[Pise - Elis]

Tardieu, 1821

XXI. [4] A quarante stades du mont Saurus on trouve le temple d'Esculape Déménète, ainsi appellé du nom de son fondateur ; ce temple bâti sur une hauteur près de l'Alphée ne présente plus aujourd'hui que des ruines.

[5] Un peu plus loin vous avez le temple de Bacchus Leucyanite ; la rivière Leucyanias passe auprès, elle descend du mont Pholoé, et se décharge aussi dans l'Alphée. Dès que vous avez passé ce fleuve, vous êtes sur les terres des Piséens.

[6] La première chose qui s'offre à vous c'est le sommet d'une haute montagne, où vous voyez les ruines de la ville de Phrixa, et d'un temple de Minerve surnommée Cydonia, dont il ne reste plus qu'un autel. On dit que ce temple avait été bâti par Clymenus l'un des descendants d'Hercule Idéen, qui était venu de Cydonia ville de Crète sur les rives du Jardan. Les Eléens disent aussi que Pélops avant que de combattre contre Oenomaüs, fit un sacrifice à Minerve Cydonia.

[7] Pour peu que vous avanciez, vous trouverez bientôt le fleuve Parthénias, et sur sa rive la sépulture des cavales de Marmax. On prétend que ce Marmax fut le premier qui rechercha Hippodamie en mariage, et le premier qui fut tué par Oenomaüs. Ces cavales furent égorgées sur son tombeau et enterrées auprès de lui par ordre de ce prince ; l'une s'appelait Eripha, l'autre Parthénias, d'où le fleuve a pris son nom.

[8] L'Harpinnas est un autre fleuve près duquel vous voyez les ruines de la ville Harpinne, et entre autres quelques autels qui sont restés ; cette ville avait été bâtie par Oenomaüs, qui du nom de sa mère la nomma Harpinne.

[9] A quelques pas de là vous trouvez un tertre fort élevé ; c'est la sépulture des malheureux amants d'Hippodamie ; car Oenomaüs pour tout honneur se contentait de les faire enterrer les uns auprès des autres sur quelque éminence. Mais Pélops ensuite les honora d'un magnifique tombeau, ce qu'il fit, dit-on, autant pour la gloire d'Hippodamie que pour la leur. Peut-être aussi ne fut-il pas fâché de laisser un monument de la victoire qu'il avait remportée sur un prince qui était fameux lui-même par tant de victoires.

[10] En effet si l'on en croit l'auteur du catalogue des femmes illustres, après Marmax le premier que Oenomaüs vainquit et à qui il en coûta la vie, ce fut Alcathoüs fils de Parthaon. Euryalus, Eurymaque, et Crotalus eurent ensuite le même sort. Je n'ai pu savoir de quel pays ni de quelle famille étaient ces trois combattants. Pour Acrias qui les suivit de près on peut croire qu'il était Lacédémonien et qu'il avait fondé la ville d'Acria. Oenomaüs triompha ensuite de Capetus, de Lycurgue, de Lasius, de Chalcodon, et de Tricolonus ; ces cinq périrent comme les autres. Les Arcadiens disent que le dernier était petit-fils de ce Tricolonus qui eut pour père Lycaon.

[11] Après lui Aristomaque, Prias, Pélagon, Eolius et Cronius eurent la même destinée ; vaincus à la course ils furent immolés à la cruauté du vainqueur. Quelques-uns ajoutent Erythrus fils de Leucon et petit-fils d'Athamas, lequel Erythrus donna son nom à la ville d'Erythres en Béotie ; enfin à cette liste on ajoute encore Eionée fils de Magnés et petit-fils d'Eole. Tous ces héros ont une sépulture commune, et l'on dit que Pélops tant qu'il régna à Pise, allait chaque année les honorer sur leur tombeau.

XXII. [1] Un stade plus loin vous trouvez quelques vestiges d'un temple de Diane Cordace, surnom qui vient de ce que les compagnons de Pélops en célébrant des jeux à l'honneur de Diane et en action de grâces de la victoire remportée par Pélops, dansaient à la mode de leur pays une danse de ce nom, qui est en usage parmi les habitants du mont Sipyle. Non loin de ce temple est une petite chapelle où l'on conserve les os de Pélops dans un coffre de bronze. Mais à l'endroit où était Pise il ne reste plus ni murs ni édifices ; tout ce lieu est à présent un vignoble.

