I. Le Pont et les Mariandynes. - II. La Paphlagonie. - III. La Cappadoce. - IV. La contrée Thémiscyrène et les nations qui s'y trouvent. - V. La contrée Colique, les nations des Achéens, et des autres peuples qui se trouvent dans la même région. - VI. Le Bosphore Cimmérien. - VII. Le Palus-Méotide et les nations qui sont alentour. - VIII. Position de la Cappadoce. - IX. Grande Arménie, petite Arménie. - X. Le fleuve Cyrus et l'Araxe. - XI. L'Albanie, l'Ibérie, et les nation attenantes. - XII. Les portes Caucasiennes. - XIII. Les îles du Pont-Euxin. - XIV. Les nations à partir de l'Océan de Scythie. - XV. La mer Caspienne et la mer d'Hyrcanie. - XVI. L'Adiabène. - XVII. La Médie et les portes Caspiennes. - XVIII. Les nations placées autour de la mer d'Hyrcanie. - XIX. Les nations Scythiques et les positions à partir de l'océan Oriental. - XX. La Sérique. - XXI. L'Inde. - XXII. Le Gange. - XXIII. L'Indus. - XXIV. La Taprobane. - XXV. La Gédrosie et les satrapies attenantes. - XXVI. La navigation en Inde. - XXVII. La Carmanie. - XXVIII. Les golfes Persique et Arabique. - XXIX. L'empire des Parthes. - XXX. La Mésopotamie. - XXXI. Le Tigre. - XXXII. L'Arabie. - XXXIII. Le golfe de la mer Rouge. - XXXIV. La Troglodytique. - XXXV. L'Ethiopie. - XXXVI. Les îles de la mer Ethiopienne. - XXXVII. Les îles Fortunées. - XXXVIII. Comparaison de mesures terrestres. - XXXIX. Distribution des contrées suivant les parallèles et l'égalité des ombres.

Résumé :
Villes
Nations
Fleuves célèbres
Montagnes célèbres
Iles
Villes ou nations qui ont péri
Faits, histoires et observations

Auteurs : M. Agrippa, M. Varron, Varron Atacinus, Cornelius Nepos, Hygin, L. Vetus, Pomponius Méla, Domitius Corbulon, Licinius Mucianus, l'empereur Claude, Arruntius, Sebosus, Fabricius Tuscus, Tite-Live, Sénèque, Nigidius.

Auteurs étrangers : Le roi Juba, Hécatée, Hellanicus, Damaste, Eudoxe, Dicéarque, Béton, Timosthène, Patrocle, Démodamas, Clitarque, Eratosthène, Alexandre le Grand, Ephore, Hipparque, Panaetius, Callimaque, Artémidore, Apollodore, Agathocle, Polybe, Eumachus, Timée de Sicile, Alexandre Polyhistor, Isidore, Amometus, Métrodore, Posidonius, Onésicrite, Néarque, Mégasthène, Diognète, Aristocréon, Bion, Dalion, Simonide le jeune, Basile, Xénophon de Lampsaque.


I. Le Pont-Euxin (hospitalier), appelé jadis Axenus (IV, 24) à cause de la barbarie inhospitalière des peuples qui en habitaient les rives, s'épanche, lui aussi, entre l'Europe et l'Asie, grâce à une malignité particulière de la nature, qui cède sans terme à l'avidité de la mer. Ce n'était pas assez que l'Océan entourât les terres, et que, augmentant l'étendue des lieux inhabités, il eût englouti une partie des continents ; ce n'était pas assez qu'il eût fait irruption à travers les montagnes brisées, qu'il eût arraché Calpé à l'Afrique, et noyé des espaces plus grands que ceux qu'il laissait découverts ; ce n'était pas assez que par l'Hellespont il eût versé la Propontide aux dépens de nouvelles terres qu'il dévorait ; il fallait qu'à partir du Bosphore de Thrace il se développât en une autre immensité, toujours insatiable, jusqu'à ce que le Palus-Méotide joigne à ces eaux débordées son contingent de spoliations. Ces inondations se sont faites malgré les terres ; on le voit à tant de détroits, à tant d'espaces rétrécis par la résistance de la nature : l'Hellespont n'a que 875 pas de large (IV, 18) ; le trajet des deux Bospbores, un boeuf peut le faire à la nage, d'où vient le nom qu'ils portent. Les continents, quoique séparés, ont encore des points de contact : on entend, en effet, des deux côtés le chant des oiseaux et les aboiements des chiens ; la voix humaine, d'une rive à l'autre, peut même établir une conversation entre ces deux mondes, si les vents n'en dissipent pas le bruit dans les airs. La mesure du Pont-Euxin, depuis le Bosphore jusqu'au Palus-Méotide, a été évalué par quelques-uns à 1.438.500 pas ; Eratosthène l'estime à 100.000 pas de moins ; Agrippa compte de Chalcédoine au Phase 1.000.000 de pas, de là au Bosphore Cimmérien 360.000. Quant à nous, nous exposerons d'une manière générale les distances que l'on a reconnues de notre temps ; car on s'est battu même sur le Bosphore Cimmérien. A partir de la gorge du Bosphore de Thrace, on trouve le fleuve Rhebas, que quelques-uns ont appelé Rhésus ; puis le fleuve Psillis ; le port Calpas ; le Sagaris, fleuve célèbre, ayant sa source en Phrygie, recevant de grandes rivières, et entre autres la rivière de Tembrogius et celle de Gallus, et portant chez la plupart le nom de Sangarius : à partir de là, les golfes de Mariandyna, la ville d'Héraclée, placée sur le fleuve Lycus, à 200.000 pas de l'ouverture du Pont-Euxin ; le port Acone, redoutable à cause de l'aconit (XXVII, 2), plante vénéneuse ; la caverne Achérusienne ; les fleuves Paedopides, Callichorus, Sonautes ; la ville de Tium, à 38.000 pas d'Héraclée ; le fleuve Billis.

II. (II.) Au delà de ce fleuve est la Paphlagonie, appelée par quelques uns Pylaeménie, s'appuyant en arrière sur la Galatie ; elle renferme Mastya ville des Milésiens, puis Cromma ; en ce lieu Cornélius Népos place les Hénètes, et il prétend que les Vénètes d'Italie, dont le nom est le même, en sont issus ; la ville de Sesamum, appelée aujourd'hui Amastris ; le mont Cytorus, à 63.000 pas de Tium ; les villes de Cimolis, de Stephane ; le fleuve Parthénius, le promontoire Carambis s'avançant énormément dans la mer, et situé à 325.000 pas, ou, d'après d'autres, à 350.000, de l'ouverture du Pont-Euxin, à la même distance du Bosphore Cimmérien, ou, d'après quelques-uns, à 312.500 pas ; les villes de Carambis et d'Armène, qui n'existent plus ; encore debout, Sinope, colonie, à 154.000 pas du mont Cytorus ; le fleuve Evarchus, la nation des Cappadociens, les villes de Gaziura et de Gazelum ; le fleuve Halys, descendant du pied du Taurus à travers la Cataonie et la Cappadoce ; les villes de Gangre, de Carusa, d'Amisus, libre, à 130.000 pas de Sinope ; le golfe d'Amisus, qui s'avance si profondément dans la terre, qu'il fait de l'Asie presque une île. De là au golfe d'Issus en Cilicie il y a, par terre, 200.000 pas et plus ; dans tout ce trajet, les auteurs ne comptent que trois nations qui puissent être appelées Grecques à juste titre : la Dorienne, l'Ionienne, et l'Eolienne ; les autres sont des nations barbares. A la ville d'Amisus tenait jadis la ville d'Eupatoria, fondée par Mithridate ; après la défaite de ce prince (VII, 27), elles furent réunies sous le nom de Pompeiopolis.

III. (III.) La Cappadoce a dans l'intérieur Archélaïs, colonie de l'empereur Claude, baignée par l'Halys ; les villes de Comana, baignée par le Sarus, de Néocésarée par le Lycus, d'Amasia par par l'Iris, dans la Gazacène ; dans la Colopène, Sebasta et Sébastopolis, petites villes, mais égales à celles qui viennent d'être nommées ; dans le reste de son étendue, Mélita, fondée par Sémiramis non loin de l'Euphrate ; Diocésarée, Tyanes, Castabales, Magnopolis, Zela ; au pied du mont Argaeus, Mazaca appelée maintenant Césarée. La partie de la Cappadoce qui s'étend au-devant de la grande Arménie s'appelle Mélitène ; au-devant de la Commagène, Cataonie ; au-devant de la Phrygie, Gersauritis, Sargarausène, Cammanène ; au-devant de la Galatie, Morimène : là les Cappadociens sont limités par la rivière Cappadox, ils en ont pris le nom ; ils portaient auparavant celui de Leucosyriens ; le fleuve Lycus sert de limite, au delà de Néocésarée susnommée, entre la Cappadoce et la petite Arménie. Dans l'intérieur se trouve aussi Céraunus, célèbre ; sur la côte, à partir de la ville d'Amisus, la ville et le fleuve de Chadisia ; la ville de Lycastum, a partir de laquelle commence la contrée de Themiscyra.

IV. Le fleuve Iris, qui reçoit le Lycus ; dans l'intérieur, la ville de Ziela, célèbre par la défaite de Triarius (67 av. JC) et par une victoire de J. César (47 av. JC.); sur la côte, le fleuve Thermodon, ayant sa source près d'un château appelé Phanarée, et coulant au pied du mont Amazonius ; une ville de Thermodon qui n'existe plus, et cinq autres, Amazonium, Themiscyra, Sortira, Amasia, Comana, détruites aussi ; Mantium, qui subsiste encore ; (IV) les nations des Génètes et des Chalybes ; la ville de Cotyorus ; les nations des Tibaréniens et des Mossyniens, qui se tatouent ; la nation des Macrocéphales ; la ville de Cérasonte (XV, 30), le port de Chordule, les nations des Béchires et des Buzères ; le fleuve Mélas ; la nation des Macrons ; le pays de Sidène ; le fleuve Sidénus, qui arrose la ville de Polémonium à 120.000 pas d'Amisus ; puis les fleuves Jasonius et Melanthius ; à 80,000 pas d'Amisus, la ville de Pharnacée, le château et le fleuve de Tripolis, le château et le fleuve de Philocalée, sans fleuve, le château de Liviopolis ; à 100.000 pas de Pharnacée, la ville libre de Trapézonte, fermée en arrière par une vaste montagne ; au delà, la nation des Arménochalybes, éloignée de 30.000 pas de la grande Arménie ; sur la côte, avant Trapézonte, le fleuve Pyxites ; au delà de Trapézonte, la nation des Sanniens Héniochiens, l'embouchure du fleuve Absarus avec un château de même nom, à 140.000 pas de Trapézonte ; là, en arrière des montagnes, l'Ibérie ; sur la côte, les Héniochiens, les Ampreutes, les Lazes ; les fleuves Acampsis, Isis, Mogrus, Bathys ; les nations des Colchiens, la ville de Matium ; le fleuve Héracleum, le promontoire de même nom, et le fleuve le plus célèbre du Pont, le Phase, ayant sa source dans le pays des Moschiens, navigable aux plus gros vaisseaux dans un espace de 38.500 pas, et beaucoup plus loin à des bâtiments plus petits, traversé par 120 ponts. Il a eu sur ses rives un grand nombre de villes : les plus célèbres ont été Tyndaris, Circaeum, Cygnus, et, à l'embouchure, Phasis ; mais celle qui a jeté le plus d'éclat est Aea à 15.000 pas de la mer, où Hippos et Cyanéos, deux grandes rivières, viennent se jeter de contrées différentes dans le Phase ; maintenant on n'y voit plus que la ville de Surium, nommée ainsi de la rivière Surius, qui se jette dans le Phase à l'endroit où ce dernier cesse de porter les gros vaisseaux. Le Phase reçoit encore d'autres rivières remarquables par leur nombre et par leur grandeur, entre autres le Glaucus ; dans l'embouchure du Phase, à 70.000 pas du fleure Absarus, des îles sans nom ; ensuite un autre fleuve, le Chariis ; les Saliens, appelés Phthirophages par les anciens ; les Suaniens ; le fleuve Cobus, descendant du Caucase à travers le pays des Suaniens ; puis le Rhoas ; le pays d'Ecrectice ; les fleuves Singames, Tarsuras, Astelephas, Chrysorrhoas ; la nation des Absiles ; le château de Sebastopolis, à 100.000 pas de la ville de Phasia ; la nation des Sannigiens ; une autre ville de Cygnus, le fleuve et la ville de Pénius ; puis les nombreuses tribus des Héniochiens.

V. (V.) Au-dessous est la région du Pont appelée Colique, où la chaîne du Caucase se contourne vers les monts Riphées, comme nous l'avons dit (V, 27), ayant un versant du côté du Pont-Euxin et du Palus-Méotide, et l'autre du côté de la mer Caspienne et de la mer d'Hyrcanie. Le reste de la côte est occupé par des nations sauvages, les Melanchlaenes, les Coraxiens arec la ville colchique de Dioscurias, auprès du fleuve Anthémonte, aujourd'hui abandonnée, jadis tellement célèbre que, d'après Timosthène, c'était le rendez-vous de 300 nations, qui parlaient des langues différentes ; plus tard, les Romains y ont fait négoce avec 130 interprètes. Des auteurs pensent qu'elle fut fondée par Amphitus et Telchius, cochers de Castor et de Pollux, et de qui on assure qu'est sortie la nation sauvage des Héniochiens. Après Dioscurias, la ville d'Héracleum, à 70.000 pas de Sebastopolis ; les Achéens, les Mardes, les Cercètes ; derrières eux, les Serres, les Coupe-Têtes ; au fond du golfe le plus éloigné, la très opulente ville de Pityonte, qui a été saccagée par les Héniochiens ; derrière cette ville, les Epagérites, peuple sarmate, dans la chaîne du Caucase, et ensuite les Sauromates, auprès desquels, sous le règne de l'empereur Claude, s'était enfui Mithridate (roi de l'Ibérie) ; il a rapporté qu'ils avaient pour voisins les Thalles, qui à l'orient atteignaient l'embouchure de la mer Caspienne, et que cette embouchure était à sec pendant le reflux ; sur la côte du Pont-Euxin, auprès des Cercètes, le fleuve Icarusa, la ville et le fleuve d'Hiéros, à 136.000 pas d'Héracleum ; puis le cap Crunae, à partir duquel les Torètes occupent une crête escarpée ; la cité de Sindos, à 67.500 pas d'Hiéros, le fleuve Sethéries (VI.). De là à l'entrée du Bosphore Cimmérien, 88.500 pas.

VI. La péninsule même qui s'étend entre le Pont-Euxin et le Palus-Méotide n'a pas plus de 67.500 pas de long ; la largeur n'est nulle part au-dessous de deux jugères (50 ares) ; on l'appelle Eion. La côte du Bosphore, tant du côté de l'Asie que du côté de l'Europe, s'incurve vers le Palus-Méotide. Villes de la Péninsule à l'entrée du Bosphore, d'abord Hermonassa, puis Cépi des Milésiens; un peu plus loin Stratoclie, Phanagorie, Apaturos presque abandonnée ; à l'extrémité du Bosphore, Cimmérium, appelée auparavant Cerbérion ; (VII.) puis le Palus-Méotide, dont il a été question dans la description de l'Europe (IV, 24).

VII. A partir de Cimmerium la côte est habitée par les Méotes, par les Vales, les Serbes, les Arrèches, les Zinges, les Psésiens ; puis les rives du Tanaïs, qui a deux embouchures, sont habitées par les Sarmates, qui sont, dit-on, issus des Mèdes, et qui sont divisés en plusieurs branches : d'abord les Sauromates Gynaecocratumeni (soumis aux femmes), maris des Amazones ; puis les Evazes, les Cottes, les Cicimènes, les Messénians, les Costobocces, les Choatres, les Ziges, les Dandares, les Tussagètes, les Turcs, jusqu'à des déserts occupés par des ravins boisés ; au delà de ces déserts, les Arimphéens, qui atteignent aux monts Riphées. Les Scythes donnent au Tanaïs le nom de Silis, an Palus-Méotide le nom de Témérinda, qui signifie mère de la mer ; il y eut aussi une ville à l'embouchure du Tanaïs. Les contrées limitrophes ont été occupées d'abord par les Cariens, puis par les Clazoméniens et les Méoniens, enfin par les Panticapiens.

Des auteurs nomment ainsi qu'il suit les nations qui habitent autour du Palus-Méotide jusqu'aux monts Cérauniens : à partir de la rive, les Napites ; au-dessus les Essédons, touchant aux Colchiens, et habitant sur le sommet des montagnes ; puis les Carmaques, les Orans, les Autaques, les Mazaques, les Cantocaptes, les Agamathes, les Piques, les Rhymozoles, les Ascomarques ; et jusqu'à la chaîne du Caucase, les Icatales, les Imaduches, les Ramiens, les Anclaques, les Tydiens, les Carastacéens, les Authiandes, le fleuve Lagoüs, qui descend des monts Cathéens, et où se jette l'Opharus ; là les nations des Caucades et des Opharites ; les rivières Menotharus et Imityes descendant des monts Cissiens, entre les Acdéens, les Carnes, les Uscardéens, les Accises, les Gabres, les Gogares ; autour de la source de l'Imityes, les Imityens et les Aparthéniens. D'autres auteurs prétendent que les Scythes Auchètes (IV, 26), les Atarniens et les Asampates ont émigré dans ces contrées, et qu'ils ont exterminé complètement les Tanaïtes et les Inapéens. Quelques-uns disent que le fleuve Ocharius coule à travers le pays des Cantèques et des Sapéens, mais que le Tanaïs a été traversé par les Phataréens, les Herticéens, les Spondoliques, les Synhiètes, les Amasses, les Isses, les Catazètes, les Tagores, les Catones, les Néripes, les Agandéens, les Mandaréeens, les Satarchéens, les Spaléens.

