[Egium - Egire - Pellène]

Tardieu, 1821

XXIII. [5] Près de la ville on voit un portique bâti par Straton, fameux athlète qui en un même jour remporta le prix du pancrace et de la lutte à Olympie ; on bâtit ce portique afin que ce fût pour lui un lieu d'exercice. Entre les diverses curiosités de la ville d'Egium il y a premièrement un vieux temple de Lucine ; la Déesse est ouverte d'un voile fort fin depuis la tête jusqu'aux pieds. Sa statue est de bois à la réserve du visage, des mains et des pieds, qui sont de beau marbre du mont Pentélique.

[6] Elle a une main étendue, et de l'autre elle tient un flambeau, apparemment pour signifier ou que les douleurs de l'enfantement sont cuisantes comme le feu, ou que c'est la Déesse elle-même qui fait jouir les enfants de la lumière du jour ; cette statue est un ouvrage de Damophon Messénien.

[7] Près du temple de Lucine est un lieu consacré à Esculape, où vous voyez une statue d'Hygéia et une autre d'Esculape même ; des vers ïambes gravés sur le piédestal vous apprennent que ces statues sont encore de la main de Damophon. Je me souviens que dans ce temple j'eus une dispute avec un homme de Sidon, qui prétendait que les Phéniciens l'emportaient de beaucoup sur les Grecs dans la connaissance des choses divines et humaines ; et pour preuve de cela, disait-il, les Phéniciens font Esculape fils d'Apollon, mais ils se gardent bien de lui donner pour mère une mortelle comme les Grecs,

[8] parce qu'ils savent qu'Esculape n'est autre chose que la bonne température de l'air, principe de la santé soit pour l'homme, soit pour les animaux. A l'égard d'Apollon qui est le soleil même, il est dit à bon droit le père d'Esculape ; parce qu'en fournissant sa course tous les ans il règle les saisons, et donne à l'air ce juste tempérament qui en fait la salubrité. Je lui répondais qu'il avait raison, mais que là-dessus les Grecs pensaient tout comme les Phéniciens, et la preuve que je lui en donnais c'est qu'à Titané en Sicyonie une même statue représente Esculape et la Santé. Et que le soleil soit le père de la vie, c'est une chose, lui disais-je, qui est connue de tout le monde, même des enfants.

[9] En second lieu vous verrez à Egium un temple de Minerve, et un bois consacré à Junon. Minerve a deux statues de marbre blanc ; pour la statue de Junon, personne ne la voit, qu'une femme qui exerce le sacerdoce de la Déesse. Bacchus a son temple près du théâtre ; il est représenté sans barbe. Dans la place publique il y a un temple et tout un canton dédiés à Jupiter sauveur ; en entrant vous trouvez à gauche deux statues de bronze ; l'une représente le Dieu sans barbe, et celle-là m'a paru la plus ancienne.

[10] Si vous allez tout droit, vous trouverez une chapelle où y a un Neptune, un Hercule, un Jupiter et une Minerve de bronze ; on appelle ces dieux, les dieux d'Argos, soit parce qu'ils ont été fabriqués à Argos, comme le disent les Argiens eux-mêmes, soit parce qu'ils ne sont à Egium qu'à titre de dépôt comme les habitants le prétendent.

[11] Car ils racontent que les Argiens déposèrent ces divinités chez eux, exigeant en même lems qu'ils leur fissent des sacrifices tous les jours. Comme cela aurait été d'une trop grande dépense, ceux d'Egium s'avisèrent d'immoler plusieurs victimes à la fois, et d'en faire ensuite des repas publics ; ainsi il n'y avait rien de perdu et ces sacrifices ne coûtaient pas beaucoup. Dans la suite les Argiens redemandèrent leur dépôt ; ceux d'Egium dirent qu'ils étaient tout prêts à le rendre, mais qu'ils voulaient être payés de leurs frais ; la somme qu'ils demandaient étant exorbitante, on aima mieux leur laisser les statues.

XXIV. [1] Près de la place Apollon et Diane ont un temple en commun, et dans la place même Diane a le sien en particulier, où la Déesse est représentée tirant de l'arc. On y voit aussi le tombeau du héraut Talthybius, ce qui n'empêche pas que les Spartiates ne se vantent de l'avoir chez eux sur une petite éminence ; l'une et l'autre ville lui rendent des honneurs funèbres tous les ans.

