[Histoire de l'Arcadie]

Monin, 1830

I. [1] L'Arcadie est tournée d'un côté vers l'Argolide, et de ce côté-là habitent les Tégéates et les Mantinéens. Eux et tous les peuples d'Arcadie sont en terre ferme, et comme au centre du Péloponnèse ; car les Corinthiens occupent le fond de l'isthme ; aux Corinthiens touchent les Epidauriens du côté de la mer Egée. Epidaure, Trézène et Hermione avoisinent le golfe d'Argos, et toutes ces côtes que tiennent les Argiens. Au-delà des Argiens sont les Lacédémoniens qui ont pour voisins les Messéniens ; ceux-ci descendent jusqu'à la mer par Méthone, Pylos et Cyparissie.

[2] Du côté du Léchée les Corinthiens sont bornés par les Sicyoniens, qui de ce côté-là sont les plus reculés de tous les peuples de la domination d'Argos. Au-dessus de Sicyone c'est l'Achaïe qui s'étend aussi jusqu'aux rivages de la mer. A l'autre pointe du Péloponnèse vis-à-vis des îles Echinades, ce sont les Eléens qui confinent aux Messéniens du côté d'Olympie vers l'embouchure de l'Alphée, et aux Achéens du côté de Dymes.

[3] Or tous ces peuples sont environnés de la mer. Les Arcadiens seuls sont dans le milieu des terres, et fort éloignés des côtes ; c'est pourquoi lorsqu'Homère nous les représente s'embarquant pour le siège de Troie, c'est sur les vaisseaux d'Agamemnon, et non sur les leurs propres.

[4] Suivant leur tradition, Pélasgus fut le premier homme qui parut dans le pays. Selon toute apparence, ils ne veulent pas dire qu'il s'y soit trouvé seul ; car sur qui aurait-il régné ? Je crois donc pour moi que Pélasgus était un homme extraordinairement avantagé du ciel, qui surpassait les autres en grandeur, en force, en bonne mine, et en toutes les qualités de l'esprit et du corps ; ce qui revient assez à l'idée que le poète Asius nous en donne, quand il dit :

Sur le sommet d'un roc qui menace les cieux
Pélasgus vint au jour, héros semblable aux dieux.
Les peuples d'alentour, d'une humeur mercenaire
En recevant ses lois trouvèrent leur salaire.

[5] Pélasgus ayant donc commencé à régner, apprit aux Arcadiens à se faire des cabanes qui pussent les défendre de la pluie, du froid et du chaud, en un mot de l'inclémence des saisons. Il leur apprit aussi à se vêtir de peaux de sangliers, comme font encore à présent les paysans de l'Eubée et de la Phocide. Jusques-là ils ne s'étaient nourris que de feuilles d'arbres, d'herbes et de racines, dont quelques-unes bien loin d'être bonnes à manger, étaient nuisibles.

[6] Il leur conseilla l'usage du gland, ou pour mieux dire, du fruit que porte le hêtre ; et cette nourriture leur devint si ordinaire, que longtemps après Pélasgus, les Lacédémoniens venant consulter la Pythie sur la guerre qu'ils voulaient faire aux Arcadiens pour les en détourner elle leur répondit ainsi :

Eussiez-vous Jupiter et tous les Dieux propices,
Un peuple qui de gland fait toutes ses délices,
Peut-il ne pas livrer de terribles combats ?
Mais suivez vos destins, je ne vous retiens pas.

II. [1] On dit que Pélasgus donna son nom à cette contrée, et qu'elle fut appelée la Pélasgie. Son fils Lycaon fut à quelques égards encore plus sage et plus prudent ; car il bâtit la ville de Lycosure sur le mont Lycée ; il fit honorer Jupiter sous le nom de Jupiter Lycéen, et il institua en son honneur des jeux qui furent aussi appelés Lycéens. Je crois que les Panathénées n'étaient pas encore instituées à Athènes ; en effet, ces fêtes s'appelèrent d'abord les Athénées, et n'eurent le nom de Panathénées qu'après que Thésée eut rassemblé les peuples de l'Attique dans une seule ville.