[2] On dit que Pise avait eu pour fondateur Pisus fils de Périérès et petit-fils d'Eole. Les habitants furent eux-mêmes cause de leur ruine ; ils irritèrent les Eléens en voulant célébrer les jeux olympiques de leur propre autorité. Les Eléens jaloux de leurs privilèges appellèrent à leur secours Phidon d'Argos qui par sa tyrannie s'était rendu odieux à tous les Grecs, et soutenus par un si puissant allié ils donnèrent ces jeux en la huitième olympiade. Les Piséens et Pantaléon leur roi fils d'Omphalion, ayant rassemblé toutes leurs forces, donnèrent à leur tour ce spectacle en la trente-quatrième.

[3] Ces olympiades sont regardées par les Eléens comme de fausses olympiades, et il n'en est point fait mention dans leurs fastes, non plus que de la cent quatrième, en laquelle les Arcadiens voulurent présider aux jeux. En la quarante-huitième Damophon fils de Pantaléon se rendit suspect aux Eléens, parce qu'après avoir marché avec eux contre Pise, à force de prières et d'instances il les obligea à revenir sans avoir rien exécuté de considérable.

[4] Sous le règne de Pyrrhus second fils de Pantaléon et frère de Damophon, ceux de Pise déclarèrent la guerre aux Eléens. En même temps les Macistiens et les Scilluntiens peuples de la Triphylie se soulevèrent contre les Eléens, et ceux de Disponte qui étaient encore plus voisins suivirent leur exemple. Ceux-ci avaient toujours eu une secrète inclination pour Pise, à cause de Dispontée fils d'Oenomaüs qu'ils reconnaissaient pour leur fondateur. Mais le succès de cette guerre fut que les Piséens et leurs alliés se virent chassés de leurs villes, d'où s'ensuivit leur ruine totale.

[5] Si d'Olympie vous allez à Elis par les montagnes, vous verrez devant vous les ruines de Pylos en Elide. Elis en est éloignée de quatre-vingt stades. Pylos avait été bâtie comme j'ai dit par Pylas de Mégare fils de Cléson ; cette ville détruite par Hercule et rebâtie ensuite par les Eléens est depuis longtemps déserte. La rivière de Ladon passe au milieu et va se jeter dans le Pénée.

[6] Les Eléens sont persuadés que c'est de leur ville de Pylos qu'Homère a voulu parler, lorsqu'il a dit que Dioclès tirait son origine du fleuve Alphée, qui arrose les terres des Pyliens, et je le crois aussi ; car l'Alphée arrose en effet ce canton, et il n'y a point d'autre Pylos à qui l'on puisse appliquer ce témoignage d'Homère. L'Alphée ne passe point par le pays de ces Pyliens qui sont au-dessus de l'île Sphactérie, et dans toute l'Arcadie il n'y eut jamais aucune ville du nom de Pylos.

[7] A quelque cinquante-stades d'Olympie les Eléens ont le village d'Héraclée près duquel passe le fleuve Cythérus. Près de là il y a une fontaine qui va tomber dans ce fleuve, et sur le bord de la fontaine un temple consacré à des nymphes qui ont chacune leur nom particulier, car on les nomme Calliphaé, Synallaxis, Pégée, et Iasis ; ce qui n'empêche pas que d'un nom général on ne les appelle aussi les nymphes Ionides. Les bains de cette fontaine sont fort bons pour les lassitudes et pour toute sorte de rhumatismes. Quant aux nymphes, on croit que le nom d'Ionides leur a été donné à cause d'Ion fils de Gargettus, qui quitta Athènes pour venir s'établir là.

[8] Que si vous aimez mieux aller à Elis par la plaine, quand vous aurez fait six-vingt stades vous arriverez à Létrins ; de Létrins à Elis il y a environ cent quatre-vingt stades. Létrins était autrefois une petite ville, bâtie par Létréüs fils de Pélops. Aujourd'hui il n'en reste que quelques maisons et un temple de Diane Alphéa avec une statue de la déesse.

[9] Quant au surnom d'Alphéa, voici la raison que l'on en donne. Alphée, dit-on, devint amoureux de Diane, et voyant que ni par prières, ni par aucun autre moyen il ne pouvait l'engager à l'épouser, il résolut de l'enlever. Diane qui se douta de son dessein l'attira à Létrins, où pour faire sa cour à la déesse, il avait accoutumé d'assister à des divertissements qu'elle donnait les soirs aux nymphes de sa compagnie. Mais pour rompre les mesures de son amant on dit qu'elle s'avisa de se barbouiller le visage avec de la boue, et qu'elle en fit autant à toutes ses compagnes ; de sorte que Alphée étant entré dans la chambre où elles étaient, et ne pouvant distinguer la déesse, il s'en retourna sans rien entreprendre.

