I. Parlons maintenant des mines de cuivre, métal placé au troisième rang pour la valeur et pour l'usage. Encore estime-t-on l'airain de Corinthe plus que l'argent, et, peu s'en faut, plus que l'or même. Le nom de cuivre reste aussi consacré dans la finance, comme nous l'avons dit. De là les expressions sera militum (solde des soldats), tribuni terarii (tribuns du trésor), cerarium (trésor public), obierati (obérés), aere diruti (soldats privés de leur paye par punition). Nous avons indiqué combien de temps le peuple romain employa seulement le cuivre comme monnaie. D'ailleurs, un autre fait antique atteste pour ce métal une estime contemporaine de Rome : c'est que le troisième collège établi par le roi Numa fut composé des fondeurs de cuivre.

II. Le filon étant exploité comme pour les métaux précédents, on soumet le minerai à l'action du feu. Le cuivre se tire encore d'une pierre cuivreuse appelée cadmie (XXXIV, 22). On renomme le cuivre d'outre-mer. On renommait jadis celui de la Campanie, qui a cédé la prééminence au cuivre du territoire de Bergame, à l'extrémité de l'Italie. On dit même que depuis peu il en a été trouvé dans la province Germanique. (II.) On en obtient aussi de la pierre dite chalcitis, dans l'île de Chypre, où s'est faite la découverte du cuivre. Bientôt le cuivre de Chypre tomba dans le discrédit, parce qu'il s'en rencontra de supérieur en d'autres pays, surtout l'aurichalcum, qui fut longtemps le meilleur et le plus recherché. Il y a bien des années qu'on ne trouve plus d'aurichalcum, la terre étant épuisée. Après celui-là le meilleur cuivre a été le Sallustien, qu'on tirait du territoire des Centrons, dans les Alpes ; il ne dura guère lui-même, et il fut remplacé par le cuivre Livien, dans les Gaules. L'un et l'autre avaient été dénommés d'après les propriétaires de la mine : le premier, d'après Salluste, ami du dieu Auguste ; le second, d'après la femme de ce prince. Le cuivre Livien a bientôt manqué ; cette mine est, en effet, aujourd'hui du plus mince rapport. Maintenant toute la vogue s'est portée vers le cuivre Marien, appelé aussi cuivre de Cordoue ; après le cuivre Livien, c'est celui qui absorbe le mieux la cadmie, et il approche, dans les sesterces et les doubles as, de l'excellente qualité de l'aurichalcum : quant aux as, on n'y emploie que le cuivre de Chypre. Telles sont les espèces renommées de cuivre naturel.

III. Les autres espèces sont artificielles. J'en traiterai en lieu et place, indiquant cependant tout d'abord la plus célèbre. Autrefois le cuivre était mêlé à l'or et à l'argent, et cependant le travail était plus précieux que la matière. Aujourd'hui on ne saurait dire lequel vaut le moins. Chose singulière ! tandis que le prix des ouvrages n'a plus de bornes, la dignité de l'art est anéantie. Et en effet, on s'est mis à exercer, comme tout le reste, pour l'amour du gain un art qui jadis ne s'exerçait que pour la gloire ; aussi était-il attribué aux dieux, alors que les chefs même des nations cherchaient la gloire par cette voie. Le procédé pour fondre le bronze précieux est tellement perdu, que depuis longtemps c'est à peine si le hasard donne quelquefois ce que l'art donnait toujours. De ces airains renommés dans l'antiquité, celui de Corinthe est le plus recherché ; le hasard en fit l'alliage dans l'embrasement qui suivit la prise de cette ville. La passion de bien des gens pour cet airain,a été surprenante ; car on rapporte que, la seule cause pour laquelle Antoine proscrivit Verrès, que Cicéron avait fait condamner, fut que Verrès avait refusé de lui céder ses bronzes de Corinthe. Pour moi, je pense que la plupart n'affectent de se connaître en airain de Corinthe que pour se distinguer, et qu'au fond ils n'y entendent pas plus que les autres ; je vais le prouver en peu de mots. Corinthe fut prise la troisième année de la 158e olympiade, l'an de Rome 608 ; or, plus d'un siècle avant il avait cessé d'y avoir de ces statuaires célèbres dont aujourd'hui toutes les statues sont dites en airain de Corinthe. C'est pourquoi, pour réfuter nos prétendus connaisseurs, je marquerai l'époque des artistes, et, par la correspondance que je viens d'indiquer, il sera facile de passer des olympiades aux années de Rome. Il n'y a vraiment d'airain de Corinthe que les vases transformés par nos élégants tantôt en plats, tantôt en lampes et tantôt en cuvettes, sans égard pour ces objets précieux. On a trois espèces d'airain de Corinthe : le blanc, qui approche tout à fait de l'éclat de l'argent, parce que la proportion de ce métal y a dominé ; le second, où la couleur jaune de l'or a prévalu ; le troisième, où les trois métaux sont alliés par parties égales. Il est encore une quatrième espèce d'airain, dont on ne peut rendre raison, bien que la main de l'homme en fasse l'alliage ; mais la fortune y a aussi une part : cet airain, précieux pour les diverses espèces de statues, a la teinte du foie, et pour cela il est nommé hepatizon ; de beaucoup inférieur à l'airain de Corinthe, il l'emporte cependant sur ceux d'Egine et de Délos, qui longtemps ont tenu le premier rang.

IV. L'airain le plus anciennement célèbre fut celui de Délos. On venait de tous les côtés de la terre aux marchés de cette lie, dont les fabricants l'employaient à faire des pieds et des supports de lits de table. Ce fut par là qu'il fut d'abord mis en vogue, puis il s'éleva aux statues des dieux et aux effigies des hommes et des animaux.

V. L'airain d'Egine eut ensuite le plus de renom. Egine est une île qui ne produit pas d'airain, mais qu'ont rendue célèbre les alliages préparés dans ses ateliers. C'est là que fut pris le boeuf d'airain placé aujourd'hui dans le forum Boarium à Rome. Il peut servir d'échantillon pour l'airain d'Egine. Un échantillon pour celui de Délos est le Jupiter placé su Capitole, dans le temple de Jupiter Tonnant. Miron employait l'airain d'Egine, Polyclète celui de Délos. Contemporains et condisciples, leur rivalité s'étendait jusqu'à la matière dont ils se servaient.

VI. A Egine on ne travaillait spécialement que les bobèches des candélabres, comme à Tarente les fûts ; ainsi deux fabriques en partageaient l'honneur. On n'a pas honte de mettre à des chandeliers un prix égal à la solde d'un tribun militaire; des chandeliers, dont le nom vient évidemment de chandelle. Un de ces chandeliers fut vendu avec un singulier accessoire : le crieur public Théon fit un lot de ce chandelier et de l'esclave Clésippe, foulon de son métier, bossu d'ailleurs et désagréable à voir. Gegania acheta le lot 50.000 sesterces (10.500fr.) ; elle fit parade à table de son emplette, et exposa cet esclave, nu, à la risée des convives ; puis, saisie d'une passion effrénée, elle le reçut dans son lit, et, bientôt après, dans son testament. Devenu immensément riche, Clésippe révéra ce chandelier comme une divinité : nouveau contingent aux histoires sur l'airain de Corinthe. Toutefois les moeurs furent vengées : il fit élever à la défunte un magnifique mausolée, qui gardera éternellement au-dessus du sol le souvenir de l'infamie de Gegania. Si on donne généralement à ces candélabres le nom de candélabres de Corinthe, quoiqu'il soit constant qu'aucun n'est de Corinthe, c'est qu'on se rappelle que Mummius (XXXIII, 11) détruisit cette ville ; mais on oublie que sa victoire dispersa en même temps les bronzes provenant de plusieurs villes de l'Achaïe.

VII. Les anciens faisaient en airain les seuils même et les portes des temples. Je trouve que Chélus Octavius, qui fut décoré du triomphe naval pour avoir vaincu Persée (an de Rome 586), fit élever au cirque Flaminien un double portique appelé Corinthien, parce que les chapiteaux des colonnes étaient d'airain. Je trouve encore que le temple même de Vesta fut couvert d'airain de Syracuse. C'est également en airain de Syracuse que sont les chapiteaux des colonnes du Panthéon placés par M. Agrippa. Les particuliers opulents ont aussi employé ce genre de luxe. Le questeur Sp. Carvilius, entre autres chefs d'accusation, reprocha à Camille d'avoir des portes d'airain à sa maison.

VIII. Quant aux lits de table, aux buffets et aux monopodes en airain, ce fut, selon L. Pison, Cn. Manlius qui, après sa conquête de l'Asie, les apporta le premier lors de son triomphe, qui eut lieu l'an de Rome 567. D'après Valérius Antias, L. Crassus, héritier de l'orateur L. Crassus, vendit beaucoup de ces lits garnis d'airain. On fabriquait en airain des chaudières de trépieds nommées delphiques, parce qu'on en faisait surtout des offrandes à Apollon de Delphes. Les lustres, soit suspendus, soit portant les lumières comme les arbres leurs fruits, plaisaient aussi dans les temples. Tel est celui du temple d'Apollon Palatin, qu'Alexandre le Grand avait enlevé lors de la prise de Thèbes, et consacré au même dieu dans la ville de Cyme.

IX. L'art ensuite se mit communément à représenter les dieux. Je trouve que la première statue en bronze, faite à Rome, est celle de Cérès ; les frais en furent pris sur le pécule de Sp. Cassius, qui, aspirant à la royauté, fut mis à mort par son père. Des statues des dieux l'airain passa aux statues et à la représentation des hommes, de diverses façons. Les anciens leur donnaient une teinte avec du bitume, ce qui rend d'autant plus surprenant qu'ensuite on se soit plu à les dorer. Je ne sais si cette dernière invention est romaine ; toujours est il qu'à Rome même elle n'est pas ancienne. On ne faisait ordinairement de représentations que d'hommes méritant l'immortalité par quelque action éclatante. Ce fut d'abord pour les victoires dans les jeux sacrés, et surtout les jeux Olympiques. Là il était d'usage de consacrer la statue de tous ceux qui avaient remporté un prix. Quant à ceux qui avaient vaincu trois fois, on leur érigeait une statue qui était leur portrait : ce genre de statues est appelé iconique. Je ne sais si ce ne sont pas les Athéniens qui les premiers ont dressé des statues aux frais du public, et cela à l'occasion des tyrannicides Harmodius et Aristogiton. Le meurtre d'Hipparque eut lieu l'année où les rois furent chassés de Rome. Par une émulation honorable, cet usage a été ensuite universellement adopté. Les places publiques de toutes les villes municipales se sont ornées de statues ; le souvenir des personnages s'est perpétué, et l'on a inscrit le détail de leurs fonctions, que la postérité lira sur le socle de leurs statues, et non plus seulement sur leurs tombeaux. Bientôt les maisons particulières et les atrium sont devenus autant de places publiques, et les clients se sont mis à honorer ainsi leurs patrons.

X. Anciennement les statues étaient dédiées revêtues de la toge ; on eut ensuite le goût des figures nues tenant une pique, d'après les statues d'éphèbes de gymnases, qui sont nommées Achilléennes. La coutume des Grecs est de ne rien voiler ; mais, au contraire, l'usage romain et militaire est de mettre une cuirasse aux statues. César, étant dictateur, se laissa dédier dans son forum une statue cuirassée. Quant aux statues couvertes à la manière des Luperques, elles sont d'aussi fraîche date que celles qu'on vient de produire en public vêtues d'un manteau. Mancinus s'en fit faire une dans le costume qu'il portait lorsqu'il fut livré. Des écrivains ont remarqué que le poète L. Accius se fit dresser dans le temple des Muses une statue très grande, quoiqu'il fût très petit. Les statues équestres sont en recommandation chez les Romains, qui, sans contredit, ont reçu cet usage des Grecs. Mais en Grèce on n'en érigeait qu'aux vainqueurs dans les jeux sacrés, pour la course à cheval ; puis on en érigea aux vainqueurs dans la course des chars à deux chevaux ou à quatre chevaux. De là l'usage chez nous des chars pour les statues des triomphateurs. Cet usage n'est venu que tard ; et parmi ces chars c'est le dieu Auguste qui le premier a fait figurer des chars à six chevaux et des chars trainés par des éléphants.

