VIII, 4 - La Messénie
Carte Spruner (1865) |
1. La Messénie, qui fait suite à l'Elide, regarde principalement le midi et la mer de Libye. Elle se trouvait, à l'époque de la guerre de Troie, faire partie intégrante de la Laconie, et, comme telle, était rangée sous la domination de Ménélas. On l'appelait alors Messène. Quant à la ville qui porte aujourd'hui ce nom, et qui eut longtemps pour acropole le mont Ithome, elle n'était pas encore bâtie. Après la mort de Ménélas, les rois de Laconie, ses successeurs, ne tardèrent pas à décliner, les Nélides en profitèrent pour étendre leur autorité sur la Messénie même. C'est ainsi que nous trouvons, lors du retour des Héraclides et du partage qui s'ensuivit, la Messénie indépendante sous un roi national, Mélanthus. Mais auparavant, je le répète, elle obéissait à Ménélas. On en a la preuve dans ce fait, que les sept villes promises par Agamemnon à Achille étaient toutes situées sur les bords du golfe de Messénie et du golfe adjacent d'Asiné, lequel tire son nom apparemment de l'Asiné de Messénie :
«C'étaient Cardamyle, Enopé, et la verdoyante Hira, et Phères la divine,
et Anthée aux vastes pâturages, et la belle Aepée et Pédase riche en vignes» (Il. IX, 150).
Agamemnon eût-il promis, en effet, de donner ce qui n'était ni à lui ni à son frère ? J'ajoute que le poète fait figurer ailleurs (Ibid. II,
582) les Phéréens parmi les soldats ou compagnons de Ménélas et que la ville [d'Oetylus] indiquée comme faisant partie du Catalogue ou contingent
laconien se trouve également située sur le golfe de Messénie. - L'antique Messène et la Triphylie se touchaient et la pointe [de Cyparissie] qui
précède le Coryphasium marquait la limite commune. Une autre montagne, l'Aegaléôn distante de sept stades du Coryphasium et de la mer, court dans l'intérieur
parallèlement à la côte.
2. L'ancien Pylos de Messénie était au pied même de l'Aegaléôn, mais il fut détruit de fond en comble et c'est au pied du Coryphasium qu'une partie des
habitants rebâtit la Ville Neuve. Celle-ci, à son tour, fut occupée par le corps d'armée d'Eurymédon, lors de la seconde expédition des Athéniens
en Sicile sous l'archontat de Stratoclès et devint, aux mains des Athéniens, une sorte de boulevard dirigé contre Lacédémone. Sur ce même point de la
côte se trouvent Cyparissie de Messénie, [l'île Proté], et, plus près de terre, contiguë à Pylos, nie Sphagie ou Sphactérie, où les
Lacédémoniens eurent trois cents des leurs assiégés et pris par les Athéniens. Plus au large au contraire, à 400 stades environ du continent et en
pleine mer méridionale ou libyque, sont les deux îles Strophades. Thucydide fait de ce second Pylos le principal port de la Messénie. Sa distance par rapport à Sparte
est de 400 stades.
3. Vient ensuite Méthone, la Pédase d'Homère à ce qu'on croit et l'une des sept villes promises par Agamemnon à Achille. C'est ici, à Méthone,
où il était entré de vive force avec sa flotte, qu'Agrippa, durant la guerre d'Actium, fit mettre à mort, comme factieux et partisan d'Antoine, Bogus, roi de
Manrusie.
4. Le promontoire Acritas, qui succède immédiatement à Méthone, marque l'entrée du golfe de Messénie, appelé quelquefois aussi golfe
Asinéen du nom de la petite ville d'Asiné, qui est la première qu'on y rencontre et qu'il ne faut pas confondre avec son homonyme du territoire d'Hermione. Mais c'est ici
l'entrée occidentale ; du côté de l'E., le golfe commence aux îles Thyrides, lesquelles touchent en quelque sorte aux cantons laconiens du Cinaethium et du
Ténare. Remontons maintenant à partir des îles Thyrides, nous remarquons dans l'intervalle Oetylus, ou, comme on l'appelle quelquefois Boetylus, puis Leuctrum, colonie de
Leuctres en Béotie, Cardamyle, au haut d'un roc escarpé, et, après Cardamyle, Phères, qui touche à Thurie et à cette ville ou localité de
Gérènes, dont nous avons déjà parlé ci-dessus, et de qui l'on veut que Nestor ait emprunté son surnom de Gérénien pour y avoir dans un
temps cherché et trouvé asile. On peut voir dans les environs de Gérènes un temple d'Esculape Triccéen, ainsi nommé de ce qu'il est la copie exacte de
celui de Tricca en Thessalie. Suivant la tradition, Pélops aurait fondé Leuctrum, ainsi que Charadre et Thalamee (aujourd'hui Boeoti), à l'occasion du mariage de sa soeur
Niobé avec Amphion et au moyen d'un certain nombre de colons ramenés de Béotie. Près de Phères est l'embouchure du Nédon : ce fleuve, qui coule
à travers la Laconie, est distinct de la Néda et a sur ses bords un temple célèbre dédié à Minerve Nédnsienne. A Peeaessa se trouve aussi
un temple de Minerve Nédusienne, mais celui-ci tire son nom d'une ville ou localité de Nédon, qu'on assure avoir été la patrie de Téléclus et la
métropole de Poeaessa, d'Echées et de Tragium.