[10] Depuis cette aventure Diane fut surnommée Alphéa par ceux de Létrins. Cependant les Eléens qui ont toujours été en liaison avec ces peuples disent avoir reçu d'eux le culte de Diane Elaphiéa, et s'il faut les en croire, on disait anciennement Alphiéa ; mais ce mot s'étant corrompu avec le temps, on a dit depuis Elaphiéa.

[11] Pour moi je crois que les Eléens ont donné à Diane le surnom d'Elaphiéa à cause de la chasse du cerf, à quoi elle se plaît particulièrement. Je sais pourtant qu'une de leurs traditions est que cette déesse a eu pour nourrice une femme de leur pays, qui se nommait Elaphion. A six stades de Létrins on trouve un grand lac d'eau vive qui a bien trois stades de diamètre.

XXIII. [1] A Elis ce qui mérite le plus votre curiosité, c'est un ancien lieu d'exercice où les athlètes avant que de paraître aux jeux olympiques s'exercent, et observent durant un certain temps tout ce qui est prescrit par les lois et par la coutume. En dedans tout le long de la lice il y a des platanes fort hauts qui donnent de l'ombre. Toute cette enceinte se nomme le Xyste, parce qu'Hercule fils d'Amphytrion pour s'endurcir au travail nettoyait tous les jours ce lieu, et en arrachait les ronces et les épines.

[2] Cette grande enceinte est partagée en plusieurs pièces, dont l'une est destinée à l'exercice de la course ; on la nomme le lieu sacré. Dans une autre on s'exerce à la course et au pentathle. Il y en a une troisième appelée l'arpent, parce qu'elle contient un arpent de terre ; c'est là que les directeurs des jeux mettent eux-mêmes aux mains les athlètes qui se présentent suivant leur âge et les différents exercices auxquels ils sont propres.

[3] Dans ce lieu d'exercice vous voyez plusieurs autels consacrés à quelques divinités, l'un à Hercule Idéen surnommé le Dieu de bon secours, l'autre à l'Amour, un autre à cette divinité que les Eléens aussi bien que les Athéniens nomment Anthéros, un autre à Cérès, un autre enfin à Proserpine. On a érigé à Achille non un autel, mais un cénotaphe en conséquence d'un certain oracle ; et dans le temps de la célébration des jeux à jour marqué et à l'heure que le soleil se couche les femmes du pays viennent honorer Achille sur ce tombeau, où l'une de leurs pratiques est de se frapper la poitrine en pleurant ce héros.

[4] Près de la grande enceinte il y en a une plus petite qui est contiguë, et qui à cause de sa figure carrée se nomme le Tétragone. C'est là que les jeunes athlètes s'exercent au pugilat, particulièrement ceux qui n'en pouvant pas encore soutenir tout le poids, ont permission de se servir de gantelets plus minces et plus délicats. On voit en ce lieu une de ces deux statues que l'on consacra à Jupiter de l'amende à laquelle furent mis Sosander de Smyrne, et Polyctor d'Elis.

[5] Enfin il y a une troisième enceinte, qui parce que le terrain en est plus doux et plus mol, s'appelle Maltho. Ce lieu est ouvert aux enfants pendant tout le temps que durent les jeux à Olympie. Dans un des coins on voit un buste d'Hercule, et le modèle d'une de ces écharpes dont les athlètes couvrent leur nudité. Sur ce modèle sont représentées les deux divinités Eros et Anthéros ; le premier tient une branche de palmier, et le second veut la lui arracher.

[6] Des deux côtés par où l'on entre dans cette dernière enceinte on voit la figure d'un jeune athlète qui a été vainqueur au pugilat. Un de ces magistrats qui ont le titre de conservateurs des lois me dit que ce jeune athlète était Sérapion d'Alexandrie au-dessus du Phare, et qu'on lui avoir fait cet honneur, parce que dans une année de stérilité en venant aux jeux olympiques il avait amené avec lui une grande quantité de blé. Le service qu'il rendit aux Eléens en cette occasion, et la couronne qu'il mérita à Olympie tombent en la deux cent dix-septième olympiade.