XI. Il n'y a pas longtemps non plus qu'on a représenté sur un char à deux chevaux ceux qui, après leur préture, avaient fait en char le tour du Cirque. L'usage des colonnes est plus ancien ; témoin la colonne en l'honneur de C. Maenius, vainqueur des anciens Latins, auxquels, suivant un traité, le peuple romain donnait le tiers du butin. Ce fut lui qui, dans son consulat, l'an de Rome 416, fixa à la tribune aux harangues les éperons des vaisseaux pris sur les Antiates. On éleva aussi une colonne à C. Duillius, qui le premier triompha pour une bataille navale gagnée sur les Carthaginois (an de Rome 493), colonne subsistant encore aujourd'hui dans le Forum. Une colonne fut élevée à P. Minucius, préfet des grains, hors de la porte Trigémine, à l'aide d'une cotisation d'un douzième (XVIII, 4) : je crois que c'est le premier honneur de cette espèce accordé par le peuple ; auparavant il l'avait été par le sénat, récompense éclatante si elle n'avait eu un commencement frivole. Quant à la statue d'Attus Navius (XV, 20, 2), elle était devant le palais du sénat ; la base en fut brûlée lors de l'incendie de ce palais, aux funérailles de Publius Clodius. Une statue fut érigée par décret public dans la place des Comices, en l'honneur d'Hermodore d'Ephèse, traducteur, pour les décemvirs, des lois qu'ils rédigeaient. Une autre cause, un autre titre firent dresser à M. Horatius Coclès la statue qui subsiste encore aujourd'hui. Ce fut d'avoir seul repoussé du pont Sublicius les ennemis. Je ne suis pas surpris non plus qu'on en ait élevé à la Sibylle près de la tribune aux harangues, et même trois : une, placée par Sextus Pacuvius Talurus, édile du peuple, et deux par M. Messala. Je croirais que celles-ci et celle d'Attus Navius, posées du temps de Tarquin l'Ancien, furent les premières, si dans le Capitole il n'y en avait pas des rois qui l'ont précédé. (VI.) Entre ces dernières, les statues de Romulus et de Tatius sont sans tunique, ainsi que celle de Camille, dans la place aux harangues. La statue équestre de Q. Marcius Trémulus, devant le temple des Castors, était vêtue de la toge : il avait vaincu deux fois les Samnites, et, par la prise d'Anagnia, affranchi le peuple de l'impôt pour la solde militaire. Entre les plus anciennes statues sont celles de Tullus Cloelius, de Lucius Roscius, de Spurius Nautius, de C. Fulcinius, tous tués par les Fidénates dans leur ambassade : elles sont dans la place aux harangues. La république décernait ordinairement cet honneur à tout Romain mis à mort contre le droit des gens ; tel fut le cas de P. Junius et de Titus Coruncanius, tués par l'ordre de Teuca, reine des Illyriens. N'omettons pas ce qui est noté dans les Annales, que ces deux statues élevées dans le Forum avaient trois pieds : c'était alors la dimension en honneur. Je n'oublierai pas non plus Cn. Octavius, à cause d'un mot du sénatus-consulte : le roi Antiochus disant qu'il lui ferait réponse, Octavius, avec une baguette qu'il tenait par hasard, traça un cercle autour du roi, et le força de répondre avant de sortir de ce cercle ; il fut tué dans cette ambassade, et le sénat lui décerna une statue dans l'endroit le plus voyant (occulatissimo) : elle est sur la place aux harangues. Je trouve qu'on décerna aussi une statue à la vierge vestale Taracia Caia ou Suffetia, avec la permission de l'ériger où elle voudrait ; addition qui n'est pas moins honorable pour elle que d'avoir eu, quoique femme, une statue décernée. Voici, dans les propres termes des Annales, pourquoi elle l'obtint : Pour avoir fait présent au peuple du champ du Tibre.

XII. Je trouve aussi qu'on érigea des statues à Pythagore et à Alcibiade dans les angles de la place des Comices, Apollon Pythien, lors de la guerre Samnite (an de Rome 441), ayant ordonné de dresser dans un lieu fréquenté une statue au plus brave des Grecs, et une autre au plus sage. Elles subsistèrent jusqu'à ce que le dictateur Sylla fit bâtir en cet endroit le palais du sénat. Il est étonnant que les sénateurs d'alors aient préféré pour la sagesse Pythagore à Socrate, préféré par le même dieu à tous les sages (VIII, 21, 10) ; ou pour le courage Alcibiade à tant d'autres, ou qui que ce soit à Thémistocle pour ces deux qualités. Le but des colonnes était d'élever au-dessus des autres hommes ceux à qui on les dressait. C'est aussi la signification des arcs triomphaux, invention nouvelle : au reste, ce genre d'honneur a pris naissance chez les Grecs. C'est aussi à un Grec, je pense, qu'on a élevé le plus de statues Démétrius de Phalère, à Athènes ; elles étaient au nombre de trois cent soixante ; l'année ne comptait pas encore davantage de jours ; elles furent bientôt après mises en pièces. A Rome les tribus en avaient élevé dans tous les quartiers, comme nous l'avons dit (XXXIII, 45), à C. Marius Gratidianus ; elles les renversèrent lors de l'entrée de Sylla.

XIII. Les statues pédestres sont restées sans aucun doute longtemps en honneur à Rome, quoique l'origine des statues équestres soit fort ancienne, et que l'honneur en ait été accordé même à des femmes par la statue équestre érigée à Clélie, comme si ce n'était pas assez de l'avoir ornée de la toge ; et pourtant Lucrèce et Brutus, qui avaient chassé les rois, et par le fait de qui Clélie s'était trouvée parmi les otages, n'avaient point eu de statue. Je croirais (car il est vraisemblable que Tarquin érigea les statues d'Attus Navius et de la Sibylle, et que les rois s'érigèrent à eux-mêmes leurs propres statues), je croirais, dis-je, que, la statue de Clélie et celle d'Horatius Coclès ont été les premières dédiées au nom du public, si Pison ne disait que la statue de Clélie avait été élevée par ceux qui avaient été en otage avec elle, Porsenna les ayant rendus par honneur pour elle. Au contraire, Annius Fetialis rapporte que la statue équestre qui était vis-à-vis le temple de Jupiter Stator, dans le vestibule de la maison de Tarquin le Superbe, représentait Valéria, fille du consul Valérius Publicola ; que Valéria seule s'échappa, seule traversa le Tibre à la nage, les autres otages qui étaient envoyés à Porsenna ayant péri dans une embuscade dressée par Tarquin.

XIV. Selon L. Pison, sous le second consulat de M. Aemilius et de C. Popilius (an de Rome 596), les censeurs P. Cornélius Scipion et M. Popilius firent enlever toutes les statues rangées autour du Forum et représentant les magistrats sortis de charge, excepté celles qui avaient été érigées par décret du peuple ou du sénat. Ils firent même fondre la statue que s'était élevée à lui-même auprès du temple de la Terre Sp. Cassius (XXXIV, 8), qui avait aspiré à la tyrannie ; car ces hommes sages prenaient même en cela des mesures contre l'ambition. Nous avons des vociférations de Caton pendant sa censure, où il se plaint que dans les provinces on élève des statues à des femmes romaines. Il ne put cependant empêcher qu'à Rome même on n'en dressât, par exemple à Cornélie, mère êtes Gracques et fille du premier Scipion l'Africain. Elle est représentée assise et remarquable à sa chaussure sans courroies. Cette statue, qui était dans le portique public de Métellus, est maintenant dans les édifices d'Octavie.

XV. La première statue dressée à Rome aux frais d'une cité étrangère le fut à C. Aelius, tribun du peuple. Il avait fait passer une loi centre Stenius Statilius Lucanus, qui avait deux fois ruiné Thurium : pour cela les Thuriens décernèrent à Aelius une statue et une couronne d'or. Plus tard les mêmes décernèrent une statue à Fabricius (XXXIII, 54), qui les avait délivrés d'un siège. Cet exemple fut de toute part imité par les nations, ainsi devenues clientes; et toute distinction fut si bien mise en oubli, qu'on voit la statue d'Annibal en trois endroits d'une ville dans l'enceinte de laquelle, seul de tous nos ennemis, il a lancé un javelot.

XVI. Que l'art de la statuaire ait été anciennement familier à l'Italie, c'est ce que montre l'Hercule consacré, dit-on, par Evandre dans le Forum aux Boeufs ; on le nomme l'Hercule triomphal, et dans les triomphes il est revêtu d'un costume de triomphateur. On en a encore la preuve dans le Janus double, dédié par le roi Numa ; on l'honore comme présidant à la paix et à la guerre, et les doigts en sont figurés de manière qu'indiquant trois cent soixante-cinq jours, ou, en d'autres termes, l'année, ils le font reconnaître pour le dieu de l'âge et du temps. Il y a aussi des statues du genre toscan dispersées dans le monde, lesquelles ont été certainement faites en Etrurie. Je penserais que les statues toscanes ne représentaient que des divinités, si Métrodorre de Scepsis, surnommé Misoromaeus à cause de sa haine pour les Romains, ne nous reprochait d'avoir pris Volsinies pour ses deux mille statues. Il me parait surprenant, l'origine des statues étant aussi ancienne en Italie, qu'on ait de préférence consacré dans les temples des effigies des dieux en bois ou en argile (XXXV, 45) jusqu'à la conquête de l'Asie, qui introduisit le luxe. Quant à l'origine de l'art d'exprimer les ressemblances, il sera plus à propos d'en parler lorsque nous parlerons de ce que les Grecs appellent plastice (art de modeler en argile). Le modelage est antérieur à la statuaire. Celle-ci a eu un développement infini, comme on peut le voir en maint et maint livre, si l'on est curieux d'embrasser non pas tout (car qui pourrait tout embrasser ?), mais plus que nous ne faisons.

XVII. Sous l'édilité de M. Scaurus il y eut trois mille statues sur la scène d'un théâtre construit seulement pour un temps (XXXVI, 2). Mummius, après la conquête de l'Achaïe, en remplit la ville, lui qui ne devait pas laisser de dot à sa fille ; car pourquoi ne pas dire ce qui est à sa décharge ? Les Lucullus en transportèrent aussi beaucoup. Mucianus, trois fois consul, a rapporté qu'il y a encore à Rhodes trois mille statues ; et on pense qu'il n'en reste pas moins à Athènes, à Olympie, à Delphes. Quel mortel pourrait en rendre compte ? ou de quelle utilité en serait la connaissance ? Cependant il y aura plaisir à dire quelque chose sue les morceaux les plus célèbres, et sur ceux qu'une circonstance particulière a rendus remarquables, et à nommer les artistes illustres. Il en est même quelques-uns dont il serait impossible d'énumérer toutes les productions : témoin Lysippe (VII, 38), auteur, dit-on, de quinze cents morceaux, tous d'une perfection telle, qu'un seul suffirait pour illustrer un artiste. On en sut le nombre après sa mort, quand son héritier ouvrit son coffre; car il avait coutume, sur le prix qu'il recevait pour chaque figure, de mettre à part un denier d'or. L'art est arrivé à des prodiges de succès et de hardiesse. Pour preuve de succès je citerai un seul exemple, et encore d'une figure ne représentant ni un dieu ni un homme : Notre génération a vu dans le Capitole, avant le dernier incendie de cet édifice par les Vitelliens, un chien en bronze léchant sa blessure : on jugera combien ce morceau, placé dans la chapelle de Junon, était d'un travail excellent et d'une imitation parfaite, non seulement par le lieu sacré où il avait été mis, mais encore par la nouveauté du cautionnement : aucune somme ne paraissant suffisante, un décret ordonna que les gardiens en répondraient sur leur tête.