[2] Du côté de la mer il y a quatre temples consacrés, l'un à Vénus, l'autre à Neptune, le troisième à Proserpine, et le quatrième à Jupiter dit Homagyrius ; dans ce dernier Jupiter, Vénus et Minerve ont des statues. Le surnom d'Homagyrius vient de ce qu'Agamemnon assembla dans ce lieu-là les troupes dont il avait besoin pour son expédition de Troie ; et une des choses qui ont fait le plus d'honneur à ce prince, c'est qu'il prit si bien ses mesures, que l'armée qu'il mit alors sur pied lui suffit pour prendre Troie et toutes les villes voisines, sans qu'il fût obligé de faire de nouvelles levées en Grèce.

[3] Après le temple de Jupiter Homagyrius est celui de Cérès Panachéenne. Sur le même rivage de la mer vous verrez une source abondante dont l'eau est douce et fort bonne à boire. Près de là est le temple de la déesse Salus dont la statue n'est vue que de ses prêtres ; dans les sacrifices qu'ils font à la Déesse ils observent entre autres cérémonies de jeter dans la mer un morceau de pâte qu'ils envoient, disent-ils, à Aréthuse en Sicile.

[4] On voit à Egium plusieurs autres statues de bronze, comme un Jupiter enfant, et un jeune Hercule qui n'a point encore de barbe ; ce sont des ouvrages d'Agéladas d'Argos. Tous les ans on nomme à ces divinités des prêtres qui ont soin de garder leurs statues chez eux ; autrefois on élisait le plus bel enfant de tout le pays pour prêtre de Jupiter, et quand il avait atteint l'âge de puberté on lui donnait un successeur. Tel était l'ancien usage de ces peuples. Les états-généraux d'Achaïe se tiennent encore aujourd'hui à Egium, comme le conseil des Amphictyons se tenait aux Thermopyles ou à Delphes.

[5] En avançant plus loin vous trouvez le fleuve Sélinus, et à quarante stades d'Egium est le bourg d'Hélice sur le bord de la mer. C'était autrefois une ville où les Ioniens avaient un temple célèbre dédié à Neptune Héliconius. Ils disent que le culte de ce Dieu s'est perpétué chez eux, depuis que chassés par les Achéens ils se retirèrent à Athènes, et qu'ensuite ils allèrent chercher fortune vers les côtes d'Asie. En effet aux environs de Milet, sur le chemin de la fontaine de Biblis tout devant la ville, on voit un autel de Neptune Héliconius, et à Téos on en voit un autre fermé par une balustrade et d'un ouvrage exquis.

[6] Il est même parlé dans Homère et d'Hélice et de Neptune Héliconius. Après un long espace de temps il arriva que les Achéens qui habitaient Hélice manquant de parole à de pauvres suppliants qui s'étaient réfugiés dans le temple de Neptune, les égorgèrent ; la colère du Dieu ne tarda pas à éclater sur eux par un tremblement de terre qui non seulement renversa leurs maisons, mais anéantit leur ville au point qu'il n'en resta pas le moindre vestige.

[7] Pour l'ordinaire ces tremblements de terre qui bouleversent de temps en temps certaines contrées sont annoncés par des pronostics qui les précèdent, comme sont des pluies continuelles, ou de longues sécheresses, ou un déréglement de saisons qui fait sentir le chaud en hiver, ou le disque du soleil qui tantôt s'obscurcit et tantôt paraît tout en feu,

[8] ou le desséchernent subit des fontaines, ou des tourbillons de vent qui déracinent les plus gros arbres, ou des feux célestes qui parcourent le vaste espace des airs, laissant après eux une longue traînée de lumière, ou de nouveaux astres qui paraissent tout à coup et nous remplissent d'effroi, ou des vapeurs pestilentielles qui sortent du sein de la terre ; tels sont les signes dont le ciel se sert pour avertir les hommes.

[9] Quant aux tremblements mêmes, ceux qui ont étudié la nature en distinguent de plusieurs sortes. Le plus léger de tous, s'il y a rien de léger dans un si grand mal, est celui où lorsqu'un édifice par une première secousse vient à pencher, une secousse contraire le redresse et le rétablit.