[7] Dans le même gymnase ou lieu d'exercice, les Eléens ont leur sénat, où leurs savants viennent donner des preuves de leur capacité soit par des discours faits sur le champ, soit par tout autre genre de littérature ; ce lieu d'assemblée est appellé Lolichmium, du nom de celui qui l'a consacré à cet usage ; il est orné de boucliers qui ne sont là que pour servir de parade. Du gymnase on peut aller aux bains publics par la rue du silence, et en laissant le temple de Diane Philoméirax à côté ; cette Déesse est ainsi nommée à cause de cette école de la jeunesse qui est dans le voisinage de son temple.

[8] Pour la rue du silence, voici d'où l'on dit qu'elle a tiré sa dénomination. Des espions qu'Oxylus envoyait à Elis, après s'être exhortés mutuellement à bien exécuter leurs ordres, approchant des murs résolurent de garder le silence et d'écouter seulement ; ils se glissèrent dans la ville, observèrent tout ce qu'ils voulurent sans dire mot, et s'en retournèrent au camp des Etoliens. Depuis cette aventure la rue par laquelle ils étaient entrés fut nommée la rue du silence.

XXIV. [1] Le gymnase a une autre issue qui conduit à la place publique, et à un endroit où les directeurs des jeux tiennent conseil. Cet endroit est au-dessus du tombeau d'Achille ; c'est par là que les directeurs viennent au gymnase ; ils s'y rendent tous les jours avant le lever du soleil pour voir les jeunes gens s'exercer à la course, et sur le midi ils assistent au pentathle et aux autres exercices plus violents.

[2] La place publique n'est point faite comme celle des villes d'Ionie, ni même des villes voisines ; elle est bâtie à l'ancienne mode. Les portiques en sont distants les uns des autres et séparés par des rues de traverse. Les Eléens appellent cette place l'hippodrome, parce qu'en effet ils y dressent leurs chevaux. Le portique le plus exposé au midi est d'une architecture dorique. Trois rangs de colonnes le partagent en trois, les directeurs des jeux y passent une bonne partie du jour.

[3] On élève à Jupiter des autels qui sont adossés contre ces colonnes, de manière qu'ils sont à découvert, et qu'ils donnent dans la place. On les fait et on les défait en très peu de temps selon le besoin. En allant dans la place tout le long de ce portique, on trouve au bout sur la gauche le logis des directeurs, lequel n'est séparé de la place que par une rue. Ils l'habitent dix mois de suite, et pendant ce temps-là ils sont instruits par les conservateurs des lois de tout ce qui concerne les jeux olympiques.

[4] Entre le premier portique où les directeurs se tiennent durant le jour, et un autre que les Eléens nomment le portique des Corcyréens, il n'y a que la rue entre deux. Celui-ci est ainsi appelé, parce que les Corcyréens ayant fait une descente en Elide et enlevé beaucoup de butin, les Eléens ravagèrent leurs terres à leur tour, et remportèrent des dépouilles beaucoup plus considérables, dont la dixième partie fut employée à bâtir ce portique.

[5] C'est un édifice de l'ordre dorique, avec deux rangs de colonnes, dont l'un regarde la place, et l'autre regarde un quartier plus éloigné. Le plafond de l'édifice porte non sur des colonnes, mais sur deux murs qui sont ornés de statues. Du côté de la place vous voyez la statue de Pyrrhon fils de Pistocrate, ce fameux sophiste qui doutait de tout et n'affirmait jamais rien. Son tombeau est près d'E1is dans un lieu dit la Roche, et qui paraît avoir été autrefois une bourgade.

[6] Dans la place il y a plusieurs choses dignes d'être vues, entre autres le temple et la statue d'Apollon Acésius, surnom qui répond à celui de préservateur que les Athéniens donnent à la même divinité : vous voyez d'un autre côté deux belles statues de marbre, l'une du Soleil, l'autre de la Lune ; il sort des cornes de la tête de la Lune, et des rayons de celle du Soleil. Les Grâces y ont aussi leur temple et sont représentées en bois avec des habits dorés ; elles ont le visage, les mains et les pieds de marbre blanc ; l'une tient une rose, la seconde un dé, et la troisième un bouquet de myrte.

[7] Il n'est pas malaisé de voir la raison de ses symboles ; car on sait que le myrte et la rose sont consacrés à Vénus, et qu'à cause de sa beauté les Grâces se plaisent plus en sa compagnie qu'avec toute autre déesse. Pour le dé, il signifie le badinage et les jeux, qui ne seyent pas mal à la jeunesse. L'Amour est sur le même piédestal à la droite des Grâces.