VIII. (VIII.) La côte intérieure est parcourue, tous les peuples qui l'habitent ont été nommés ; maintenant décrivons les vastes contrées situées plus avant dans les terres. Je conviens que ma description différera en beaucoup de points de celles des anciens ; mais je me suis mis avec soin au courant des connaissances acquises sur ces contrées, tant par les guerres que Domitius Corbulon a faites récemment de ce côté, que par l'arrivée à Rome de rois qui venaient en suppliants, ou de fils de rois qui étaient envoyés en otage. Nous commencerons par la nation des Cappadociens. La Cappadoce, de toutes les nations du Pont, s'avance le plus loin dans l'intérieur des terres, dépassant par son flanc gauche la grande et la petite Arménie et la Commagène, et à droite toutes les nations énumérées dans la province Asie ; couvrant des peuples nombreux, et s'élevant rapidement vers le levant et la chaîne du Taurus, elle passe au-devant de la Lycaonie, de la Pisidie, de la Cilicie, s'avance au delà de la contrée d'Antioche, et s'étend jusqu'à la Cyrrhestique per sa partie appelée Cataonie. Là la longueur de l'Asie est de 1.250.000 pas, la largeur de 640.000.

IX. (IX.) La grande Arménie, qui commence aux monts Paryadres, est séparée, comme nous l'avons dit (V, 20), de la Cappadoce par l'Euphrate, et, quand l'Euphrate s'éloigne de la Mésopotamie, par le Tigre, fleuve non moins célèbre. Elle donne naissance à l'un et à l'autre, et forme le commencement de la Mésopotamie, qui doit s'étendre entre les deux fleuves ; là l'intervalle est occupé par les Arabes Aroéens. Elle étend ainsi sa frontière jusqu'à l'Adiabène ; séparée de cette province par une chaîne transversale, elle s'étend en largeur à gauche jusqu'au fleuve Cyrus, passant au delà du fleuve Araxe ; en longueur jusqu'à la petite Arménie, dont elle est séparée par le fleuve Absarus se jetant dans le Pont-Euxin, et par les monts Paryadres donnant naissance à l'Apsarus.

X. Le Cyrus naît dans les montagnes des Héniochiens, qui ont été appelées par d'autres Coraxiques ; l'Araxe, dans les mêmes montagnes que l'Euphrate, 6.000 pas d'intervalle : accru de la rivière Musis, il se jette lui-même, ainsi que plusieurs auteurs l'ont dit, dans le Curus, qui l'emporte à la mer Caspienne.

Villes célèbres dans la petite Arménie, Césarée, Aza, Nicopolis ; dans la grande, Armosate, voisine de l'Euphrate, Carcathiocerta, voisine du Tigre ; Tigranocerta ; sur un plateau ; Artaxata, en plaine auprès de l'Araxe. Aufidius a évalué l'étendue de l'Arménie entière à 5.000.000 de pas ; l'empereur Claude en porte la longueur, depuis Dascusa jusqu'au bord de la mer Caspienne, à 1.3000.000 pas ; la largeur à la moitié, depuis Tigranocerta jusqu'à l'Ibérie. Ce qui est certain, c'est qu'elle est divisée en préfectures, appelées stratégies, dont quelques-unes formaient jadis des royaumes ; elles sont au nombre de 120, et portent des noms barbares. A l'orient, l'Arménie est bornée, mais non immédiatement, par les monts Cérauniens et l'Adiabène ; l'espace intermédiaire est occupé par les Sophènes ; au delà des Sophènes sont les montagnes, et au delà des montages est l'Adiabène. Sur les pentes les plus voisines de l'Arménie sont les Ménobardiens et les Moschènes. L'Adiabène est entourée par le Tigre et des montagnes inaccessibles, elle a à sa gauche le pays des Mèdes, et en perspective la mer Caspienne, laquelle, comme nous le dirons en son lieu (VI, 15), provient de l'Océan, et est entourée tout entière par la chaîne du Caucase. Maintenant énumérons les peuples qui habitent sur les limites l'Arménie.

XI. (X.) Toute la plaine, depuis le Cyrus, est occupée par la nation des Albaniens ; puis par les Ibères, séparés d'eux par la rivière Alazon, qui descend du Caucase et va se jeter dans le Cyrus. Villes prépondérantes : de l'Albanie, Cabalaca ; de l'Ibérie, Harmastis, auprès d'un fleuve ; Néoris ; la contrée de Thasie et de Triare jusqu'aux monts Paryadres ; au delà, les déserts de la Colchide ; sur le côté de ces déserts tourné vers les monts Cérauniens, les Arménochalybes ; le pays des Moschiens jusqu'au fleuve Ibère, qui se jette dans le Cyrus ; au-dessous, les Sacassanes, et puis les Macrones jusqu'au fleuve Absarus. Telles sont les populations des plaines et des pentes. D'un autre côté, à partir des limites de l'Albanie, sont, sur tout le front des montagnes, les nations sauvages des Silves ; au-dessous, celles des Lubiènes ; puis les Didures et les Sodiens.

XII. (XI.) Après ces peuples sont les portes Caucasiennes, que beaucoup, par une grande erreur (VI, 15, 6), appellent portes Caspiennes : c'est un immense ouvrage de la nature qui interrompt subitement la chaîne des montagnes. Là sont des portes garnies de poutres ferrées : au-dessous de ces portes passe un cours d'eau qui exhale une odeur détestable ; en deçà, sur un rocher, est une forteresse appelée Cumania, élevée pour empêcher le passage de nations innombrables : ainsi, à peu près en face de Harmastis (VI, 11), ville des Ibères, une porte suffit pour fermer l'entrée d'un monde. A partir des portes Caucasiennes, en suivant les monts Gordyéens, on trouve les Valles, les Suarnes, nations indomptées, qui cependant exploitent des mines d'or ; de là jusqu'au Pont, plusieurs tribus des Héniochiens, puis des Achéens (VI, 5). Telle est la description de cette contrée (VI, 8), l'une des plus célèbres.

Quelques-uns ont rapporté que du Pont-Euxin à la mer Caspienne il n'y a pas plus de 375.000 pas ; Cornélius Népos réduit cette distante à 250.000, tant l'Asie se rétrécit de nouveau ! L'empereur Claude a rapporté que la distance du Bosphore Cimmérien à la mer Caspienne est de 150.000 pas, et que Séleunus Nicator conçut le projet de percer cet isthme au temps où il fut tué par Ptolémée Céraunus. Il est à peu près certain qu'il y a 200.000 pas depuis les portes du Caucase jusqu'au Pont-Euxin.

XIII. (XII.) Iles dans le Pont-Euxin : les Planctes, ou Cyanées, ou Symplégades (IV, 27) ; Apollonie, appelée Thynias (V, 44) pour la distinguer de celle qui est en Europe (IV, 27), éloignée du continent de 1.000 pas, de 3.000 pas de tour ; en face de Pharnacée (VI, 4), Chalcéritis, qui, d'après les Grecs, porte le nom d'Aria, est consacrée à Mars, et où les oiseaux se sont battus contre les étrangers à coups d'aile.

XIV. Maintenant, après avoir énuméré tout ce qui est dans l'intérieur de l'Asie, il faut se décider à traverser les monts Riphées, et à parcourir à droite le rivage de l'Océan. Baignant l'Asie de trois côtes, il se nomme Scythique au nord, Oriental au levant, Indien au midi. Il se divise encore en une multitude de noms suivant les golfes et les peuples qui le bordent. Une grande partie de l'Asie, située au septentrion et exposée aux rigueurs d'un ciel glacial, a d'immenses solitudes. Depuis le point extrême d'où souffle l'Aquilon (nord-est) jusqu'au commencement du lever d'été, sont les Scythes. En dehors des Scythes et au delà du commencement de l'Aquilon, quelques-uns ont placé les Hyperboréens, sur lesquels nous avons donné des détails en traitant de l'Europe (IV, 26). Partant de là, on connaît d'abord le promontoire Lytarmis de la Celtique, et le fleuve Carumbucis, où baissent la rigueur du froid et la chaîne des monts Riphées. On place ici un certain peuple Arimphéen, qui diffère peu des Hyperboréens ; il a pour demeure les bois, pour nourriture des baies : les hommes comme les femmes tiennent à déshonneur de porter leurs cheveux ; les moeurs sont douces ; aussi dit-on qu'ils sont considérés comme sacrés et inviolables, même par les nations sauvages qui les avoisinent ; et non seulement eux, mais aussi ceux qui ont cherché un asile dans leur pays. Au delà, plus d'incertitude : ce sont les Scythes, les Cimmériens, les Cissianthes, les Géorgiens, et la nation des Amazones ; celle-ci s'étend jusqu'à la mer Caspienne ou mer d'Hyrcanie.

XV. En effet l'océan Scythique fait une irruption par les derrières de l'Asie, et forme une mer à laquelle les riverains ont donné plusieurs noms : de ces noms les deux plus célèbres sont mer Caspienne et mer d'Hyrcanie. Clitarque pense qu'elle n'est pas moindre que le Pont-Euxin ; Eratosthène en donne même la mesure, 5.400 stades, depuis le levant et le midi, en suivant la côte de la Cadusie et de l'Albanie ; de là, par la côte des Anariaques, des Amardiens et des Hyrcaniens, jusque l'embouchure du fleuve Oxus, 4800 stades : de cette embouchure jusqu'à celle du Jaxarte, 2400, ce qui fait 1.575.000 pas. Artémidore retranche de cette mesure 25.000 pas. Agrippa, fixant les limites de la mer Caspienne, des nations riveraines et de l'Arménie à l'Océan Sérique du côté du levant, à la chaîne du Caucase du côté du couchant, à celle du Taurus du côté du midi, à l'océan Scythique du côté du nord, dit que la mer Caspienne a en longueur, autant qu'elle est connue, 490.000 pas, en largeur 290.000. Il ne manque pas d'auteurs qui en évaluent tout le circuit depuis le détroit [qui la joint à l'Océan] à 2.500.000 pas.

Le détroit par lequel elle pénètre dans les terres est resserré, et d'une longueur considérable: quand elle commence à s'élargir, elle s'incurve en forme de croissant, comme si elle descendait vers le Palus-Méotide, ressemblant, dit Varron, à un fer de lance. Le premier golfe s'appelle Scythique ; il est habité des deux côtés par les Scythes, qui communiquent entre eux à travers le détroit ; d'une part sont les Nomades et les Sauromates, divisés en un grand nombre de peuplades: d'autre part les Abzoens, qui ne se divisent pas moins. A la droite de l'entrée et à la pointe même sont les Udins, peuple scythe ; puis, sur la côte, les Albaniens, issus, dit-on, de Jason, et donnant leur nom à la mer qui est en face d'eux : cette nation, couvrant les montagnes du Caucase, descend, comme nous l'avons dit (VI, 11), jusqu'au fleuve Cyrus, limite de l'Arménie et de l'Ibérie ; au-dessus de la côte maritime de l'Albanie et de la nation des Udins, s'étendent les Sarmates, les Utidorses, les Arotères, et, derrière eux, les Amazones Sauromatides, déjà nommées (VI, 14, 8). Fleuves traversant l'Albanie et se jetant à la mer, le Casius, l'Albanus, puis le Cambyse, né dans les montagne Caucasiennes ; le Cyrus, né, comme nous l'avons dit (VI, 10), dans les montagnes Coraxiques. Toute la côte depuis le Casius, hérissée de roches escarpées, a, d'après Agrippa, 425.000 pas d'étendue. Depuis le Cyrus, la mer s'appelle Caspienne ; les Caspiens en habitent les bords.

Corrigeons ici une erreur commise par beaucoup d'auteurs, même par ceux qui ont dernièrement fait avec Corbulon la guerre en Arménie : ils ont appelé Caspiennes les portes de l'Ibérie, que nous avons dit s'appeler Caucasiennes (VI, 12) ; les plans qui ont été levés sur les lieux, et envoyés à Rome, ont ce dernier nom inscrit ; et l'expédition projetée par Néron, que l'on disait devoir se diriger vers les portes Caspiennes, se dirigeait réellement vers celles qui mènent par l'Ibérie chez les Sarmates : les montagnes empêchent presque absolument qu'on n'arrive sur les bords de la mer Caspienne. Il y a bien des portes Caspiennes près des nations Caspiennes ; mais on ne peut le reconnaître que par le récit de ceux qui ont accompagné Alexandre le Grand.

XVI. En effet, le royaume des Perses, qui aujourd'hui appartient aux Parthes, placé entre deux mers, celle de Perse et celle d'Hyrcanie, est un plateau élevé que parcourt la chaîne du Caucase. Des deux côtes par les versants, et dans la partie antérieure qui regarde la Commagène, la Sophène vient, comme nous l'avons dit (VI, 10), à la grande Arménie ; et à la Sophène, l'Adiabène, commencement de l'Assyrie, dont l'Arbélitide est une partie : c'est dans cette contrée qu'Alexandre vainquit Darius; elle est très voisine de la Syrie. Les Macédoniens ont donné à l'Adiabène entière le surnom de Mygdonie (IV, 17), à cause de sa ressemblance avec leur patrie. Villes : Alexandrie, Antioche, nommée Nisibis, éloignée d'Artaxate de 750.000 pas ; Ninive, qui n'existe plus, placée sur le Tigre, regardant l'occident, jadis célèbre au plus haut degré. Sur le reste du front qui s'étend vers la mer Caspienne, on trouve l'Atropatène, séparée par l'Araxe de l'Otène, province de l'Arménie ; la ville en est Gazae, à 450.000 pas d'Artaxate, et à la même distance d'Ecbatane de la Médie, à laquelle appartient l'Atropatène.

XVII. (XIV.) Ecbatane, capitale de la Médie, a été fondée par le roi Séleucus ; elle est à 750.000 pas de la grande Séleucie, à 2.000.000 des portes Caspiennes. Autres villes de la Médie : Phazaca, Aganzaga, Apamia, surnommée Rhaphane. La raison qui a fait donner ce nom de portes est la même que plus haut (VI, 12) ; la chaîne des montagnes est interrompue par un étroit passage, à tel point qu'à peine un seul chariot peut le traverser ; la longueur en est de 8.000 pas ; tout est fait de main d'homme. A droite et à gauche sont suspendues des roches qui semblent brûlées, et la contrée est sans eau pendant 28.000 pas. Le défilé est embarrassé par une eau salée venant des roches, réunie en un lit, et ayant la voie pour issue; d'ailleurs, une multitude de serpents empêche le passage, si ce n'est en hiver.

(XV.) Aux Adiabéniens touchent les peuples appelés jadis Carduques, maintenant Corduéniens, dont le pays est traversé par le Tigre ; à ceux-ci touchent les Pratites, dits Parhodon (le long de la route), qui occupent les portes Caspiennes. De l'autre côté de ces portes sont les déserts de la Parthie (VI, 29) et la chaîne du Cithénus ; puis une province la plus agréable de la Parthie, et qu'on nomme Choara. Le deux villes des Parthes, bâties autrefois contre les Mèdes, Calliope et Issatis, qui était jadis sur un autre rocher. La capitale de la Parthie est Hécatompylos, à 133.000 pas des portes Caspiennes. Ainsi le royaume des Parthes est fermé aussi par des portes. Quand on les passe, on trouve aussitôt la nation Caspienne étendue jusqu'au littoral, et donnant son nom aux portes et à la mer. A gauche sont des terrains montagneux. A partir de cette nation, et en revenant au Cyrus, on compte 125.000 pas ; de la même rivière si l'on se rend aux portes, 700.000 pas. Les itinéraires d'Alexandre le Grand font de ces portes une espèce de point central ; ils comptent de là à l'entrée de l'Inde 15680 stades (myr. 1699,712) ; jusqu'à la ville de Bactres appelée Zariaspa, 3.700 (myr. 68,08); de là jusqu'au Jaxarte, 5.000 (myr. 92).

XVIII. (XVI.) A l'orient des portes Caspiennes est une contrée appelée Apavortène, où est un lieu d'une fertilité renommée, appelé Dareium ; puis les Tapyres, les Anariaques, les Staures, les Hyrcaniens, dont le littoral, qui commence au fleuve Sideris, donne le nom à la mer Hyrcanienne ; en deçà, les fleuves Maxeras, Stratos, tous venant du Caucase ; puis la Margiane, renommée pour ses coteaux à vignobles, seule contrée vitifère dans ces parages, enfermée de tous côtés par des montagnes délicieuses, de 1.500 stades (myr. 27,6) de mur, d'un difficile accès à cause de déserts sablonneux d'une étendue de 120.000 pas, située aussi en regard de la Parthie, et où Alexandre avait fondé Alexandrie : cette ville fut détruite par les barbares, et Antiochus, fils de Séleucus, bâtit dans le même emplacement une ville syrienne ; car, la voyant traversée par le Margus, qui, divisé en ruisseaux, sert à l'irrigation de la contrée de totale, il voulut qu'elle s'appelât Antioche ; elle a 70 stades de circuit ( kil. 12,88) ; c'est là qu'Orode avait conduit les Romains faits prisonniers lors de la défaite de Crassus. Des hauteurs de cette contrée, par la chaîne du Caucase, s'étend jusqu'à la Bactriane la nation des Mardes, sauvage, indépendante ; plus loin, les Ochanes, les Chomares, les Berdrigéens, les Harmatotrophes, les Bomaréens, les Comans, les Marucéens, les Mandruéniens, les Iatiens ; fleuves : le Mandrus, le Gridinus ; au delà, les Chorasmiens, les Candares, les Attasins, les Paricans, les Saranges, les Parrhasins, les Maratians, les Nasotians, les Aorses, les Gèles, que les Grecs ont appelés Cadusiens ; les Matians ; la ville d'Héraclée, fondée par Alexandre, qui, renversée plus tard et rebâtie, fut nommée par Antiochus Achaïs ; les Derbices, dont l'Oxus, né dans le lac Oxus, traverse le pays par le milieu; les Syrmates, les Oxydraques, les Hénioques, les Bateniens, les Sarapares, les Bactriens, dont la ville Zariaspe, nommée plus tard Bactre, a reçu son nom du fleuve ; les Bactriens habitent le versant du mont Paropamisus, à l'opposite des sources de l'Indus ; ils sont limités par le fleuve Ochus. Au delà, les Sogdiens, la ville de Panda, et, à l'extrémité de leur territoire, Alexandrie, fondée par Alexandre le Grand. Là sont les autels élevés par Hercule et par Bacchus, par Cyrus, par Sémiramis, par Alexandre ; là fut la limite de tous ces conquérants, ils s'arrêtèrent au fleuve Jaxarte (Sihon ou Sir), que les Scythes nomment Silis (VI, 7); Alexandre et ses soldats crurent que c'était le Tanaïs (Don). Ce fleuve fut traversé par Démodamas, général des rois Séleucus et Antiochos, que nous suivons de préférence dans cette partie; il consacra des autels à Apollon Didyméen.