[10] Dans cette espèce d'ébranlement on voit des colonnes prêtes à tomber se remettre comme d'elles-mêmes sur leur base, des murs s'entr'ouvrir et se rejoindre, des poutres se déplacer et rentrer dans leur assiette naturelle, des gouttières et des tuyaux qui servent à la conduite des eaux, après avoir été dérangés, reprendre leur place et s'y ajuster comme si la main de l'ouvrier y avait passé. La seconde sorte est celle où les secousses sont si continuelles et si violentes que les plus solides édifices s'écroulent et tombent, comme s'ils étaient battus par des machines de guerre.

[11] Le plus dangereux de tous est comparé à ce feu intérieur qui agite quelquefois le corps humain ; car comme la fièvre se manifeste par plusieurs symptômes et surtout par le battement de l'artère du bras, de même des vents ou des feux souterrains venant à se combattre dans le sein de la terre, poussent vers sa superficie tout ce qui leur fait obstacle, à peu près comme ces taupes, qui en travaillant sous la terre l'élèvent et la font boursoufler. C'est alors que la terre ébranlée jusques dans ses fondements et s'ouvrant tout à coup, on voit tout ce qui est bâti dessus, fondre et s'abîmer, sans qu'il en demeure aucun vestige.

[12] Et ce fut ainsi que périt Hélice. Au tremblement de terre on dit qu'il se joignit un autre malheur causé par la saison, un débordement de la mer qui inonda la ville et tout le pays d'alentour ; le bois sacré de Neptune fut tellement submergé qu'à peine voyait-on la cime des arbres ; de sorte que le courroux du Dieu, armant pour ainsi dire ces deux élémentstout à la fois contre cette misérable ville, elle fut engloutie avec tous ses habitants.

[13] Un pareil accident fit disparaître autrefois Midée avec une autre ville située sur le mont Sipyle, et du côté que Midée abîma en se détachant de la montagne, l'eau surmonta et forma une espèce de lac que l'on nomme Saloé. On voyait les ruines d'une ville au milieu de ce lac, avant que l'eau les eut couvertes de limon ; et les ruines d'Hélice paraissent encore aujourd'hui, quoiqu'à demi rongées par les eaux de la mer.

XXV. [1] L'ire du Ciel a ainsi éclaté plusieurs fois contre ceux qui avaient manqué de foi et d'humanité vers les malheureux. Combien d'exemples en pourrais-je rapporter ! On sait l'oracle que Jupiter de Dodone rendit aux Athéniens du temps d'Aphidas ; par cet oracle ils étaient avertis de respecter toujours l'asile de l'aréopage et l'autel des Euménides ; qu'un jour les Lacédémoniens vaincus s'y réfugieraient, et qu'ils se donnassent bien de garde de les maltraiter, parce que tout suppliant est sacré.

[2] Les Grecs se souvinrent de cet avis, lorsque sous le règne de Codrus fils de Mélanthus le Péloponnèse conjura contre Athènes. Car l'armée des Péloponnésiens ayant appris la mort de Codrus et la manière dont il s'était dévoué pour sa patrie, ne songea qu'à se retirer à cause de l'oracle de Delphes qui ne lui permettait plus d'espérer la victoire ; mais quelques Lacédémoniens qui étaient déjà entrés dans la ville se voyant abandonnés des leurs, furent très embarrassés ; tout ce qu'ils purent faire fut de se cacher à la faveur des ténèbres de la nuit ; et le jour venu, pour éviter de tomber entre les mains des Athéniens ils se sauvèrent dans l'aréopage aux pieds de ces déesses que l'on appelle Sévères.

[3] Là ils furent respectés, et ils s'en retournèrent sains et saufs en leur pays. Quelques années ensuite les magistrats d'Athènes ayant massacré Cylon et ses complices dans le temple même de Minerve, attirèrent la colère de la Déesse sur eux et sur toute leur postérité. Les Lacédémoniens coupables d'un pareil crime en reçurent aussi le châtiment ; ils avaient fait mourir de pauvres suppliants qui s'étaient réfugiés dans un temple de Neptune bâti sur le promontoire de Ténare. Sparte fut affligée d'un tremblement de terre si violent, que pas une seule maison n'y demeura debout.

[4] Quant à la ville d'Hélice, elle fut détruite durant qu'Astéüs était archonte à Athènes la quatrième année de la cent-unième olympiade en laquelle Damon de Thurium fut proclamé vainqueur pour la première fois à Olympie. Tous les habitants ayant péri sous ses ruines, ceux d'Egium s'emparèrent de tout le territoire des environs et le possèdent encore.