XVIII. Pour la hardiesse, il y en a des exemples innombrables, puisque nous voyons qu'on a imaginé d'énormes statues nommées colossales, et égales à des tours. Tel est, dans le Capitole, l'Apollon transporté d'Apollonie (IV, 27, 1), ville du Pont, par M. Lucullus ; il a trente coudées, et a coûté 500 talents (2.460.000 fr.). Tel est dans le champ de Mars le Jupiter consacré par le dieu Claude César, et qui paraît petit à cause du voisinage du théâtre de Pompée. Tel est encore celui de Tarente, fait par Lysippe, et haut de quarante coudées. Chose merveilleuse dans cette statue ! elle est en équilibre, de telle façon qu'il est possible, dit-on, de la mouvoir du doigt, sans qu'aucune tempête puisse la renverser : on prétend qu'à la vérité l'artiste y a pourvu en plaçant à une petite distance une colonne du côté où il fallait principalement rompre le vent. La grandeur de cette statue et la difficulté de la mouvoir empêchèrent Fabius Verrucosus d'y toucher, quand il transporta, du même endroit, l'Hercule qui est au Capitole. Mais, de tous, le plus admiré est le colosse du Soleil à Rhodes, fait par Charès de Linde, élève de Lysippe, nommé ci-dessus. Il avait soixante-dix coudées de hauteur. Cette statue fut renversée, cinquante-six ans après, par un tremblement de terre. Tout abattue qu'elle est, elle excite l'admiration : peu d'hommes en embrassent le pouce ; les doigts sont plus gros que la plupart des statues. Le vide de ses membres rompus ressemble à de vastes cavernes. Au-dedans on voit des pierres énormes, par le poids desquelles l'artiste avait affermi sa statue en l'établissant. Elle fut achevée, dit-on, en douze ans, et coûta 300 talents (1.476.000 fr.), produit des machines de guerre abandonnées par le roi Démétrius, qu'ennuya la longueur du siège de Rhodes. La même ville a cent autres colosses plus petits, mais dont un seul suffirait pour illustrer tout lieu où on le placerait. Outre ceux-là, elle a cinq colosses de dieux faits par Bryaxis. L'Italie aussi a produit des colosses ; du moins voyons-nous dans la bibliothèque du temple d'Auguste l'Apollon Toscan, qui a cinquante pieds du gros orteil à la tête, et dans lequel on ne sait ce qui est le plus admirable du bronze ou de la beauté du travail. Sp Carvilius, vainqueur des Samnites qui combattaient après avoir prèté un serment spécial, fit faire avec leurs cuirasses, leurs cuissards et leurs casques, un Jupiter qui est at Capitole. Les dimensions en sont telles, qu'il est vu par le Jupiter Latial. De la limaille de cette statue il fit faire la sienne, qui est aux pieds de celle du dieu. On admire aussi dans le Capitole deux têtes consacrées par le consul P. Lentulus : l'une faite par Charès, nommé ci-dessus, l'autre par Décius ; mais cette dernière perd tant à la comparaison, qu'elle paraît l'ouvrage du plus mauvais des artistes. La dimension de toutes les statues de ce genre a été surpassée de notre temps par le Mercure que Zénodore a fait pour la cité gauloise des Arvernes, au prix de 400.000 sesterces (84.000 fr.) pour la main-d'oeuvre, pendant dix ans. Ayant suffisamment fait connaître là son talent, il fut mandé par Néron à Rome, où il exécuta le colosse destiné à représenter ce prince. Cette statue, haute de cent dix pieds, est aujourd'hui un objet de culte, ayant été consacrée au Soleil après la condamnation des crimes de Néron. Nous admirions dans son atelier la parfaite ressemblance, non seulement du modèle d'argile, mais encore des essais en petit, premières esquisses de l'ouvrage. Cette statue montra que le secret de la composition de l'airain [précieux] était perdu ; car d'une part Néron était disposé à fournir l'or et l'argent, et d'autre part Zénodore ne le cédait à aucun des anciens statuaires pour l'art de modeler et de ciseler. Pendant qu'il travaillait à la statue des Arvernes, il copia, pour Dubius Avitus, gouverneur de la province, deux coupes ciselées par Calamis, que Germanicus César, qui la aimait beaucoup, avait données à son précepteur Cassius Silanus, oncle d'Avitus. L'imitation était si parfaite, qu'à peine pouvait-on apercevoir quelque différence avec l'original. Ainsi, plus Zénodore avait de supériorité dans son art, plus on peut reconnaître que le secret de l'airain était perdu. (VIII.) La plupart sont tellement épris des bronzes dits de Corinthe, qu'ils les emportent en voyage, comme l'orateur Hortensius pour le Sphinx qu'il s'était fait donner par Verrès accusé. Ce fut cette figure qui, dans les débats du procès, lui attira un mot de Cicéron. Hortensius ayant dit qu'il ne comprenait pas les énigmes, Vous devriez les comprendre, dit Cicéron, puisque vous avez chez vous le Sphinx. L'empereur Néron faisait porter partout où il allait une Amazone dont nous parlerons; et, peu de temps auparavant, C. Cestius, consulaire (an de Rome 787), faisait voiturer une statue qu'il eut même avec lui dans une bataille. La tente d'Alexandre le Grand était, dit-on, d'ordinaire soutenue par des statues dont deux sont consacrées devant le temple de Mars Vengeur, et deux, devant le palais.

XIX. De plus petites statues et d'autres représentations ont illustré une multitude presque innombrable d'artistes. A leur tête toutefois est Phidias Athénien, par le Jupiter qu'il a fait à Olympie. Cette statue est, il est vrai, d'ivoire et d'or ; mais il a fait aussi des ouvrages de bronze. Il florissait dans la 83e olympiade, vers l'an 900 de Rome. Il eut pour contemporains et pour émules Alcamène, Critius, Nésiotès, Hégias. Il y eut ensuite dans la 87e olympiade Agéladès, Callon, Gorgias le Lacédémonien ; puis, dans la 90e Polyclète, Phradmon, Myron, Pythagore, Scopas, Parélius. Polyclète eut pour disciples Argius, Asopodorus, Alexis, Aristide, Phrynon, Dinon, Athénodore, Déméas de Clitor ; Myron eut pour disciple Lycius. Dans la 95e olympiade, fleurirent Naucydès, Dinoménès, Canachus, Patroclès ; dans la 102e, Polyclès, Céphisodotus, Léocharès, Hypatodore ; dans la 104e, Praxitèle, Euphranor ; dans la 107e, Echion, Thérimachus ; dans la 114e, Lysippe (VII, 38), contemporain d'Alexandre le Grand ; de plus, Lysistrate son frère, Sthennis, Euphronidès, Sostrate, Ion, Silanion, qui présente cette particularité singulière d'être devenu célèbre sans maître : il eut pour disciple Zeuxiade ; dans la 121e, Eutychidès (XXXVI, 4, 22), Euthycrates, Laïppus, Céphisodotus, Timarque, Phyromaque. L'art s'éteignit ensuite, puis eut une renaissance dans la 156e olympiade, où parurent des artistes bien inférieurs sans doute aux précédents, mais pourtant estimés : Antée, Callistrate, Polyclès, Athénée, Callixène, Pythoclès, Pythias, Timoclès.

Ayant ainsi indiqué les époques des artistes les plus célèbres, je passerai rapidement en revue les plus éminents ; la foule des autres sera dispersée çà et là. Les plus célèbres, quoique n'appartenant pas précisément à la même époque, ont concouru ensemble par des Amazones qu'ils avaient faites. Quand on dédia ces statues dans le temple de Diane d'Ephèse, on convint, pour savoir quelle était la meilleure, de s'en rapporter au jugement des artistes eux-mêmes, qui étaient présents ; il fut évident que c'était celle que chacun avait jugée la première après la sienne. De cette façon celle de Polyclète fut placée au premier rang, au second celle de Phidias, au troisième celle de Crésilas, au quatrième celle de Cydon, au dernier celle de Phradmon. Phidias, outre le Jupiter Olympien, qui n'a point de rival, a fait en ivoire aussi une Minerve debout dans le Parthénon, à Athènes ; en airain, outre l'Amazone susdite, une Minerve d'une beauté si rare, qu'on l'a surnommée la Belle. Il a fait aussi un porte-clefs, une autre Minerve dédiée par Paul-Emile dans le temple de la Fortune de chaque jour, à Rome ; de plus, deux figures en manteau que Catulus plaça dans le même temple ; enfin une statue colossale nue. Il passe avec raison pour avoir le premier découvert et démontré la toreutique.

Polyclète de Sicyone, disciple d'Agéladas, a fait le Diadumène (Mitré), figure de jeune homme pleine de mollesse, célèbre par le prix de cent talents (492.000 fr.), et le Doryphore, figure d'enfant pleine de vigueur, et nommée Canon par les artistes, qui en étudient le dessin comme une sorte de loi ; de sorte que, seul entre tous, il passe pour avoir fait l'art même dans une oeuvre d'art. Il est aussi l'auteur de l'homme qui se frotte, de l'homme nu qui provoque à jouer aux osselets, de deux enfants nus aussi et jouant aux osselets (on les nomme Astragalizontes, ils sont dans l'atrium de Titus : la plupart regardent cet ouvrage comme ce qu'il y a de plus parfait) ; d'un Mercure qui était à Lysimachie ; d'un Hercule Hageter qui est à Rome, prenant les armes ; de la statue d'Artémon, surnommé Périphorétos (porté en litière). Il passe pour avoir porté la statuaire au plus haut degré, et perfectionné la toreutique, que Phidias a inventée. Une découverte qui lui appartient, c'est d'avoir imaginé de faire tenir les statues sur une seule jambe. Varron dit cependant que ses figures sont carrées, et faites presque toutes sur le même patron.

Myron, né à Eleuthères, et lui-même élève d'Agéladas, est devenu fameux surtout par sa génisse, célébrée dans des vers fort connus ; car la plupart du temps on doit moins sa renommée à son propre génie qu'à celui des autres. Il a aussi fait un chien, un Discobole, un Persée, des scieurs, un Satyre admirant des flûtes, une Minerve, des pentathles aux combats de Delphes, des pancratiastes, un Hercule qui est auprès du grand Cirque, dans la maison du grand Pompée. Erinne nous apprend par ses vers qu'il avait fait un monument à une cigale et à une sauterelle. Il est l'auteur d'un Apollon enlevé à Ephèse par le Triumvir Antoine et rendu aux Ephésiens par le dieu Auguste, qui fut averti en songe. Il parait le premier avoir varié la vérité des types ; il est plus fécond que Polyclète et plus exact à observer les proportions. Toutefois, ne s'attachant qu'aux formes, il n'a pas rendu les sentiments de l'âme ; de plus, il n'a pas traité avec plus de soin les cheveux et le pubis que n'avait fait la grossière antiquité.

Pythagore, de Rhegium en Italie, l'a emporté sur lui par son Pancratiaste placé à Delphes, statue par laquelle il a aussi surpassé sa propre statue de Léontiscus. Il a fait la statue du coureur Astylus, que l'on montre à Olympie ; un jeune Libyen tenant des tablettes, à Olympie aussi ; un homme nu portant des pommes. A Syracuse, on a de lui un homme qui boîte : en le regardant, on croit sentir la douleur de la plaie. Il a fait un Apollon et le serpent que le dieu tue de ses flèches ; un joueur de lyre, appelé Dicée (le Juste), parce que, lors de la prise de Thèbes par Alexandre, de l'or déposé dans le sein de cette figure par quelque fugitif y demeura caché. Cet artiste le premier a exprimé les tendons et les veines, et soigné davantage la chevelure.

Il y a eu aussi un autre Pythagore de Samos qui fut d'abord peintre, et dont on voit sept statues nues auprès du temple de la Fortune de chaque jour, et la statue d'un vieillard ; ces morceaux sont estimés. On dit qu'il ressemblait, à s'y méprendre, au Pythagore de Rhégium, et que Sostrate fut l'élève de ce dernier et le fils de sa soeur.

Duris affirme que Lysippe de Sicyone ne fut l'élève de personne, et que, d'abord ouvrier en cuivre, il fut déterminé à se risquer par une réponse du peintre Eupompe : celui-ci, à qui on demandait quel parmi ses prédécesseurs il prenait pour modèle, dit, en montrant une multitude d'hommes, qu'il fallait imiter la nature même, et non un artiste. Lysippe était très fécond, et c'est, comme nous l'avons dit (XXXIV, 17, 2), celui de tous les statuaires qui a fait le plus d'ouvrages, entre autres un homme qui se frotte : M. Agrippa avait placé cette statue devant ses bains ; elle plut singulièrement à l'empereur Tibère, et, quoiqu'il sût se commander au commencement de son règne, il ne put résister à la tentation de la faire mettre dans sa chambre à coucher, après avoir substitué une autre figure. Mais le peuple romain, se révolta tellement là contre, qu'il demanda à grands cris dans le théâtre la restitution de l'Apoxyomène ; et l'empereur fit remettre à la place cette statue, ses délices. Lysippe est célèbre encore par une joueuse de flûte dans l'ivresse, par des chiens et une chasse, et surtout par un quadrige avec le Soleil, tel que les Rhodiens le représentent. Il fit aussi beaucoup de statues d'Alexandre le Grand, à commencer dès l'enfance de ce prince. Néron, qui aimait beaucoup l'Alexandre enfant, le fit dorer ; puis, cet ornement ayant fait perdre les finesses de l'art, on enleva l'or, et, ainsi décorée, on estimait cette statue plus précieuse, même avec les cicatrices qui restaient, et avec les rayures dans lesquelles l'or s'était attaché. Le même statuaire a fait un Héphestion, l'ami d'Alexandre : attribué par quelques-uns à Polyclète, bien que ce dernier soit antérieur de près de cent ans. Il a fait encore une chasse d'Alexandre qui a été consacrée à Delphes ; à Athènes un Satyre ; l'escadron d'Alexandre, dans lequel il a figuré les amis de ce prince, tous avec une ressemblance parfaite : Métellus, après la conquête de la Macédoine, a transporté cet escadron à Rome. Il est aussi l'auteur de quadriges de plusieurs espèces. Il passe pour avoir fait faire de grands progrès à la statuaire en exprimant les détails de la chevelure, en donnant aux têtes moins de volume que les anciens, en faisant le corps plus svelte et moins charnu, ce qui semblait rendre ses figures plus grandes. Nul n'observa mieux que lui cette partie de l'art pour laquelle la langue latine n'a point de mot, la symétrie, modifiant par une méthode nouvelle et inconnue la taille carrée dés statues anciennes; et il se plaisait à dire que les anciens avaient représenté les hommes tels qu'ils étaient, et lui tels que l'idéal les montrait. Ce qui parait lui être propre, c'est une finesse qu'il a portée jusque dans les moindres détails.

Il eut pour fils et pour élèves d'habiles artistes, Laïppe et Boedas, mais surtout Euthycrate. Toutefois ce dernier, rivalisant avec son père plutôt en précision qu'en élégance, préféra l'austérité à la grâce ; aussi a-t-il très bien rendu l'Hercule à Delphes, Alexandre, le chasseur Thespis, les Thespiades ; il est auteur d'un combat de cavalerie, d'une statue de Trophonius dans l'antre de l'oracle, de plusieurs quadriges de Médée, d'un cheval muselé, de chiens de chasse.

Tisicrate, lui aussi de Sicyone, fut, il est vrai, élève d'Euthycrate ; mais il se rapprocha davantage du genre de Lysippe, à tel point qu'on distingue à peine des statues de ce maître plusieurs des siennes, comme un vieillard thébain, le roi Démétrius, Peucestès, sauveur d'Alexandre le Grand, et digne d'une si grande gloire.