[2] Je ne parle point ici des jeux olympiques, parce qu'on en place l'institution en des temps si éloignés, qu'à peine y avait-il alors des hommes sur la terre. Si l'on en croit quelques-uns, Saturne et Jupiter luttèrent l'un contre l'autre à Olympie ; et les premiers qui disputèrent le prix de la course entre eux, ce furent les Curètes. Pour Lycaon, je crois qu'il régnait en Arcadie dans le temps que Cécrops régnait à Athènes ; mais Cécrops régla le culte des dieux, et les cérémonies de la religion avec beaucoup plus de sagesse.

[3] Il fut le premier qui appella Jupiter le Dieu suprême ; il défendit que l'on sacrifiât aux dieux rien qui fût animé, et voulut que l'on se contentât de leur offrir des gâteaux du pays, et de ces espèces de gâteaux que les Athéniens appellent encore aujourd'hui d'un nom particulier. Au contraire Lycaon immola un enfant à Jupiter Lycéus, et trempa ses mains dans le sang humain ; aussi dit-on qu'au milieu du sacrifice il fut changé en loup, ce qui n'est pas croyable.

[4] Car outre que le fait passe pour constant parmi les Arcadiens, il n'a rien contre la vraisemblance. En effet, ces premiers hommes étaient souvent les hôtes et les commensaux des dieux, c'était la récompense de leur justice et de leur piété ; les bons étaient honorés de la visite des dieux, et les méchants éprouvaient sur le champ leur colère ; de là vient que plusieurs d'entre les hommes furent alors déifiés, et qu'ils jouissent encore des honneurs divins, témoin Aristée, Britomartis de Crète, Hercule fils d'Alcmène, et Amphiaraüs fils d'Oïclès, auxquels on peut ajouter Castor et Pollux.

[5] Par la raison contraire on peut bien croire que Lycaon prit la figure d'une bête, et que Niobé fille de Tantale fut changée en rocher ; mais aujourd'hui que les hommes sont généralement corrompus, et qu'il n'y a pas une ville, pas un coin de terre qui ne soit plein de leurs iniquités, on ne voit plus que les dieux en adoptent aucun, si ce n'est par de vaines apothéoses qu'invente la flatterie ; et la justice divine devenue plus lente et plus tardive se réserve à punir les coupables après leur mort.

[6] Or de tout temps les événements extraordinaires et singuliers en s'éloignant de la mémoire des hommes, ont cessé de paraître vrais, par la faute de ceux qui ont bâti des fables sur les fondements de la vérité ; car depuis l'aventure de Lycaon l'on a débité qu'un autre sacrifiant à Jupiter Lycéus avait été aussi changé en loup ; qu'il reprenait figure d'homme tous les dix ans, si dans cet intervalle il s'était abstenu de chair humaine, et qu'autrement il demeurait loup.

[7] D'autres vous diront que durant l'été on voit la Niobé du mont Sipyle toute en pleurs. Quelques-uns m'ont fait des contes d'animaux qui ne furent jamais, comme des griffons, qui, selon eux, ont la peau tachetée ainsi que les léopards, et de Tritons qui ont une voix d'homme, et qui jouent des airs sur leurs conques comme sur une flûte. Ceux qui prennent plaisir au récit de ces fables, y en ajoutent encore d'autres de leur propre invention. Voilà comme la vérité se trouve obscurcie et presque étouffée par les mensonges que l'on y mêle.

III. [1] Ce n'était encore que la troisième génération depuis Pélasgus, et déjà il y avait dans le pays une multitude d'hommes et même de villes. Nyctimus l'aîné des fils de Lycaon avait succédé à son père ; ses autres enfants s'étant séparés bâtissaient des villes, les uns d'un côté, les autres d'un autre.