[5] Après Hélice en quittant le rivage de la mer et en prenant à droite vous arrivez bientôt à Cérynée, petite ville bâtie sur une montagne au-dessus du grand chemin. Elle a été ainsi appelée du nom ou de quelque petit souverain, ou du fleuve Cérynite, qui tombe du mont Cérynée en Arcadie et prend son cours par les terres d'Achaïe les plus voisines. Cette ville servit autrefois de retraite à ceux de Mycènes, dans la nécessité où ils furent d'abandonner le pays d'Argos.

[6] Car les Argiens voulant prendre Mycènes, et n'en pouvant venir à bout à cause de la solidité de ses murs, qui aussi bien que ceux de Tirynte avaient été bâtis par les Cyclopes, ils prirent le parti de l'affamer, ce qui obligea les habitants d'en sortir. Les uns se retirèrent à Cléones, d'autres en plus grand nombre se réfugièrent en Macédoine auprès du roi Alexandre, celui-là même que Mardonius fils de Gobryas députa vers les Athéniens, et d'autres vinrent s'établir à Cérynée, qui par cet accroissement de citoyens devint beaucoup plus riche et plus considérable qu'elle n'était.

[7] On voit en cette ville un temple des Euménides que l'on croit avoir été fondé par Oreste, et l'on dit que si la curiosité y attirait quelqu'un qui eût commis un meurtre, ou qui fût coupable de quelqu' autre crime ou d'impieté, aussitôt la frayeur lui troublerait l'esprit ; c'est pourquoi on n'y laisse pas entrer tout le monde indifféremment. Les statues de ces Déesses sont de bois et d'une grandeur médiocre. Dans le parvis du temple vous voyez des statues de marbre d'un goût merveilleux ; et si l'on en croit les habitants, ce sont des femmes qui ont été autrefois prêtresses des Euménides.

[8] En revenant de Cérynée si vous reprenez le grand chemin et que vous avanciez un peu, vous trouverez au second détour un sentier qui vous mènera droit à Bure, petite ville qui a la mer à droite et qui est bâtie sur la cime d'une montagne. On dit qu'elle a pris son nom d'une fille d'Ion et d'Hélice qui s'appellait Bura. Le même tremblement de terre qui engloutit la ville d'Hélice se fit tellement sentir à celle-ci, que toutes les anciennes statues des dieux furent brisées dans les temples,

[9] et qu'il n'y eut de citoyens sauvés que ceux qui étaient ou à l'armée, ou en voyage ; et ce furent eux qui rebâtirent ensuite la ville. Celés, Vénus, Bacchus et Lucine ont chacun un temple à Bure. Leurs statues sont de marbre du mont Pentélique et de la façon d'Euclidas Athénien ; celle de Cérès est habillée. Isis y a aussi un temple.

[10] Sur le chemin qui descend à la mer vous voyez le fleuve Buraïque, et dans une grotte prochaine on vous montrera une petite statue d'Hercule surnommée aussi Buraïque. Là il y a un oracle qui rend ses réponses avec des dés ; celui qui le consulte fait premièrement sa prière au Dieu devant sa statue, ensuite il prend quatre dés, car il y en a toujours là en quantité, et il les jette sur une table. Chaque dé est marqué de plusieurs façons, et chaque marque est expliquée sur la table.

[11] D'Hélice à la grotte d'Hercule on compte environ trente stades. Un peu plus loin vous trouvez un beau fleuve dont le cours est toujours égal, et qui sorti d'une montagne d'Arcadie va tomber dans la mer. Le fleuve et la montagne se nomment Crathis, d'où le Crathis fleuve d'Italie a pris son nom.

[12] Sur les bords du Crathis d'Achaïe était autrefois la ville d'Eges, que ses habitants ont dans la suite été obligés d'abandonner, à cause, dit-on, de la faiblesse et de la misère où elle était réduite. Homère fait mention de cette ville dans le discours que Junon tient à Neptune. En effet Neptune était particulièrement honoré dans ces deux villes.