XIX. (XVIII.) Au delà sont les peuples scythes ; les Perses les ont appelés en général Saces, du nom de la nation scythique la plus voisine ; les anciens les ont appelés Araméens. Les Scythes eux-mêmes donnent aux Perses le nom de Chorsares, et au Caucase celui de Groucasus, c'est-à-dire, blanchi par la neige. La multitude de ces peuples est innombrable, et ils vivent comme les Parthes. Les plus célèbres sont les Saces, les Massagètes, les Dahes, les Essédons, les Ariaques, les Rhymniciens, les Paesiques, les Amardes, les Histes, les Edons, les Cames, les Camaques, les Euchates, les Cotières, les Antarians, les Piales, les Arimaspes, nommés auparavant Cacidares, les Aséens, les Oetéens, les Napéens et les Apelléens, deux peuples qu'on dit avoir péri : fleuves célèbres, le Mandragaeus et le Caspasius. Nulle part les divergences des auteurs ne sont plus grandes, sans doute à cause du grand nombre et de la vie errante de ces nations. Alexandre le Grand a rapporté, lui aussi, que l'eau de la mer Caspienne était douce; et M. Varron raconte que de l'eau de cette mer ayant été apportée à Pompée, qui commandait dans le voisinage pendant la guerre de Mithridate, fut trouvée telle : sans doute la masse d'eau des fleuves qui s'y jettent triomphe de l'amertume du sel. Le même auteur a écrit qu'il fut reconnu sous Pompée qu'en sept jours on arrive de l'Inde dans la Bactriane sur le bord du fleuve Icare, qui se jette dans l'Oxus ; et que les marchandises de l'Inde, amenées de la par la mer Caspienne dans le Cyrus, peuvent être transportées par terre, en cinq jours au plus, jusqu'au Phase, qui tombe dans le Pont-Euxin. Dans toute cette mer il y a beaucoup d'îles ; la plus connue est Tazata.

XX. De la mer Caspienne et de l'océan Scythique, notre itinéraire s'infléchit vers la mer d'Orient, direction que prend la ligne du littoral. La première partie, qui commence au promontoire Scythique, est inhabitable à cause des neiges ; la suivante est inculte à cause de la férocité des peuples; là sont les Scythes anthropophages, qui se nourrissent de chair humaine. Aussi à l'entour sont de vastes solitudes, où errent une multitude de bêtes farouches qui assiègent les hommes, non moins féroces quelles; puis de nouveau des Scythes; de nouveau des déserts peuplés de bêtes, jusqu'à la montagne qui s'avance sur la mer, et qu'on nomme Tabis. Ce n'est guère avant la moitié de la longueur de cette côte, qui regarde le levant d'été, que la contrée est habitée.

Les premiers hommes qu'on y connaisse sont les Sères, célèbres par la laine de leurs forêts ; ils détachent (XI, 26 ; XII, 22) le duvet blanc des feuilles, en l'arrosant d'eau ; puis nos femmes exécutent le double travail de dévider et de tisser. C'est avec des manoeuvres si compliquées, c'est dans des contrées si lointaines qu'on obtient ce qui permettra à la matrone de se montrer en public avec une étoffe transparente. Les Sères sont civilisés ; mais, très semblables aux sauvages mêmes, ils fuient la société des autres hommes ; ils attendent que le commerce vienne les trouver. Le premier de leurs fleuves connus est le Psitaras, le second le Cambari, et le troisième Lanos ; au delà le promontoire Chryse, le golfe Cyrnaba, le fleuve Atianos, le golfe et la nation des Attacores, préservée, par des coteaux bien exposés, de tout souffle nuisible, et vivant dans la même température que les Hyperboréens. Amométus a écrit sur eux un volume spécial, comme Hécatée sur les Hyperboréens. Après les Attacores viennent les Phruriens, les Tochares, les Casires qui appartiennent déjà à l'Inde, et qui, tournés dans l'intérieur du côté des Scythes, mangent de la chair humaine. Là errent aussi des nomades de l'Inde. Des auteurs ont dit que, dans la direction de l'Aquilon, ces peuples touchent aux Ciconiens et aux Brysans.

XXI. Venons à des nations sur lesquelles on est d'accord : la chaire d'Emodus (Himalaya) s'élève, et la nation des Indiens commence, placée sur le littoral non seulement de la mer Orientale, mais aussi de la mer Méridionale, que nous avons appelée Indienne (VI, 14). La partie qui regarde l'orient, et qui s'étend en ligne droite jusqu'à un coude, commencement de la mer de l'Inde, compte 1.835.000 pas : à partir du coude, en allant au midi, 2.675.000 pas, d'après Eratosthène, jusqu'au fleuve Indus, qui est à l'occident la limite de l'Inde. Plusieurs auteurs en ont estimé la longueur totale à quarante jours et quarante nuits de navigation, et l'étendue du nord au midi à 2.850.000 pas. Agrippa en a évalué la longueur à 3.300.000 pas, la largeur à 2.300.000. Posidonius l'a mesurée dans la direction du levant d'été au levant d'hiver, la plaçant à l'opposite de la Gaule, qu'il a mesurée du couchant d'été au couchant d'hiver, et mise tout entière au Favonius (vent du couchant d'été) ; et il a enseigné d'une manière indubitable que l'Inde, à l'opposite, est favorisée et assainie par le souffle de ce vent. Autre est l'apparence de ce ciel, autres les levers des astres ; deux étés dans l'année, deux moissons, avec un hiver intermédiaire pendant lequel soufflent le vents étésiens ; au temps qui est notre hiver, des brises légères, la mer navigable. Les nations et les villes seraient innombrables, si on voulait toutes les énumérer. En effet, non seulement l'Inde a été ouverte par les armes d'Alexandre le Grand et des rois qui lui succédèrent, une circumnavigation dans la mer Hyrcanienne et la mer Caspienne ayant été exécutée par Séleucus et Antiochus, et leur amiral Patrocle ; mais encore elle a été le sujet des récits d'autres écrivains grecs, qui, ayant demeuré dans les cours Indiennes (Mégasthène et Dionysius envoyé par Philadelphe à cet effet), ont exposé de plus les forces de ces peuples. Toutefois, il n'y a aucun moyen d'être exact ; toutes les narrations sont divergentes et incroyables. Les compagnons d'Alexandre le Grand ont écrit que dans cette portion de l'Inde qu'ils avaient subjuguée on ne comptait pas moins de cinq mille villes, dont aucune n'était plus petite que Cos (V, 36), et neuf peuples ; que l'Inde était le tiers de toute la terre, et la population innombrable, ce qui est probable, car les Indiens sont peut-être les seuls qui n'aient jamais fait des émigrations hors de leur territoire. On compte, depuis Bacchus jusqu'à Alexandre le Grand, 154 rois, et 6.451 ans et 3 mois. Les fleuves ont une grandeur merveilleuse. On rapporte qu'Alexandre n'a jamais fait moins de 600 stades (kil. 110.50) par jour sur l'Indus, et qu'il ne put terminer cette navigation avant cinq mois et quelques jours; et certainement l'Indus est pus petit que le Gange. Sénèque, qui, parmi nous, a publié un essai sur l'Inde, y compte soixante fleuves et cent dix-huit nations. Ce serait le même labeur d'énumérer les montagnes ; l'Imaüs, l'Emodus, le Paropamise, le Caucase, s'unissent entre eux, et du pied de ces montagnes se développe l'Inde en une plaine immense, et semblable à celle de l'Egypte.

Mais, pour comprendre l'itinéraire par terre, il nous faut suivre les traces d'Alexandre le Grand. Diognète et Baeton, qui ont mesuré ses itinéraires, ont écrit que des portes Caspiennes à Hécatompyles des Parthes on compte le nombre de milles que nous avons déjà spécifié (VI, 17) ; de là jusqu'à Alexandrie des Ariens (VI, 25), que ce roi a fondée, 566.000 pas ; de là jusqu'à Prophthasie (VI, 25) des Dranges, 199.000 pas ; de là jusqu'à la ville des Arachosiens (VI, 25), 515.000 ; de là jusqu'à Ortospanum, 250.000 ; de là jusqu'à la ville d'Alexandrie (VI, 25), 50.000 (dans quelques exemplaires on trouve des nombres différents, et cette ville est placée au pied même du Caucase) : de là jusqu'au fleuve Cophes (VI, 24) et à la ville indienne Peucolaitis, 227.000 ; de là jusqu'au fleuve Indus et à la ville de Taxile, 60.000 ; de là jusqu'à l'Hydaspe, fleuve célèbre, 120.000 ; de là jusqu'à l'Hypasis non moins célèbre, 29.390 ; ce fut le terme de l'expédition d'Alexandre : cependant il traversa ce dernier fleuve, et érigea des autels sur la rive opposée. Les lettres du roi lui-même s'accordent avec ces données. Le reste a été parcouru par Séleucus Nicator : de l'Hypasis au fleuve Hésidrus, 168.000 ; de là à la rivière Jomane, autant (quelques exemplaires ajoutent 5.000 pas) ; de là au Gange, 112.000 ; de là à Rhodapha, 119.000 (d'autres évaluent cet intervalle à 375.000) ; de là à la ville Calinipaxa, 167.500 (d'autres, 265.000) ; de là au confluent de la Jomanes et du Gange, 625.000 (la plupart ajoutent 13.000) ; de là à la ville de Palibothra (Patna), 425.000 ; de là à l'embouchure du Gange, 638.000 pas.

Les nations qu'on peut se décider à citer sont, à partir des montagnes Emodiennes, dont le point culminant est appelé Imaus, mot signifiant neigeux dans la langue des habitants : les Isares, les Cosyres, les Izges, les Chisiotosages sur les montagnes, les Brachmanes, surnom de beaucoup de peuples, auxquels appartiennent les Maccocalinges. Fleuves : le Prinas et le Cainas, tous deux navigables, dont le dernier se jette dans le Gange; nations ; les Calinges, qui sont les plus voisins de la mer ; au-dessus, les Mandéens, les Malles, chez qui est la montagne Malius : la limite de cette contrée est le Gange.

XXII (XVIII.) Les uns l'ont dit né de sources incertaines, comme le Nil, et inondant, comme lui, le voisinage ; les autres, dans les montagnes de la Scythie : ils disent qu'il s'y jette 19 rivières, parmi lesquelles, outre les rivières susnommées (VI, 21, 7 et 8), sont navigables le Condochates, l'Erannoboas, le Cosoagus, le Sonus. Suivant d'autres, le Gange sort de la source même avec fracas, et il se précipite à travers des rochers abruptes ; dès qu'il arrive à des plaines adoucies, il reçoit l'hospitalité dans un certain lac; ensuite il coule avec tranquillité, large de 8.000 pas dans sa moindre largeur, de 100 stades (kil. 8, 4) dans sa largeur moyenne, d'une profondeur qui n'est jamais de moins de 20 pas. (XIX.) La dernière nation qu'il traverse est celle des Gangarides Calingiens : leur capitale se nomme Parthalis. Le roi a 60.000 fantassins, 1.000 cavaliers et 700 éléphants, tout prêts à entrer en campagne.

Chez les Indiens civilisés la population est divisée en plusieurs classes : les uns cultivent la terre, les autres sont militaires ; d'autres font le commerce ; les meilleurs et les plus riches administrent la chose publique, rendent la justice, et sont les conseillers des rois. Ceux de la cinquième classe, adonnés à une sagesse célèbre en ces pays et presque tournée en religion, finissent toujours leur vie par une mort volontaire sur un bûcher. Il faut ajouter une dernière classe à demi-sauvage, assujettie à un labeur infini, d'où dépend tout le reste, savoir, chargée de chasser et de dompter les éléphants. Avec ces animaux on laboure, sur eux on voyage ; on ne connaît guère d'autre bétail: avec eux on fait la guerre et on défend la frontière. On les choisit pour le combat, d'après les forces, l'âge, et la taille.

Dans le Gange est une île très grande, renfermant une seule nation, nommée les Modogalingiens. Au delà sont situés les Modubes, les Molindes, les Ubères, avec une magnifique ville du même nom ; les Galmodroèses, les Prètes, les Calisses, les Sasures, les Passales, les Colubes, les Orxules, les Abales, les Taluctes ; le roi des Taluctes a 50.000 fantassins, 4.000 cavaliers, et 400 éléphants. Puis vient une nation plus puissante, les Andares, possédant grand nombre de bourgs, 30 villes fortifiées de murs et de tours ; elle fournit à son roi 100.000 fantassins, 2.000 cavaliers, 1.000 éléphants. Le pays des Dardes est le plus abondant en or ; celui des Sètes, en argent.

Des Indiens non seulement de ces parages, mais encore de l'Inde presque entière, les plus puissants et les plus illustres sont les Prasiens, qui possèdent la ville, très grande et très opulente de Palibothra (Pana), d'où quelques-uns donnent le nom de Palibothriens à la nation même, et de Palibothrie à toute la contrée entre le Gange et l'Indus. Leur roi a toujours à sa solde 600.000 fantassins, 30.000 cavaliers, et 9.000 éléphants ; d'où l'on conclut que ses richesses sont énormes. Après ceux-ci, dans l'intérieur, les Monèdes, et les Suares, chez qui est le mont Malée. Dans cette montagne l'ombre tombe au nord en hiver, au midi en été, pendant six mois ; la grande Ourse n'y est visible qu'une fois dans l'année, et seulement pendant 15 jours, d'après Baeton. Mégasthène dit que cela arrive en plusieurs lieux de l'Inde. Les Indiens appellent Dramasa le pôle austral. La rivière Jomanes tombe dans le Gange à travers le pays des Palibothriens, entre les villes Méthora et Clisobora. Dans les régions au midi du Gange, les hommes sont hâlés par le soleil ; ils ont déjà une teinte basanée, sans être encore brûlés comme les Ethiopiens. Plus ils s'approchent de l'Indus, plus ils portent la marque de l'action colorante de l'astre. Immédiatement après la nation des Prasiens, dans les montagnes desquels sont, dit-on, les Pygmées, on trouve l'Indus. Artémidore estime à 2.100.000 pas l'intervalle qui sépare ces deux fleuves.

XXIII. (XX) L'Indus, appelé Sindus par les habitants, né dans l'embranchement du Caucase, qu'on appelle Paropamise, coulant d'abord à l'orient, reçoit lui aussi 19 rivières ; les plus célèbres sont l'Hydaspe, qui en amène quatre autres, le Cantabras, qui en amène trois, l'Acésine et l'Hypasis, qui sont navigables eux-mêmes. Toutefois, modeste, pour ainsi dire, nulle part il n'a plus de 30 stades (kil. 9, 2) de large, et plus de 15 pas de profondeur. Il forme une île très grande, nommée Prasiane, et une autre plus petite, nommée Patale. Navigable, d'après les auteurs les plus modérés, pendant l'espace de 1.240.000 pas, il semble accompagner le soleil dans sa marche, court à l'occident, et se jette dans l'Océan. Quant à la mesure de la côte jusqu'à l'Indus, je vais indiquer, comme je la trouve, par distances, bien qu'il n'y ait aucune concordance entre les itinéraires : de l'embouchure du Gange au promontoire des Calingiens et à la ville de Dandagula, 625.000 pas ; jusqu'à Tropina, 1.225.000 ; jusqu'au promontoire de Perimula, où est le plus célèbre marché de l'Inde, 750.000 ; jusqu'à la ville située dans l'île que nous avons nommée tout à l'heure, Patala, 620.000.

Nations montagnardes entre l'Indus et la Jomane, les Césiens, les Cétriboniens vivant dans les bois ; puis les Megalles, dont le roi a 500 éléphants, et un nombre mal connu de fantassins et de cavaliers ; les Chryséens, les Parasanges, les Asanges, dont le pays est plein de tigres, qui arment 30.000 fantassins, 300 éléphants, 800 cavaliers ; et que renferme l'Indus, et, pendant 625.000 pas, une ceinture de montagnes et des déserts : au-dessous des déserts, les Dares, les Sures ; puis, de nouveau, des déserts de 187.000 pas, où les sables entourent des terres, comme la mer des îles ; au-dessous de ces déserts, les Maltécores, les Singiens, les Marohens, les Rarunges, les Morunes, tous peuples montagnards, qui, étendus sans interruption le long de la côte de l'Océan, sont indépendants, sans rois, et ont beaucoup de villes sur les escarpements des montagnes ; puis les Naréens, à qui sert de borne le Capitalia, le plus haut des monts indiens ; les habitants de ce mont, qui sur l'autre versant exploitent des mines considérables d'or et d'argent ; les Oratures, dont le roi n'a, il est vrai, que 10 éléphants, mais des forces considérables en infanterie ; les Varétates, qui, soumis à un roi, ne nourrissent pas d'éléphants, se fiant à leur infanterie et à leur cavalerie ; les Odomboères, les Salabastres, les Horates, avec une belle ville défendue par des fossés marécageux, dont les crocodiles, très avides de chair humaine, ne permettent le passage que sur un pont : on cite encore chez eux une autre ville, Automela, placée sur la côte, ou cinq rivières viennent aboutir à un même point ; c'est un marché célèbre. Leur roi a 1.600 éléphants, 150.000 fantassins, 5.000 cavaliers. Le roi des Charmes, plus pauvre, a 60 éléphants, et, du reste, de petites forces. Ensuite viennent les Pandes, seule nation de l'Inde qui soit gouvernée par des femmes : on rapporte qu'Hercule n'eut qu'un enfant du sexe féminin, et que cette fille, plus chérie pour cette raison, reçut le royaume principal. Sa descendante commande à 300 villes, 150.000 fantassins, 500 éléphants; après cette reine de 300 villes, les Syriènes, les Déranges, les Posinges, les Buzes, les Gogiaréens, les Umbres, les Néréens, les Brancoses, les Nobundes, les Cocondes, les Néséens, les Pédatrires, les Solobriases, les Olostres, qui touchent à l'île Patale. De l'extrémité de cette île aux portes Caspiennes, la distance est de 1.925.000 pas.