[2] Pallantium fut bâtie par Pallas, Oresthasium par Oresthéüs, Phigalie par Phigalus. Le poète d'Himéra, Sthésicore, a fait mention de Pallantium dans son Géryon Jupiter. Pour Oresthasium, elle changea de nom dans la suite, et fut appellée Orestée du nom d'Oreste fils d'Agamemnon. Phigalie fut aussi nommée Phialie, à cause de Phialus fils de Bucolion. Les autres enfants de Lycaon furent Trapezéüs, Dacéate, Macaréüs, Hélisson, Acacns, et Thocnus. Ce dernier bâtit la ville de Thocnie, et Acacus fut fondateur d'Acacésium. Les Arcadiens prétendent que c'est d'Acacus qu'Homère a pris le surnom qu'il donne à Mercure.

[3] Le fleuve et la ville d'Hélisson durent leur nom à Hélisson, de même que Macarie, Dacée, et Trapezunte durent le leur à ses frères. Orchomène alla bâtir Methydrion, et fut le père des Orchoméniens, ce peuple si riche en bestiaux, qu'Homère le distingue par cette épithète. Hypsus jeta les fondements de Mélénée, d'Hypsunte, et de Tyrsée qui subsiste encore. Si l'on en croit les Arcadiens, Tyrée ville du pays d'Argos eut pour fondateur Thyréate, qui donna aussi son nom au golfe près duquel elle est bâtie.

[4] Mantinée, Tégée, et Ménale cette ville autrefois si célèbre en Arcadie, rapportent leur origine à Ménalus, à Tégéate, et à Mantinéüs qui étaient encore fils de Lycaon. Cromes fut bâtie par Cromus, Charisia par Charisius. Les Tricolons viennent de Tricolonus, les Péréthéens de Péréthus, les Aséens d'Aséatès, les Lycéates de Lycéus, les Sumatiens de Sumatéüs. Enfin Héréus et Aliphorus bâtirent aussi deux villes qui portent le nom de leurs fondateurs.

[5] Oenotrus le plus jeune des fils de Lycaon ayant obtenu de Nyctimus son frère aîné de l'argent et des troupes, fit voile en Italie ; non seulement il s'y établit, mais il y régna, et donna son nom à cette contrée. Ce fut la première colonie grecque qui alla habiter une terre étrangère ; et pour parler en historien exact, je ne crois pas même qu'il y ait eu aucune peuplade de barbares plus ancienne.

[6] Parmi ce grand nombre d'enfants Lycaon n'eut qu'une fille ; elle se nommait Callisto. Je rapporte ce que disent les Grecs. Jupiter en étant devenu amoureux eut commerce avec elle. Junon le sut, et changea sa rivale en ourse ; Diane ensuite, pour faire plaisir à Junon, tua cette ourse à coups de flèches. Jupiter donna ordre à Mercure de sauver l'enfant : car la malheureuse Callisto était grosse.

[7] Pour la mère, il la plaça au ciel, et en fit une constellation que l'on nomme la grande ourse. Homère en parle, lorsqu'il décrit la navigation d'Ulysse au sortir de chez la nymphe Calypso ; cependant je crois que cela ne veut dire autre chose, sinon que l'on appella cette constellation Callisto pour faire honneur à la fille de Lycaon ; car après tout les Arcadiens montrent encore aujourd'hui la sépulture de cette princesse.

IV. [1] Nyctimus étant mort, Arcas fils de Callisto prit possession du royaume. Instruit par Triptoleme il apprit à ses sujets à semer du blé à faire du pain, à filer de la laine, et à en faire des étoffes et des habits, comme Aristée lui avait enseigné. Sous son règne le pays quitta le nom de Pélasgie pour celui d'Arcadie, et les Pélasges commencèrent à s'appeller Arcadiens.

[2] On dit qu'Arcas épousa non une mortelle, mais une Dryade ; car les Arcadiens appellent Dryades et Epiméliades cc que les autres appellent Naïades ; dans Homère il est souvent fait mention des Naïades. La nymphe qu'Arcas épousa se nommait Erato ; il en eut trois fils, Azan, Aphidas, et Elatus ; et avant que de se marier il avait eu un bâtard nommé Autolaüs.

