'abondance.
[5] Dans le lieu le plus fréquenté de la ville on
voit une statue de bronze grande comme nature ; c'est un jeune
homme sans barbe, qui a les mains appuyées sur sa pique,
et les pieds l'un sur l'autre ; on lui met un habit tantôt
de laine, tantôt de lin, et tantôt de soie.
[6] Quelques-uns croient que c'est un Neptune, qui était
autrefois à Samique en Triphylie, et qui apporté
à Elis est encore plus honoré des Eléens
qu'il n'était de ces autres peuples. D'autres nomment
cette figure le Satrape, du nom d'une statue qui est
à Patras ville voisine d'Elis. Il y a eu un Corybante que
l'on surnommoit aussi le Satrape.
XXVI. [1] Entre la place publique et le temple de Diane est un
vieux théâtre, et un peu plus loin le temple de
Bacchus avec une statue du Dieu faite par Praxitèle. Les
Eléens ont une dévotion particulière
à Bacchus ; ils disent que le jour de sa fête
appellée Thyia il daigne les honorer de sa
présence, et se trouver en personne dans le lieu
où elle se célèbre, qui est à huit
stades d'Elis. En effet les prêtres du Dieu apportent
trois bouteilles vides dans sa chapelle, et les y laissent en
présence de tous ceux qui y sont, Eléens ou autres
; ensuite ils ferment la porte de la chapelle et mettent leur
cachet sur la serrure ; permis à chacun d'y mettre le
sien.
[2] Le lendemain on revient, on reconnaît son cachet, on
entre et l'on trouve les trois bouteilles pleines de vin.
Plusieurs Eléens très dignes de foi et même
des étrangers m'ont assuré en avoir
été témoins ; pour moi je ne me suis pas
trouvé à Elis dans le temps de cette fête.
Ceux d'Andros prétendent aussi que chez eux durant les
fêtes de Bacchus le vin coule de lui-même dans son
temple. Mais si sur la foi des Grecs nous croyons ces
merveilles, il ne restera plus qu'à croire les contes que
les Ethiopiens qui sont au-dessus de Siené
débitent au sujet de la table du soleil.
[3] Dans la citadelle d'Elis il y a un temple de Minerve, et
dans ce temple une Minerve d'or et d'ivoire, que l'on dit
être un ouvrage de Phidias. Sur le casque de la
Déesse l'ouvrier a représenté un coq, parce
que de tous les oiseaux c'est le plus courageux, peut-être
aussi parce qu'il est spécialement consacré
à Minerve Ergané.
[4] D'Elis à Cyllène on compte environ six-vingt
stades. Cette ville regarde la Sicile et a un fort bon port, les
Eléens en font leur arsenal ; pour son nom, elle l'a pris
d'un Arcadien. Homère dans le dénombrement des
peuples de l'Elide ne fait aucune mention de cette ville ; mais
dans la suite de son ouvrage il fait bien voir qu'elle ne lui
était pas inconnue, lorsqu'il dit que Polydamas fit
mordre la poussière à Otus de Cyllène, qui
était le compagnon de Megès et le capitaine des
braves Epéens.
[5] A Cyllène il y a deux temples, l'un
dédié à Esculape, l'autre à
Vénus. Mercure est aussi particulièrement
révéré de ces peuples ; sa statue est
exposée sur un piédestal dans une posture fort
indécente.
[6] Au reste l'Elide est un pays gras et fertile ; il y vient
toute sorte de fruits, surtout une plante qui porte de la soie.
Dans les bonnes terres on sème de la graine d'où
naît cette plante, on sème aussi du chanvre et du
lin. La soie qui se file dans le pays des Sères ne vient
pas d'une plante comme en Elide. Ils ont une espèce de
ver que les Grecs nomment un sère, et, que les
Sères eux-mêmes nomment tout autrement.
[7] Cet insecte est deux fois plus gros que le plus gros
scarabée, du reste il ressemble à ces
araignées qui font leur toile sous des arbres, et il a
huit pieds comme elles. Les Sères élèvent
de ces vers à soie dans des lieux où le froid et
le chaud ne se font pas trop sentir. L'ouvrage de ces petits
animaux consiste en des filets de soie fort
déliés, qu'ils roulent autour de leurs
pieds.
[8] On les nourrit de panis durant quatre ans ; la
cinquième année, car ils ne vivent pas plus
longtemps, on leur donne à manger du roseau vert dont ils
sont fort friands ; ils s'en engraissent et crèvent
après. Quand ils sont morts, on tire de leurs entrailles
une grande quantité de filets de soie. Il passe pour
constant que l'île Séria est dans la partie la plus
reculée de la mer Rouge.
[9] Cependant j'ai ouï dire à quelques gens que
c'était non la mer Rouge, mais le fleuve
Sérès qui formait cette île, de la
même manière que le Delta en Egypte est tout
environné du Nil et non d'aucune mer. Les Sères et
ceux qui habitent les îles adjacentes comme Abasa et
Sacéa sont réputés Ethiopiens. Quelques-uns
néanmoins croient que ce sont des Scythes qui sont venus
se mêler avec les Indiens. Mais ce n'est de quoi il s'agit
présentement.
[10] D'Elis en Achaïe, ou du moins jusqu'au fleuve Larisse
il peut y avoir quelque cent cinquante-sept stades ; car
aujourd'hui ce fleuve fait la séparation des deux
états, qui autrefois étaient bornés du
côté de la mer par le cap Araxe.
Chapitre suivant
Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition
de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage
complété.