Ici ensuite, au bord opposé (est) de l'Indus, habitent des peuples sur qui on a des renseignements certains, les Amates, les Bolinges, les Gallitalutes, les Dimures, les Mégares, les Ordabes, les Mèses ; puis les Ures, les Silènes ; ensuite, des déserts pendant 250.000 pas ; au delà de ces déserts, les Organages, les Abaortes, les Sibares, les Suertes ; après ces peuples, des déserts pareils aux précédents ; puis les Sarophages, les Sorges, les Baraomates, les Umbrittes, formant 12 nations, dont chacune a deux villes ; les Asènes, habitant trois villes, dont la capitale est Bucéphale, fondée par Alexandre dans le lieu où a été enterré son cheval de ce nom ; au-dessus d'eux, des peuples montagnards placés au pied du Caucase, les Soléades, les Sondres ; en passant l'Indus et en suivant son cours, les Samarabriens, les Sambrucènes, les Bisambrites, les Osiens, les Antixènes, les Taxilles, avec la ville célèbre de Taxila : là déjà la contrée s'est abaissée et aplanie, et elle porte dans son ensemble le nom d'Amanda : quatre peuples, les Peucolaïtes, les Arsagalites, les Gérètes, les Asoens.

En effet, la plupart ne font pas du fleuve Indus la limite occidentale de l'Inde, mais ils y ajoutent quatre satrapies, les Gédrosiens, les Arachotes, les Ariens, les Paropamisades, (XXI.) et la dernière limite de l'Inde est alors le Cophès ; d'autres prétendent que tout cela appartient à l'Arie. La plupart attribuent aussi à l'Inde la ville de Nysa, le mont Mérus, consacré à Bacchus, d'où vient la fable qui le fait naître de la cuisse de Jupiter, et le pays des Astacans, qui produit la vigne, le laurier, le buis, et tous les fruits de la Grèce. Quant aux particularités mémorables et presque fabuleuses que l'on rapporte sur la fertilité du sol, sur les espèces de grains et d'arbres, sur les quadrupèdes, les oiseaux et les autres animaux, nous en parlerons en lieu et place dans le reste de l'ouvrage. Ajournons pour un moment les quatre satrapies, dans la hâte que nous avons d'arriver à l'île de Taprobane.

Mais auparavant il faut citer d'autres îles : Patalé, que nous avons dit (VI, 23,2) être à l'embouchure même de l'Indus, de figure triangulaire, de 220.000 pas de large ; hors de l'embouchure du fleuve, les îles de Chryse et d'Argyre, abondantes, je pense, en mines ; car je suis peu disposé à croire ce que quelques-uns ont rapporté, que le sol en est d'or et d'argent ; à 20.000 pas, l'île de Crocala ; à 12.000, l'île de Bibaga, pleine d'huîtres et de coquillages ; puis, à 9.000 pas, Toralliba, et plusieurs autres sans nom.

XXIV. (XXII.) Taprobane a été longtemps regardée comme un autre monde, sous le nom de terre des Antichthones. Au siècle et aux expéditions d'Alexandre le Grand on doit savoir qu'elle est une île. Onésicrite, commandant de sa flotte, a écrit que les éléphants y sont plus grands et plus belliqueux que dans l'Inde ; Mégasthène, qu'elle est partagée par un fleuve, que les habitants sont appelés Paléogones, et que leur pays est plus abondant en or et en grosses perles que celui des Indiens. Erastosthène a même donné la mesure de cette île, 7,000 stades (myr.128, 8), en long et 5.000 (myr. 92) en large, ajoutant qu'elle n'a point de villes, mais qu'elle renferme 700 bourgs. Elle commence à la mer Orientale, s'étendant en face l'Inde, entre le levant et le coucher. Jadis on croyait qu'elle était à vingt jours de navigation de la nation des Prasiens ; mais comme on y allait avec des barques faites de papyrus, et munies d'agrès comme celles du Nil, on a réduit cette évaluation à sept journées, en raison de la supériorité de la marche de nos bâtiments. La mer qui sépare Taprobane de l'Inde est pleine de hauts fonds, où l'eau n'a pas plus de six pas de profondeur, mais tellement profonde dans certaines passes, qu'aucune ancre n'en peut trouver le fond : les habitants se servent de barques qui ont une proue à l'avant et à l'arrière, afin de n'être pas obligés de virer de bord dans ces canaux étroits ; le tonnage de ces barques est de 3000 amphores (litres 77.760). Ils n'observent pas les astres pour naviguer, et le pôle septentrional n'est pas visible ; mais ils emmènent avec eux des oiseaux qu'ils lâchent de temps en temps et dont ils suivent le vol vers la terre ; ils ne naviguent pas plus de quatre mois dans l'année ; ils s'abstiennent de se mettre en mer pendant environ cent jours après le solstice d'été : c'est la saison de leur hivernage.

Jusqu'à présent nous avons parlé d'après les anciens ; mais des renseignements plus exacts nous sont arrivés sous le règne de l'empereur Claude, et même des ambassadeurs sont venus de cette île à Rome ; voici comment cela s'est fait : Annius Plocamus avait affermé du trésor impérial le retenu de la mer Rouge ; un sien affranchi, doublant l'Arabie, fut emporté par les aquilons au delà de la Germanie ; il arriva le quinzième jour à Hippuros, port de Taprobane : accueilli avec hospitalité par le roi du pays, et ayant appris en six mois la langue des habitants, il put répondre à ce prince sur les Romains et l'empereur. Ce prince, parmi les choses qui lui furent racontées, admira surtout la probité du gouvernement romain, parce qu'il remarqua dans l'argent pris avec le naufragé que les deniers étaient égaux en poids, bien que les différentes figures qu'ils portaient montrassent qu'ils avaient été frappés par des souverains différents. Engagé par cela principalement à nouer une alliance, il envoya quatre ambassadeurs, dont le chef était Rachias. On apprit d'eux que l'île renfermait 500 villes, un port en face du midi, placé près de la ville de Palaesimundum, la plus célèbre, la ville royale, et contenant une population de 200.000 personnes ; que dans l'intérieur se trouvait le lac Mégisba, de 375.000 pas de tour, où sont des îles servant uniquement de pâturages ; qu'il en sort deux fleuves, l'un, le Palaesimundus, se jetant auprès de la ville de même nom, dans le port, par trois bras, dont le plus étroit a cinq stades (mètres 920) et le plus large quinze (kil. 2, 76), et l'autre, le Cydara, coulant vers le nord et l'Inde ; que le point de l'Inde le plus voisin est le cap nommé Coliaque, à quatre jours de navigation, distance au milieu de laquelle on trouve l'île du Soleil ; que cette mer est d'une couleur très verte, et en outre pleine d'arbres dont les gouvernails emportent le feuillage. Ces ambassadeurs admiraient chez nous la grande Ourse et les Pléiades ; c'était pour eux un nouveau ciel : ils avouaient que la lune même n'était visible chez eux au-dessus de la terre que du huitième jour au seizième. Ils racontaient que dans leurs nuits brillait Canopus (II, 71, 2), étoile grande et jetant un vif éclat ; mais ce qui les surprenait le plus, c'est que les ombres de leurs corps tombaient du côté de notre ciel et non du côté du leur, et que le soleil se levait à gauche et se couchait à droite, au lieu de faire le contraire. Ils racontaient encore que le flanc de l'île étendu le long de l'Inde avait 10.000 stades (myr. 184), dans la direction du levant d'hiver ; qu'ils voyaient les Sères au delà des monts Emodiens, et qu'ils les connaissaient même par le commerce ; que le père de Rachias était allé dans leur pays, et que les Sères venaient au-devant des Taprobaniens qui arrivaient ; que les Sères dépassaient la taille ordinaire, qu'ils avaient les cheveux rouges, les yeux bleus, la voix rude, sans langage pour se communiquer leurs pensées. Du reste, les renseignements donnés par eux étaient semblables à ceux de nos négociants, à savoir que les marchandises étaient posées sur la rive du neuve du côté des Sères (VI, 20), qui les emportaient en laissant le prix si elles leur convenaient. A-t-on jamais plus juste raison de haïr le luxe que lorsque, conduit en esprit dans ces contrées, on songe à ce qu'il demande, à quel prix, et pourquoi (IX, 54) ?

Mais Taprobane même, quoique reléguée par la nature au delà du monde, n'est pas exempte de nos vices ; l'or et l'argent y sont aussi en estime ; un marbre semblable à l'écaille de tortue, les pierres précieuses, les perles remarquables, y sont à haut prix ; en un mot, c'est notre luxe tout entier porté à son comble. Ils disaient que leurs richesses étaient plus grandes que les nôtres, mais que nous savions mieux en tirer parti. Personne n'y a d'esclaves ; on n'y dort ni jusqu'au jour ni pendant le jour ; les édifices y sont peu élevés au-dessus du sol ; le prix des grains y est toujours le même ; il n'y a ni tribunaux ni procès ; on y adore Hercule ; le peuple élit pour roi un vieillard recommandable par sa douceur, et sans enfants ; si plus tard il a des enfants, on le fait abdiquer, pour que le royaume ne devienne pas héréditaire. Trente directeurs lui sont donnés par le peuple ; personne ne peut être condamné à mort que par une sentence de la majorité. Il y a même alors appel au peuple ; on donne au condamné soixante-dix nouveaux juges : s'ils l'acquittent, les trente directeurs perdent toute considération, et ils sont frappés de la réprobation la plus sévère. Le roi porte l'habillement de Bacchus ; la nation, celui des Arabes. Le roi, s'il commet quelque crime, est condamné à mort ; personne ne le tue, tous s'en détournent ; on refuse même d'échanger avec lui une parole. Les fêtes se passent en chasses, dont les plus agréables sont celles qui ont pour objet les tigres et les éléphants ; les champs y sont soigneusement cultivés, l'usage de la vigne y est inconnu, les fruits y sont abondants ; les habitants se plaisent beaucoup à la pêche, surtout des tortues, dont la carapace couvre des familles entières, tant on en trouve de grandes. Une vie de cent ans y est ordinaire. Voilà ce qu'on sait de Taprobane.

XXV. Parlons maintenant des quatre satrapies, que nous avons renvoyées à ce moment. (XXIII.) A partir des nations les plus voisines de l'Indus, on trouve des lieux montagneux ; la Capissène, où fut la ville de Capissa, détruite par Cyrus ; l'Arachosie, avec un fleuve et une ville de même nom, que quelques-uns ont appelée Céphée, fondée par Sémiramis ; le fleuve Hermandus, arrosant Parabeste des Arachosiens : dans le voisinage, au midi, du côté des Arachotes, les Gédrosiens ; au nord les Paropamisades, au pied du Caucase la ville de Cartana, appelée ensuite Tetragonis (le pays des Paropamisades est en face de l'Arachosie) : puis le pays des Bactriens, dont la capitale est Alexandrie, ainsi nommée de son fondateur ; les Syndraques, les Dangales, les Parapians, les Cantaces, les Maces ; au Caucase, les Cadrusiens ; une ville fondée par Alexandre.

Au-dessous de toutes ces contrées, la côte à partir de l'Indus ; l'Ariane, brûlée par les ardeurs du soleil, entourée de déserts, parsemée cependant de beaucoup de lieux ombragés, et rassemblant ses habitants sur deux fleuves surtout, le Tonderos et l'Arosape ; la ville d'Artacoana ; le fleuve Arius, qui passe au pied d'Alexandrie (Herat), fondée par Alexandre, ville de 30 stades (kil. 5, 52) ; beaucoup plus belle et aussi plus ancienne, Artacabane, qui, rebâtie par Antiochos, a 50 stades (kil. 9, 4) ; la nation des Dorisques ; les fleuves Pharnacotis et Ophradus ; Prophthasia, ville des Zariaspes ; les Dranges, les Evergètes, les Zaranges, les Gédruses ; les villes de Peucolaïs et de Lymphorta ; le désert des Méthoriques ; le fleuve Manaïs ; la nation des Auguttures ; le fleuve Borru ; la nation des Urbiens ; le fleuve navigable Pomasius, sur le territoire des Pandes (VI, 23) ; le Cabirus, navigable, dans le territoire des Suares, ayant un port à son embouchure ; la ville de Condigramma, le fleuve Cophès, où se jettent le Sadarus, le Parospus, le Sodinus, rivières navigables.

Quelques-uns veulent que la Daritis soit une partie de l'Ariane, et ils disent que ces deux contrées prises ensemble ont une longueur de 1.950.000 pas, et une largeur moitié moindre que celle de l'Inde (VI, 21, 2) ; d'autres ont placé les Gedruses et les Pasires pendant 183.000 pas, puis les Ichthyophages Orites, qui parlent non l'indien, mais une langue particulière, pendant 20.00,000 pas ; puis la nation des Arbiens, pendant 200.000 pas encore. Alexandre défendit à tous les Ichthyophages de se nourrir de poisson. Au delà sont des déserts, puis la Carmanie, la Perse, et l'Arabie.

XXVI. Mais, avant d'entrer dans le détail, il convient d'indiquer ce que rapporte Onésicrite : ce commandant de la flotte d'Alexandre vint par mer de l'Inde dans le golfe Persique, décrit récemment par Juba ; puis j'exposerai la route que l'on a découverte dans ces derniers temps, et que l'on suit aujourd'hui. Le journal d'Onésicrite et de Néarque n'a ni les noms des stations ni les distances ; et d'abord on n'y explique pas suffisamment auprès de quel fleuve et dans quel lieu était Xylenepolis, fondée par Alexandre, qui fut leur point de départ. Voici cependant ce qui fut digne d'être cité : Arbis, ville fondée par Néarque dans cette navigation, le fleuve Nabrus, navigable ; en face, une île, à 70 stades (kil. 12, 88) ; Alexandrie, fondée par Léonnatus (XXXV, 47) sur l'ordre d'Alexandre, dans le territoire de ce people ; Argenus, qui a un bon port ; le fleuve Tubérus, navigable, le long duquel sont les Pasires ; puis les Ichthyophages, qui s'étendent dans un si long espace, qu'on navigue pendant vingt jours le long de leur côte ; l'île appelée île du Soleil, ou Lit des Nymphes, dont le sol est rouge et fait périr tout animal, sans qu'on en connaisse la cause ; la nation des Oriens ; l'Hytanis, fleuve de la Carmanie, qui a un port, et qui roule de l'or. Là, pour la premiers fois, les navigateurs revirent la grande Ourse : ils ajoutent qu'Arcturus n'est visible ni toutes les nuits ni la nuit entière ; ue les Achaeménides avaient possédé le pays jusque-là, et qu'on y exploite des mines de cuivre, de fer, d'arsenic, et de minium (XXXII, 36 et 37). Au delà est le cap de la Carmanie, duquel il y a une distance de 50.000 pas jusqu'à la nation arabe des Maces, sur la côte opposée ; trois îles, dont Oracla, à 25.000 pas du continent, a de l'eau et est seule habitée ; quatre îles qui sont déjà dans le golfe et en face de la Perse : dans ces parages, des hydres marines, de 20 coudées, effrayèrent la flotte par leur approche ; l'île d'Acrotadus ; les Gaurates, qui comprennent la nation des Chianiens ; le fleuve Hyperis, au milieu du golfe Persique, et qui porte des bâtiments de charge ; le fleuve Sitiogagus, par lequel on arrive à Pasargade (VI, 29) en sept jours ; l'Hératémis, fleuve navigable ; une île sans nom ; le fleuve Granis, portant des bâtiments d'une dimension médiocre, et traversant la Susiane ; à la droite de ce fleuve, les Deximontans, qui fabriquent du bitume : le fleuve Zarotis, dont l'embouchure est difficile, si ce n'est à ceux qui en ont la pratique ; deux petites îles ; puis des hauts-fonds semblables à un marais, à travers lesquels on navigue cependant à l'aide de certains canaux ; l'embouchure de l'Euphrate ; le lac que l'Eulée et le Tigre forment auprès de Charax ; puis Suse, à laquelle on remonte par le Tigre. La flotte y trouva Alexandre célébrant une fête ; il y avait sept mois qu'il s'en était séparé à Patalé (VI, 23,11). et il y en avait trois que la flotte tenait la mer. Telle fut la navigation de la flotte d'Alexandre. Plus tard on a pensé qu'on pouvait, de Syagrus (VI, 32), promontoire d'Arabie, gagner en toute certitude Patalé avec le vent du couchant d'été qu'on appelle là Hippalus; on évaluait la distance à 1.332.000 pas.

L'âge suivant indiqua une voie plus courte et plus sûre : c'était d'aller du même promontoire à Zigerus, port de l'Inde. Longtemps on a navigué ainsi, jusqu'à ce qu'un négociant eût trouvé une voie abrégée, et que l'amour du gain eût rapproché l'Inde. Aujourd'hui on y fait un voyage tous les ans ; à bord des bâtiments on met des cohortes d'archers, pour écarter les pirates qui infestent ces mers. Il ne sera pas hors de propos d'exposer toute la navigation depuis l'Egypte ; ce n'est que de nos jours qu'on en a une connaissance certaine. La chose en vaut la peine. Il n'y a pas d'année où l'Inde n'enlève à l'empire romain moins de 50.000.000 de sesterces (105.000,00 fr.) ; elle nous expédie en retour des marchandises qui se vendent chez nous au centuple. A 2.000 pas d'Alexandrie est la ville de Juliopolis ; de là on navigue sur le Nil jusqu'à Coptos, à 303.000 pas ; ce trajet est parcouru en douze jours avec les vents étésiens. De Coptos on va sur des chameaux ; les stations sont disposées d'après les endroits où l'on trouve de l'eau : la première s'appelle Hydreum, à 32.000 pas ; la seconde est dans une montagne, à une journée de marche ; la troisième, à un autre Hydreuma, à 95.000 pas de Coptos ; puis dans une montagne ; puis à Hydreum d'Apollon, à 184.000 pas de Coptos ; derechef dans une montagne ; puis au nouvel Hydreum, à 233.000 pas de Coptos ; à une distance de 4.000 pas du nouvel Hydreum est l'ancien Hydreum, dit Troglodytique, où un détachement tient garnison, et qui peut recevoir 2.000 personnes. De là on arrive à la ville de Bérénice, qui a un port sur la mer Rouge, à 258.000 pas de Coptos : mais comme on fait la plus grande partie de la route pendant la nuit à cause de la chaleur, et qu'on passe le jour dans les haltes, le trajet, de Coptos à Bérénice, demande douze jours.

