[La Béotie - Platées]
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I. [1] La Béotie confine à l'Attique du
côté d'Athènes même et par d'autres
endroits. Car Eleuthère, par exemple, et Platée
sont limitrophes. Les Béotiens, pour parler de la nation
en général, ont pris leur nom de Béotus,
que l'on croit avoir été fils d'Itonus et de la
nymphe Mélanippe ; à l'égard d'Itonus, on
tient qu'il était fils d'Amphictyon. Plusieurs villes de
Béotie portent des noms d'hommes ; mais d'autres en plus
grand nombre portent des noms de femmes. Ainsi les
Platéens que je crois originaires de la terre qu'ils
habitent, tiennent leur nom de Platéa, qui était,
dit-on, fille d'un fleuve.
[2] Il est certain que dans les premiers temps, ces peuples
obéissaient à des rois ; car le gouvernement
monarchique était autrefois établi par toute la
Grèce, et le démocratique ou républicain
n'est venu qu'après. Cependant les Platéens ne
peuvent citer que deux de leurs rois, savoir Asopus, et
Cithéron qui régnait avant lui. L'un donna son nom
à un fleuve, et l'autre donna le sien à une
montagne. Je serais fort tenté de croire que
Platéa, dont la ville de Platée tire sa
dénomination, était fille d'Asopus, et non d'un
fleuve, comme on le dit.
[3] Quoiqu'il en soit, nous ne connaissons aucun exploit
militaire des Platéens avant le combat de Marathon. Ils
secondèrent parfaitement bien les Athéniens en
cette occasion, et après la descente de Xerxès en
Grèce ils eurent le courage de monter sur la flotte des
mêmes Athéniens ; ensuite dans leur propre pays,
ils taillèrent en pièces Mardonius fils de Gobryas
et général de l'armée des Perses. Deux fois
ils furent chassés de leur ville, et deux fois ils furent
rétablis.
[4] Car dans la guerre du Péloponnèse les
Lacédémoniens assiégèrent
Platée et la prirent. Mais quelque temps après, le
Spartiate Antalcidas ayant ménagé la paix entre
les Grecs par l'entremise du roi de Perse, les Platéens
qui s'étaient réfugiés à
Athènes rentrèrent dans leur patrie, où
bientôt néanmoins ils se virent exposés
à de nouveaux malheurs. En effet, quoiqu'ils ne fussent
point en guerre avec les Thébains, qu'au contraire il
protestassent qu'ils voulaient observer le traité
à leur égard, et que pour preuve de leur bonne foi
ils n'eussent en rien participé à l'entreprise des
Lacédémoniens sur la Cadmée,
[5] cependant, comme ceux-ci avaient surpris cette citadelle,
les Thébains s'en prenaient à tous ceux qui
étaient compris dans le traité, et qui auraient
dû, à ce qu'il leur semblait, empêcher cette
infraction. De sorte que les Platéens se voyant suspects
et ayant tout à craindre de la part des Thébains,
se précautionnaient en tenant une forte garnison dans
Platée. Ceux qui avaient des métairies hors la
ville n'y allaient pas même indifféremment à
toutes les heures du jour. Ils observaient le temps que les
Thébains étaient assemblés pour
délibérer sur leurs affaires, ce qui leur arrivait
souvent, et alors les bourgeois de Platée sortaient pour
aller visiter leur bien à la campagne.
[6] Mais le Thébain Néoclès, qui pour lors
était archonte, voyant la défiance et la
précaution des Platéens, résolut de les
attraper. Il commanda aux Thébains de se trouver en armes
à l'assemblée du peuple, et au lieu de tenir
conseil il les mena brusquement à Platée, non par
le droit chemin qui est à travers la plaine, mais par
Hysies, du côté d'Eleuthère et de l'Attique,
par où il était bien sûr de n'être pas
découvert. Sa marche fut si bien conduite qu'ils se
virent avant midi sous les murs de la ville.