[8] Là vous verrez encore un temple du Silène, mais un temple qui lui est propre et particulier sans que Bacchus en partage l'honneur. Methé lui verse du vin dans une coupe. Les Silènes sont de race mortelle, on en peut juger par leurs sépultures ; car dans le pays des Hébreux on voit le tombeau d'un Silène, et il y en a un autre à Pergame.

[9] Les Eléens ont dans leur place publique un autre temple d'une espèce singulière ; ce temple est d'une hauteur médiocre et n'a point de murs, il est soutenu par des piliers de bois de chêne. On croit à Elis que c'est la sépulture de quelque grand personnage, mais on ne sait pas de qui ; s'il en faut croire un vieillard que je questionnai, c'est le tombeau d'Oxylus.

[10] Les seize matrones qui sont chargées de faire le voile de Junon, ont aussi leur logis dans la place. Près de cette place est un vieux temple. C'est un péristyle dont le toit est tombé et où il ne reste plus aucune statue ; il était consacré aux Empereurs romains.

XXV. [1] Derrière le portique qui a été bâti des dépouilles des Corcyréens vous trouverez un temple de Vénus, et auprès un morceau de terre qui en dépend ; cette Vénus a le nom de Céleste, elle est d'or et d'ivoire, et c'est un ouvrage de Phidias ; la Déesse a un pied sur une tortue. Le morceau de terre qui est de la dépendance du temple est entouré d'un petit mur. Au-dedans il y a une balustrade sur laquelle on a posé une statue de la Vénus Vulgaire ; cette statue est de bronze et assise sur un bouc de même métal ; l'ouvrage est de Scopas.

[2] On voit encore à Elis un temple et une enceinte dédiés à Pluton. L'un et l'autre ne s'ouvrent qu'une fois l'an, et même alors il n'est permis qu'au seul sacrificateur d'y entrer. De tous les peuples connus les seuls qui honorent le dieu des enfers d'un culte si particulier. Voici la raison de ce culte ; Hercule à la tête d'une armée vint assiéger Pylos en Elide ; dans cette expédition Minerve le protégeait. Pluton à qui les Pyliens avaient toujours rendu de grands honneurs prit leur défense et par amour pour eux et par haine contre Hercule.

[3] Les Eléens pour preuve de cet événement allèguent des vers d'Homère où il dit qu'au siège de Pylos Hercule atteignit le dieu des enfers d'un coup de flèche qui lui fit souffrir de grandes douleurs. Que si dans la guerre d'Agamemnon et de Ménélas contre les Troyens, Neptune, comme le dit Homère, vint au secours des Grecs, suivant les idées du même poète il n'est pas hors de la vraisemblance que Pluton ait aussi défendu les Pyliens. Ce Dieu a donc un temple chez les Eléens comme leur protecteur, et comme l'ennemi d'Hercule ; et son temple ne s'ouvre qu'une fois l'année, pour marquer, je crois, que l'on ne descend qu'une fois dans les lieux souterrains où il tient son empire.

[4] Vous verrez encore à Elis un temple de la Fortune ; dans le vestibule il y a une statue de la Déesse d'une grandeur étonnante ; c'est une statue de bois, mais toute dorée, à la réserve du visage, des pieds et des mains qui sont de marbre blanc. A la gauche du temple est une petite chapelle où l'on rend les honneurs divins à Sosipolis ; il est représenté d'après une apparition en songe, sous la forme d'un enfant, avec un habit de plusieurs couleurs et semé d'étoiles, tenant d'une main une corne d'abondance.

[5] Dans le lieu le plus fréquenté de la ville on voit une statue de bronze grande comme nature ; c'est un jeune homme sans barbe, qui a les mains appuyées sur sa pique, et les pieds l'un sur l'autre ; on lui met un habit tantôt de laine, tantôt de lin, et tantôt de soie.

[6] Quelques-uns croient que c'est un Neptune, qui était autrefois à Samique en Triphylie, et qui apporté à Elis est encore plus honoré des Eléens qu'il n'était de ces autres peuples. D'autres nomment cette figure le Satrape, du nom d'une statue qui est à Patras ville voisine d'Elis. Il y a eu un Corybante que l'on surnommoit aussi le Satrape.