On se met en mer au milieu de l'été, avant le lever de la Canicule ou immédiatement après ; au bout de trente jours environ, on arrive à Océlis d'Arabie, ou à Cane, de la région de l'encens. Il y un troisième port appelé Muza, où les navigateurs qui vont en Inde ne touchent pas ; il n'est fréquenté que par les négociants en encens et en parfums arabiques. Dans l'intérieur est une ville nommée Saphar, capitale du pays, et une autre ville nommée Save. Pour ceux qui vont en Inde le point de départ le plus avantageux est Océlis ; de là avec le vent Hippalus, on navigue pendant quarante jours jusqu'à Muziris, premier marché de l'Inde, peu désirable à cause des pirates voisins qui occupent le lieu appelé Nitries ; il n'est pas non plus riche en marchandises ; en outre, le mouillage des navires est loin de la terre, et c'est avec des chaloupes que l'on fait le chargement et le déchargement. Le roi de ce pays, pendant que j'écrivais ceci, était Célébothras. Un port plus favorable est celui de la nation des Nelcanidiens, appelé Barace : là règne Pandion, dans une ville méditerranée éloignée du marché, et appelée Modura. Le pays d'où l'on apporte le poivre à Barace, sur des chaloupes faites d'un seul arbre, se nomme Cottonara. Tous ces noms de nations, de ports ou de villes, ne se trouvent chez aucun des anciens auteurs ; d'où il résulte que l'état des lieux change. On revient de l'Inde au commencement du mois égyptien tybi, qui est notre mois de décembre, ou tout au moins avant le sixième jour du mois égyptien méchir, c'est-à-dire avant nos ides de janvier (le 13 de janvier) ; de la sorte on revient dans la même année. On revient de l'Inde avec le vent Vulturne (du lever d'hiver), et lorsqu'on est entré dans la mer Rouge, avec l'Africus (du coucher d'hiver) ou l'Auster (du midi). Maintenant revenons à notre sujet.

XXVII. Néarque a écrit que la côte de Carmanie a 1.250.000 pas ; depuis son commencement jusqu'au fleuve Sabis, 100.000 pas ; de là on trouve des vignobles et des champs cultivés jusqu'au fleuve Andanis, pendant 25.000 pas ; le pays s'appelle Armuzia. Villes de la Carmanie, Zéthis et Alexandrie.

XXVIII. Puis, en ces parages, la mer fait une double irruption dans les terres, sous le nom de mer Rouge chez les Latins, et chez les Grecs de mer Erythrée, du nom du roi Erythras, ou, suivant d'autres, à cause de la couleur rouge qu'elle présente, soit que cette couleur provienne de la réflexion des rayons du soleil, soit qu'elle tienne à la teinte de la terre et du sable, ou à la nature de l'eau elle-même. (XXIV.) Elle se divise en deux golfes : celui qui est à l'orient s'appelle golfe Persique, il a 2.500.000 pas de tour d'après Eratosthène. En face est l'Arabie, dont la longueur est de 1.200.000 pas ; puis vient un second golfe, nommé Arabique. La mer qui entre dans les golfes s'appelle mer Azanienne (VI, 34). L'entrée du golfe Persique a 5.000 pas de large, 4.000 d'après d'autres. De cette entrée au fond du golfe, il est à peu près certain qu'il y a en ligne directe 1.125.000 pas ; il est configuré comme une tête humaine. Onésicrite et Néarque ont écrit que du fleuve Indus jusqu'au golfe Persique, et de là jusqu'à Babylone, par les marais de l'Euphrate, il y a 2.500.000 pas.

Dans l'angle de la Carmanie sont les Chélonophages, qui couvrent leurs cabanes avec des carapaces de tortues, et qui se nourrissent de la chair de ces animaux ; ils habitent le promontoire (VI, 26) à partir du fleuve Arbis ; ils ont, excepté la tête, tout le corps hérissé de poil, et leurs vêtements sont faits en peaux de poisson. (XXV.) Au delà, en allant vers l'Inde, on cite Caïcandrus, île déserte dans l'Océan, à 50,000 pas ; dans le voisinage de cette île, et séparée par un bras de mer, Stoïdis, dont les perles rapportent beaucoup d'argent. A partir du promontoire, aux Carmaniens touchent les Armozéens ; quelques-uns interposent les Arbiens ; le littoral entier a 402,000 pas ; là, le port des Macédoniens et les autels d'Alexandre, sur un promontoire. Fleuves : le Saganos, puis le Daras et le Salsos ; au delà, le promontoire Thémistéas, et l'île Aphrodisias, habitée ; puis le commencement de la Perse : elle va jusqu'au fleuve Oroatis, qui la sépare de l'Elymaïs ; en face de la Perse, les îles Philos, Casandra, Aracia consacrée à Neptune, avec une montagne très élevée ; la Perse elle-même, regardant le couchant, occupe un littoral de 550,000 pas, opulente jusqu'au luxe, et à laquelle depuis longtemps les Parthes ont imposé leur nom. C'est le moment de dire quelques mots de l'empire de ce peuple.

XXIX. Les royaumes des Parthes sont au nombre de dix-huit ; c'est ainsi qu'ils appellent leurs provinces. Ces royaumes sont situés, comme nous l'avons dit (VI, 16), le long de deux mers, la mer Rouge au midi, la mer Hyrcanienne au nord. De ces dix-huit royaumes, les onze qu'on appelle supérieurs commencent aux confins de l'Arménie et au littoral de la mer Caspienne ; ils touchent aux Scythes, dont ils partagent le genre de vie (VI, 19). Les sept autres royaumes sont appelés inférieurs. Quant aux Parthes proprement dits, il y eut toujours une Parthie au pied de ces montagnes, souvent nommées (VI, 16), qui couvrent toutes ces nations. La Parthie a du côté de l'orient l'Arie (VI, 23), au midi la Carmanie et l'Ariane (VI, 26), du côté de l'occident les Mèdes Pratites (VI, 17), du côté du nord les Hyrcaniens ; elle a une ceinture de déserts. Les Parthes ultérieurs sont appelés Nomades ; en deçà sont des déserts (VI, 17). Au couchant, les Parthes ont les villes que nous avons déjà nommées (VI, 17), Issatis et Calliope ; au levant d'été, Europus ; au levant d'hiver, Mania ; au milieu, Hécatompylos, capitale d'Arsace (père des Arsacides) ; Nisée, ville célèbre de la Parthyène, où est Alexandropolis, nommée ainsi de son fondateur.

(XXVI.) Il est nécessaire ici de tracer la situation des Mèdes et la configuration des terres jusqu'au golfe Persique, afin de faire comprendre plus facilement le reste. La Médie, placée transversalement au couchant, et se présentant obliquement à la Parthie, ferme l'entrée des royaumes supérieurs et inférieurs. Elle a donc au levant les Caspiens et les Parthes, au midi la Sittacène (VI, 31), la Susiane et la Perse, au couchant l'Adiabène, au nord l'Arménie. Les Perses ont toujours habité sur le bord de la mer Rouge : c'est d'eux que lui vient le nom de golfe Persique ; la région maritime porte le nom de Syrtibolos. Du côté par où l'on monte en Médie, il est un lieu appelé la Grande Echelle : c'est une montagne escarpée où des gradins sont taillés, et qui offre un passage étroit jusqu'à Persépolis, capitale du royaume, et détruite par Alexandre. La Perse a en outre, sur son extrême frontière, Laodicée, fondée par Antiochus. A l'orient, les mages tiennent Pasargade (VI, 26), château où est le tombeau de Cyrus. Leur ville, Ecbatane, fut transportée par le roi Darius dans les montagnes. Entre la Parthie et l'Ariane s'étendent les Paraetacènes ; les nations et l'Euphrate ferment les royaumes inférieurs. Nous parlerons des autres (VI, 31) à partir de la Mésopotamie, excepté la pointe de cette même Mésopotamie et les peuples arabes : nous en avons parlé dans le livre précédent (V, 21).

XXX. La Mésopotamie tout entière a appartenu aux Assyriens, qui n'y avaient que des bourgs, excepté Babylone et Ninive. Les Macédoniens y créèrent des villes, à cause de la fertilité du sol. Outre les villes déjà nommées, elle renferme Séleucie, Laodicée, Artémite ; de plus, dans le pays des Arabes appelés Aroéens (VI, 9) et Mardanes, Antioche, qui, fondée par Nicanor, gouverneur de la Mésopotamie, se nomme Arabis. Aux Arabes Aroéens touchent, dans l'intérieur, les Arabes Eldamariens ; au-dessus de ce peuple, sur le fleuve Pellaconta, la ville de Bura, les Salmanes, et les Maséens Arabes. Aux Gordyens (VI, 17) confinent les Alones, à travers lesquels la rivière Zerbis va se jeter dans le Tigre ; les Azones, les Silices montagnards, les Orontes, à l'occident desquels est la ville de Gaugamela ; puis Sue, dans des rochers ; au-dessus, les Silices Classites, à travers lesquels coule le Lycus, venant de l'Arménie ; l'Absidris, au levant d'hiver ; la ville d'Azochis : puis dans la plaine les villes de Diospage, de Polytelia, de Stratonice, et d'Anthémonte (V, 21) ; dans le voisinage de l'Euphrate, Nicéphorion, dont Alexandre ordonna, comme nous l'avons dit (V, 21), la fondation, à cause de la situation favorable du lieu. A l'occasion de Zeugma, nous avons nommé Apamée (V, 21) : quand de cette ville on va à l'orient on rencontre une ville très bien fortifiée, ayant eu jadis 70 stades (kil. 12, 88) d'étendue, appelée la capitale des Satrapes ; c'était là qu'on apportait les tributs ; maintenant ce n'est plus qu'un fort ; Hebata demeure dans l'état où elle était jadis ; puis vient Oruros, limite de l'empire romain sous le grand Pompée, à 250.000 pas de Zeugma. Des auteurs rapportent que le gouverneur Gobarès fit partager l'Euphrate à l'endroit où nous avons dit qu'il se divise (V, 21), de peur que, se précipitant avec violence, il ne ravageât la Babylonie. Tous les Assyriens donnent à l'Euphrate le nom de Narmalchan, ce qui signifie fleuve royal. Là où il se divise il y eut jadis Agrani, ville des plus grandes, qui fut détruite par les Perses.

Babylone, capitale des nations chaldéennes, a joui longtemps de la plus grande célébrité dans tout l'univers; c'est d'elle que tout le reste de la Mésopotamie et de l'Assyrie a été appelé Babylonie. Elle avait 60.000 pas de tour, des murs hauts de 200 pieds, larges de 50 (et le pied babylonien a trois doigts de plus que le nôtre), traversée par l'Euphrate, que bordaient des quais aussi admirables que l'enceinte. Le temple de Jupiter Bélus (XXXVII, 55) y subsiste encore ; Bélus fut l'inventeur de l'astronomie ; du reste, elle est devenue un désert, dépeuplée qu'elle fut par le voisinage de Séleucie, fondée à cet effet par Nicator (av JC. 312-282), à 90.000 pas, au confluent du Tigre et d'un canal venant de l'Euphrate. Pourtant Séleucie est surnommée Babylonienne : libre aujourd'hui et indépendante, elle conserve les usages macédoniens ; on dit qu'elle a dans ses murs 600.000 personnes ; ses murailles ont la forme d'un aigle aux ailes étendues ; son territoire est le plus fertile de tout l'Orient. Pour la dépeupler à son tour, les Parthes ont fondé à trois milles, dans la Chalonitide, Ctésiphon, maintenant la capitale de leurs royaumes ; puis, cela ne réussissant pas, Vologèse a fondé récemment dans le voisinage une autre ville, Vologesocerta. Il y a encore dans la Mésopotamie la ville d'Hipparenum, célèbre, comme Babylone, par une secte chaldéenne, et située sur le fleuve Narraga, qui lui a donné son nom. Les Perses ont détruit les murs des Hipparéniens. Les Orchéniens, troisième secte des Chaldéens, sont aussi placés dans la même contrée, du côté du midi ; puis viennent les Notites, les Orthophantes, et les Graeciochantes.

Néarque et Onésicrite rapportent que le trajet du golfe Persique à Babylone par l'Euphrate est de 412.000 pas ; mais les auteurs postérieurs disent que la distance de Séleucie au même golfe est de 440.000 pas ; Juba évalue la distance de Babylone à Charax (VI, 31, 12) à 175.000 pas. Quelques-uns disent que l'Euphrate continue de couler à plein lit au-dessous de Babylone pendant 87.000 pas, avant d'être divisé pour les irrigations, et que son cours en totalité est de 1.100.000 pas. Les variations dans les mesures tiennent à la diversité des auteurs qui ont été suivis, les Perses attribuant tantôt une valeur et tantôt une autre aux schènes (V, 11, 4) et aux parasanges. Quand le fleuve cesse de faire aux habitants un rempart de son lit, ce qui a lieu sur les limites du territoire de Charax, aussitôt la contrée est infestée par des brigands, les Attales, nation arabe, au delà desquels sont les Scénites (VI, 32). Tout le long de l'Euphrate sont les Nomades Arabes jusqu'aux déserts de l'Assyrie, où nous avons dit (V, 20 et 21) qu'il s'infléchissait vers le midi, abandonnant les solitudes palmyréennes. Séleucie est, par l'Euphrate, à 1.125.000 pas du commencement de la Mésopotamie ; par le Tigre, à 320.000 de la mer Rouge (golfe Persique) ; à 527.000 de Zeugma. Zeugma est a 175.000 pas (V, 13) de Séleucie de Syrie, sur la côte de notre mer (Méditerranée). Telle est la largeur du continent entre les deux mers ; la largeur de l'empire des Parthes est de 944.000 pas.

XXXI. Il y a encore une ville en Mésopotamie, sur le bord du Tigre, auprès des confluents ; on l'appelle Digba. (XXVII.) Mais il convient de parler du Tigre lui-même. Il naît dans un district de la grande Arménie, par une source remarquable, en plaine ; le nom de cette localité est Elégosine. Tant qu'il coule avec lenteur, il s'appelle Diglito ; on ne commence à l'appeler Tigre que quand son cours s'accélère : c'est le nom que les Mèdes donnent à la flèche. Il se jette dans le lac Aréthuse, sur lequel surnagent toutes les substances, et qui exhale des vapeurs nitreuses : ce lac ne renferme qu'une espèce de poissons, lesquels n'entrent jamais dans le lit du fleuve qui passe ; de même les poissons du Tigre n'entrent point dans ce lac ; au reste, le mouvement et la couleur de ses eaux l'y font distinguer. Sorti de là, il rencontre le mont Taurus, et s'engouffre dans une caverne ; après un trajet souterrain, il ressort de l'autre côté de la montagne. Le lieu de sa sortie s'appelle Zoroanda ; ce qui prouve que c'est le même, c'est que les corps jetés d'un côté reparaissent de l'autre. Puis il traverse un autre lac qu'on appelle Thospites ; il se plonge de nouveau dans des souterrains, et après un espace de 25.000 pas il revient à la surface auprès de Nymphaeum. D'après l'empereur Claude, son lit est si voisin de celui de l'Arsanias (V, 20), dans le pays d'Arrhène, que lorsqu'ils sont gros ils se réunissent sans se mêler ; l'eau de l'Arsanias, plus légère, surnage celle du Tigre pendant environ 4.000 pas ; puis l'Arsanias s'éloigne, et se jette dans l'Euphrate. Le Tigre, de son côté, venant d'Arménie, et recevant des rivières célèbres, le Parthénias et le Nicéphorion, sert de limite aux Arabes Aroéens (VI, 9) et à l'Adiabène, et, formant la Mésopotamie, comme nous l'avons dit, coule au pied des montagnes des Gordyéens (VI, 17) ; auprès d'Apamée, ville de la Mésène, à 125.000 pas au-dessus de Séleucie Babylonienne, il se divise en deux bras, dont l'un gagne le midi et Séleucie, arrosant la Mésène, et dont l'autre, tournant au nord, coupe les campagnes des Cauches, sur les derrières de la Mésène. Quand ces bras se sont réunis, il prend le nom de Pasitigris, puis il reçoit de la Médie le Choaspes (XXXI, 21), et, coulant, comme nous l'avons dit (VI, 30, n° 5 et n° 6), entre Séleucie et Ctésiphon, il s'épanche dans les lacs de la Chaldée, qu'il remplit dans une étendue de 70.000 pas : alors formant un vaste canal, laissant à droite la ville de Charax, il se jette dans le golfe Persique par une embouchure de 10.000 pas. Entre les embouchures du Tigre et de l'Euphrate, toutes deux navigables, l'intervalle fut jadis de 25.000 pas, ou, suivant d'autres, de 7.000 ; mais il y a longtemps que les Orchéniens et les peuples voisins ont barré l'Euphrate pour l'irrigation de leurs champs, et ses eaux n'arrivent à la mer que par le Pasitigris.

Le pays sur le bord du Tigre s'appelle Parapotamie ; il renferme la Mésène, dont il a déjà été parlé, ville de la Parapotamie, Dibitach. Puis vient la Chalonitis : où est la ville de Ctésiphon (VI, 30, 6), et qui est célèbre non seulement par ses palmiers, mais aussi par ses oliviers, ses arbres fruitiers, et d'autres végétaux. Le mont Zagros arrive jusque là ; il vient de l'Arménie entre les Mèdes et les Adiabènes, au-dessus de la Paraeltcène et de la Perse. La Chalonitis est éloignée de la Perse de 380.000 pas. Quelques auteurs disent que par le chemin le plus court l'Assyrie est à la même distante de la mer Caspienne.

Entre ces nations et la Mésène est la Sittacène, appelée aussi Arbelitis et Palestine. Villes de la Sittacène, Sittace, de fondation grecque, à l'orient, et Sabata ; à l'occident, Antioche entre deux fleuves, le Tigre et le Tornadotus ; de plus, Apamée, à laquelle Antiochus (av. JC. 282-262) a donné le nom de sa mère (Apame). Le Tigre la contourne, l'Archoüs la traverse.

Au-dessous est la Susiane, où est Suse, l'ancienne capitale des Perses : cette ville, fondée par Darius, fils d'Hystaspe, est à 450.000 pas de Séleucie Babylonienne, à la même distance d'Ecbatane des Mèdes par le mont Charbanus. Sur le bras septentrional du Tigre est la ville de Babytace, à 135.000 pas de Suse : les habitants, seuls de tous les mortels, ont l'or en horreur ; ils le ramassent et l'enfouissent, pour qu'il ne serve à personne. A l'orient de la Susiane sont les brigands Oxiens et quarante peuples Myzéens, qui sont indépendants et sauvages. Au-dessus d'eux se développent les Parthusiens, les Mardes, les Saïtes, et les Hyens, qui s'étendent au-dessus de l' Elymaïs, que nous avons dit être contiguë à la Perse sur la côte (VI, 28, 4), Suse est à 250.000 pas du golfe Persique; la flotte d'Alexandre y remonta (VI, 26) par le Pasitigris, en passant par un bourg appelé Aphlé, et situé sur le lac de Chaldée ; de ce bourg à Suse il y a une navigation de 65.500 pas. A l'est encore de la Susiane sont les Cosséens ; au-dessus des Cosséens, au nord, la Mésabatène, au pied du mont Cambalidus, qui est un embranchement du Caucase ; là est le passage le plus facile pour aller en Bactriane.