Les artistes qui nous ont transmis ces détails dans leurs écrits sur l'art vantent singulièrement aussi Téléphanès de Phocée, inconnu d'ailleurs, parce que, ayant vécu dans la Thessalie, ses ouvrages y sont restés cachés. Leurs suffrages l'égalent à Polyclète, à Myron, à Pythagore. Ils vantent, de lui, Larisse, Spintharus le pentathle, et un Apollon ; d'autres pensent que la cause de son obscurité fut non pas d'avoir vécu en Thessalie, mais de s'être donné aux ateliers des rois Xerxès et Darius.

Praxitèle, plus heureux et aussi plus célèbre dans le marbre, a fait cependant, en airain même, de très beaux ouvrages : l'Enlèvement de Proserpine, Cérès Cataguse (ramenant sa fille des enfers), Bacchus, l'Ivresse, et avec elle un Satyre célèbre que les Grecs surnomment Periboetos (le Renommé), les statues qui étaient devant le temple du Bonheur, une Vénus qui périt avec le temple dans un incendie sous le règne de Claude, et qui égalait sa Vénus de marbre (XXXVI, 4, 9) si renommée dans le monde entier. Il est encore l'auteur de la Stéphuse (femme tressant des couronnes), de la Spilumène (femme malpropre), d'un esclave portant du vin, des tyrannicides Harmodius et Aristogiton (statues que Xerxès avait enlevées, et qu'Alexandre le Grand, après la conquête de la Perse, renvoya aux Athéniens), d'un jeune Apollon qui guette avec une flèche un lézard se glissant près de lui, et qu'on appelle Sauroctone. On admire de lui deux statues exprimant des sentiments opposés, une matrone en pleurs et une courtisane dans la joie : on pense que cette dernière est Phryné ; on prétend voir dans la statue l'amour de l'artiste, et sur le visage de la courtisane la récompense. Une statue témoigne aussi de la bonté de son coeur : il a fait le cocher dans un quadrige de Calamis, pour que cet artiste ne parût pas avoir moins bien réussi dans la représentation de l'homme qu'il ne faisait dans celle des chevaux. Ce même Calamis a exécuté aussi d'autres quadriges et des biges, et pour les chevaux il est toujours resté sans rival. Mais qu'on ne croie pas qu'il ait été inférieur aux autres dans la figure d'homme; il n'y a point d'Alcmène plus célèbre que la sienne.

Alcamène (XXXVI, 1, 5), élève de Phidias, a fait des statues de marbre, et en airain un pentathle nommé Encrinomenos (l'Approuvé) ; Aristide, élève de Polyclète, des quadriges et des biges. On estime la Lionne d'Amphicrate : une courtisane appelée la lionne (VII, 23) (Laena), que son habileté à jouer de la lyre avait mise dans l'intimité d'Harmodius et d'Aristogiton, souffrit la torture jusqu'à la mort, sans révéler leur complot de tuer les tyrans. Les Athéniens, voulant l'honorer sans cependant rendre un tel hommage à une courtisane, firent exécuter la figure de l'animal dont elle portait le nom, et, pour signifier l'idée du monument, ils ordonnèrent que cette lionne fût représentée sans langue.

Bryaxis a fait Esculape et Séleucus, Boedas, un homme qui adore ; Baton, un Apollon et une Junon qui sont à Rome dans le temple de la Concorde. Crésilas a fait un blessé mourant, dans l'expression duquel en peut voir ce qui lui reste de vie, un Périclès Olympien digne d'un tel surnom. Ce qu'il y a de merveilleux dans cet art, c'est qu'il rend les hommes célèbres plus célèbres encore. Céphisodote a fait une Minerve admirable qui est dans le port d'Athènes, et, au même endroit, un autel dans le temple de Jupiter-Sauveur, auquel peu d'ouvrages sont comparables. Canachus a fait un Apollon nu, surnommé Philésien, qui est dans le temple de Didyme (V, 31, 1); ce morceau est en bronze d'Egine. Il a fait un cerf tellement équilibré sur ses pattes, qu'on peut passer un fil de lin par-dessous ; les doigts et le talon, mordant alternativement le sol, s'y fixent ; et les parties de l'avant et de l'arrière sont tellement endentées, que l'impulsion suffit pour porter le cerf tantôt sur une de ces parties, tantôt sur l'autre. Il a fait encore des enfants conduisant chacun un cheval. Chaeréas a fait Alexandre le Grand et son père Philippe ; Ctésilaus, un Doryphore et une Amazone blessée.

Démétrius est auteur d'une Lysimaque qui fut soixante-quatre ans prêtresse de Minerve ; d'une Minerve appelée Musicienne, parce que les sons de la lyre font vibrer les dragons de sa Gorgone ; de Simon à cheval, qui le premier a écrit sur l'équitation. Dédale, estimé aussi entre les artistes qui ont fait des ouvrages en argile, est auteur de deux enfants en bronze qui se frottent. Dinoménès a fait Protésilas, et Pythodème le lutteur.

On a d'Euphranor (XXXV, 40, 4) l'Alexandre Pâris, estimé parce qu'on y reconnaît tout à la fois et le juge des déesses, et l'amant d'Hélène, et cependant le meurtrier d'Achille. De lui sont, à Rome, la Minerve nommée Catulienne, dédiée au-dessous du Capitole par Q. Lutatius Catulus ; la statue du Bon Succès, tenant de la main droite une coupe, de la gauche un épi et un pavot ; une Latone nouvellement accouchée, tenant Apollon et Diane : elle est dans le temple de la Concorde. Il a fait des quadriges, des biges, un porte-clefs d'une forme excellente, la Vertu, la Grèce, toutes d'eux colossales, une femme qui admire et adore, un Alexandre et un Philippe sur des quadriges.

Eutychidès a fait une statue de l'Eurotas (IV, 8), de laquelle plusieurs ont dit que le travail était plus coulant que le fleuve même. D'Hégias on vante une Minerve, le roi Pyrrhus, une cavalcade d'enfants, Castor et Pollux placés devant le temple de Jupiter Tonnant ; d'Hégésias, un Hercule à Parium (V, 40, 1), colonie d'Isidore, un homme immolant un boeuf (78).

Lycius fut élève de Myron, et il a fait un enfant soufflant un feu qui s'éteint, morceau digne de son maître ; il a fait aussi les Argonautes ; Léocharès, un aigle ravissant Ganymède, sachant qui il enlève et pour qui, et prenant garde de blesser sa proie même à travers ses vêtements ; l'Autolycus, enfant vainqueur au pancrace, le même pour lequel Xénophon a écrit son Banquet ; ce Jupiter Tonnant qui est au Capitole, digne de toute louange ; un Apollon ceint du diadème. Lyciscus est auteur du Lagon, où l'on voit la malice et la fourberie du jeune esclave ; Lycus, d'un esclave brûlant des parfums.

Le jeune taureau de Ménechme est pressé sous le genou, et a la tête renversée. Ce même Ménechme a écrit sur son art. Naucydès est connu par son Mercure, par le Discobole, et par le sacrificateur d'un bélier. Naucérus a fait un lutteur haletant, Nicératus, Esculape et Hygie, qui sont dans le temple de la Concorde à Rome.

Le quadrige fait par Phyromaque est conduit par Alcibiade. Polyclès est auteur d'un hermaphrodite célèbre ; Pyrrhus, d'une Hygie et d'une Minerve. Phénix, disciple de Lysippe, a fait [l'Athlète] Epithersès. Styppax, de Chypre, est renommé pour un seul ouvrage, le Splanchnoptès (XXII, 20), qui représente un jeune esclave de Périclès l'Olympien faisant rôtir des entrailles, et soufflant le feu à pleine joue. Silanion a coulé en bronze la figure d'Apollodore, statuaire lui-même : cet Apollodore soignait excessivement ses ouvrages, et, juge rigoureux pour lui-même, il lui arrivait souvent de briser des statues achevées, ne pouvant se satisfaire au gré de sa passion pour l'art ; aussi fut-il surnommé l'insensé.

Silanion a exprimé ce caractère : ce n'est pas un homme, c'est le mécontentement qu'il a représenté en airain. Il a fait aussi un très bel Achille, un maître de gymnase exerçant des athlètes. Strongylion a fait une Amazone surnommée Eucnémos, à cause de la beauté de ses jambes, et que, pour cette raison, Néron faisait porter avec lui dans ses voyages. Il est auteur d'un jeune enfant, statue favorite du Brutus de Philippes. Ce goût de Brutus a fait donner son nom à cette statue.

Théodore, qui a fait le labyrinthe à Samos, a coulé en airain sa propre statue. Cet ouvrage, outre la ressemblance admirable, est célèbre par sa grande délicatesse : la figure tient une lime de la main droite ; de la main gauche elle tenait avec trois doigts un petit quadrige si exigu (VII, 21) qu'une mouche, qu'il avait faite en même temps, couvrait de ses ailes les chevaux, le char et le cocher ; ce petit quadrige avait été transporté à Préneste. (XXXIII, 5). Xénocrate, élève de Tisicrate ou, suivant d'autres, d'Euthycrate, les a surpassés tous deux par le nombre de ses ouvrages ; il a écrit sur son art.

Plusieurs artistes ont représenté les combats d'Attale et d'Eumène contre les Gaulois : Isigone, Phyromaque, Stratonicus, Antigone, qui a composé des livres sur la statuaire. Boethus, quoique ayant mieux réussi dans la ciselure en argent, a faite un très bel enfant qui étrangle une oie. De toutes les figures dont j'ai parlé, les plus célèbres sont désormais dédiées par l'empereur Vespasien dans le temple de la Paix et dans les autres monuments qu'il a élevés : elles avaient été enlevées violemment par Néron, apportées à Rome, et disposées dans les boudoirs de sa maison dorée (XXXVI, 24, 8).

Il y a en outre des artistes célèbres par l'égale valeur de leurs ouvrages, dont aucun cependant n'est de premier ordre : Ariston, qui a aussi ciselé l'argent ; Callidès, Ctésias, Cantharus de Sicyone, Dionysodorus élève de Critius ; Déliadès, Euphorion, Eunicus et Hécatée, tous deux ciseleurs d'argent ; Lesboclès, Prodorus, Pythodicus, Polygnote, qui a été aussi un peintre des plus célèbres ; enfin deux autres ciseleurs, Stratonicus et Scymnus, qui fut élève de Critius.

Je vais énumérer maintenant ceux qui ont travaillé dans un même genre : Apollodore, Androbule, Asclépiodore, Alevas, ont fait des philosophes ; Apellas, également, et de plus des femmes qui adorent. Antignote a traité aussi les sujets de l'homme qui se frotte et des tyrannicides Harmodius et Aristogiton. Antimaque et Athénodore ont fait des femmes de noble extraction ; Aristodème, des lutteurs, des biges avec un cocher ; des philosophes, de vieilles femmes, le roi Séleucus : son Doryphore a aussi sa grâce particulière.

Il y a eu deux Céphisodote. Du premier est le Mercure nourrissant Bacchus enfant. Il a fait aussi un homme qui harangue, la main élevée. On ne sait qui c'est. Le second a fait des philosophes. Colotès (XXXV, 34, 1), qui travailla au Jupiter Olympien avec Phidias, a fait des philosophes, ainsi que Cléon, Cenchramis, Calliclès et Céphis. Chalcosthénès a traité les sujets de comédiens et d'athlètes. Daippus a traité le sujet du paralytique ; Daiphron, Démocrite et Daemon, le sujet des philosophes.

Epigone, qui a travaillé dans presque tous les genres susdits, s'est distingué par une figure qui sonne de la trompette, et par un enfant qui caresse d'une manière touchante sa mère tuée. On vante la femme qui admire, d'Eubulus ; l'homme comptant sur ses doigts, d'Eubulidès. Micon est renommé pour des athlètes ; Ménogène, pour des quadriges. Nicératus, qui a traité tous les genres susdits, a représenté Alcibiade, et sa mère Démarate sacrifiant à la lumière des lampes.

Piston a mis une femme sur un bige de Tisicrate. Il est auteur du Mars et du Mercure qui sont à Rome dans le temple de la Concorde. Personne ne loue Périllus : plus cruel que Phalaris, il fit à ce tyran un taureau, promettant qu'un brasier allumé dessous ferait mugir l'homme qu'on y enfermerait. Le premier, il fit l'épreuve de ce supplice, par une cruauté juste cette fois. Voilà à quoi, de la représentation des dieux et des hommes, il ravalait un art qui n'a rien d'inhumain ! Etait-ce donc pour qu'il procurât des instruments de supplice, que tant d'hommes avaient travaillé à le fonder ? Aussi les ouvrages de Périllus ne sont-ils conservés que pour qu'en les voyant chacun en déteste l'auteur.