[13] En nous éloignant un peu du fleuve et en prenant à droite vous trouverez un tombeau sur lequel est une figure équestre à demi effacée. Il n'y a que trente stades de là à un temple célèbre de la Terre qu'ils appellent la déesse au large sein ; sa statue est de bois et des plus anciennes. On nomme pour sa prêtresse une femme qui dès ce moment est obligée de garder toujours la chasteté ; encore faut-il qu'auparavant elle n'ait été mariée qu'une fois, et pour être assuré de la vérité on lui fait subir une épreuve, qui est de boire du sang de taureau ; si elle est coupable de parjure, ce sang devient pour elle un poison mortel. Lorsque plusieurs femmes demandent ce sacerdoce, alors c'est le sort qui en décide.

XXVI. [1] De la grotte d'Hercule au port d'Egire on compte environ soixante-douze stades. La côte d'Egire n'a rien de remarquable. Le port de même nom que la ville en est éloigné de douze stades.

[2] Cette ville est appellée par Homère Hypérésie, et n'a pris le nom d'Egire que depuis que les Ioniens sont venus s'y établir : voici à quelle occasion elle changea de nom. Les Sicyoniens ayant mis une armée sur pied, entrèrent tout à coup dans le pays des Hypérésiens ; ceux-ci n'étant égaux ni en force, ni en nombre, s'avisèrent de rassembler toutes les chèvres du pays, et de leur attacher des fascines aux cornes ; ensuite pendant une nuit fort obscure ils mirent le feu à ces fascines.

[3] Les ennemis crurent que c'était du secours qui arrivait aux Hypérésiens, et s'en retournèrent chez eux ; depuis cette aventure la ville prit le nom d'Egire, d'un mot grec qui signifie des chèvres ; et dans le lieu même où une belle chèvre qui conduisait le troupeau s'était couchée, les Hypérésiens bâtirent un temple à Diane sous le titre de Diane Agrotera, persuadés que le stratagème dont ils s'étaient servis pour tromper l'ennemi leur avait été inspiré par cette Déesse.

[4] Cependant le nom d'Hypérésie subsista quelque temps, et c'est ainsi qu'Orée dans l'île Eubée s'appelle encore quelquefois Hestiéa, qui est son ancien nom. Les curiosités de la ville d'Egire consistent premièrement en un temple de Jupiter, où le Dieu est représenté assis ; c'est une statue de marbre du mont Pentélique, faite par Euclidas. On voit dans le même temple une Minerve en bois, dont le visage, les mains et les pieds sont d'ivoire ; le reste de la statue est doré, et peint de diverses couleurs.

[5] Secondement en un temple de Diane avec une statue de la déesse qui est d'un goût fort moderne ; ce temple est desservi par une jeune fille qui exerce le sacerdoce jusqu'à ce qu'elle soit nubile. Vous y verrez une autre statue d'un goût très ancien, que les Egirates disent être d'Iphigénie fille d'Agamemnon ; si cela est, on peut croire que ce temple a d'abord été dédié à Iphigénie.

[6] Celui d'Apollon est à voir pour son ancienneté qui paraît surtout aux ornements de la voûte ; la statue du Dieu est fort ancienne ; c'est une statue de bois toute nue, et d'une grandeur prodigieuse : les Egirates ne savent pas eux-mêmes qui en a été l'ouvrier ; mais quiconque a vu l'Hercule de Sicyone jugera aisément que ces deux statues sont de la même main, et par conséquent de Laphaès célèbre sculpteur de Phliasie.

[7] Vous y verrez aussi d'un côté quelques statues d'Esculape qui sont toutes droites ; de l'autre un Sérapis et une Isis, les unes et les autres de ce beau marbre du mont Pentélique. Vénus la Céleste est en singulière vénération cher ces peuples ; il n'est pas permis aux hommes d'entrer dans son temple ; ils n'entrent même qu'à certains jours dans le temple de la déesse de Syrie ; car ainsi l'appelle-t-on, et ce n'est qu'après s'être préparés par des purifications et par des jeûnes.

[8] J'ai vu encore à Egire une petite chapelle où il y a une Fortune qui tient une corne d'abondance à la main, et auprès est l'Amour avec des ailes, apparemment pour donner à entendre qu'en amour la fortune fait plus que la beauté. Pour moi je n'ai pas de peine à croire ce que dit Pindare dans une de ses odes, que la Fortune est une des Parques, et celle de toutes qui a le plus de pouvoir.