La Susiane est séparée de l'Elymaïs par le fleuve Eulaeüs ; il naît dans la Médie, et passe sous terre dans un espace peu étendu ; sorti de là et traversant la Mésabatène, il entoure la citadelle de Suse et le temple de Diane, le plus révéré de ces nations. Le fleuve lui-même est l'objet de cérémonies pompeuses ; les rois ne boivent pas d'autre eau, et on en transporte pour eux dans leurs voyages (XXXI, 21) : il reçoit la rivière Hedypnus, outre l'Asylus qui vient de la Perse, et l'Adunas qui vient de la Susiane ; la ville de Magoa est sur ses bords, à 15.000 pas de Charax ; quelques-uns la reculent à l'extrémité de la Susiane, dans le voisinage du désert.

Au-dessous de l'Eulaeüs est l'Elymaïs, contiguë à la Perse sur la côte, étendue depuis le fleuve Oroates jusqu'à Charax dans un espace de 240.000 pas. Les villes en sont Séleucie et Sosirate, placées auprès du mont Casyrus. Le littoral, qui a l'apparence des petites Syrtes, est, comme nous l'avons dit (VI, 29, 4), inaccessible et fangeux, les fleuves Brixias et Ortacéas y déposant beaucoup de limon : l'Elymaïs elle-même est tellement marécageuse, qu'on ne peut pénétrer en Perse qu'en la tournant ; elle est infestée aussi de serpents que les fleuves y amènent. La partie la plus impénénétrable s'appelle Characène de nom de la ville de Charax, qui est la limite des royaumes d'Arabie, et dont nous parlerons après avoir exposé d'abord le sentiment de M. Agrippa : cet auteur dit que la Médie, la Parthie et la Perse, bornées à l'orient par l'Indus, à l'occident par le Tigre, au nord par le Taurus et le Caucase, au midi par la mer Rouge (golfe Persique), ont en longueur 1.320.000 pas, et en largeur 840.000 ; qu'en outre la Mésopotamie, enfermée au levant par le Tigre, au couchant par l'Euphrate, au nord par le Taurus, au midi par le golfe Persique, a 800.000 pas de long et 360.000 de large.

Charax, ville située sur la partie la plus intérieure du golfe Persique, et à laquelle commence l'Arabie surnommée Heureuse, est placée sur une colline faite de main d'homme, entre le confluent du Tigre à droite, de l'Eulaeüs à gauche, dans un espace de 3.000 pas d'étendue. Elle fut fondée d'abord par Alexandre le Grand ; il y établit des colons de la ville royale de Durine, qui alors cessa d'exister ; il y laissa ceux de ses soldats qui ne pouvaient plus servir, et ordonna qu'on l'appelât Alexandrie. Il avait même fondé un bourg appelé Pella, du nom de son lieu natal, et qu'il avait destiné exclusivement aux Macédoniens. Les fleuves emportèrent cette ville ; puis Antiochos, le cinquième roi [de Syrie], la rétablit, et l'appela de son nom. Ravagée de nouveau par les eaux, Pasinès, fils de Sogdonacus, roi des Arabes limitrophes, que Juba dit à tort avoir été satrape d'Antiochus, la restaura, éleva des digues et lui donna son nom, après avoir exhaussé le terrain dans un espace de 3.000 pas de long sur une largeur un peu moindre. Elle fut d'abord à 10 stades (kil. 1, 84) de la côte, et elle y eut même un port ; du temps où écrivait Juba elle en était à 50.000 pas ; maintenant les ambassadeurs des Arabes et nos négociants qui y sont allés affirment qu'elle en est à 120.000. En aucune partie du monde les alluvions des fleuves n'ont été plus considérables et n'ont marché plus vite ; il est étonnant que le flux qui s'avance beaucoup au delà de cette ville ne les ait pas entraînées. C'est là qu'est né Denys, l'auteur le plus récent d'une description de la terre ; le dieu Auguste l'envoya en Orient recueillir tous les renseignements, pendant que son fils aîné se préparait à aller en Arménie pour régler les affaires des Parthes et des Arabes. Je n'ignore pas et n'ai pas oublié que j'ai dit, au début de cet ouvrage (III, 1), que l'auteur le plus exact était celui qui écrivait sur son propre pays : cependant pour cette partie j'aime mieux suivre les expéditions romaines et le roi Juba, qui a adressé à ce fils d'Auguste, C. César, un livre sur cette même expédition d'Arabie.

XXXII. (XXVIII.) L'Arabie, qui ne le cède à aucune autre contrée, d'une étendue immense, commence, comme nous l'avons dit (V, 20 et 21), au mont Amanus, à la Cilicie et à la Commagène ; plusieurs nations arabes ont été amenées dans ces contrées par le grand Tigrane ; d'autres sont venues spontanément sur notre mer (Méditerranée) et la côte de l'Egypte, ainsi que nous l'avons dit (V, 12) ; et même les Nubéens pénètrent dans le milieu de la Syrie jusqu'au mont Liban. Aux Nubéens touchent les Ramiséens, à ceux-ci les Taranéens, puis les Patamiens. Quant à la péninsule Arabique elle-même, elle s'étend entre deux mers, la mer Rouge et le golfe Persique. La nature semble avoir voulu l'entourer de la mer, de manière à lui donner la forme et la grandeur de l'Italie, dont elle a d'ailleurs exactement l'orientation. Une situation analogue lui procure une fertilité analogue. Nous avons énuméré les nations arabes depuis notre mer (Méditerranée) jusqu'aux déserts de Palmyre (V,12 et 21); énumérons maintenant les autres. Au delà des Nomades et de ceux qui pillent la Chaldée, sont, comme nous l'avons dit, les Scénites (VI, 30, 8), nomades eux-mêmes, et ainsi nommés de leurs tentes de poil de chèvre (skênê, tente), qu'ils plantent où il leur plaît. Puis les Nabatéens ont la ville de Pétra, située dans un vallon d'un peu moins de 2.000 pas, entourée de montagnes inaccessibles, et traversée par une rivière ; elle est à 600.000 pas de Gaza sur notre mer (Méditerranée), à 135.000 de golfe Persique. Là aboutissent deux routes, celle qui mène de la Syrie à Palmyre, et celle qui vient de Gaza. A partir de Pétra, le pays a été habité par les Omanes jusqu'à Charax : il y avait là autrefois des villes célèbres, fondées par Sémiramis, Abésamis et Soractia ; ce sont maintenant des solitudes. Puis est une ville qui obéit au roi des Characéniens, sur le bord du Pasitigris, nommée Forath, qui est un rendez-vous quand on vient de Pétra. De Forath on remonte par eau à Charax, distance de 12.000 pas, avec l'aide de la marée. Quand on vient par eau de chez les Parthes, on trouve le bourg de Térédon au-dessous du confluent de l'Euphrate et du Tigre ; la rive gauche du fleuve est occupée par les Chaldéens, la droite par les nomades-Scénites. Quelques auteurs rapportent qu'en naviguant sur le Tigre on rencontre à un grand intervalle deux villes, Barbatia, puis Thumata : nos négociants disent que Thumata est à dix journées de navigation de Pétra, et qu'elle obéit au roi des Characéniens ; qu'Apamée est située là où les lagunes formées par l'Euphrate communiquent avec le Tigre, et que lorsque les Parthes projettent des incursions, les habitants les arrêtent en élevant des digues, qui causent une inondation.

Partons de Charax pour décrire la côte ; le roi Epiphane (de Syrie, av. JC. 176-164) l'a fait le premier explorer : le lieu où fut l'embouchure de l'Euphrate (VI, 31, 4) ; le fleuve Salé ; le cap Chaldone : une étendue de côtes de 50.000 pas, plus semblable à un gouffre qu'à une mer ; le fleuve Achana ; les déserts pendant 100.000 pas, jusqu'à l'île Ichara ; le golfe Capéus, sur lequel habitent les Gaulopes et les Chatènes ; le golfe Gerraïque ; la ville de Gerra, qui a 5.000 pas d'étendue, et des tours faites de quartiers de sel cubiques ; à 50.000 pas du littoral, le pays d'Attène ; en face, l'île Tylos, à 50.000 pas du rivage, très célèbre à cause de l'abondance des perles, avec une ville de même nom ; à côté, une autre plus petite, qui, à 12,500 pas du promontoire de la première (au delà, dit-on, on aperçoit de grandes îles, auxquelles on n'a pas abordé), à 112.500 pas de tour, et est éloignée de la Perse de plus de 112.500 pas ; on n'y arrive que par une passe étroite. Asgilia, île ; nations : les Nochètes, les Zuraches, les Borgodes, les Cataréens, les Nomades ; le fleuve du Chien. Au delà, un littoral que la navigation n'a pas exploré de ce côté, à cause des écueils, au dire de Juba, qui a omis la mention de Batrasabbes, ville des Omanes, et d'Omana, dont les auteurs précédents avaient fait un port célèbre de la Carmanie ; il a omis aussi Omna et Athana, villes que nos négociants disent être aujourd'hui un des rendez-vous les plus fréquentés du golfe Persique. Au delà du fleuve du Chien, d'après Juba, une montagne qui semble brûlée ; la nation des Epimaranites ; puis les Ichthyophages ; une île déserte ; la nation des Bathymes ; les monts Eblitéens ; l'île Omoenus ; le port Machorbe ; les îles Etaxalos et Onchobrice ; la nation des Chadéens ; plusieurs îles sans nom ; îles renommées, Isura, Rhinnéa, et une île voisine où sont des colonnes de pierre portant des inscriptions en caractères inconnus ; le port de Goboea ; les îles Bragae, désertes ; la nation des Thaludéens ; la région de Dabanegoris ; le mont Orsa, avec un port ; le golfe Duatus ; plusieurs îles ; le mont Tricoryphos ; la région de Cardalène ; les îles Solanides et Capina ; les îles des Ichthyophages ; puis Glari, le littoral Hamméen, où sont des mines d'or ; la contrée Canauna ; les nations des Apitames et des Gasanes ; l'île Devade ; la fontaine Goralus ; les îles Calaeu et Amnamethu ; la nation des Darres ; l'île de Chélonitis, plusieurs îles des Ichthyophages ; Eodanda, déserte ; Basag ; plusieurs îles des Sabéens ; les fleuves Thamar, Amnon ; les îles Doliques ; les sources Daulotes et Dora ; les îles Ptéros, Labatanis, Coboris, Sambracate, et une ville de même nom sur le continent ; au midi, plusieurs îles, Camaris la plus grande ; le fleuve Mysécros ; le port Leupas ; les Scénites Sabéens ; plusieurs îles ; le marché des Scénites Sabéens. Acila, où l'on s'embarque pour l'Inde ; le pays Amithoscuta ; Damnia ; les grands et les petits Mizes ; les Drimates. Le promontoire des Naumachéens est en face de la Carmanie, à 50.000 pas : on raconte qu'il s'y passa un événement singulier : Numénius, nommé gouverneur de la Mésène par le roi Antiochus, y vainquit le même jour les Perses dans un combat naval, et, la marée s'étant retirée, dans un combat de cavalerie ; il éleva sur ce lieu un double trophée, l'un à Jupiter, l'autre à Neptune.

En face, dans la haute mer, est l'île d'Ogyris, célèbre par le tombeau du roi Erythras ; elle est à 125.000 pas du continent, et elle en a 112.000 de tour. Une autre non moins célèbre est dans la mer Azanienne ; elle se nomme île de Dioscoride (Socotora), et est à 280.000 pas du cap Syagrus (Fartach), qui est le plus en dehors.

Au midi, sur la terre ferme, les Ausarites (XII, 45) ; puis un trajet de huit jours de marche à travers les montagnes : nations, les Larendans, les Catabanes, les Gébanites, avec plusieurs villes, dont les plus grandes sont Nagia, et Tamna (XII, 32) avec soixante-cinq temples, nombre qui témoigne de sa grandeur ; un promontoire (Syagrus ?), d'où l'on compte 50.000 pas à la terre ferme des Troglodytes ; les Toaniens, les Ascites, les Chatramotites, les Tomabéens, les Antidaléens, les Lexianes, les Agréens, les Cerbanes, les Sabéens, les plus connus des Arabes à cause de l'encens, et dont les tribus s'étendent sur l'une et l'autre mer. Villes qui leur appartiennent sur le rivage de la mer Rouge, Marane, Marma, Corolia, Sabatha ; dans l'intérieur, les villes de Nascus, Cardava, Carnus et Tomala, où l'on apporte les parfums. Un district appartient aux Atramites (XII, 32), dont la capitale est Sabota, renfermant dans son enceinte soixante temples ; mais la ville royale est Mariaba. L'Atramitide occupe un golfe de 94.000 pas, rempli d'îles où croissent les parfums. Aux Atramites touchent dans l'intérieur des terres les Minéens ; sur le bord de la mer habitent les Elamites avec une ville de même nom ; leurs voisins sont les Cagulates, la ville de Sibi, que les Grecs appellent Apate ; les Arses, les Codans, les Vadéens, avec une grande ville ; les Banasaséens, les Léchiens ; l'île de Sygaros, où les chiens n'entrent pas ; si on les y porte, ils hurlent sur les rivages et y meurent. Un golfe profond où sont les Léanites, qui lui ont donné leur nom ; leur capitale est Agra, et dans le golfe Laeana, ou, suivant d'autres, Aelana ; car le golfe lui-même a été appelé par les auteurs latins Aelanitique, par d'autres Aelénatique, par Artémidore Aelénitique, par Juba Laenitique. Le tour de l'Arabie depuis Charax jusqu'à Laeana est, d'après les auteurs, de 4.770.000 pas; Juba pense que le tour en est d'un peu moins de 4.000.000 de pas. L'Arabie est la plus large, au nord, entre les villes Héroum et Charax.

Maintenant énumérons ce qui reste dans l'intérieur. Selon les anciens, aux Nabatéens confinaient les Thimanéens ; maintenant ils ont pour voisins les Tavènes ; suivent les Suellènes, les Arracènes, les Arènes ; une ville, qui est le rendez-vous de tout le commerce ; les Hémuates, les Analites ; les villes de Domatha et d'Egra ; les Thamudènes ; la ville de Badanatha ; les Carréens ; la ville de Carriata ; les Achoales ; la ville de Phoda ; les Minéens (XIII, 35), tirant, d'après l'opinion vulgaire, leur origine de Minos, roi de Crète, et auxquels appartiennent les Charméens ; une ville de 14.000 pas ; Mariaba des Baramalaques, qui elle-même n'est pas à mépriser ; la ville de Cannon ; les Rhadaméens, qui passent pour tirer leur origine de Rhadamanthe, frère de Minos ; les Homérites (VI, 26, 9), avec la ville de Massala ; les Hamiréens, les Gédranites, les Ampres, les Ilisanites, les Bachilites, les Samméens, les Amathéens avec les villes de Nessa et Cennesseris, les Zamarènes avec les villes de Saïace, de Scantate et de Bacascamis; la ville de Riphearma, mot qui signifie orge dans la langue des indigènes ; les Autéens, les Raves, les Gyréens, les Mathatéens, les Helmodènes avec la ville d'Ebade ; les Agactures dans les montagnes, avec une ville de 20.000 pas, où est la source Emischabales, nom signifiant ville des chameaux ; Ampélone, colonie des Milésiens ; la ville d'Actrida, les Calingiens, dont la ville s'appelle Mariaba, mot qui signifie maître de tous ; les villes de Pallon, de Vrannimal, auprès d'un fleuve par lequel l'on pense que l'Euphrate vient sortir ; les nations des Agréens et des Ammoniens ; la ville d'Athène ; les Caurananes, mot qui signifie très riches en gros bétail ; les Coranites, les Caesanes, les Choanes. Il y eut aussi dans ces parages des villes grecques, Aréthuse, Larisse, Chalcis; elles ont été détruites dans différentes guerres.

Jusqu'à ce jour les armes romaines n'ont été portées dans l'Arabie que par Aelius Gallus, de l'ordre équestre ; car C. César (VI, 31, 14), fils d'Auguste, ne fit que voir de loin l'Arabie. Gallus détruisit des villes qui n'avaient pas été nommées par les auteurs antérieurs, Négra, Amnestrum, Nesca, Magusa, Tammacum, Labécia et Marlaba [des Calingiens], nommée plus haut (VI, 32, 16), de 6.000 pas de tour ; il détruisit aussi Caripéta ; ce fut la limite extrême de son expédition. Il rapporta les renseignements suivants : que les nomades se nourrissent de lait, et de la chair des bêtes sauvages ; que les autres expriment, comme les Indiens (XIV, 19), un vin des palmiers et une huile du sésame ; que les Homérites sont les plus nombreux ; que les Minéens ont des champs fertiles en palmiers et en arbrisseaux, et que leur richesse consiste en troupeaux ; que les Cerbanes, les Agréens, et surtout les Chatramotites l'emportent à la guerre ; que les Carréens ont les champs les plus étendus et les plus fertiles ; que le territoire des Sabéens est le plus riche en forêts remplies d'arbres odoriférants, en mines d'or, en cours d'eau pour l'arrosement des champs, en miel et en cire. Nous parlerons des parfums dans le livre qui est consacré à ce sujet. (XII) Les Arabes portent la mitre, ou les cheveux longs ; ils se rasent la barbe, excepté à la lèvre supérieure ; d'autres ne se la coupent pas du tout. Chose singulière, parmi les peuples innombrables de cette contrée, une moitié vit dans le commerce, et l'autre dans le brigandage ! En somme, ce sont les nations les plus riches du monde; car les trésors des Romains et des Parthes y affluent. Les Arabes vendent les productions de leurs mers ou de leurs forêts, et n'achètent rien.

XXXIII. Maintenant suivons la côte opposée à la côte Arabique. Timosthène a évalué le golfe entier en longueur à quatre jours de navigation, et à deux jours en largeur ; le détroit, à 7.500 pas de largeur. Eratosthène évalue la longueur de chacune des deux côtes, depuis l'entrée, à 1.300.000 pas; Artémidore, la côte Arabique à 1.750.000 pas, (XXIX.) et la côte Troglodytique jusqu'à Ptolemaïs, à 1.137.500 pas; Agrippa, à 1.722.000 pas, sans distinction de côte : la plupart ont dit que la largeur en était de 475.000 pas ; et ils ont porté la largeur du détroit qui regarde l'orient d'hiver, les uns à 6.000 pas, les autres à 7.000, d'autres à 12.000.