Sthennis a fait une Cérès, un Jupiter, une Minerve, qui sont à Rome dans le temple de la Concorde ; des matrones qui pleurent, qui adorent, qui sacrifient ; Simon, un chien et un archer ; Stratonicus, le ciseleur déjà nommé, et l'un et l'autre Scopas, des philosophes. On a des athlètes, des hommes armés, des chasseurs, des sacrificateurs, de Baton, Euchir, Glaucidès, Héliodore, Hicanus, Lophon, Lyson, Léon, Ménodorus, Myagrus, Polycrate, Polyidus, Pythocrite, Protogène,qui fut aussi peintre des plus célèbres, comme nous le dirons (XXXV, 36, 19), Patroclès, Pollis, Posidonius d'Ephèse, célèbre aussi dans la ciselure d'argent, Périclyménus, Philon, Siménus, Timothée, Théomnestus, Timarchidès, Timon, Tisias, Thrason.

De tous, Callimaque est le plus remarquable à cause de son surnom. Toujours prompt à se bâmer, il ne pouvait cesser de retoucher ses ouvrages ; aussi fut-il surnommé Catatexitechnos (gâte-ouvrage), exemple mémorable de la nécessité de mettre une limite au travail. On a de lui des Lacédémoniennes dansant, ouvrage correct, mais dans lequel la correction a effacé toute la grâce. Quelques-uns disent qu'il fut aussi peintre. Caton, lors de son expédition de l'lie de Chypre, n'excepta de la vente que la statue de Zénon. Il ne fut séduit ni par le bronze ni par le travail, mais c'était la statue d'un philosophe ; véritable puérilité que nous avons voulu faire connaître en passant (VII, 31, 4).

En partant des statues il ne faut pas en oublier une, bien que d'un auteur incertain : elle est près de la tribune aux harangues ; c'est un Hercule revêtu de la tunique, le seul qui soit à Rome dans ce costume : la figure est contractée, et le bronze exprime l'agonie du héros dans cette tunique. Cette statue porte trois inscriptions : la première nous apprend que ce morceau fit partie des dépouilles conquises par L. Lucullus, imperator ; la seconde, que le fils de Lucullus, encore pupille, l'a consacrée en vertu d'un sénatus-consulte ; la troisième, que T. Septimius Sabinus, édile curule, l'a rendue au public, de propriété particulière qu'elle était. Telle est la rivalité dont cette statue a été l'objet, tel est le prix qu'on y a attaché.

XX. Revenons maintenant aux différentes espèces du cuivre et à ses alliages. Le cuivre coronaire de Chypre s'aplatit en lames, et, teint avec du fiel de taureau, il offre l'apparence de la dorure dans les couronnes portées par les histrions. Mêlé à l'or dans la proportion d'une once pour six scrupules d'or, et battu en feuilles très minces, c'est le pyrope flamboyant (clinquant). Le cuivre en règle se fait dans d'autres mines que celles de Chypre, ainsi que le cuivre de chaudron ; avec cette différence que le cuivre de chaudron est simplement fondu et se briserait sous le marteau, tandis que le cuivre en règle est malléable, ou ductile comme d'autres disent, propriété qui appartient à tout le cuivre de Chypre. Dans les autres mines, ce qui fait cette différence entre le cuivre en règle et le cuivre de chaudron, c'est le travail : en effet, tout cuivre soigneusement purifié au feu et recuit devient du cuivre en règle. Dans les autres espèces on accorde la palme au cuivre de Campanie, très estimé pour les ustensiles et les vases. Ce dernier se prépare de plusieurs façons : à Capoue on le fond non avec du feu de charbon, mais avec du feu de bois ; après l'avoir arrosé d'eau froide, on le nettoie dans un crible en chêne ; on le fait passer plusieurs fois au feu de cette façon, et, en dernier lieu, on y ajoute dix livres de plomb argentaire d'Espagne par cent livres ; par là il devient doux, et prend la couleur agréable que l'huile et le soleil donnent aux autres espèces. On fabrique un cuivre semblable à celui de la Campanie dans plusieurs parties de l'Italie et des provinces ; mais là on y ajoute huit livres de plomb et on le recuit au charbon, à cause de la pénurie de bois. C'est dans la Gaule surtout, où le cuivre se fond entre des pierres rougies au feu, qu'on voit quelle différence produit la manière d'opérer. En effet, ce procédé le brûle, et le rend noir et cassant ; d'ailleurs on ne le passe au feu qu'une fois ; or cette opération, répétée, le rend beaucoup meilleur. (IX.) Il n'est pas non plus hors de propos de remarquer que par un grand froid tout cuivre se fond mieux. Pour les statues et pour les tables, voici l'alliage dont on se sert : On fond d'abord le métal, puis on ajoute à la fonte un tiers de cuivre de hasard, c'est-à-dire qui ait déjà servi : ce cuivre a une qualité particulière venant du frottement qui l'a dompté ; l'habitude de l'écurage semble l'avoir adouci. On ajoute encore sur cent livres de fonte douze livres et demie de plomb argentaire. On appelle cuivre à faire des moules un alliage de cuivre très tendre, parce qu'on y ajoute un dixième de plomb noir et un vingtième de plomb argentaire ; en cet état il prend le mieux la couleur dite grécanique. La dernière espèce est celle qu'on nomme cuivre de marmite, à cause de l'usage auquel on l'emploie. Pour la préparer, on ajoute sur cent livres de cuivre trois ou quatre livres de plomb, argentaire. Avec le cuivre de Chypre mélangé de plomb on fait la couleur de pourpre dans les prétextes des statues.

XXI. Le cuivre se couvre plus rapidement de vert-de-gris nettoyé que négligé, à moins qu'on ne le frotte d'huile. On dit qu'il se conserve parfaitement sous la poix liquide. Depuis longtemps on a transporté à l'airain l'emploi de perpétuer les monuments : c'est sur des tables d'airain qu'on grave les lois de l'Etat.

XXII. Les mines de cuivre fournissent de nombreux secours à la médecine : en effet, on voit là tous les ulcères se guérir très promptement ; toutefois c'est la cadmie qui est utile surtout. Il s'en fait sans doute aussi dans les fourneaux à argent, et cette dernière est plus blanche et moins pesante ; mais elle n'est nullement comparable à la cadmie de cuivre. On distingue de celle-ci plusieurs sortes : la pierre dont on extrait le cuivre se nomme cadmie ; indispensable au fondeur, elle n'est d'aucun emploi en médecine ; c'est encore la cadmie qui, renaissant dans les fourneaux, y trouve avec une autre origine le même nom. Elle est le produit de la partie la plus atténuée de la matière qui sépare l'action de la flamme et du soufflet ; et elle s'attache, en raison de sa légèreté, à la voûte et aux parois des fourneaux. La plus légère se trouve à l'orifice supérieur du fourneau, par où la flamme s'exhale ; on la nomme capnitis ; elle est brûlée, et, par son extrême légèreté, elle ressemble à la braise incinérée. La meilleure est celle du dedans, suspendue à la voûte, et appelée pour cette raison botryitis (en grappe) ; plus pesante que la précédente, elle est plus légère que les suivantes. On en distingue deux espèces par la couleur ; la moins bonne est de couleur cendrée ; la rouge est la meilleure. Cette dernière, friable, est excellente pour les médicaments ophtalmiques. Une troisième cadmie s'amasse sur les côtés des fourneaux, n'ayant pu, à cause de sa pesanteur, s'élever jusqu'à la voûte : on la nomme placitis, nom qui lui vient de son apparence même ; car, aplatie, elle offre plutôt l'aspect d'une croûte que d'une pierre ponce. En dedans elle est de diverses couleurs ; elle vaut mieux pour les granulations et pour effacer les cicatrices. On en reconnaît deux espèces : l'onychis, au dehors presque bleue, au dedans offrant des taches qui jouent l'onyx ; et l'ostracitis, toute noire, la plus sale de toutes ; excellente pour les plaies. Toute la cadmie des fourneaux de l'île de Chypre est mise au premier rang. Les médecins la font recuire sur un feu de charbon : quand elle est incinérée, ils éteignent dans du vin amminéen (XIV, 16, 1) celle qu'on destine aux emplâtres, et dans du vinaigre celle qu'on prépare pour les affections psoriques. Quelques-uns la brûlent, après l'avoir pilée, dans des marmites de terre cuite, la lavent dans des mortiers, et puis la sèchent. Nymphodore prend de la cadmie naturelle (ou minerai) aussi pesante et aussi dense qu'il est possible, la brûle sur du charbon, d'éteint dans du vin de Chios, la pile, la passe par un linge, la pulvérise dans un mortier, la fait macérer dans de l'eau de pluie, pulvérise le sédiment qui se forme, jusqu'à ce que la substance devienne semblable à de la céruse, et n'offense en rien les dents. La préparation d'Iollas est la même ; seulement il choisit la cadmie naturelle (calamine) la plus pure.

XXIII. La cadmie a pour propriété de dessécher, de cicatriser, d'arrêter les fluxions, de modifier les ptérygions et les croûtes des yeux, de faire disparaitre les granulations ; en un mot, elle a tous les effets que nous attribuerons au plomb. Le cuivre, lui-même, brûlé est employé dans tous ces cas, et en outre pour l'albugo et les cicatrices des yeux. Avec du lait il guérit les ulcérations des yeux ; aussi les Egyptiens en font-ils un collyre en le broyant sur des pierres dures. Pris dans du miel, il est vomitif. Le cuivre de Chypre se brûle dans des vases de terre crue, avec quantité égale de soufre ; on lute le couvercle, et on laisse ces vases au feu jusqu'à ce que la terre en soit cuite. Quelques-uns ajoutent du sel ; d'autres substituent l'alun au soufre ; d'autres enfin n'ajoutent rien, se contentant d'arroser de vinaigre le cuivre. La cuisson finie, on le pile dans un mortier de pierre thébaïque (XXXII, 21, 2) ; on le lave dans de l'eau de pluie ; on pile de nouveau dans une nouvelle eau plus abondante, et on attend qu'il se fasse un dépôt. On recommence cette opération plusieurs fois, jusqu'à ce que la couleur du dépôt soit celle du minium ; alors on le fait sécher au soleil, et on le garde dans une boîte de cuivre.

XXIV. La scorie de cuivre se lave de la même manière ; l'action en est moins énergique que celle du cuivre même. La fleur de cuivre aussi est employée en médecine. On la tire du cuivre déjà fondu, qu'on porte dans d'autres fourneaux ; là, l'action active des soufflets fait naître dans le métal des écailles semblables à de la balle de millet : c'est de la fleur de cuivre. Ces écailles tombent, quand les pains de cuivre refroidis dans l'eau deviennent rouges. Ces pains donnent aussi ce qu'on nomme lépis ; cela sert à sophistiquer la fleur, pour laquelle de la sorte on vend la lépis : La lépis n'est autre chose que les écailles que le marteau détache des clous forgés avec les pains de cuivre. Toutes ces substances se trouvent surtout dans les ateliers de Chypre: la seule différence, c'est qu'on fait tomber la lépis en frappant les pains, tandis que la fleur tombe d'elle-même.

XXV. Il y a une autre espèce d'écailles, plus déliées, sorte de duvet qu'on détache de la surface du métal ; on la nomme stomoma. Les médecins (je leur en demande pardon) ne connaissent aucune de ces substances ; la plupart en ignorent même les noms : tant s'en faut qu'ils sachent préparer les médicaments, préparation qui était jadis le propre de la médecine. Aujourd'hui, toutes les fois qu'ayant mis la main sur un livre de recettes, ils veulent composer avec cela quelque prescription, c'est-à-dire faire l'épreuve du livre aux dépens des malheureux malades, ils s'en rapportent aux droguistes, qui altèrent tout par leurs sophistications. Depuis longtemps ils achètent même les emplâtres et les collyres tout faits, et c'est par leur entremise que s'écoulent les drogues avariées ou falsifiées. La lépis et la fleur se brûlent sur des plats d'argile ou de cuivre ; ensuite on les lave comme il a été dit plus haut, et on les emploie dans les mêmes cas ; de plus, pour les excroissances charnues des narines et du siège ; pour la dureté d'ouïe, en les soufflant dans l'oreille à l'aide d'un tube ; pour les affections de la luette, en les incorporant à de la farine ; avec du miel, elles guérissent les amygdales. Avec le cuivre blanc, on fait une écaille beaucoup moins efficace que celle de Chypre. On fait aussi tremper préalablement les clous et les pains de cuivre dans de l'urine d'enfant. Quelques-uns détachent l'écaille, la pilent, et la lavent dans de l'eau de pluie. On la donne aux hydropiques, à la dose de deux drachmes dans une hémine (0 litr. 27) de vin miellé. En liniment, on l'incorpore à la fleur de farine.