[9] Je remarquai dans la même chapelle un tableau qui représente un homme en cuirasse, déjà âgé, et qui jette les hauts cris ; près de lui trois femmes qui ôtent leurs bracelets, et trois jeunes hommes qui paraissent fort affligés : quelques Achéens me dirent que c'était un citoyen d'Egire qui avait été tué à la guerre après avoir donné de grandes preuves de valeur ; les trois jeunes hommes étaient ses frères qui vinrent apporter la nouvelle de sa mort à Egire, et les trois femmes étaient ses soeurs qui pour marquer leur douleur jetèrent aussitôt leurs ornements : les gens du pays n'appellent point autrement ce vieillard que le père pitoyable, parce qu'en effet la pitié est peinte sur son visage.

[10] D'Egire, ou plutôt du temple de Jupiter à Phelloé, il y a quelque quarante stades, et vous avez un chemin qui vous y mène à travers les montagnes. Phelloé est une petite ville de peu de réputation, et qui n'a pas toujours été habitée, même du temps que les Ioniens étaient les maîtres du pays ; le terroir d'alentour est un assez bon vignoble : la partie la plus montagneuse est couverte de bois, où vous trouvez beaucoup de bêtes fauves, comme des cerfs et des sangliers.

[11] S'il y a dans la Grèce un lieu qui abonde en ruisseaux et en sources c'est Phelloé ; Bacchus et Diane y ont chacun un temple : Diane est en bronze, tirant une flèche de son carquois ; Bacchus a le visage peint de vermillon. Quand vous êtes descendus d'Egire au port, si vous avancez quelques pas, vous verrez le temple de Diane Agrotéra ; c'est justement l'endroit où les habitants disent que la chèvre qui était à la tête des autres se reposa.

[12] Les Pellénéens sont limitrophes des Egirates ; ils sont situés à l'extrémité de l'Achaïe entre Sycione et le pays d'Argos ; si l'on s'en rapporte à eux, ils ont pris leur nom de Pallas qui était un des Titans ; mais si l'on en croit les Argiens, leur fondateur a été Pellen d'Argos fils de Phorbas, et petit-fils de Triopas.

[13] Entre Egire et Pellène vous avez la petite ville de Gonusse qui appartient aux Sicyoniens, et dont ils prétendent qu'Homère a voulu parler dans le dénombrement des vaisseaux, lorsqu'il a dit :

Sortis d'Hypérésie, ou du roc de Donusse.

Car c'est Gonesse, disent-ils, qu'il faut lire ; et Pisistrate qui a recueilli les poésies d'Homère éparses de côté et d'autre, ou quiconque lui a aidé, a bien pu faire ce léger changement ou par mégarde, ou par ignorance. Le port des Pellénéens se nomme les Aristonautes ; il est à six-vingt stades de la partie maritime d'Egire, et l'on en compte soixante du port d'Egire à Pellène.

[14] Le nom d'Aristonautes vient, à ce qu'ils disent, de ce que les Argonautes mouillèrent à ce port. Pe1lène est sur une montagne qui s'élève en pointe, et dont le sommet ne saurait être habité ; ainsi les maisons au lieu d'être continues suivent la disposition du terrain, et sont bâties des deux côtés sur le penchant de la colline.

XXVII. [1] En allant à Pellène on trouve un Mercure qui le surnom de Dolius, et l'opinion des peuples est que ce Dieu exauce toutes les prières qu'on lui fait ; il est de figure carrée avec une grande barbe, et une espèce de chapeau sur la tête.

[2] Sur le même chemin est un temple de Minerve, bâti de pierres du pays ; la statue de la Déesse est d'or et d'ivoire ; on croit que c'est un ouvrage de Phidias, et qu'il fit cette Minerve avant celle qui est dans la citadelle d'Athènes, et celle qui est à Platée. Les Pellénéens disent que sous le piédestal de la statue il y a une fosse fort profonde, d'où s'élèvent sans cesse des vapeurs qui ne contribuent pas peu à conserver l'ivoire.

[3] Au-dessus du temple de Minerve est un bois consacré à Diane conservatrice, et fermé de muraille : on jure dans le pays par cette divinité aux grandes occasions ; nul ne peut entrer dans ce bois que les prêtres de la Déesse, et ce sacerdoce n'est confié qu'à des gens du pays, et à des personnes de la plus illustre naissance. Vis-à-vis du bois sacré c'est le temple de Bacchus, qui à cause des illuminations que l'on fait à sa fête est surnommé Lampter, et l'on appelle cette fête Lampteria ; en effet on allume dueant la nuit un grand nombre de flambeaux, et le vin coule dans toutes les rues.