[7] C'était l'heure que la plupart des Platéens,
croyant les Thébains assemblés à leur
ordinaire, s'étaient répandus dans la campagne
après avoir fermé sur eux la porte par où
ils étaient sortis. Néoclès entra par une
autre, se rendit maître du reste des habitants, et toute
la grâce qu'il leur fit, ce fut qu'ils auraient la vie
sauve et qu'ils sortiraient de la ville avant le coucher du
soleil, les hommes avec un habit, les femmes avec deux. Il
arriva aux Platéens en cette occasion tout le contraire
de ce qui leur était arrivé lorsqu'ils furent
assiégés par les Lacédémoniens, sous
la conduite d'Archidame ; car alors les
Lacédémoniens les resserrèrent dans leur
ville par un double mur de circonvallation, de sorte qu'ils n'en
pouvaient sortir ; et lorsque les Thébains les
surprirent, ils les empêchèrent d'y rentrer.
[8] Platée fut prise pour la seconde fois trois ans
avant le combat de Leuctres, Astéüs étant
pour lors archonte à Athènes. Les Thébains
rasèrent entièrement la ville, à
l'exception des temples. Les circonstances de ce malheur
tournèrent dans la suite à l'avantage des
Platéens ; car chassés de leur ville, ils furent
encore une fois reçus à bras ouverts par les
Athéniens ; et Philippe ayant remporté la victoire
à Chéronée, non seulement il mit garnison
dans Thèbes, mais pour susciter un ennemi aux
Thébains et hâter leur ruine, il rétablit
les Platéens dans leur patrie.
Tardieu, 1821
II. [1] Aux environs de Platée, sous le mont
Cithéron, si vous prenez un peu à droite, vous
apercevrez les ruines d'Hysies et d'Erythes, qui étaient
autrefois deux villes de la Béotie. Même parmi les
restes d'Hysies vous verrez un temple d'Apollon qui n'est
bâti qu'à demi. Près de ce temple est un
puits sacré dont l'eau avait une vertu prophétique
; car, si l'on en croit les Béotiens, ceux qui en
buvaient prédisaient l'avenir.
[2] Rentré dans le grand chemin, vous avez à
votre droite le tombeau de Mardonius ; c'est ainsi qu'ils
l'appellent, bien qu'il passe pour constant que le corps de ce
général ne se trouva point sur le champ de
bataille, et que l'on puisse ne nommer aucun Béotien qui
ait pris soin de l'enterrer. Aussi dit-on seulement qu'Artonte
fils de Mardonius fit de riches présents à
Dionysophane d'Ephèse et à quelques autres
Ioniens, parce qu'ils avaient été soigneux de
donner la sépulture à son père.
[3] Le chemin dont je parle est celui qui mène
d'Eleuthère à Platées. Si vous prenez celui
de Mégare, vous trouverez sur la droite une fontaine et
un peu plus loin une roche dite la roche d'Actéon,
parce qu'Actéon, après s'être fatigué
à la chasse, venait se reposer en ce lieu, d'où il
pouvait aisément voir Diane, lorsqu'elle se baignait dans
la fontaine voisine. Le poète Stésichore dit que
la déesse le couvrit d'une peau de cerf, et qu'elle le
fit mettre en pièces par ses chiens, pour le punir de ce
qu'il voulait épouser Sémélé.
[4] Mais sans recourir à aucune divinité, je
croirais pour moi que ces chiens devinrent enragés, et
que ne connaissant plus leur maître, ils se
jetèrent sur lui et le déchirèrent. Nul ne
sait en quel endroit du mont Cithéron Penthée fils
d'Echion porta la peine due à sa
témérité, ni où Oedipe enfant fut
exposé. Pour ce qui est de ce chemin qui fourche, et
où devenu grand il tua son père, on sait que c'est
un endroit de la Phocide, et on le connaît. Le mont
Cithéron est consacré à Jupiter
Cithéronius, j'en parlerai plus au long, lorsque la suite
de ma narration m'y aura conduit.
[5] Près des murs de Platée, on voit la
sépulture de ceux qui périrent en combattant
contre les Perses. Les autres Grecs ont une sépulture
commune, mais les Lacédémoniens et les
Athéniens en ont une à part avec des
épitaphes en vers élégiaques, faites par
Simonide. Non loin du tombeau commun à tous les Grecs, il
y a un autel dédié à Jupiter le
Libérateur ; le tombeau est de bronze, l'autel et la
statue du Dieu sont de marbre blanc.