XXVI. On fait aussi un grand emploi du vert-de-gris. Il se prépare de plusieurs manières : tantôt on le détache tout formé du minerai d'où on tire le cuivre par le feu ; tantôt on perce le cuivre blanc, on le suspend dans des tonneaux, sur du vinaigre ; ces tonneaux sont fermés avec un couvercle de cuivre ; le vert-de-gris ainsi obtenu est bien meilleur que celui que donnent les écailles. Quelques-uns plongent des vases de cuivre blanc dans des pots de terre remplis de vinaigre, et ils les raclent au bout de dix jours. D'autres les couvrent de marc de raisin, et les raclent après un nombre pareil de jours. D'autres arrosent de vinaigre la limaille de cuivre, et la remuent plusieurs fois par jour avec des spatules, jusqu'à dissolution complète. D'autres aiment mieux triturer cette même limaille avec du vinaigre, dans des mortiers de cuivre. Mais la méthode la plus prompte, c'est de jeter dans du vinaigre des rognures de cuivre coronaire. On sophistique le vert-de-gris, surtout celui de Rhodes, avec du marbre pilé ; d'autres se servent de pierre-ponce ou de gomme, mais la falsification qui trompe le plus, c'est le noir de cordonnier. On reconnaît les autres en mâchant la substance, qui craque sous la dent ; pour cette dernière on emploie une pelle à feu. Le vert-de-gris pur garde sa couleur ; falsifié avec le noir, il devient rouge. On se sert encore de papyrus macéré préalablement avec de la noix de galle : le papyrus noircit immédiatement, dès qu'on y applique du vert-de-gris. On le reconnaît aussi à la vue : falsifié, il n'est pas d'un vert franc. Mais, soit pur, soit sophistiqué, le mieux est de le laver, de le faire bien sécher, de le calciner dans un plat de terre neuf, et de le remuer jusqu'à incinération complète ; puis on le triture, et on le garde pour le besoin. Quelques-uns le calcinent dans des vases de terre crue, qu'ils laissent sur le feu jusqu'à ce que la terre soit cuite ; d'autres ajoutent de l'encens mâle. On lave le vert-de-gris comme la cadmie. Il est excellent dans les collyres, l'action mordante de cette substance étant avantageuse dans le larmoiement ; mais il est nécessaire de laver avec de la charpie imbibée d'eau chaude, jusqu'à ce que la sensation âcre cesse de se faire sentir.

XXVII. On donne le nom d'hiéracium à un collyre dont voici, essentiellement, la composition ; prenez quatre onces de sel ammoniac, deux de vert-de-gris de Chypre, deux de noir de cordonnier qu'on nomme chalcanthe, une de misy, six de safran : tout cela, trituré dans du vinaigre de Thasos, est formé en trochisques, remède excellent contre les cataractes commençantes, contre les nuages, les granulations, les albugo et les maladies des paupières. On incorpore le vert-de-gris cru dans les emplâtres vulnéraires. Avec de l'huile, il est merveilleux pour les ulcérations de la bouche, des gencives et des lèvres ; en cérat, il mondifie et cicatrise. Le vert-de-gris consume aussi les callosités des fistules et celles qui naissent autour du fondement, soit seul, soit appliqué avec le sel ammoniac, soit introduit sous forme liquide dans les fistules. Pétri avec un tiers de térébenthine, il fait disparaître les lèpres.

XXVIII. (XII.) Il est une autre espèce de vert-de-gris qu'on nomme scolex. On l'obtient en triturant, dans un mortier de cuivre de Chypre, de l'alun et du sel, ou un poids égal de nitre, avec du vinaigre blanc aussi fort que possible. Cette opération ne se fait que dans les jours les plus chauds, vers le lever du Chien. On triture le tout jusqu'à ce que le mélange devienne vert et prenne un aspect vermiculé, d'où le nom qu'il porte. Pour l'avoir meilleur et plus beau, on mêle à deux parties de vinaigre une partie d'urine d'enfant impubère. Le scolex a dans les médicaments le même emploi que la santerne, qui, avons-nous dit (XXXII, 29), sert à souder l'or ; et, l'un et l'autre, le même que le vert-de-gris. On obtient aussi du scolex (111) natif en raclant le minerai de cuivre, dont nous allons parler maintenant.

XXIX. Ce minerai, duquel on tire le cuivre par le feu comme de la cadmie, se nomme Chalcitis. Il diffère de la cadmie, en ce qu'on le taille à la superficie du sol, dans des pierres exposées à l'air, tandisque la cadmie se trouve dans des couches profondes. De plus, la chalcitis devient aussitôt friable, étant molle de sa nature, et ressemblant à un duvet condensé. Autre différence : la chalcitis est un mélange de trois substances, le cuivre, le misy et le sory; nous traiterons de chacun en lieu et place. Les veines de cuivre qu'elle renferme sont oblongues. On estime la chalcitis à couleur de miel, à veines minces et sinueuses, friable, et n'offrant pas de gravier. On pense que la récente est meilleure, parce que en vieillissant elle se transforme en sory. Elle a la propriété de réprimer les excroissances sur les plaies, d'arrêter le sang, et, en poudre, d'exercer une action astringente sur les gencives, la luette et les amygdales. Dans un pessaire de laine, on l'emploie pour les affections de la matrice. Avec du suc de poireau, on l'incorpore dans les emplâtres destinés aux parties génitales. On la fait tremper pendant quarante jours dans du vinaigre que contient un vase de terre luté avec du fumier ; elle prend une couleur safranée ; alors, mêlée à un poids égal de cadmie, elle compose le remède appelé psorique. Que si on met une partie de cadmie sur deux de chalcitis, le remède devient plus actif, et bien plus actif encore si pour former le mélange on se sert de vinaigre au lieu de vin. Pour tous ces usages la chalcitis calcinée est plus efficace.

XXX. Le sory d'Egypte est le plus estimé, l'emportant de beaucoup sur ceux de Chypre, d'Espagne et d'Afrique. Toutefois, pour les affections des yeux quelques-uns préfèrent celui de Chypre. Mais, quelle que soit la provenance, le meilleur est celui qui a l'odeur la plus forte, et qui trituré devient gras, noir et spongieux. Il est tellement mal supporté par l'estomac, que chez quelques-uns par la seule voie de l'odorat il excite le vomissement. Tel est le sory d'Egypte. Celui des autres provenances, concassé, devient luisant comme le misy ; il est plus graveleux. Tenu dans la bouche, en collutoire, il est bon pour les douleurs de dents, pour les ulcères malins de la bouche, et pour les affections serpigineuses. On le brûle sur les charbons comme la chalcitis.

XXXI. Le misy, au rapport de quelques-uns, se fait par la calcination de la pierre dans des fosses, étant une sorte de poudre jaune qui a besoin d'être mêlée à la cendre du bois de pin ; mais dans le fait, il se trouve tout formé sur la pierre susdite en masses compactes qu'il faut détacher. Le meilleur vient des ateliers de l'île de Chypre ; les marques en sont d'avoir la cassure brillante comme l'or, et trituré d'offrir une apparence graveleuse ou terreuse comme la chaltitis. Le misy est employé dans l'affinage de l'or. On l'injecte avec de l'huile rosat dans les oreilles qui suppurent ; on l'applique dans de la laine sur les ulcères de la tête ; il dissipe les granulations invétérées des paupières ; il est bon surtout pour les amygdales, les angines et les suppurations. Pour ces cas, prenez seize drachmes de misy, et faites cuire avec addition de miel dans une hémine de vinaigre, jusqu'à ce que le mélange devienne filant ; c'est la préparation la plus efficace dans les cas susdits. Toutes les fois qu'il est nécessaire d'en atténuer la force, on y ajoute du miel. Des fomentations avec le misy et le vinaigre consument les callosités des fistules. Il entre dans les collyres ; il arrête le sang, les ulcères serpigineux, les ulcères putrides ; il consume les chairs bourgeonnantes. Il est particulièrement utile dans les affections des organes de la virilité ; il arrête la métrorrhagie.

XXXII. Les Grecs ont établi par le nom la parenté du cuivre avec le noir de cordonnier : ils nomment en effet ce noir, chalcanthe. Il n'est point de substance qui soit aussi singulière. On le tire, en Espagne, de puits ou d'étangs pleins d'une eau chargée de cette dissolution ; cette eau, mêlée à une quantité égale d'eau douce, est mise sur le feu ; puis on la transvase dans des bassins en bois ; au-dessus de ces bassins sont des barres immobiles, d'où pendent des cordes qui y sont tenues plongées par des pierres : le limon s'y attache, et, se formant en grains d'apparence vitreuse, il représente une espèce de grappe. Retiré, le chalcanthe sèche pendant trente jours. Il est bleu, d'un luisant parfait, et on le prendrait pour du verre. Dissous, il forme le noir employé pour teindre le cuir. Il se fait encore de plusieurs façons : on creuse, dans un sol qui en contient, des fosses aux parois desquelles suintent des gouttes que le froid de l'hiver concrète ; ce chalcanthe s'appelle stalagmias ; c'est le plus pur de tous. Quand il est d'un violet tirant sur le blanc, on le nomme lonchoton. Autre moyen : on creuse la roche en auges ; l'eau de pluie y amène le limon, qui se concrète. On l'obtient aussi comme le sel, en soumettant à l'action du soleil le plus ardent l'eau douce qu'on a amenée ; de là, suivant quelques-uns, deux espèces de chalcanthe : le fossile et l'artificiel. Ce dernier est plus pâle, et moins il est coloré, moins il vaut. En médecine on estime surtout celui de Chypre. On le donne comme anthelmintique à la dose d'une drachme dans du miel. Il purge la tête, dissous et instillé dans les narines. Il fait vomir, pris avec du miel ou de l'eau miellée. Il guérit les granulations, les douleurs, les nuages des yeux et les ulcérations de la bouche. Il arrête l'épistaxis et le flux hémorroïdal. Avec la graine de jusquiame, il fait sortir les os fracturés. Appliqué sur le front avec un plumasseau, il suspend l'épiphora. Il est efficace dans les emplâtres pour mondifier les plaies et les chairs bourgeonnantes des ulcères. Le simple contact de sa décoction guérit la luette. Avec de la graine de lin, on le met pardessus les emplâtres pour ôter les douleurs. Le chalcanthe blanchâtre est préféré au chalcanthe violet dans un seul cas : c'est quand il s'agit de l'insuffler dans les oreilles, pour remédier à la dureté de l'ouïe. Seul, en topique, il guérit les plaies, mais il laisse une coloration aux cicatrices. On a imaginé récemment d'en saupoudrer la gueule des ours et des lions qui paraissent dans l'arène : la vertu astringente de cette substance est telle, que ces animaux ne peuvent mordre.

XXXIII. On trouve aussi dans les fourneaux à cuivre le pompholyx et la spode : ce qui les distingue, c'est que le pompholyx se prépare par le lavage, tandis que la spode ne se lave pas. Quelques-uns ont nommé pompholyx la partie blanche et la plus légère, disant que c'est la cendre du cuivre et de la cadmie; que la spode est plus noire et plus pesante, qu'on la détache des parois des fourneaux, et qu'elle se trouve mêlée d'étincelles éteintes et parfois de charbons. Le pompholyx, arrosé de vinaigre, développe une odeur cuivreuse, et si on en met sur la langue, le goût est détestable. Il est bon pour toutes les compositions ophtalmiques, quelle que soit l'affection des yeux, et on s'en sert dans tous les cas où on emploie la spode ; la seule différence, c'est que la force de celle-ci est plus mitigée. Il entre aussi dans les emplâtres auxquels on demande une action légèrement réfrigérante et siccative. Pour tous ces usages, celui qui a été lavé avec du vin est préférable.

XXXIV La spode de Chypre est la meilleure ; on l'obtient en faisant fondre la cadmie et la pierre à cuivre ; cette substance est la partie la plus légère de toute la fonte ; elle s'envole des fourneaux, et va s'attacher aux toits, où elle se distingue de la suie, car elle est blanche. Les parties moins blanches indiquent une combustion incomplète ; c'est ce que quelques-uns nomment pompholyx. Les parcelles rouges ont plus d'âcreté, et sont tellement corrosives que si, en les lavant, il en entre dans les yeux, la vue est perdue. Il y a aussi une spode couleur de miel, ce qui indique que le cuivre y domine. Toute spode gagne à être lavée. On la nettoie d'abord avec une plume ; puis le lavage emporte le plus gros. On écrase entre les doigts les grains durs. La spode qu'on a lavée avec le vin est de la force convenable. L'espèce de vin produit ici quelque différence : lavée avec un vin doux, on la regarde comme moins propre à entrer dans les collyres ; mais elle est plus efficace pour les ulcères humides, pour les ulcérations humides de la bouche, et pour tous les médicaments qu'on prépare contre la gangrène. Il se fait aussi dans les fourneaux pour l'argent une spode qu'on nomme lauriotis ; mais celle qu'on dit la meilleure pour les yeux est la spode qui vient de l'or. C'est ici surtout qu'on peut admirer l'industrie humaine : pour ne pas aller fouiller les mines, elle a, parmi les objets les plus communs, découvert à la spode un succédané d'égales vertus.

XXXV. C'est l'antispode ; on nomme ainsi la cendre soit du figuier, soit du figuier sauvage, soit des feuilles de myrte avec les pousses les plus tendres, soit de l'olivier sauvage, soit de l'olivier cultivé, soit du cognassier, soit du lentisque. On en fait encore avec des mûres loin de maturité, c'est-à -dire blanches, séchées au soleil, ou avec des brins de buis, ou de pseudocypérus (XII, 70), ou de ronce, ou de térébenthinier, ou d'oenanthe. On a trouvé la même vertu à la cendre de colle de taureau ou de linge. Toutes ces matières se mettent dans des pots de terrre crue, qu'on laisse dans les fours jusqu'à ce que la terre soit cuite.