5. Des sept villes promises par Agamemnon à Achille, trois, Cardamyle, Phères et Pédase, ont été déjà reconnues, passons à Enopé.
Suivant quelques auteurs, cette ville serait la même que Pellana ; suivant d'autres, elle se retrouve dans certaine localité voisine de Cardamyle ; d'autres enfin l'identifient
avec Gérénie. Quant à Hira, les uns la placent dans la montagne sur le chemin qui mène de la ville d'Andanie (la même, avons-nous dit, que l'Oechalie
d'Homère) à la ville de Mégalopolis en Arcadie ; d'autres la reconnaissent dans la ville actuelle de Mésola, dont le territoire s'étend jusqu'au golfe et se
trouve compris entre le Taygète et le canton de Messène. Puis vient Aepée, connue aujourd'hui sous le nom de Thurie. Proche voisine, on la vu, de Phères ou de
Pharées, Thurie est bâtie sur une colline très haute et c'est cette situation qui lui avait valu son premier nom. De ce même nom de Thurie on a appelé Thuriate
la partie du golfe où se trouvait isolée, juste en face du Ténare, l'ancienne ville de Rhium. Enfin l'on a proposé pour représenter Anthée soit cette
même ville de Thurie (auquel cas Aepée devient Méthone), soit la position intermédiaire d'Asiné, qui est effectivement, de toutes les villes de la
Messénie, celle dont l'emplacement comporterait le mieux l'épithète de Bathuleimon, sans compter qu'elle se trouve avoir dans son voisinage la ville maritime de
Coroné et que celle-ci passe aux yeux de certains auteurs pour être la Pédase même d'Homère. Toujours est-il que ces villes sont bien, comme avait dit le
poète, «toutes situées près de la mer» : Cardamyle s'élève sur le rivage même, Phères ou Phase n'en est qu'à cinq stades et
possède une station d'été pour les navires, et les autres sont également toutes plus ou moins rapprochées de la côte.
6. Non loin de Coroné, à peu près vers le milieu du golfe, débouche le fleuve Pamisus. Par rapport à ce fleuve, Coroné est à droite, ainsi que
les villes qui se succèdent sur la côte dans la direction du couchant jusqu'à Pylos et à Cyparissie, notamment Eranna qui se trouve placée entre ces deux
dernières et que l'on a confondue quelquefois, mais à tort, avec l'Aréné d'Homère. Thurie et Pharées, au contraire, sont à gauche. Le Pamisus
est le fleuve le plus considérable qu'il y ait en deçà de l'isthme, bien que son cours entier, depuis ses sources et à travers les plaines de la Messénie et
de la Macarie, qu'il arrose d'ailleurs largement, ne mesure pas plus de cent stades de longueur. Il passe à cinquante stades de Messène, chef-lieu actuel de la Messénie. On
connaît bien encore un autre Pamisus, mais c'est un cours d'eau de peu d'importance, une espèce de torrent, qui coule aux environs de Leuctrum en Laconie, et le même qui
donna lieu naguère, par devant Philippe, à cette contestation entre les Messéniens et les Lacédémoniens. Enfin, l'on a vu plus haut que le nom de Pamisus
avait été donné quelquefois au fleuve Amathus.
7. Ephore raconte comment Cresphonte, une fois maître de Messène, partagea le pays entre cinq villes, choisit celle de Stényclaros, à cause de sa position centrale,
pour en faire sa propre résidence, et envoya des [rois] dans les quatre autres, à savoir dans Pylos, dans Rhium, dans [Mésola] et dans Hyamitis, conférant à
tous les Messéniens sans exception les mêmes droits qu'aux Doriens. Mais l'indignation des Doriens l'ayant fait revenir sur cette mesure, Stényclaros eut seule le titre de
ville et il y réunit tous ses sujets doriens d'origine.