Voici la configuration des lieux : après le golfe Aelanitique est un autre golfe que les Arabes nomment Aeant, où est la ville d'Héroum. Il y est aussi, entre les Nèles et les Marchades, la ville de Cambyse, où ce prince établit les malades de son armée. Puis viennent la nation des Tyres, le port Danéon. Le projet de conduire de là un canal navigable jusqu'au Nil, à l'endroit où il descend dans le Delta nommé plus haut (V, 9), dans l'intervalle de 62.000 pas qui sépare le fleuve de la mer Rouge ; ce projet, dis-je, a été conçu d'abord par Sésostris, roi d'Egypte, puis par Darius, roi de Perse ; enfin par le second Ptolémée (av. JC. 205-246), qui fit creuser un canal de 100 pieds de large, de 40 pieds de profondeur, de 37.500 pas de long, jusqu'aux Sources amères : il ne le continua pas plus loin, par la crainte de l'inondation, car on découvrit que le niveau de la mer Rouge est de trois coudées au-dessus du sol de l'Egypte ; d'autres n'attribuent pas à une crainte l'interruption du travail, mais ils disent que l'on eut peur que l'introduction de l'eau de mer ne gâtât l'eau du Nil, qui seule sert à la boisson. Néanmoins, tout ce trajet depuis la mer d'Egypte se fait par terre ; il y a trois itinéraires : l'un part de Péluse, et traverse les sables, où l'on ne peut retrouver son chemin qu'à l'aide de roseaux fixés en terre, à cause que les vents effacent la trace des pas. Un second commence à 2.000 pas au delà du mont Casius (VI, l2), et rejoint au bout de 60.000 la route de Péluse. Les Arabes Autéens habitent sur ce trajet. Le troisième part de Gerrhum qu'on appelle Sans-Soif, traverse le pays des mêmes Arabes, et est plus court de 60.000 pas ; mais il franchit d'âpres montagnes, et est pauvre en eau. Toutes ces routes aboutissent à Arsinoé, fondée dans le golfe de Charandra, sous le nom de sa soeur, par Ptolémée Philadelphe, qui, le premier, explora la Troglodytique, et qui appela Ptolémée un fleuve passant à Arsinoé. Puis est la petite ville d'Aennus, nom au lieu duquel d'autres écrivent Philotera ; au delà, les Azaréens, Arabes sauvages sortis des mariages avec les Troglodytes ; les îles de Sapirène et de Scytala ; puis des déserts jusqu'à Myoshormos, où est la source Tadnos ; le mont Aeas ; l'île Iambe ; plusieurs ports ; Bérénice, appelée ainsi du nom de la mère de Philadelphe, à laquelle, avons-nous dit (VI, 26, 8), on arrive de Coptos ; les Arabes Autéens, les Gébadéens.

XXXIV. La Troglodytique, que les anciens ont nommée Michoé, d'autres Midoé ; le mont Pentedactylos ; les îles Stenaedeirae (Cols étroits) en assez grand nombre, les îles Halonnèses en nombre non moins grand ; Cardamine ; Topazos, qui a donné son nom à la pierre précieuse (XXXVII, 32) ; un golfe rempli d'îles : celles qu'on appelle îles de Maréos ont de l'eau, celles qu'on appelle îles d'Eraton n'en ont pas, les rois d'Egypte y eurent des gouverneurs. Dans l'intérieur, les Candéens, qu'on appelle Ophiophages, accoutumés à se nourrir de serpents ; il n'y a pas de pays qui en produise davantage.

Juba, qui paraît avoir mis beaucoup d'exactitude dans la description de ces parages, y a omis, à moins que ce ne soit une faute des copistes, une autre Bérénice, surnommée Panchrysos (Tout-or), et une troisième, surnommée Epidires (Sur-le-col), remarquable par sa situation : elle est en effet, placée sur un col très allongé, là où le détroit de la mer Rouge sépare l'Afrique de l'Arabie par un intervalle de 7.500 pas. Là est l'île de Tytis, qui produit aussi des topazes.

Au delà, les forêts où est Ptolémaïs, fondée sur le lac Monoleus par Philadelphe, pour la chasse des éléphants, et surnommée par cette raison Epithéras (Pour-la-chasse) : cette région est celle dont nous avons parlé dans 2e livre (II, 75), et où, 45 jours avant le solstice d'été et 45 jours après, il n'y a pas d'ombre à midi ; dans les autres heures l'ombre est tournée au midi ; hors ces 90 jours, elle est tournée au nord ; au lieu qu'à la première Bérénice l'ombre disparaît, il est vrai, à midi, le jour même du solstice d'été, mais on ne remarque rien autre. Elle est à 602.000 pas de Ptolémaïs : grand exemple ! lieu témoin d'un prodige de l'esprit humain ! là la mesure du monde a été trouvée ; car, en partant du calcul incontestable des ombres, Eratosthène a pu indiquer la dimension de la terre. Puis vient la mer Azanienne ; le promontoire que quelques-uns ont appelé Hispalus ; le lac Mandalum ; l'île Colocasitis, et, en haute mer, plusieurs îles où abonde la tortue ; la ville de Suché : l'île de Daphnis ; la ville des Adulites, fondée par des esclaves fugitifs égyptiens : c'est le plus grand marché des Troglodytes et même des Ethiopiens ; elle est à cinq jours de navigation de Ptolémaïs ; on y porte beaucoup d'ivoire, des cornes de rhinocéros, des cuirs d'hippopotames, des écailles de tortues, des sphingies (sorte de singe), et des esclaves. Au delà, les Ethiopiens laboureurs ; les îles dites d'Aliaeos ; les îles Bacchias et Antibacchias ; l'île de Straton ; puis sur la côte d'Ethiopie un golfe inconnu, ce qui est étonnant, car les négociants trafiquent sur des points plus éloignés; le cap sur lequel est la source de Cucios, visitée des navigateurs ; au delà le port d'Isis, éloigné de la ville des Adulites de dix jours de navigation pour un vaisseau allant à rames, et où l'on porte la myrrhe de la Troglodytique ; deux îles en face du port, appelées Pseudopyles ; dans le port même deux îles appelées Pyles ; dans l'une d'elles des colonnes de pierre (VI, 32) portant des inscriptions en caractères inconnus ; au delà le golfe Abalite ; l'île de Diodore, et d'autres îles désertes ; sur le continent aussi, des déserts ; la ville de Gaza ; le cap et le port Mossylique, où l'on apporte le cinnamome ; Sésostris vint jusque-là avec son armée.

Quelques-uns placent au delà, sur le rivage une seule ville d'Ethiopie, Baragaza. Juba prétend qu'au promontoire Mossylique commence la mer Atlantique, et qu'à l'aide du Corus (vent du coucher d'été) on irait, longeant son royaume de Mauritanie, jusqu'à Cadix. Il ne faut pas omettre ici d'exposer toute sa manière de voir : suivant lui, du promontoire des Indiens, appelé Lepteacra et par d'autres Drepanum, il y a en ligne droite, en doublant Exusta, jusqu'à l'île Malchu, 1.500.000 pas ; de là au lieu qu'on nomme Scénéos, 225.000 ; de là à l'île d'Adanos, 150.000 ; ce qui fait jusqu'à la grande mer 1.875.000. Tous les autres ont pensé que la chaleur brûlante du soleil en empêchait la navigation. De plus, le commerce est en butte aux pirateries d'Arabes insulaires appelés Ascites (VI, 32), parce que, plaçant des planches sur deux outres de peau de boeuf, ils attaquent les navigateurs avec des flèches empoisonnées. Juba compte encore parmi les Troglodytes ceux qui sont nommés Thérothoes (Chacals-chasseurs), parce qu'ils atteignent le gibier à la course, de même que les Ichthyophages nagent aussi bien que les animaux marins, les Bargènes, les Zagères, les Chalybes, les Saxines, les Syrèques, les Darèmes, les Domazanes. De plus, il dit que les habitants des bords du Nil depuis Syène jusqu'à Méroé sont non des Ethiopiens, mais des Arabes ; que la ville d'Héliopolis, qui, avons-nous dit dans la description de l'Egypte (V, 9, 3), est non loin de Memphis, a aussi les Arabes pour fondateurs. Il y a même des auteurs qui enlèvent la rive ultérieure [orientale] du Nil à l'Ethiopie, et l'adjoignent à l'Afrique, dont les habitants se seraient répandus sur les deux rives à cause de l'eau. Quant à nous, laissant à chacun le soin de se faire une opinion là-dessus, nous allons énumérer les villes dans l'ordre de leur situation sur l'un et l'autre bord.

XXXV. Depuis Syène (V, 10), et d'abord sur la rive Arabique, la nation des Catadupes (V, 10, 4 et 16) ; puis les Syénites. Villes : Tacompsos, que quelques-uns ont appelée Thathice, Aranium, Sesanium, Sandura, Nasaudum, Anadoma, Cumara, Peta, Bochiana, Leuphithorga, Tantarène, Moechindira, Noa, Gophoa, Gystate, Mégéda, Léa, Rhemnia, Nupsia, Diréa, Pataga, Bagada, Dumana, Rhadata, où l'on adorait pour divinité un chat d'or; Boron dans les terres ; Mallos tout près de Méroé: telle est l'énumération de Bion.

Juba parle autrement : La ville de Megatichos sur une montagne, entre l'Egypte et l'Ethiopie, portant le nom de Myrsos chez les Arabes ; puis Tacompsos, Aranium, Sesanium, Pide, Mamuda, Corambis ; auprès de cette ville une source de bitume ; Hammodara, Prosda, Parenta, Mama, Tessara, Gallas, Zoton, Graucome, Emeum, les Pidibotes, les Hebdomecontacomètes, les Nomades vivant dans des tentes ; Cyste, Pemma, Gadagale, Paloïs, Primis, Nupsis, Daselis, Patis, Gambreves, Magase, Segasmala, Cranda, Denna, Cadeuma, Thena, Batha, Alana, Macum, Scammos, Gora dans une île ; puis Abala ; Androcalis, Sere, Mallos, Agoce.

Sur la rive Africaine, on cite : une autre Tacompsos portant le nom de la précédente, ou n'en étant peut-être qu'une partie : Magora, Sen, Edosa, Pelenaria, Pyndis, Magusa, Bauma, Linitima, Spintum, Sydopta, Gensora, Pindicitora, Agugo, Orsima, Suasa, Maumarum, Urbis, Mulon, ville que les Grecs ont appelée Hypaton ; Pagoargas, Zamnes, où commencent les éléphants ; Mamblia, Berresa, Cetuma. Il y eut jadis aussi en face de Méroé une ville nommée Epis, détruite avant que Bion n'écrivît.

Voilà les villes qu'on a citées jusqu'à Méroé ; aujourd'hui il n'en existe presque plus aucune, ni sur l'un ni sur l'autre côté. Toujours est-il que des soldats prétoriens, envoyés avec un tribun militaire, ont, dans ces derniers temps, annoncé n'avoir trouvé que des déserts, à l'empereur Néron, qui, entre autres guerres, songeait une expédition en Ethiopie. Les armes romaines y ont aussi pénétré du temps du dieu Auguste, sous la conduite de P. Pétronius, appartenant à l'ordre équestre, et préfet de l'Egypte. Cet officier emporta les seules villes qu'il trouva, dans l'ordre suivant : Pselcis, Primis, Aboccis, Phthuris, Cambusis, Attevas, Stadisis, où le Nil, se précipitant, enlève par son fracas l'ouïe aux habitants ; il saccagea aussi Napata ; le terme de son expédition fut à 970.000 pas de Syène. Ce ne sont cependant pas les armes romaines qui ont dépeuplé ce pays : l'Ethiopie a été écrasée par les guerres des Egyptiens, dans des alternatives de conquête et de servitude; elle avait été célèbre et puissante jusqu'à la guerre de Troie, sous le règne de Memnon (X, 37; XXXVII, 63) ; elle étendit même son empire jusqu'à la Syrie et aux côtes de notre mer (Méditerranée), du temps du roi Céphée ; cela se voit par la fable d'Andromède (V, 34).

Semblablement les dimensions en ont été diversement indiquées, d'abord par Dalion, qui se rendit bien au delà de Méroé, puis par Aristocréon, par Bion, par Basilis, et par Simonide le Jeune, qui même séjourna cinq ans à Méroé lorsqu'il écrivait sur l'Ethiopie. Timosthène, commandant des flottes de Philadelphe, a écrit, sans évaluer autrement la distance, que de Syène à Méroé il y avait 60 jours de marche ; Eratosthène, 625.000 pas ; Artémidore, 600.000 ; Sebosus, de l'extrémité de l'Egypte, 1.675.000, distance qui, suivant les auteurs qui viennent d'être nommés, est de 1.250.000. Mais toute discussion à ce sujet vient d'être terminée : les explorateurs envoyés par Néron ont rapporté que de Syène à Méroé il y avait 873.000 pas, ainsi supputés : de Syène à Hiera Sycaminos, 54.000 ; puis à Tama, 72.000 ; à la région des Evonymites, la première des Ethiopiens, 120.000 ; jusqu'à Acina, 54.000 ; jusqu'à Pitara, 25.000 ; jusqu'à Tergedum, 106.000 ; l'île Gagaudes est au milieu de ces parages. A partir de là, l'expédition vit des perroquets ; à partir d'une autre île, nommée Artigula, le sphingie (sorte de singe) (VIII, 30) ; à partir de Tergedum, des cynocéphales (VIII, 80) : de là à Napata, 80.000 pas ; cette petite ville est la seule qui subsiste parmi celles qui ont été citées (VI, 35, 4) ; de Napata à l'île de Méroé, 360.000. Autour de Méroé les herbes commencèrent à devenir plus vertes, et l'on aperçut quelque peu de forêt, et des traces de rhinocéros et d'éléphants. D'après ce rapport, la ville de Méroé est à 70.000 pas de l'entrée de l'île (Méroé) ; à côté est une autre île, dite de Tadu, qu'on rencontre en entrant par le bras droit du Nil, et qui fait un port ; la ville a peu d'édifices ; le pays est gouverné par une femme, la reine Candace, nom qui, depuis grand nombre d'années, passe de reine en reine. Hammon a ici aussi un temple révéré, et l'on trouve des chapelles dans toute la contrée ; au reste, au temps de la puissance des Ethiopiens, cette île jouissait d'un grand renom (V, 10). On rapporte qu'elle fournissait d'ordinaire 250.000 hommes armés, et qu'elle nourrissait 400.000 artisans. On dit qu'aujourd'hui encore les Ethiopiens sont partagés entre quarante cinq rois. (XXX.) Le pays entier a été appelé Aethérie, puis Atlantie, puis Ethiopie, d'Ethiops fils de Vulcain.

Il n'est pas étonnant que des formes monstrueuses d'hommes et d'animaux se produisent vers l'extrémité de l'Ethiopie ; car le feu, élément mobile, est l'artisan de la configuration du corps et de la ciselure des formes. Toujours est-il qu'on dit qu'au fond de sa partie orientale sont des peuples sans nez, dont toute la face est plane ; d'autres sans lèvre supérieure, d'autres sans langue ; quelques-uns, ayant la bouche close et privés de narine, ne respirent que par un pertuis qui sert aussi de passage à la boisson, aspirée à l'aide d'un tuyau d'avoine, et à la nourriture, consistant en grain de la même plante, qui croît spontanément. Certains ne parlent que par signes et gestes ; il en est à qui l'usage du feu a été inconnu jusqu'au règne de Ptolémée Lathyre. Des auteurs ont aussi rapporté que la nation des Pygmées (VI, 22) était entre des marais qui seraient l'origine du Nil.

Reprenons la côte (VI, 34, 5) au point où nous l'avons quittée : des montagnes continues rouges, et paraissant enflammées. Toute cette contrée est au-dessus des Troglodytes et de la mer Rouge à partir de Méroé. Pendant trois jours de marche, de Napata à la mer Rouge, de l'eau de pluie est conservée en plusieurs lieux pour la boisson, et le pays intermédiaire est très fécond en or. Au delà sont les Atabules, nation éthiopienne ; puis, en face de Meroé, les Mégabares, nommés par quelques-uns Adiabares, et occupant la ville d'Apollon : une partie d'entre eux est nomade, et se nourrit de chair d'éléphant ; en face, sur le côté africain, les Macrobiens ; de l'autre côté, à partir des Mégabares, les Memnons et les Davelles, les Critenses à une distance de vingt jours de marche ; au delà les Doches, puis les Gymnètes toujours nus ; les Andères, les Mathites, les Mésagèbes, les Hipporéens, d'une couleur noire et se mettant sur tout le corps une couche de rouge; sur le côté africain, les Médimnes ; les Nomades vivant du lait des singes cynocéphales, les Olabes, les Syrbotes, qui sont, dit-on, hauts de huit coudées (VII, 2).

Aristocréon rapporte que du côté de la Libye, à cinq jours de marche de Méroé, est la ville de Tole, et de là à douze journées Esar, ville des Egyptiens qui avaient fui Psammétique : on dit qu'ils y ont résidé trois cents ans, et qu'en face, du côté de l'Arabie, est la ville de Daron, qui leur appartient. Au contraire, Dion appelle Sape ce que celui-ci appelle Esar ; il dit que ce nom signifie étrangers, que leur capitale est Sembobitis dans une île, et qu'ils ont une troisième ville, Saï, en Arabie. Entre les montagnes et le Nil sont les Symbares, les Paluogges ; dans les montagnes mêmes les Asaches (VIII, 23), divisés en plusieurs nations qui, dit-on, sont à cinq jours de marche de la mer, et qui vivent de la chasse des éléphants ; une île dans le Nil, qui appartient aux Semberrites et qui obéit à une reine ; plus loin, durant huit journées de marche, les Ethiopiens Nubéens, leur ville Tenupsis placée sur le Nil ; les Sambres, chez qui tous les quadrupèdes, même les éléphants, sont sans oreilles; sur le côté africain, les Ptoembares, les Ptoemphanes qui ont un chien pour roi, et qui jugent de ses ordres d'après ses mouvements; les Auruspes, dans une ville située loin du Nil ; les Achisarmes, les Phaliges, les Marigères, les Casamarres.