[6] Les Platéens célèbrent encore à
présent tous les cinq ans des jeux, où le prix de
la course surtout est fort considérable. On court tout
armé devant l'autel de Jupiter. A quinze stades de la
ville, vous verrez le trophée que les Grecs
érigèrent après la victoire
remportée sur les Perses.
[7] Et dans la ville même, du côté de
Jupiter Eleutherius ou le Libérateur, on vous montrera le
monument héroïque de Platéa. J'ai
déjà dit ce que je pensais de cette Platéa
et ce qu'en pensent ces peuples. Ils ont un temple de Junon qui
est à voir tant pour sa grandeur que pour les statues
dont il est orné. En entrant on voit une Rhéa qui
présente à Saturne une pierre enveloppée de
langes, comme si c'était un enfant qu'elle eût mis
au monde. La divinité du temple, c'est Junon adulte ;
elle est représentée toute droite ; c'est une
statue d'une grandeur extraordinaire. L'une et l'autre sont de
marbre du mont Pentélique et de la façon de
Praxitèle. Il y a dans le même temple une autre
Junon qui est couchée ; celle-ci est un ouvrage de
Callimachus. Il la nomment Junon l'épousée
pour la raison que je vais dire.
III. [1] Junon se fâcha un jour contre Jupiter ; on ne
sait pas pourquoi ; mais on assure que de dépit elle se
retira dans l'Eubée. Jupiter n'ayant pu venir à
bout de la fléchir, vint trouver Cithéron qui
régnait alors à Platée. Cithéron
était l'homme le plus sage de son temps. Il conseilla
à Jupiter de faire faire une statue de bois, de
l'habiller en femme, de la mettre sur un chariot attelé
d'une paire de boeufs que l'on traînerait par la ville, et
de répandre dans le public que c'était
Platéa la fille d'Asopus, qu'il allait
épouser.
[2] Son conseil fut suivi. Aussitôt la nouvelle en vient
à Junon, qui part dans le moment, se rend à
Platée, s'approche du chariot, et dans sa colère
voulant déchirer les habits de la mariée, trouve
que c'est une statue. Charmée de l'aventure, elle
pardonna à Jupiter sa tromperie et se réconcilia
de bonne foi avec lui. En mémoire de cet
événement, ces peuples célèbrent une
certaine fête qu'ils appellent les Dédales, parce
qu'anciennement toutes les statues de bois étaient
appelées des dédales. Je crois même ce nom
plus ancien que Dédale l'Athénien fils de
Palamaon, et je me persuade que Dédale fut
surnommé ainsi à cause des statues qu'il faisait,
et que ce n'était pas son vrai nom. Un savant du pays que
j'avais pris pour m'en montrer les curiosités m'assura
que cette fête venait tous les sept ans ; mais il se
trompait, elle vient plus tôt ; cependant, quand nous
voulûmes supputer au juste le temps d'une fête
à l'autre, nous ne pûmes en venir à bout.
Voici maintenant les cérémonies que l'on y
observe.
[4] Près de la ville d'Alalcomène est le plus
grand bois qu'il y ait dans toute la Béotie ; on y voit
de vieux chênes aussi anciens que le temps. C'est
là que les Platéens s'assemblent ; ils apportent
avec eux des morceaux de viande cuite, les jettent dans ce bois,
et les défendent autant qu'ils peuvent contre les
corbeaux qui sont en grand nombre ; ils s'embarrassent peu des
autres oiseaux parce qu'ils ne sont pas si voraces. Mais si
malgré leur vigilance, quelque corbeau vient à
emporter un morceau de viande, pour lors ils observent
soigneusement sur quel arbre il va se percher, et c'est du bois
de cet arbre qu'ils font un Dédale, ou pour parler plus
clairement, une statue.
[5] Les Platéens célèbrent cette
fête en leur particulier, et alors ce sont les petits
Dédales. Les grands sont accompagnés de plus de
solennité : tous les Béotiens y assistent en
corps, mais la fête ne se fait que tous les soixante ans,
parce qu'elle fut discontinuée durant tout ce temps,
à cause de l'exil des Platéens. Aux petits
Dédales, on porte en procession quarante statues ; car
toutes celles que l'on fait chaque année sont
réservées pour le jour de la fête.