[4] On voit aussi à Pellène un temple d'Apollon surnommé Théoxénius, où le Dieu est en bronze ; il se célèbre des jeux en son honneur, le prix est une somme d'agent, et il n'y a que les citoyens de Pellène qui soient recus à le disputer : ces jeux se nomment Théoxénia. Près du temple d'Apollon est celui de Diane ; la Déesse est représentée en chasseresse qui tire de l'arc. Dans la place publique il y a un réservoir où l'eau vient par un aqueduc : on ne se sert que de l'eau du ciel pour les bains publics, parce que les fontaines d'eau douce sont en petit nombre, et au bas de la ville ; le lieu où elles sont s'appelle Glycées.

[5] Là vous verrez un ancien bâtiment, c'est une espèce d'académie où les jeunes gens apprennent leurs exercices, et l'on n'admet personne au gouvernement de la république, qu'il n'ait fait ses exercices dans sa jeunesse. Promaque de Pellène fils de Dryon, a dans ce lieu une belle statue ; c'était un célèbre athlète qui remporta le prix du pancrace trois fois aux jeux isthmiques, deux fois aux néméens, et une fois aux olympiques : ses concitoyens pour honorer sa mémoire lui érigèrent une statue de bronze à Olympie, et une de marbre dans l'académie dont je parle.

[6] On dit que ce Promaque à un combat qui se donna entre les Pellénéens et les Corinthiens, tua de sa main nombre d'ennemis : on dit aussi qu'il remporta la victoire sur Polydamas, lorsque celui-ci renvoyé par le roi de Perse dans sa patrie voulut combattre une seconde fois aux jeux olympiques ; mais les Thessaliens nient que Polydamas ait jamais eu du dessous dans aucun combat ; ils en apportent plusieurs preuves, et entre autres cette inscription en vers qui est au bas de sa statue :

L'heureux Polydamas eut toujours la victoire ;
Scotusse, tu lui dois ta fortune et ta gloire.

[7] Quoi qu'il en soit, les Pellénéens ont un grand respect pour la mémoire de Promaque. A l'égard de Chéron qui se rendit célèbre aussi par plusieurs victoires qu'il remporta aux jeux olympiques, ils ne prononcent pas son nom volontiers, sans doute parce qu'il abolit chez eux le gouvernement républicain ; car il se laissa corrompre par Alexandre fils de Philippe qui lui offrit le pouvoir souverain dans sa patrie, et il en devint le tyran.

[8] Ces peuples ont encore un temple de Lucine, bâti dans le quartier de la villé le moins considérable. Le temple de Neptune, ou le Posidion, comme ils le nomment, est après le gymnase ; c'était autrefois une bourgade, et même le siège d'une tribu, mais aujourd'hui c'est un endroit désert qui passe pourtant toujours pour être consacré à Neptune.

[9] A soixante stades de Pellène vous trouvez le Mysée, qui est un temple de Cérès Mysienne, bâti, à ce que l'on croit, par Mysus d'Argos, que les Argiens disent avoir eu l'honneur de loger Cérès chez lui. Près du temple est un bois sacré, planté de toute sorte d'arbres, et arrosé de plusieurs ruisseaux.

[10] La fête qui est instituée en l'honneur de Cérès, dure sept jours ; au troisième jour tous les hommes sortent du temple ; les femmes restées seules sacrifient durant la nuit, et observent toutes les cérémonies prescrites par la loi ; elles chassent non seulement les hommes, mais même les chiens : le lendemain les hommes reviennent voir les femmes dans le temple, ce qui donne lieu à beaucoup de plaisanteries de part et d'autre.

[11] Le temple d'Escu-lape n'est pas loin du Mysée ; ils le nomment le Cyros ; là il se fait beaucoup de guérisons : c'est un lieu plein de fontaines, dont la principale est ornée de la statue du Dieu. Il sort plusieurs fleuves des montagnes qui sont au-dessus du Pellène, entre autres le Crius qui prend son cours du côté d'Egire ; on croit que ce fleuve est ainsi appellé du nom de Crius l'un des Titans,

[12] de même qu'un autre fleuve de même nom, qui sort du mont Sypile, et va se jeter dans l'Hermus. Du côté que les Pelléniens confinent aux Sicyoniens, ils ont encore un fleuve qui va tomber dans la mer Sicyonienne ; c'est le dernier des fleuves de l'Achaïe.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.