XXXVI. C'est encore dans les forges de cuivre que se fait le smegma. Lorsque le cuivre est déjà fondu et qu'il ne manque rien à la cuisson, on ajoute des charbons qu'on allume peu à peu ; puis soudainement, sous l'action plus véhémente des soufflets, jaillit une espèce de pailles de cuivre. Le sol qui les reçoit doit être pavé.

XXXVII. On distingue facilement du smegma la substance qui provient des mêmes forges, et que les Grecs nomment diphryge, parce qu'elle est deux fois calcinée. La diphryge a une triple origine : on l'obtient, dit-on, d'une pierre pyrite qu'on fait brûler dans un fourneau jusqu'à ce que la calcination la convertisse en terre rouge. On la tire encore en Chypre du limon d'une certaine caverne d'abord séché, puis chauffé par degrés à un feu de sarments. En troisième lieu, elle se fait dans les fourneaux à cuivre, par un résidu qui tombe au fond. Ainsi les différentes substances se comportent différemment : le cuivre même coule dans les bassins, les scories vont hors du fourneau, la fleur se sublime, la diphryge reste. D'après quelques-uns, il est dans le minerai soumis au feu des morceaux réfractaires qui se soudent entre eux ; le cuivre bouillonne autour de ce bloc, qui n'entre pas en fusion, à moins qu'on ne le transporte dans un autre fourneau : c'est comme un noeud dans le minerai ; ce qui en reste après la fusion se nomme diphryge. L'emploi de cette substance en médecine est le même que pour les précédentes; elle est siccative, elle consume les excroissances et déterge énergiquement. On l'éprouve sur la langue : la bonne diphryge la sèche immédiatement au simple contact, et laisse un goût de cuivre.

XXXVIII. Nous n'omettrons pas une chose singulière relative au cuivre : la famille Servilia, illustre dans les Fastes, nourrit avec de l'or et de l'argent un triensde cuivre qui dévore de l'un et de l'autre. Je n'en connais ni l'origine ni la nature, et je citerai là-dessus les paroles mêmes du vieux Messala : «La famille des Servilius possède un triens sacré, auquel ils font tous les ans un sacrifice avec beaucoup de soin et de magnificence. On prétend qu'on l'a vu tantôt croître, tantôt décroître, et que cela sert de pronostic pour la grandeur ou la décadence de la famille».

XXXIX. Maintenant nous avons à parler des mines de fer, pour l'homme l'instrument le meilleur et le pire. C'est avec le fer que nous labourons la terre, que nous plantons les arbres, que nous taillons les hautains, que nous dressons les vergers, que nous forçons tous les ans la vigne à se rajeunir en retranchant les branches décrépites ; c'est avec le fer que nous bâtissons les maisons, que nous taillons les pierres, et tant d'autres services que nous en retirons. Mais c'est aussi le fer qu'on emploie pour la guerre, pour le meurtre et le brigandage, non seulement de près, mais encore lancé de loin et volant dans les airs, mu, soit par les machines, soit par le bras, et souvent même empenné. C'est là, suivant moi, de tous les méfaits de l'esprit humain le plus criminel. Quoi ! pour que la mort parvînt plus rapidement à l'homme, nous lui avons donné des ailes, et nous avons fait voler le fer ! Qu'ainsi le mal qu'il produit ne soit pas imputé à la nature ; et quelques faits ont prouvé que le fer pouvait ne servir qu'à des usages innocents. Dans le traité que Porsenna accorda au peuple romain après l'expulsion des rois, nous trouvons la clause expresse que les Romains n'emploieront le fer que pour la culture des champs. De très anciens auteurs disent que les stylets de fer pour l'écriture étaient regardés comme dangereux. Nous avons du grand Pompée, dans son troisième consulat, un édit qui, à propos du tumulte causé par la mort de Clodius, défend qu'il y ait aucune arme dans Rome.

XL. Cependant, grâce à l'industrie humaine, des usages plus doux n'ont pas manqué au fer. L'artiste Aristonidas, voulant exprimer sur Athamas le repentir succédant à la fureur après qu'il a précipité son fils Léarque, mêla le cuivre et le fer, afin que la rougeur de la confusion fût rendue par la rouille qui se distinguait à travers l'éclat du cuivre : cette statue existe aujourd'hui encore à Thèbes. On a dans la même ville un Hercule de fer, oeuvre d'Alcon, conduit à employer ce métal par la patience du dieu dans les travaux. Nous voyons aussi à Rome des coupes de fer consacrées dans le temple de Mars Vengeur. Autant la nature s'est montrée bonne en limitant la puissance du fer, qu'elle punit par la rouille, autant elle s'est montrée prévoyante en ne mettant entre les mains de l'homme que ce qu'il y a de plus funeste à l'humanité.

XLI. Les mines de fer se trouvent presque partout ; l'île même d'Ilva ( Elbe), sur la côte d'Italie, en produit. Les terres ferrugineuses se reconnaissent sans difficulté à leur couleur. Le minerai se traite de la même manière que celui de cuivre : seulement, en Cappadoce, on se demande s'il est un présent de l'eau ou de la terre ; car ce n'est qu'arrosé avec l'eau d'un certain fleuve, que le minerai donne du fer dans les fourneaux. Les variétés de fer sont nombreuses. La première cause en est dans les différences du sol ou du climat. Certaines terres ne donnent qu'un fer mou, et approchant du plomb ; d'autres, un fer cassant et cuivreux, détestable pour les roues et les clous, auxquels le fer mou convient ; un autre n'est bon qu'en petits morceaux : on l'emploie pour les clous des bottines ; un autre est très sujet à la rouille. Tous ces fers s'appellent strictures (gueuses), terme dont on ne se sert pas pour les autres métaux, et qui vient de stringere aciem (tirer l'acier, fer forgé). Les fourneaux aussi établissent une grande différence ; on y obtient un certain noyau de fer servant à fabriquer l'acier dur, ou, d'une autre façon, les enclumes compactes et les têtes de marteau. Mais la différence la plus grande provient de l'eau dans laquelle on plonge le fer incandescent : cette eau, dont la bonté varie suivant les lieux, a rendu fameuses pour la fabrication du fer certaines localités, telles que Bilbilis et Turiasson en Espagne, et Côme en ltalie, bien que ces endroits n'aient pas de mines de fer. Mais de tous les fers la palme est à celui de la Sérique, qui nous l'envoie avec ses étoffes et ses pelleteries. Le second rang appartient à celui des Parthes. Ce sont les seuls fers où il n'entre que de l'acier ; tous les autres sont mélangés d'un fer plus mou. Dans l'empire romain, en certains endroits, le filon donne du fer de cette qualité, comme en Norique ; c'est le procédé de fabrication en d'autres, comme à Sulmone ; c'est la qualité de l'eau dans les lieux que nous avons cités plus haut. Il est aussi à observer que pour aiguiser il vaut mieux arroser la pierre avec de l'huile qu'avec de l'eau : l'huile rend le tranchant plus fin. Chose singulière ! dans la calcination du minerai, le fer devient liquide comme de l'eau, et, par le refroidissement, il devient spongieux. On est dans l'habitude d'éteindre dans l'huile les menus fragments de fer, de peur que l'eau ne les rende durs et cassants. Le sang humain se venge du fer, qui, lorsqu'il en a été mouillé, est plus promptement attaqué par la rouille.

XLII. Nous parlerons en son lieu (XXXVI, 25) de la pierre d'aimant, et de la sympathie qu'elle a pour le fer. Seul, ce métal emprunte à la pierre d'aimant des forces qu'il garde pendant longtemps, devenant capable de saisir un autre morceau de fer ; et l'on peut voir retenus de la sorte toute une série d'anneaux. Le vulgaire ignorant appelle fer vif ce fer aimanté. Les blessures en sont plus dangereuses. La pierre d'aimant se trouve aussi dans la Cantabrie : non ce véritable aimant qui est en roches continues, mais un aimant en fragments disséminés qu'on nomme bullations. Je ne sais si cette espèce est aussi propre à la fusion du verre (XXXVI, 80) ; personne n'en a encore fait l'expérience ; toujours est-il qu'elle communique au fer la même force. L'architecte Dinocharès avait entrepris de faire la voûte du temple d'Arsinoé, à Alexandrie, en pierre d'aimant, afin que la statue en fer de cette princesse parût y être suspendue en l'air. La mort de l'architecte et du roi Ptolémée, qui,avait ordonné le monument en 1'honneur de sa soeur (VI, 12), empêcha ce projet d'être exécuté.

XLIII. De tous les métaux c'est le fer qui est en plus grande abondance. Sur la côte de la Cantabrie que baigne l'Océan, il est une montagne très élevée qui, chose incroyable, est tout entière de fer ; nous en avons parlé en décrivant l'Océan (IV, 34). (XV.) Le fer soumis à l'action du feu se gâte, si on ne le forge au marteau. Rouge, il n'est pas apte à être forgé ; il faut qu'il commence à passer au blanc. Enduit de vinaigre ou d'alun, il devient semblable au cuivre. On le protège contre la rouille avec la céruse, le gypse et la poix liquide, préparation que les Grecs nomment antipathie. Quelques-uns prétendent qu'il y a en cela quelque cérémonie religieuse, et que dans la ville nommée Zeugma (V, 21), sur l'Euphrate, est une chaîne de fer qu'Alexandre avait employée là à la construction d'un pont, et dont les anneaux renouvelés sont attaqués par la rouille, tandis que les anneaux primitifs en sont exempts.

XLIV. Ce n'est pas seulement par son tranchant que le fer fournit des remèdes ; en traçant un cercle avec le fer autour des adultes et des enfants, ou en faisant tourner trois fois autour d'eux un instrument pointu, on les protège contre les maléfices. En clouant au seuil des clous arrachés d'un tombeau, on écarte les visions nocturnes. En piquant légèrement avec un fer qui a blessé un homme, on guérit les douleurs subites de côté ou de poitrine qui sont pongitives. Quelques affections sont guéries par la cautérisation avec le fer rouge, en particulier la morsure du chien enragé ; et même quand la maladie est établie, quand l'hydrophobie existe, on guérit immédiatement le mal en brûlant la plaie. On échauffe aussi la boisson en y éteignant un fer chauffé à blanc, et cette boisson se prend dans beaucoup d'affections, notamment dans la dysenterie.

XLV. La rouille elle-même est comptée parmi les remèdes ; et c'est ainsi, dit-on, qu'Achille (XXV, 19) guérit Télèphe, employant soit une lance d'airain, soit une arme de fer ; du moins on le représente détachant la rouille avec son glaive. D'ordinaire on obtient la rouille du fer en raclant de vieux clous avec un fer mouillé. Elle est coagulante, siccative, astringente ; en topique, elle guérit les alopécies. On s'en sert avec la cire et l'huile de myrte, pour les granulations des paupières et les pustules de tout le corps ; avec le vinaigre, pour le feu sacré; dans des linges, pour la gale et les paronychies et les excroissances des doigts. En pessaire, sur de la laine, elle arrête les pertes. Délayée dans du vin et pétrie avec de la myrrhe, on l'applique sur les plaies récentes ; avec du vinaigre, sur les condylomes. En topique, elle soulage les goutteux.

XLVI. On emploie aussi l'écaille de fer qu'on tire de l'acier ou des lances tranchantes ; elle est très semblable pour l'effet à la rouille, mais plus active : aussi l'administre-t-on contre les fluxions des yeux. Elle arrête le sang, le sang que le fer surtout fait couler ; elle guérit les pertes ; on en fait un topique pour les maladies de la rate. Elle réprime les hémorroïdes et les ulcères serpigineux ; elle est bonne pour les paupières, qu'on en saupoudre légèrement. Ce qui la recommande le plus, c'est l'emploi qu'on en fait dans l'emplâtre humide, pour mondifier les plaies et les fistules, pour consumer toute callosité, pour réparer les chairs sur les os dénudés. En voici la composition : six oboles de poix, deux drachmes de terre cimoliée, deux drachmes de cuivre en poudre, deux drachmes d'écaille de fer, six drachmes de cire, un setier d'huile; on y ajoute du cérat, quand on veut mondifier ou remplir les plaies.

XLVII. Passons à l'histoire du plomb. Il y en a de deux sortes, le noir et le blanc. Le blanc est très précieux ; les Grecs l'ont appelé cassitéros, et ils ont répandu la fable qu'on le tirait des îles de l'océan Atlantique, et qu'on l'apportait dans des barques d'osier revêtues de cuir (VII, 57). On sait présentement que la Lusitanie et la Gallicie le produisent. C'est un sable à fleur de terre, de couleur noire, qu'on ne reconnaît qu'au poids. Il est entremêlé de petits graviers, surtout dans les torrents desséchés. Les mineurs lavent ce sable, et calcinent le dépôt dans des fourneaux. On trouve aussi de ce plomb dans les minerais d'or nommés alutia. L'eau qu'on fait passer détache des graviers noirs, variés de blanc quelque peu, et aussi pesants que l'or. Aussi restent-ils avec ce métal dans les corbeilles dans lesquelles on recueille l'or ; puis l'action des fourneaux les sépare de l'or, ils se fondent, et deviennent le plomb blanc. On ne fait pas de plomb noir en Gallicie, bien que la Cantabrie toute voisine en ait en abondance, et n'en ait point d'autre; le plomb blanc ne donne pas non plus d'argent, bien que le plomb noir en donne. Deux morceaux de plomb noir ne peuvent être soudés sans du plomb blanc (XXXIII, 30) ; le plomb blanc ne peut l'être au plomb noir sans huile; deux morceaux de plomb blanc ne peuvent l'être ensemble sans du plomb noir. Le plomb blanc a été estimé dès le temps de la guerre de Troie ; témoin Homère, qui le nomme cassitéros (Il. XX, 25 et XXXIII, 561). Le plomb noir a deux origines : ou bien il provient d'un filon qui lui est propre, lequel alors ne contient que du plomb, ou bien le filon lui est commun avec l'argent, et les deux métaux coulent du même minerai. Le liquide qui coule le premier dans les fourneaux est appelé étain ; celui qui coule le second, argent ; ce qui reste dans le fourneau, galène, ce qui est la troisième partie constituante du minerai calciné. Cette galène, soumise elle-même à la fusion, donne le plomb noir avec un déchet de deux neuvièmes.