Bion cite d'autres villes dans les îles, le trajet entier étant de Sembobitis à Méroé de vingt journées de marche : dans l'île la plus voisine de Méroé, la ville des Semberrites, sous une reine ; un autre Asar ; la ville de Daron, dans une autre île ; une troisième île nommée Médoé, où est la ville d'Asel ; une quatrième, nommée Garode comme la ville ; puis sur les rives les villes de Navos, Modundam, Andatim, Secundum, Colligat, Secande, Navectabe, Cumi, Agrospi, Aegipa, Candrogari, Araba, Summara.

La région au dessus de Sirbitum, où cessent les montagnes, renferme, d'après quelques auteurs, les Ethiopiens maritimes, les Nisicastes, les Nisites, mot qui signifie homme à trois et quatre yeux ; non qu'ils soient ainsi conformés, mais parce qu'ils excellent a lancer les flèches. Du côté du Nil, qui s'étend au-dessus des grandes Syrtes et de l'océan méridional, Dalion dit que ce sont des peuples n'usant que d'eau de pluie, appelés Cisores, Longopores ; qu'à partir des Oecalices (V, 8), à cinq journées de marche, sont les Usibalques, les Isuèles, les Pharusiens, les Valiens, les Cispiens. Le reste est désert ; puis viennent des espaces livrés aux fables. A l'ouest sont les Nigres, dont le roi n'a qu'un oeil, et dans le front ; les Agriophages, qui se nourrissent surtout de chair de panthère et de lion ; les Pamphages, qui mangent de tout ; les Anthropophages, qui se nourrissent de chair humaine ; les Cynamolges, qui ont des têtes de chien ; les Artabatites, qui errent comme les quadrupèdes sauvages ; puis les Hespériens, les Pérorses, qui, avons-nous dit (V, 1, 10 et 8, 1), sont sur les confins de la Mauritanie. Une partie des Ethiopiens ne vivent que de sauterelles fumées et salées, dont ils font provision pour l'année; ces hommes ne passent pas quarante ans.

D'après Agrippa, le pays entier des Ethiopiens avec la mer Rouge, a en long 2.170.000 pas ; en large, avec l'Egypte supérieure, 1.298.000. Quelques uns ont détaillé ainsi la longueur : de Meroé à Sirbitum, une navigation de douze journées ; de là aux Davelles, douze ; des Davelles à l'océan Ethopique, six jours de marche ; en somme la plupart des auteurs s'accordent à compter, de l'Océan à Méroé, 625.000 pas ; de là à Syène il y a la distance que nous avons indiquée (VI, 35, 6). L'Ethiopie est orientée du levant d'hiver au couchant d'hiver ; la partie qui est au midi a de vastes forêts ou l'ébène domine ; dans son milieu, une haute montagne, penchée sur la mer, brûle de feux éternels ; les Grecs l'ont appelée Théon ochéma (Char des dieux). De là, en quatre jours de navigation, on arrive au promontoire nommé Hesperion ceras (Corne occidentale), touchant à l'Afrique, près des Ethiopiens hespériens. Quelques-uns placent aussi dans ces parages des collines d'une médiocre hauteur, couvertes d'ombrages agréables, et séjour des Aegipans et des Satyres (V, 8).

XXXVI. (XXXI.) Un grand nombre d'îles sont dans cette mer, d'après Ephore, Eudoxe et Timosthène ; Clitarque dit qu'on parla à Alexandre d'une île tellement riche, que les habitants donnaient un talent d'or pour un cheval ; d'une autre, où l'on trouve un mont Sacré couvert d'une forêt épaisse, dont les arbres laissaient couler un parfum d'une suavité merveilleuse. En face du golfe de Perse est une île nommée Cerné, opposée à l'Ethiopie : on n'en connaît ni la grandeur ni la distance au continent. On dit que la population en est exclusivement éthiopienne. Ephore rapporte que les navigateurs qui y cinglent de la mer Rouge ne peuvent s'avancer, à cause des chaleurs, au delà de certaines colonnes: on appelle ainsi de petites îles. D'après Polybe, Cerné est à huit stades (mètres 1.472) du continent, en face du mont Atlas, à l'extrémité de la Mauritanie. D'après Cornélius Népos, elle est à peu près à l'opposite de Carthage à 1.000 pas du continent, et n'a pas plus de 2.00 pas de tour. On parle encore d'une île Atlantis, en face de l'Atlas, et tirant d'Atlas son nom comme la montagne. A cinq jours de navigation de cette île sont des solitudes jusqu'aux Ethiopiens Hespériens, et au promontoire que nous avons appelé Corne occidentale, point où le front de la terre ferme commence à s'infléchir vers le couchant et vers la mer Atlantique. On cite encore en face de ce promontoire les îles Gorgades, jadis le séjour des Gorgones, à deux jours de navigation du continent, ainsi que le rapporte Xénophon de Lampsaque. Hannon, général des Carthaginois, y a pénétré, et il a rapporté que les femmes avaient le corps velu, que les hommes s'échappèrent par la rapidité de leur course; et il consacra dans le temple de Junon, en témoignage de son expédition et comme curiosité, les peaux de deux Gorgones, qu'on y a vues jusqu'à la prise de Carthage. Plus loin encore que les îles Gorgades, sont, dit-on, deux îles des Hespérides. Au reste, tout cela est tellement incertain, que Statius Sebosus a évalué la distance entre les îles des Gorgones et les îles des Hespérides à quarante journées de navigation le long de l'Atlas, et à une journée de navigation la distance entre les Hespérides et la Corne occidentale. Les renseignements sur les îles de la Mauritanie ne sont pas plus certains. On sait seulement qu'il y en a quelques-unes en face des Autololes (V, 1, 9), découvertes par Juba, qui y avait établi des fabriques de pourpre de Gétulie (IX, 60).

XXXVII. (XXXII.) Des auteurs rapportent qu'au delà sont les îles Fortunées et quelques autres. Le même Sebosus est allé jusqu'à en donner le nombre et les distances, disant que Junonia est à 750.000 pas de Cadix ; que Pluvialia et Capraria sont à cette même distance de Junonia, vers l'occident ; que dans Pluvialia il n'y a pas d'autre eau que l'eau de pluie; qu'à 250.000 pas sont les îles Fortunées, à la gauche de la Mauritanie, sur la ligne de trois heures de l'après-midi (sud-ouest) ; qu'une île est appelée Convallis à cause de ses concavités, et une autre Planaria à cause de son apparence; que le tour de Convallis est de 350.000 pas, et que les arbres s'y élèvent à la hauteur de 114 pieds.

Voici le résultat des recherches de Juba sur les îles Fortunées : il les place aussi au midi auprès du couchant, à 625.000 pas des îles Purpuraires (VI, 36, 4) ; de sorte qu'on navigue pendant 250.000 pas au-dessus du couchant, puis on va à l'est pendant 375.000 pas. La première, nommée Ombrios, ne porte aucune trace d'édifices : elle a en ses montagnes un étang, des arbres semblables à la férule (XIII, 42). On extrait une eau amère de ceux qui sont noirs, une eau agréable à boire de ceux qui sont blancs. Une autre île s'appelle Junonia ; on n'y voit qu'un petit temple bâti en pierre ; dans le voisinage est une île de même nom, plus petite ; puis vient Capraria, remplie de grands lézards. En vue de ces îles est Nivaria, qui a pris ce nom de ses neiges perpétuelles, et qui est couverte de brouillards. La plus voisine de Nivaria est Canaria, appelée ainsi des chiens d'une grandeur énorme qui y abondent ; on en amena deux au roi Juba : on y aperçoit des vestiges d'édifices. Toutes ces îles ont en abondance des arbres fruitiers et des oiseaux de toute espèce. De plus, Canaria est pleine de bois de palmiers à dattes (XIII, 9), et de pommes de pin. Il y a aussi du miel en grande quantité; on trouve dans les rivières du papyrus et des silures (IX, 17). Ces îles sont infectées par la putréfaction des animaux que la mer rejette continuellement sur leurs côtes.

XXXVIII. Mais nous avons suffisamment décrit le globe terrestre, tant dans les continents qu'en dehors; il faut maintenant résumer la mesure des mers. (XXXIII) D'après Polybe, on compte depuis le détroit de Cadix, en droite ligne, jusqu'à l'embouchure du Palus-Méotide, 3.437.500 pas ; du même point de départ, en droite ligne à l'orient, jusqu'à la Sicile, 1.260.500 pas; de là à la Crète, 375.000 ; de là à Rhodes, 183.500 : de là aux îles Chélidoniennes, autant ; de là à Chypre, 322.500 ; de là à Séleucie Pieria de Syrie, 115.000, ce qui fait une somme de 2.440.000 pas. Agrippa estime ce même intervalle depuis le détroit de Cadix jusqu'au golfe d'Issus, en ligne directe, à 3.440.000 pas ; mais je ne sais s'il n'y a pas là une erreur de chiffres, car le même auteur n'évalue la distance du détroit de Sicile à Alexandrie qu'à 1.250.000 pas. Tout le circuit le long des golfes indiqués est, à partir du détroit de Cadix jusqu'au Palus-Méotide, de 10.056.000 pas. Artémidore en ajoute 753.000 ; et, y compris le Palus-Méotide, il évalue ce circuit à 17.390.000. Telle est la mesure donnée par des hommes qui vont sans armes, et avec une audace pacifique, provoquer la fortune. Maintenant comparons la grandeur des diverses parties du monde, quelque difficulté qui naisse de la diversité des auteurs : on s'en fera la meilleure idée, si l'on ajoute la longueur à la largeur. D'après cette manière de compter, la grandeur de l'Europe est de 8.294.000 pas. L'Afrique (pour prendre la moyenne des évaluations données par les auteurs) a en longueur 3.794.000 pas ; la largeur dans la partie cultivée, n'excède jamais 250.000 pas ; mais comme Agrippa l'estime dans la Cyrénaïque à 910.000 pas, y comprenant les déserts jusqu'à ce qu'on connaissait du pays des Garamantes, la somme qui entre en ligne de compte est de 4.608.000 pas. La longueur de l'Asie est, de l'aveu commun, de 6.375.000 (V, 9); la largeur, qui doit s'en compter depuis la mer Ethiopienne jusqu'à Alexandrie, située près du Nil, de manière à passer par Méroé et Syène, est de 1.875.000. En résumé, l'Europe est plus grande que l'Asie, d'un peu moins de la moitié de l'Asie, et plus grande que l'Afrique d'une fois l'Afrique et un sixième. En réunissant toutes ces sommes, on verra que l'Europe est un peu plus du tiers et un huitième de la terre entière, que l'Asie en est le quart et un quatorzième et l'Afrique le cinquième et un soixantième.

XXXIX. Nous ajouterons encore une théorie d'invention grecque, et excessivement ingénieuse, afin que rien ne manquer dans la contemplation de la géographie, et que l'indication des régions fasse voir les liens qui les rattachent, c'est-à-dire quels en sont les rapports pour la durée des jours et des nuits, et quelles sont celles qui ont des ombres égales et une même hauteur sous le pôle. Donnons donc ce détail, et rapportons la terre entière aux divisions du ciel. Ces segments du monde que les Latins ont appelés cercles, et les Grecs parallèles, sont nombreux.

(XXXIV.) Le premier commence à la partie de l'Inde tournée vers le midi : il s'étend jusqu'à l'Arabie et aux riverains de la mer Rouge ; il comprend la Gédrosie, la Perse, la Carmanie, l'Elymaïde, la Parthyène, l'Arie, la Susiane, la Mésopotamie, Séleucie surnommée Babylonienne, l'Arabie jusqu'à Pétra, la Coele Syrie, Péluse, la partie inférieure de l'Egypte, ce qu'on appelle la Chora (région) d'Alexandrie, les parties maritimes de l'Afrique, toutes les villes de la Cyrénaïque, Thapsus, Adrumetum, Clupea, Carthage, Utique, les deux Hippones, la Numidie, les deux Mauritanies, la mer Atlantique, les Colonnes d'Hercule. Dans cette zone, au jour de l'équinoxe, à midi, l'indice qu'on appelle gnomon, de 7 pieds de long, ne donne pas une ombre de plus de 4 pieds ; la nuit la plus longue et le jour le plus long sont de 14 heures équinoxiales ; les plus courts, de 10 heures.

Le parallèle suivant commence à l'Inde, qui regarde le couchant ; il passe par le milieu du pays des Parthes, Persépolis, le nord de la Perse, l'Arabie citérieure, la Judée, le mont Liban; il embrasse Babylone, l'Idumée, la Samarie, Jérusalem, Ascalon, Joppé, Césarée, la Phénicie, Ptolemaïs, Sidon, Tyr, Béryte, Botrys, Tripolis, Byblos, Antioche, Laodicée, Séleucie, les parties maritimes de la Cilicie, le midi de Chypre, la Crète, Lilybée en Sicile, le nord de l'Afrique et de la Numidie. A l'équinoxe, le gnomon de 35 pieds donne une ombre de 24 pieds. Le plus grand jour et la plus grande nuit sont de 14 heures équinoxiales et un cinquième.

Le troisième parallèle commence aux Indiens voisins de l'Imaüs ; il passe par les portes Caspiennes les plus voisines de la Médie, la Cataonie, la Cappadoce, le Taurus, l'Amanus, Issus, les portes de Cilicie, Solae, Tarse, Chypre, la Pisidie, Side de Pamphylie, la Lycaonie, Patara de Lycie, le Xanthe, Caunus, Rhodes, Cos, Halicarnasse, Gnide, la Doride, Chios, Délos, les Cyclades moyennes, Gythium (IV, 8), Malée, Argos, la Laconie, l'Elide, Olympie, Messène du Péloponnèse, Syracuse, Catane, le milieu de la Sicile, le midi de la Sardaigne, Carteia, Cadix. Un gnomon de 100 parties donne une ombre de 77 parties. Le jour le plus long est de 14 heures équinoxiales et une demie plus un trentième.

Sous le quatrième parallèle sont les pays situés de l'autre côté de l'Imaüs, le midi de la Cappadoce, la Galatie, la Mysie, Sardes, Smyrne, Sipylus, le mont Tmolus de Lydie, la Carie, l'Ionie, Tralles, Colophon, Ephèse, Milet, Samos, Chios, la mer Icarienne, les Cyclades septentrionales, Athènes, Mégare, Corinthe, Sicyone, l'Achaïe, Patras, l'Isthme, l'Epire, le nord de la Sicile, le levant de la Gaule Narbonnaise, le littoral de l'Espagne à partir de Carthagène, et de là au couchant. A un gnomon de 21 pieds répondent des ombres de 17 ; le jour le plus long est de 14 heures équinoxiales et deux tiers.

Au cinquième parallèle appartiennent, depuis l'entrée de la mer Caspienne (VI, 15, 1), Bactres, l'Ibérie, l'Arménie, la Mysie, la Phrygie, l'Hellespont, la Troade, Ténédos, Abydos, Scepsis, Ilion, le mont Ida, Cyzique, Lampsaque, Sinope, Amisus, Héraclée dans le Pont, la Paphlagonie, Lemnos, Imbros, Thasos, Cassandrie, la Thessalie, la Macédoine, Larisse, Amphipolis, Thessalonique, Pella, Aedessa, Beroea, Pharsale, Caryste, l'Eubée du côté de la Béotie, Chalcis, Delphes, l'Acarnanie, l'Etolie, Apollonie, Brindes, Tarente, Thurium, Locres, Rhegium, la Lucanie, Naples, Putéoles, la mer Etrusque, la Corse, les îles BaIéares, le milieu de l'Espagne ; 7 pieds au gnomon, 6 à l'ombre. La plus grande longueur du jour est de 15 heures équinoxiales.

Le sixième parallèle, où se trouve la ville de Rome, embrasse les nations Caspiennes, le Caucase, le nord de l'Arménie, Apollonie sur le Rhyndacus, Nicomédie, Nicée, Chalcédoine, Byzance, Lysimachie, la Chersonèse, le golfe Mélas, Abdère, la Samothrace, Maronée, Aenos, la Bessique, la Thrace, la Nordique, la Péonie, l'Illyrie, Dyrrachium, Canusium, l'extrémité de l'Apulie, la Campanie, l'Etrurie, Pise, Luna, Lucques, Gênes, la Ligurie, Antipolis, Marseille, Narbonne, Tarragone, le milieu de l'Espagne Tarragonaise, et de là le travers de la Lusitanie. Au gnomon, 9 pieds ; à l'ombre, 8. Le plus long jour est de 15 heures équinoxiales, plus un neuvième, ou, d'après Nigidius, un cinquième.

Le septième parallèle commence à l'autre côté de la mer Caspienne, et s'étend sur Calatis, le Bosphore, le Borysthène, Tomes, le revers de la Thrace, les Triballes, le reste de l'Illyrie, la mer Adriatique, Aquilée, Altinum, la Vénétie, Vicence, Padoue, Vérone, Crémone, Ravenne, Ancône, le Picenum, les Marses, les Péligniens, les Sabins, l'Ombrie, Ariminium, Bologne, Plaisance, Milan, et tout ce qui est à partir de l'Apennin, et, au delà des Alpes, la Gaule Aquitanique, Vienne, les Pyrénées, la Celtibérie. A un gnomon de 35 pieds répond une ombre de 36, de telle sorte cependant que dans une partie de la Vénétie l'ombre est égale au gnomon. Le jour le plus long est de 15 heures équinoxiales et trois cinquièmes.

Jusqu'à présent nous avons exposé les observations des anciens. Les modernes les plus exacts ont rapporté le reste de la terre à trois parallèles : l'un part du Tanaïs, traverse le Palus-Méotide, les Sarmates jusqu'au Borysthène, et embrasse les Daces, une partie de la Germanie, les Gaules, et les rivages de l'Océan ; il est de seize heures. Le second comprend les Hyperboréens et l'île de Bretagne ; il est de dix-sept heures. Le dernier est le parallèle Scythique, depuis les monts Riphées jusqu'à Thulé, où, comme nous l'avons dit (IV, 26, 11), l'année se partage en un jour et une nuit. Les mêmes auteurs ont placé, avant notre premier parallèle, deux autres parallèles : le premier passant par l'île Méroé et Ptolémaïs, fondée sur la mer Rouge pour la chasse des éléphants, et ayant le jour le plus long de douze heures et demie ; le second passant par Syène d'Egypte, et étant de treize heures; puis ainsi de suite, de demi-heure en demi-heure, jusqu'au dernier parallèle. Ainsi finit la partie géographique.


Traduction par Emile Littré (1855)