[6] Et il y a huit villes qui tirent au sort à qui aura
l'honneur de porter ces statues, Platée, Coronée,
Thespie, Tanagre, Chéronée, Orchomène,
Lébadée et Thèbes. En effet, après
que Thèbes eut été rétablie par
Cassander fils d'Antipater, toutes ces villes s'étant
réconciliées avec les Platéens, voulurent
être associées à la cérémonie
des Dédales et faire chacune à son tour les frais
du sacrifice. Les villes de moindre considération
s'unissent ensemble et contribuent à la dépense
selon leurs forces. Or voici de quelle manière la
fête se passe.
[7] Ces peuples ainsi assemblés portent une statue de
femme sur les rives de l'Asope, ils la mettent sur un chariot,
et une jeune mariée se place à côté
d'elle ; puis ils tirent au sort entre eux pour voir qui aura le
pas et réglera la marche. Après ces
préliminaires ils conduisent le chariot depuis l'Asope
jusqu'au haut du mont Cithéron du côté de
Thèbes. Là ils trouvent un autel tout
préparé, fait de pièces de bois
coupées en carré et emboîtées les
unes dans les autres comme pour un ouvrage de maçonnerie.
Cet autel est couvert d'un monceau de sarments, en sorte qu'il
n'y a plus qu'à y mettre le feu.
[8] Les villes considérables sacrifient une vache
à Junon et un taureau à Jupiter, après
avoir versé du vin et brûlé des parfums sur
ces victimes ; on range en même temps tous les
Dédales sur l'autel. Les particuliers qui sont riches se
piquent de faire comme les villes ; les autres immolent des
victimes de moindre prix. Tout ce que l'on offre en sacrifice
est consumé par le feu avec l'autel, et la flamme est si
grande que je la vis de fort loin.
[9] Sur le même coteau où ils
élèvent cet autel, environ quinze stades
au-dessous, on voit l'antre des nymphes Cithéronides ;
ils appellent ce lieu Sphragidium et ils assurent
qu'autrefois ces nymphes avaient le don de
prophétie.
IV. [1] Les Platéens ont aussi un temple de Minerve
Aréa, qu'ils disent avoir bâti des
dépouilles remportées au combat de Marathon,
desquelles les Athéniens leur firent part. La statue de
la déesse est dorée, à la réserve du
visage, des mains et des pieds, qui sont du plus beau marbre ;
elle est presque aussi grande que la Minerve de bronze qui est
dans la citadelle d'Athènes, et que les Athéniens
consacrèrent comme les prémices des mêmes
dépouilles ; mais la Minerve des Platéens est un
ouvrage de Phidias.
[2] On voit de fort belles peintures dans le temple, d'un
côté, Ulysse, maître chez lui, après
avoir tiré vengeance de ces insolents qui aspiraient
à épouser sa femme ; de l'autre, la
première expédition des Argiens contre
Thèbes. Le premier tableau est de Polygnote, le second
d'Onatas. Ces peintures sont sur les murs du parvis. Aux pieds
de la statue de Minerve vous voyez Arimneste qui commandait les
Platéens à la journée de Marathon, et
depuis au combat qui fut donné contre Mardonius.
[3] Outre le temple de Minerve, vous pourrez voir une chapelle
de Cérès Eleusienne, et le tombeau de
Léitus ; ce Léitus fut le seul de tous les chefs
des Béotiens qui revint du siège de Troie. On vous
montrera aussi la fontaine Gargaphia, dont on dit que Mardonius
infecta l'eau, parce que les Grecs, qui étaient
campés auprès, n'en avaient point d'autre à
boire. Depuis, les Platéens l'ont fait nettoyer.
[4] Sur le chemin qui mène de Platée à
Thèbes, vous trouvez le fleuve Péroé ; on
tient qu'Asopus eut une fille de ce nom. Avant que de passer
l'Asope, si en suivant son cours et en descendant vous voulez
faire quelque quarante stades, vous verrez les ruines de la
ville de Scolum, parmi lesquelles s'est conservé un
temple non encore achevé de Cérès et de
Proserpine, avec deux bustes de ces Déesses. L'Asope
sépare encore aujourd'hui comme autrefois le territoire
des Platéens de celui des Thébains.
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Traduction par l'abbé Gédoyn (1731, édition
de 1794)
NB : Orthographe modernisée et chapitrage
complété.