[3] Lorsque ses enfants furent en âge, il partagea le royaume entre eux. La part qui échart à Azan fut nommée Azanie, d'où l'on dit que sortit ensuite un essaim de peuple, qui alla se répandre sur les bords du fleuve Pencale en Phrygie, et aux environs de cette grotte que l'on appelle Steunos. Aphidas eut pour sa part Tégée avec les terres adjacentes ; de là vient que les poètes appellent Tégée l'héritage d'Aphidas ; celui d'Elatus fut le mont Cyllène qui alors était son nom.

[4] Elatus au bout de quelque temps passa dans le pays que l'on nomme aujourd'hui la Phocide, joignit ses forces à celles des Phocéens pour les aider à repousser les Phlégyens qui leur faisaient la guerre avec avantage, et bâtit en ce pays la ville d'Elatée. Azan eut une fille nommée Clitor : Aphidas eut Aléüs ; pour Elatus on lui donne cinq fils, Epytus, Péréüs, Cyllen, Ischys, et Stymphale.

[5] A l'occasion de la mort d'Azan on célébra des jeux funèbres pour la première fois ; je suis sûr au moins qu'il y eut des courses de chevaux ; d'autres sortes de jeux, je ne le sais pas. Clitor fit sa résidence à Lycosure ; ce fut un des plus puissants rois de son temps, et il bâtit une ville qui porta le nom de son fondateur. Aléüs se maintint en possession des terres qui lui étaient échues en partage.

[6] Quant aux enfants d'Elatus, Cyllen donna son nom au mont Cyllène, et Stymphale donna le sien non seulement à une fontaine du pays, mais à une ville qu'il bâtit auprès. J'ai déjà parlé d'Ischys et de sa fille dans mon voyage historique du pays d'Argos. Péréüs ne laissa qu'une fille, elle s'appellait Nééra, et fut femme d'Autolycus qui habitait le mont Parnasse, et qui passait pour fils de Mercure, quoiqu'à dire le vrai il fut fils de Dédalion.

[7] Clitor fils unique d'Azan mourut sans enfants, ce qui fit que le royaume d'Arcadie passa à Epytus l'aîné de ses neveux. Ce prince étant à la chasse où il semblait n'avoir à craindre que des bêtes féroces, fut piqué d'un serpent et en mourut. J'ai vu de cette espèce de serpents plus venimeux que les autres, ils sont de la grosseur d'une vipère, de couleur cendrée avec des taches par intervalles ; ils ont la tête large, le cou menu, le ventre gros, et la queue fort courte ; ces serpents et quelques autres se meuvent obliquement comme les cancres.

[8] Epytus eut pour successeur Aléas ; car Agamede et Gyrtis tous deux fils de Stymphale descendaient d'Arcas par quatre degrés de génération, au lieu qu'Aléas fils d'Aphidas était plus proche d'un degré. Cet Aléüs fit bâtir le temple de Minerve Aléa qui se voit encore à Tégée, et cette ville fut le siège et la capitale de son empire. Gyrtis fils de Stymphale fonda, la ville de Gyrtis sur un fleuve qui du nom de ce prince fut appellé Gyrtinius. Aléüs eut trois fils, Lycurgue, Amphidamas et Céphée, et une fille qui eut nom Augé.

[9] Hécatée nous apprend qu'Hercule étant venu à Tégée, eut commerce avec Augé. Aléüs informé de l'accouchement de sa fille, enferma la mère et l'enfant dans un coffre qu'il abandonna aux flots de la mer. Ce coffre fut porté jusqu'à l'embouchure du Caïque, et recueilli par Teuthras homme puissant dans le pays, qui l'ayant ouvert fut si charmé de la beauté d'Augé, qu'il l'épousa. On montre encore la sépulture de cette princesse à Pergame sur le Caïque ; c'est une petite éminence entourée d'une balustrade de pierres ; on voit sur sa tombe une femme toute nue en bronze.

[10] Après la mort d'Aléas le royaume vint à Lycurgue par droit d'aînesse. Ce prince employa la ruse et l'artifice pour se défaire d'Aréthus homme remuant et belliqueux, et ce fut tout ce qu'il fit de considérable. Il eut deux fils, Ancée et Epochus ; ce dernier mourut de maladie. Ancée après avoir accompagné Jason dans son expédition de la Colchide, se joignit à Méléagre pour combattre le sanglier de Calydon ; mais il fut tué par ce terrible animal. Lycurgue ayant perdu ses deux fils, finit ses jours dans un âge fort avancé ; il eut pour successeur Echémus fils d'Aéropus, petit-fils de Céphée, et arrière-petit-fils d'Aléüs.