XLVIII. (XVII.) L'étain, appliqué aux vases de cuivre, leur ôte le goût cuivreux, et empêche le vert-de-gris de s'y former ; le poids du vase, chose singulière, n'augmente pas. On à fait autrefois, comme nous l'avons dit (XXXIII, 45), à Brindes, avec l'étain, des miroirs très estimés, jusqu'à ce que tout le monde, même les servantes, se soit mis à se servir de miroirs d'argent. Aujourd'hui on contrefait l'étain en mêlant un tiers de cuivre blanc et deux de plomb blanc ; on le contrefait encore en faisant fondre ensemble du plomb blanc et du plomb noir, livre pour livre. Quelques-uns nomment aujourd'hui ce mélange étain argentaire. On nomme aussi étain tertiaire celui dans lequel entre un tiers de plomb blanc sur deux de plomb noir ; il coûte 10 deniers (8 fr. 20 c.) la livre ; on l'emploie pour souder les tuyaux. Les plus fripons, ajoutant à l'étain tertiaire une partie égale de plomb blanc, le nomment étain argentaire, et ils emploient ce mélange pour toute espèce d'étamage ; ils le vendent 60 deniers (49 fr. 20 c.) les cent livres. Le plomb blanc, pur, se vend 10 deniers la livre ; le plomb noir, 7 (5 fr. 74c.). Le plomb blanc a plus de sécheresse ; au contraire, le plomb noir est tout humidité ; aussi le plomb blanc, sans être mélangé, n'est propre à rien ; il ne peut non plus servir à souder l'argent, ce métal se fondant avant lui. On assure que si on allie au plomb blanc moins de plomb noir qu'il ne faut dans la soudure, le plomb blanc corrode l'argent. On étame le cuivré avec le plomb blanc de telle sorte qu'on peut à peine le distinguer de l'argent : c'est une invention gauloise ; on nomme ces ouvrages en cuivre, étamures. Plus tard, on s'est mis à étamer de la même façon avec de l'argent, particulièrement les ornements des chevaux et les harnais des attelages. Cette application s'est faite dans la ville d'Alise ; le mérite de l'invention primitive appartient aux Bituriges. Puis on a orné semblablement les voitures dites esseda, vehicula, petorrita. De la même façon un vain luxe est arrivé jusqu'aux ornements, non pas seulement argentés, mais aussi dorés ; et ce qui passait pour une merveille sur une coupe est mis à s'user dans les voitures ! cela s'appelle du savoir-vivre. On essaye le plomb blanc sur du papyrus : il faut que, fondu, il paraisse en déterminer la rupture par son poids, non par sa chaleur. L'Inde n'a ni cuivre ni plomb ; elle se les procure en retour de ses perles et de ses pierres précieuses.

XLIX. Nous employons le plomb noir en tuyaux et en laines. On l'extrait avec un grand travail en Espagne et dans toute la Gaule ; mais dans la Bretagne il est tellement abondant à la superficie même du sol, qu'une loi spontanément portée défend d'en fabriquer plus d'une certaine mesure. Les variétés du plomb noir se nomment plomb d'Ovète, plomb de Caprarie, plomb d'Oléastre. Ils ne diffèrent aucunement, pourvu que la scorie ait été bien calcinée. Ces mines sont les seules qui, chose singulière, abandonnées, deviennent plus productives. L'air, s'y infusant en liberté par les orifices élargis, paraît produire ce résultat; c'est ainsi que l'avortement semble rendre certaines femmes plus fécondes. On en a eu dernièrement la preuve en Bétique, dans la mine de Santare. On l'affermait 200.000 deniers (164.000 fr.) par an ; puis, ayant été abandonnée, elle est affermée maintenant 255.000 (209.000). De la même façon, la mine Autonienne, dans la même province, est parvenue à un revenu de 400.000 livres pesant. Il est remarquable que si l'on met de l'eau dans un vase de plomb, il ne fond pas ; et que si dans cette même eau on jette un caillou ou un quadrans de cuivre, le feu attaque le vase.

L. Dans la médecine on emploie le plomb seul pour aplanir les cicatrices ; des lames de plomb attachées aux lombes et aux reins arrêtent par leurs qualités réfrigérantes les désirs vénériens. On dit que l'orateur Calvus réprima par ce moyen des pollutions nocturnes qui devenaient une véritable maladie, et conserva par là, pour le travail et l'étude, les forces dont ces rêves le privaient. Néron empereur, puisque les dieux l'avaient permis, ne chantait pas sans se mettre une plaque de plomb sur la poitrine ; et il a montré que cela servait à entretenir la voix. Pour les usages médicaux on fait cuire le plomb dans des plats de terre cuite ; on met un lit de soufre pulvérisé, des lames minces de plomb par-dessus, et on les recouvre d'un mélange de soufre et de fer. Pendant la cuisson le vase doit être exactement fermé : en effet, les fourneaux à plomb produisent des vapeurs nuisibles, meurtrières, surtout pour les chiens, qu'elles tuent très promptement. Les vapeurs de tous les métaux sont mortelles pour les mouches et les moucherons. Aussi n'a-t-on pas dans les mines de ces insectes incommodes. Quelques-uns mêlent, pour cette préparation, de la limaille de plomb avec le soufre ; d'autres préfèrent la céruse au soufre. On fait aussi par le lavage une préparation de plomb pour la médecine: on bat avec un pilon de plomb, un mortier de plomb, après y avoir mis de l'eau de pluie, et on continue jusqu'à ce que cela s'épaississe ; puis on ôte avec des éponges l'eau qui surnage ; la partie la plus épaisse est mise à sécher, et on la divise en trochisques. Quelques-uns triturent ainsi la limaille de plomb ; d'antres ajoutent en sus de la plombagine ; d'autres, soit du vinaigre, soit du vin, soit de la graisse, soit de l'huile rosat. Certains aiment mieux triturer dans un mortier de pierre, et surtout de pierre thébaïque, avec un pilon de plomb ; de cette façon la préparation devient plus blanche. Quant au plomb calciné, on le lave comme le stibi (XXXIII, 34) et la cadmie(159). Il est astringent, répressif et cicatrisant. On s'en sert aussi dans les compositions ophtalmiques, surtout contre la providence des yeux, pour remplir les vides des plaies, pour guérir les excroissances, les rhagades du siège, les hémorroïdes, les condylomes. Pour ces dernières affections, c'est surtout la préparation par lavage qui est bonne ; mais pour les ulcères serpigineux ou sordides, c'est la cendre du plomb calciné ; et l'emploi en est aussi avantageux que celui de la cendre de papyrus brûlé (XXIV, 51). On calcine le plomb dans des plats, par lames menues, avec du soufre; on remue avec des verges de fer ou des baguettes de férule, jusqu'à ce que le plomb fondu se change en cendre ; puis, après le refroidissement, on le pulvérise. D'autres calcinent la limaille dans un vase de terre crue, qu'ils laissent au feu jusqu'à ce que la terre soit cuite. Quelques-uns mêlent de la céruse en quantité égale, ou de l'orge, et, triturent comme il vient d'être dit pour le plomb cru; ils préfèrent le plomb ainsi trituré à la spode de Chypre.

LI. La scorie du plomb est employée aussi. La meilleure est celle qui approche le plus de la couleur jaune sans vestiges de plomb, ou qui a l'apparence du soufre et n'est point terreuse. On la concasse dans des mortiers, puis on la lave jusqu'à ce que l'eau prenne une couleur jaune ; on la transvase dans un vaisseau propre, et cela à plusieurs reprises, jusqu'à ce qu'il se fasse un dépôt, qui est une substance très utile. Cette substance a les mêmes effets que le plomb, mais elle est plus active. Admirons l'expérience humaine, qui n'a rien laissé sans l'essayer de mille façons, pas même la lie et les résidus dégoûtants des choses !

LII. On fait une spode de plomb de la même manière que la spode de cuivre de Chypre (XXXIV, 34). On lave avec de l'eau de pluie dans des linges d'un tissu lâche, on sépare la partie terreuse en transvasant, on passe au crible, et on triture. Quelques-uns aiment mieux ôter la partie pulvérulente avec des plumes, et la triturer dans un vin odorant.

LIII. La molybdène (XXXII, 31) est ce que nous avons appelé en un autre endroit galène, minerai commun de l'argent et du plomb. Elle est d'autant meilleure qu'elle approche davantage de la couleur de l'or, et qu'elle s'éloigne le plus de l'apparence du plomb; elle est friable et médiocrement pesante. Cuite dans l'huile, elle prend la couleur du foie. Elle s'attache aux fourneaux où on fond l'or et l'argent ; on la nomme métallique. La plus estimée est celle qui se fait à Zéphyrium (en Cilicie). On estime les molybdènes qui sont le moins terreuses et le moins pierreuses ; on les calcine et on les lave comme la scorie de plomb. On les fait entrer dans les onguents lipares (gras) pour adoucir et rafraîchir les plaies, et dans les emplâtres qu'on ne fixe pas avec un bandage, mais qui, en liniment, cicatrisent les plaies chez les personnes délicates et dans les parties les plus molles. La composition est : trois livres de molybdène, une livre de cire et trois hémines d'huile. Si c'est pour un vieillard, on ajoute à l'huile du marc d'olive. On en fait aussi une composition avec l'écume d'argent et la scorie de plomb, pour la dysenterie et le tenesme : on l'emploie chaude, en fomentation.

LIV. Le psimmythium, c'est-à-dire la céruse, est fourni aussi par les forges de plomb ; la meilleure céruse vient de Rhodes. On la fait de râpures de plomb très menues, qu'on met au-dessus d'un vase rempli de très fort vinaigre ; ces râpures se dissolvent ainsi. Ce qui tombe dans le vinaigre est séché, moulu, tamisé, mêlé de nouveau à du vinaigre, divisé en trochisques, et séché au soleil en été. Autre procédé : On met du plomb dans des jarres de vinaigre, qu'on tient bouchées pendant dix jours ; on racle l'espèce de moisissure qui se forme sur le plomb, puis on le remet, et cela jusqu'à ce que tout soit consommé. Ce qui a été raclé est trituré, tamisé, calciné dans des plats, et remué avec une brochette jusqu'à ce que la substance roussisse et devienne semblable à de la sandaraque ; puis on lave à l'eau douce jusqu'à ce que tous les petits nuages aient disparu ; enfin on sèche comme il a été dit plus haut, et on divise en trochisques. Les propriétés de la céruse sont les mêmes que celles des substances dont il vient d'être parlé, mais elle est plus douce ; de plus, les femmes l'emploient pour se blanchir le teint. Prise à l'intérieur, c'est un poison, comme l'écume d'argent: Cuite une seconde fois, la céruse roussit.

LV. Nous avons déjà exposé presque toutes les propriétés de la sandaraque. On la trouve dans les mines d'or et dans les mines d'argent. Elle est d'autant meilleure qu'elles plus rousse, d'une odeur plus forte, plus pure et plus friable. Elle est bonne pour déterger, réprimer, échauffer, corroder. La propriété qu'elle possède au plus haut degré est de mortifier. En topique, dans du vinaigre, elle guérit l'alopécie. Elle entre dans les compositions ophtalmiques. Prise avec du miel, elle mondifie la gorge, et rend la voix claire et harmonieuse. Administrée dans quelque aliment avec la térébenthine, elle est un remède précieux dans l'asthme et dans la toux ; brûlée avec du cèdre, elle guérit par sa vapeur les mêmes affections.

LVI. L'arsenic provient aussi des mêmes substances. Le meilleur est de la couleur du plus bel or ; celui qui est plus pâle, ou semblable à la sandaraque, est moins estimé. Il en est un troisième qui participe du jaune de l'or et de la couleur de la sandaraque. Les deux dernières espèces sont écailleuses ; la première est sèche, pure, et se fend, selon la direction de ses veines, très déliées. L'arsenic a les mêmes propriétés que la sandaraque, mais il est plus actif ; aussi entre-t-il dans les caustiques et les épilatoires. Il enlève les carnosités des doigts, les polypes des narines, les condylomes et toutes les excroissances. Pour en augmenter la vertu, on le torréfie dans un vase de terre neuf jusqu'à ce qu'il change de couleur.


Traduction par Emile Littré (1855)