II, 2 - Considérations générales
1. Voyons maintenant ce que dit Posidonius dans sa Description de l'Océan. Comme cet auteur paraît avoir traité son sujet surtout au point de vue de la géographie, tantôt de la géographie proprement dite, tantôt de la géographie plus spécialement mathématique, on ne trouvera point étrange que nous nous soyons proposé d'examiner aussi quelques-unes de ses opinions soit ici même, soit dans le courant de notre ouvrage, au fur et à mesure que l'occasion s'en présentera, sans vouloir pourtant donner à notre examen un développement démesuré. Une première question éminemment géographique, est celle qu'aborde Posidonius quand il suppose la sphéricité de la terre et du monde et qu'il admet comme une des conséquences légitimes de cette hypothèse la division de la terre en cinq zones.
2. C'est à Parménide qu'il attribue la première idée de cette division en cinq zones, mais il ajoute que ce philosophe prêtait par le fait à la zone torride une largeur double de celle qu'elle a réellement, en lui faisant dépasser les tropiques de manière à ce qu'elle empiétât de part et d'autre sur les zones tempérées. Posidonius rappelle ensuite comment Aristote donnait le nom de zone torride à la région comprise strictement entre les tropiques et celui de zones tempérées aux deux régions comprises entre les tropiques et les cercles arctiques. Mais il condamne ce second système comme le premier et en fait il a raison. Suivant lui, le nom de zone torride ne s'applique qu'à la région que la chaleur rend inhabitable ; or, dans la légion comprise entre les tropiques, la partie inhabitable ne représente qu'un peu plus de la moitié de la largeur totale, à en juger par l'étendue du pays que les Ethiopiens habitent au-dessus de l'Egypte : l'équateur, en effet, divise exactement par la moitié tout l'intervalle des tropiques, et, si l'on compte depuis Syène, limite du tropique d'été, jusqu'à Méroé, 5000 stades, plus 3000 jusqu'au parallèle de la Cinnamômophore, seuil de la zone torride, 8000 stades en tout pour un espace d'ailleurs facile à mesurer, puisqu'on le parcourt à volonté et par mer et par terre, le reste, jusqu'à l'équateur s'entend, se trouve être, d'après l'évaluation que donne Eratosthène de l'étendue totale de la terre, de 8800 stades, d'où il suit que l'intervalle des tropiques, par rapport à la largeur de la zone torride, sera comme 16000 [lis. 16800] est à 8800. Et adoptât-on de toutes les évaluations récemment faites celle qui réduit le plus l'étendue de la terre, celle de Posidonius, par exemple, qui la fait de 180 000 stades, tout au plus trouverait-on que la zone torride équivaut à la moitié ou à un peu plus de la moitié de l'intervalle des tropiques, maison ne trouverait jamais qu'elle pût être égale à cet intervalle et se confondre pleinement avec lui. En outre, ajoute Posidonius, comment peut-on faire des cercles arctiques, qui n'existent point pour tous les climats et qui ne sont point partout les mêmes, les bornes ou limites des zones tempérées, lesquelles sont immuables ? Cette circonstance, à vrai dire, que les cercles arctiques n'existent pas pour tous les climats, n'a pas grande valeur comme objection, puisqu'ils existent nécessairement pour tous les habitants des zones tempérées et que ces zones qui plus est ne sont dites tempérées que par rapport à ces cercles. L'autre circonstance, en revanche, qu'ils ne sont pas partout les mêmes et qu'ils sont sujets à varier est un argument excellent.
3. Pour ce qui est du nombre des zones, Posidonius convient qu'au point de vue astronomique il est indispensable d'en compter cinq : deux zones périsciennes s'étendant sous les pôles et jusqu'aux pays pour lesquels les tropiques tiennent lieu de cercles arctiques ; deux zones hétérosciennes à la suite de celles-là, s'étendant jusqu'aux pays placés sous les tropiques ; enfin une zone amphiscienne, comprise entre les tropiques mêmes. Mais, au point de vue ethnographique, il fait intervenir deux zones de plus, deux zones étroites, placées sous les tropiques mêmes, qui les partagent chacune par la moitié, et exposées tous les ans, pendant une quinzaine de jours environ, aux rayons verticaux du soleil. A l'entendre, le caractère distinctif de ces deux zones est d'être aussi sèches, aussi sablonneuses que possible et de ne produire que du silphium et un peu de grain, d'une espèce semblable au froment, mais tout grillé par le soleil. «Comme en effet, dit-il, il n'y a pas de montagnes dans le voisinage de ces contrées, les nuages n'ont rien qui les arrête dans leur course et les fasse se résoudre en pluies ; on n'y trouve pas davantage de grands fleuves qui les traversent et les arrosent, aussi n'y rencontre-t-on que des races aux poils frisés, aux cornes torses, aux lèvres proéminentes, et au nez épaté, les extrémités des membres s'y recroquevillant, pour ainsi dire, par l'effet de la chaleur. Là aussi habitent les populations ichthyophages. Et ce qui prouve, ajoute Posidonius, que ce sont bien là des caractères particuliers à ces zones, c'est qu'au sud le climat redevient plus tempéré et le sol plus fertile et mieux arrosé».