V. [1] Sous le règne d'Echémus et sous ses ordres, les Achéens remportèrent une grande victoire auprès de l'isthme de Corinthe sur Hyllus fils d'Hercule, qui à la tête d'une armée de Doriens voulait rentrer dans le Péloponnèse. Echémus provoqué par Hyllus à un combat singulier, le tua de sa main ; ainsi le rapportent plusieurs historiens, et je crois ce sentiment plus probable que celui de quelques autres, qui disent que ce fut du temps d'Oreste et sous son règne, qu'Hyllus tenta son entreprise sur le Péloponnèse : mais suivant la premiere opinion, il convient de croire aussi que Timandre fille de Tyndare, était femme d'Echémus par qui Hyllus fut tué.

[2] Echémus eut pour successeur Agapénor fils d'Ancée, et petit-fils de Lycurgue ; il commanda les troupes Arcadiennes au siège de Troie. Après la prise d'Ilion, la même tempête qui dispersa la flotte des Grecs, jeta Agapénor et les siens sur les côtes de Chypre : contraint par la nécessité il s'établit à Paphos, et là il bâtit un temple à Vénus ; car auparavant cette déesse n'était honorée qu'à Golgos petite ville de l'île de Chypre.

[3] Ensuite Laodice fille d'Agapénor envoya un voile à Tégée pour Minerve Aléa : l'inscription portait que Laodice, par considération pour la célèbre ville de Tégée sa patrie, envoyait de Chypre cette offrande à Minerve.

[4] Agapénor n'ayant pu revenir en son pays, l'empire des Arcadiens passa à Hippothoüs, qui avait Cercyon pour père, Agarnede pour aïeul, et Stymphale pour bisaïeul. Hippothoüs ne fit rien de mémorable durant son règne, si ce n'est qu'il transféra le siège de l'empire à Trapezunte ; car jusques là les rois d'Arcadie avaient fait leur séjour à Tégée.

[5] Ce prince eut pour successeur son fils Epytus. Ce fut de son temps qu'Oreste fils d'Agamemnon averti par l'oracle de Delphes, quitta Mycènes pour se transplanter en Arcadie. Epytus ayant eu la témérité d'entrer dans le temple de Neptune à Mantinée, contre la défense qui subsiste encore aujourd'hui (car les hommes n'y entrent point), il fut privé de la vue, et peu de temps après il mourut, laissant le royaume à son fils Cypsélus.

[6] Sous le règne de celui-ci la flotte des Doriens pénétra dans le Péloponnèse, non plus par l'isthme de Corinthe, comme trois générations auparavant, mais en prenant au-dessus du promontoire de Rhion. Cypsélus en ayant appris la nouvelle, et songeant à se garantir de l'invasion, donna sa fille en mariage à Cresphonte un des fils d'Aristomaque ; par cette alliance il se mit en état de ne rien craindre.

[7] Son fils et son successeur fut Laïas ; ce prince, soutenu par les Héraclides qui étaient venus d'Argos et de Lacédémone à son secours, ramena à Messène Epytus fils de sa soeur, Bucolion fils de Laïas succéda à son père ; il eut aussi un fils nommé Phialus, qui, pour dépouiller Phigalus fils de Lycaon de l'honneur d'avoir fondé la ville de Phigalie, voulut la faire appeller de son nom Phialie, à quoi pourtant il ne réussit pas entièrement.

[8] Sous le règne de son fils Simus, une ancienne statue de Cérès surnommée la Noire, fut consumée par le feu, ce que l'on prit pour un présage de la mort du Roi, qui arriva peu de temps après. Pompus monta sur le trône de son père : il fit fleurir le commerce par l'entremise des Eginètes qui venaient débarquer à Cyllène, et faisaient ensuite voiturer leurs marchandises en Arcadie sur des mulets ; et pour signaler sa reconnaissance envers ces insulaires, il donna le nom d'Eginète à son fils.