XXVI. [1] Entre la place publique et le temple de Diane est un vieux théâtre, et un peu plus loin le temple de Bacchus avec une statue du Dieu faite par Praxitèle. Les Eléens ont une dévotion particulière à Bacchus ; ils disent que le jour de sa fête appellée Thyia il daigne les honorer de sa présence, et se trouver en personne dans le lieu où elle se célèbre, qui est à huit stades d'Elis. En effet les prêtres du Dieu apportent trois bouteilles vides dans sa chapelle, et les y laissent en présence de tous ceux qui y sont, Eléens ou autres ; ensuite ils ferment la porte de la chapelle et mettent leur cachet sur la serrure ; permis à chacun d'y mettre le sien.

[2] Le lendemain on revient, on reconnaît son cachet, on entre et l'on trouve les trois bouteilles pleines de vin. Plusieurs Eléens très dignes de foi et même des étrangers m'ont assuré en avoir été témoins ; pour moi je ne me suis pas trouvé à Elis dans le temps de cette fête. Ceux d'Andros prétendent aussi que chez eux durant les fêtes de Bacchus le vin coule de lui-même dans son temple. Mais si sur la foi des Grecs nous croyons ces merveilles, il ne restera plus qu'à croire les contes que les Ethiopiens qui sont au-dessus de Siené débitent au sujet de la table du soleil.

[3] Dans la citadelle d'Elis il y a un temple de Minerve, et dans ce temple une Minerve d'or et d'ivoire, que l'on dit être un ouvrage de Phidias. Sur le casque de la Déesse l'ouvrier a représenté un coq, parce que de tous les oiseaux c'est le plus courageux, peut-être aussi parce qu'il est spécialement consacré à Minerve Ergané.

[4] D'Elis à Cyllène on compte environ six-vingt stades. Cette ville regarde la Sicile et a un fort bon port, les Eléens en font leur arsenal ; pour son nom, elle l'a pris d'un Arcadien. Homère dans le dénombrement des peuples de l'Elide ne fait aucune mention de cette ville ; mais dans la suite de son ouvrage il fait bien voir qu'elle ne lui était pas inconnue, lorsqu'il dit que Polydamas fit mordre la poussière à Otus de Cyllène, qui était le compagnon de Megès et le capitaine des braves Epéens.

[5] A Cyllène il y a deux temples, l'un dédié à Esculape, l'autre à Vénus. Mercure est aussi particulièrement révéré de ces peuples ; sa statue est exposée sur un piédestal dans une posture fort indécente.

[6] Au reste l'Elide est un pays gras et fertile ; il y vient toute sorte de fruits, surtout une plante qui porte de la soie. Dans les bonnes terres on sème de la graine d'où naît cette plante, on sème aussi du chanvre et du lin. La soie qui se file dans le pays des Sères ne vient pas d'une plante comme en Elide. Ils ont une espèce de ver que les Grecs nomment un sère, et, que les Sères eux-mêmes nomment tout autrement.

[7] Cet insecte est deux fois plus gros que le plus gros scarabée, du reste il ressemble à ces araignées qui font leur toile sous des arbres, et il a huit pieds comme elles. Les Sères élèvent de ces vers à soie dans des lieux où le froid et le chaud ne se font pas trop sentir. L'ouvrage de ces petits animaux consiste en des filets de soie fort déliés, qu'ils roulent autour de leurs pieds.

[8] On les nourrit de panis durant quatre ans ; la cinquième année, car ils ne vivent pas plus longtemps, on leur donne à manger du roseau vert dont ils sont fort friands ; ils s'en engraissent et crèvent après. Quand ils sont morts, on tire de leurs entrailles une grande quantité de filets de soie. Il passe pour constant que l'île Séria est dans la partie la plus reculée de la mer Rouge.

[9] Cependant j'ai ouï dire à quelques gens que c'était non la mer Rouge, mais le fleuve Sérès qui formait cette île, de la même manière que le Delta en Egypte est tout environné du Nil et non d'aucune mer. Les Sères et ceux qui habitent les îles adjacentes comme Abasa et Sacéa sont réputés Ethiopiens. Quelques-uns néanmoins croient que ce sont des Scythes qui sont venus se mêler avec les Indiens. Mais ce n'est de quoi il s'agit présentement.

[10] D'Elis en Achaïe, ou du moins jusqu'au fleuve Larisse il peut y avoir quelque cent cinquante-sept stades ; car aujourd'hui ce fleuve fait la séparation des deux états, qui autrefois étaient bornés du côté de la mer par le cap Araxe.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.