8. Messène ressemble à Corinthe : au-dessus de chacune de ces deux cités, en effet, et comprise dans leur enceinte même de manière à pouvoir leur servir
de citadelle ou d'acropole, s'élève une montagne très haute, très escarpée, ici l'Ithome, là l'Acrocorinthe. Cette ressemblance avait frappé
Démétrius de Pharos, et, en homme avisé, ce semble, sachant que Philippe, fils de Démétrius, ne désirait rien tant que de se voir maître de tout
le Péloponnèse, il lui avait conseillé de s'assurer d'abord de ces deux villes : «Une fois que vous tenez les deux cornes, lui disait-il, la vache est à
vous». Dans sa pensée l'Ithome et l'Acrocorinthe figuraient les deux cornes et la vache n'était autre que le Péloponnèse. Du reste l'importance de leur
situation explique l'acharnement avec lequel, à différentes reprises, on s'est disputé la possession de ces deux places. Détruite [par les Romains], Corinthe fut
rebâtie par eux ; Messène de même, après avoir été ruinée par les Lacédémoniens, fut restaurée, une première fois par
les Thébains et plus tard par Philippe, fils d'Amyntas ; seules les deux acropoles sont demeurées inhabitées.
9. Le temple de Diane témoin, dit-on, de l'antique attentat des Messéniens sur ces vierges lacédémoniennes venues pour assister à un sacrifice est
situé à Limnae, sur la frontière même de la Laconie et de la Messénie. Jusque-là les deux peuples avaient toujours tenu en ce lieu une assemblée
annuelle et offert en commun le sacrifice à la déesse. Mais après l'outrage, les Messéniens auraient refusé, à ce qu'on assure, toute satisfaction, et
la guerre aurait éclaté. C'est de ce même bourg de Limnae que le temple de Diane à Sparte a pris le nom de Limnaeum.
10. La guerre recommença à plusieurs reprises par suite des insurrections des Messéniens. S'il faut en croire Tyrtée, la première conquête de la
Messénie avait eu lieu deux générations avant lui : «du temps des pères de nos pères», dit-il dans ses poèmes. La seconde suivit
l'insurrection dans laquelle les Messéniens avaient eu pour alliés les Argiens, [les Arcadiens] et les Pisates, et pour chefs l'Arcadien Aristocrate, roi d'Orchomène, et le
Pisate Pantaléon, fils d'Omphalion, tandis que les Lacédémoniens combattaient sous les ordres de Tyrtée lui-même [venu exprès d'Erinée pour les
commander]. Tyrtée se dit en effet originaire d'Erinée dans son élégie d'Eunomie :
«Le fils de Saturne, l'époux de Junon à la belle couronne, Jupiter avait fait don de cette ville aux Héraclides,
et, quand les Héraclides partirent pour la grande île de Pélops, nous quittâmes avec eux la venteuse Erinée».
Seulement, de deux choses l'une, ou ce passage de l'élégie [a été interpolé] et ne mérite aucune créance, ou bien Philochore a menti en
faisant naître Tyrtée à Athènes, dans le dème d'Aphidna, et, non seulement Philochore, mais Callisthène aussi et tous ceux qui racontent comment
Tyrtée fut envoyé d'Athènes, sur la demande expresse des Lacédémoniens à qui un oracle avait enjoint de prendre un chef de la main des
Athéniens. Quoi qu'il en soit, c'est bien du temps de Tyrtée qu'eut lieu la seconde guerre de Messénie ; mais il y en eut encore, dit-on, une troisième, voire une
quatrième, et c'est ce qui acheva de ruiner le pays.
La côte de Messénie, y compris tous les golfes qu'elle forme, a environ 800 stades de longueur.
11. Si nous nous sommes étendu plus que de raison sur la Messénie, c'est que nous avons été en quelque sorte entraîné par la masse de documents
historiques relatifs à cette contrée, aujourd'hui à vrai dire en grande partie déserte, [sans que sa dépopulation ait rien qui doive étonner], puisque
la Laconie elle-même peut nous paraître un désert comparée à ce qu'elle était anciennement. C'est tout au plus, en effet, si, en dehors de Sparte, on
compte une trentaine de bourgs dans cette contrée qu'on appelait jadis, dit-on, l'Hécatompole, la contrée aux cent villes, et où se célébrait pour
cette raison cette fameuse hécatombe annuelle.