[9] Eginète régna donc après lui, et eut pour successeur Polymestor. Ce fut en ce temps-là que les Lacédémoniens, sous la conduite de Charillus, firent pour la première fois une irruption sur les terres des Tégéates. Tout s'arma contre eux, hommes et femmes. Les Lacédémoniens perdirent la bataille, et leur général fut pris avec bon nombre des siens : mais je parlerai plus amplement de Charillus et de son expédition, lorsque j'en serai aux affaires des Tégéates.

[10] Polymestor n'ayant point laissé d'enfants, Echmis lui succéda ; il était fils de Briacas frère de Polymestor ; car Eginète avait eu deux fils, dont Polymestor était l'aîné, et Briacas le cadet. Durant le règne d'Echmis la guerre s'alluma entre les Lacédémoniens et les Messéniens. Ceux-ci de tout temps étaient liés d'amitié avec les Arcadiens ; c'est pourquoi ils les engagèrent sans peine à se joindre à eux, et à marcher contre les Lacédémoniens sous les enseignes d'Aristodème roi de Messénie.

[11] Aristocrate fils et successeur d'Echmis n'abusa peut-être pas pour une fois de son pouvoir ; mais il commit surtout une impiété que je veux raconter. Sur les confins des Orchoméniens du côté de Mantinée il y a un temple dédié à Diane Hymnia, et les Arcadiens ont depuis très longtemps une dévotion singulière à cette déesse, qui avait alors pour prêtresse une jeune vierge.

[12] Aristocrate er étant devenu amoureux, et ne la pouvant faire condescendre à ses volontés, la viola dans le temple même de Diane : son crime ayant été divulgué, les Arcadiens l'assommèrent aussitôt à coups de pierres ; et pour obvier à un pareil inconvénient, ils ne donnèrent plus ce sacerdoce qu'à une femme mariée.

[13] Ce prince eut pour fils Hicétas qui fut père d'Aristocrate second. Celui-ci de même nom que son aïeul, eut une fin toute semblable ; car il fut aussi assommé par les Arcadiens, convaincu de s'être laissé corrompre par les Lacédémoniens, et d'avoir par sa perfidie causé la défaite des Messéniens auprès de la grande fosse. Ce dernier crime fit perdre l'empire d'Arcadie aux descendants de Cypsélus. Au reste, tout ce que je viens de rapporter sur les généalogies et sur la suite de ces Rois, je le tiens des Arcadiens même, à qui je m'en suis soigneusement informé.

VI. [1] Quant à leurs entreprises faites du consentement de tout le peuple, la plus ancienne de toutes est la guerre de Troie. La seconde est la guerre qu'ils firent conjointement avec les Messéniens contre les Lacédémoniens. La troisième est la part qu'ils eurent au combat de Platée contre les Perses.

[2] Ils se liguèrent avec Sparte contre Athènes, mais moins par inclination que par nécessité. Ils passèrent même en Asie avec Agésilas, et suivirent la fortune de Sparte au combat de Leuctres contre les Béotiens. Cependant ils ne furent jamais de bonne foi dans l'alliance des Lacédémoniens, et une marque entre autres qu'ils en donnèrent, c'est qu'après la malheureuse journée de Leuctres ils embrassèrent les premiers le parti des Thébains. Ils ne voulurent point combattre avec les autres Grecs ni contre Philippe à Chéronée, ni contre Antipater en Thessalie, mais aussi ne prirent-ils point parti contre la cause commune.

[3] S'ils ne se trouvèrent pas aux Thermopyles pour en disputer le passage aux Gaulois, ils en disent cette raison, que s'ils avaient dégarni de troupes leur pays, les Lacédémoniens auraient profité de cette occasion pour le venir ravager. Enfin ils se montrèrent plus ardents que tout autre peuple de la Grèce à entrer dans la ligue d'Achaïe. Voilà pour la nation en commun. A l'égard de ce qu'a fait chaque ville en particulier, je le dirai en son lieu, et à mesure que l'occasion s'en présentera.


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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage complété.