XI, 12 - La chaîne du Taurus
Carte Spruner (1865) |
1. Comme le Taurus est ce qui détermine la région septentrionale de l'Asie et que ladite région, ainsi que l'indique le nom de cis-taurique qu'on lui donne, se trouve EN
DEDANS de cette chaîne, il nous a semblé préférable de commencer par elle notre description de l'Asie. Mais à la même région se rattachent les
différents pays qui, dans leur totalité ou dans la plus grande partie de leur étendue, se trouvent occuper le Taurus même. Parmi ces pays, ceux qui s'étendent
à l'E. des Pyles Caspiennes ne comportent à vrai dire qu'une description plus sommaire, plus générale, par suite de leur extrême barbarie et auraient
même pu à cause de cela être attribués à l'autre climat tout aussi bien qu'à celui-ci ; au contraire, ceux qui s'étendent à l'0. des Pyles
Caspiennes nous fourniront sans peine les éléments d'une description détaillée. Transportons-nous donc de prime abord au seuil même de ce défilé.
La première contrée qui se présente du côté de l'0. est la Médie, contrée spacieuse, siège autrefois d'un puissant empire, et qui, se
trouvant placée au coeur même du Taurus, est couverte par les ramifications de plus en plus nombreuses de cette chaîne, ramifications qui enserrent autant de grandes
vallées, ce qui, du reste, est aussi le cas de l'Arménie.
2. La chaîne du Taurus, en effet, qui prend naissance en Carie et en Lycie, ne présente encore dans cette première partie de son parcours ni beaucoup de largeur ni beaucoup
de hauteur ; c'est seulement quand elle est parvenue en face des îles Chélidonées, auxquelles correspond le point initial de la côte de Pamphylie, qu'elle commence
à s'élever sensiblement ; en même temps elle incline droit à l'E., forme les longues vallées de la Cilicie, puis se divise en deux branches, l'Amanus d'une
part et l'Antitaurus de l'autre, l'Antitaurus, sur les flancs duquel est bâtie Comana, ville importante de la Haute-Cappadoce. Mais, tandis que cette dernière branche ne
dépasse pas les limites de la Cataonie, l'Amanus s'avance jusqu'à l'Euphrate et à la Mélitène, canton appartenant à la Cappadoce et par lequel ce pays
se trouve confiner à la Commagène. Les montagnes au delà de l'Euphrate continuent en réalité et prolongent l'Amanus, n'en étant séparées
que par l'espace strictement nécessaire au passage du fleuve, mais elles se font remarquer par une augmentation sensible de hauteur et de largeur et par la multiplication des rameaux ou
embranchements. De ces différents rameaux, c'est le plus méridional, celui qui sert de limite commune à l'Arménie et à la Mésopotamie, qui conserve le
nom de Taurus.
3. Au sortir du même embranchement deux très grands fleuves commencent à envelopper la Mésopotamie pour se rapprocher ensuite dans les plaines de la Babylonie et
aller se jeter finalement l'un et l'autre dans la mer Persique : ces deux fleuves sont l'Euphrate et le Tigre. L'Euphrate, qui est déjà le plus fort des deux, est aussi celui qui
parcourt la plus grande étendue de pays, par suite des nombreuses sinuosités qu'il décrit. Né dans la partie septentrionale du Taurus, il se dirige vers l'O.
à travers la Grande-Arménie et jusqu'aux confins de la Petite-Arménie, passe entre cette dernière province à droite et l'Akilisène à gauche,
tourne ensuite brusquement au midi, atteint, dans ce détour, l'extrémité de la Cappadoce ; puis, laissant à droite la frontière de cette province et celle de
la Commagène, à gauche celle de l'Akilisène et de la Sophène, double dépendance de la Grande-Arménie, s'avance jusqu'à la Syrie pour gagner de
là, par un nouveau détour, la Babylonie et le golfe Persique. Quant au Tigre, qui prend sa source dans la partie méridionale du Taurus, il descend droit sur Séleucie
et arrivé là se trouve avoir rejoint pour ainsi dire l'Euphrate en formant avec ce fleuve ce qu'on nomme la Mésopotamie ; après quoi il va se jeter, lui aussi, dans
le golfe Persique. Ses sources, en revanche, sont séparées de celles de l'Euphrate par une distance de 2500 stades environ.
4. Du Taurus, se détachent vers le N. de nombreux embranchements, un entre autres qu'on a appelé l'Anti-taurus, parce qu'il forme effectivement avec le Taurus proprement
dit la vallée intermédiaire de la Sophène. Au delà de l'Euphrate, maintenant, dans le voisinage de la Petite-Arménie, et faisant suite audit embranchement de
l'Antitaurus, commence une autre grande chaîne qui se dirige vers le nord et se divise elle-même en nombreux rameaux, tels que le rameau du Mont Paryadrès, le rameau des
Monts Moschikhes et d'autres encore qui sont désignés de même sous des noms particuliers. Ces rameaux d'une même chaîne couvrent toute l'étendue de
l'Arménie jusqu'aux frontières de l'Ibérie et de l'Albanie. Puis une autre chaîne recommence qui, se portant vers l'E., passe au-dessus de la mer Caspienne et atteint
aux derniers confins de la Médie, je ne dis pas seulement de la Médie Atropatie, mais bien de la Grande Médie. C'est là ce qu'on a appelé proprement la
chaîne du Parachoathras. Toutefois cette dénomination s'étend encore plus loin : on l'applique et aux montagnes qui s'étendent depuis l'extrémité de la
Médie jusqu'aux Pyles Caspiennes et à celles qui se prolongent à l'E. des Pyles Caspiennes jusqu'au seuil de l'Arie. Tels sont les noms qu'on donne aux différentes
parties du Taurus septentrional. Quant au Taurus méridional, lequel s'étend par-delà l'Euphrate à l'E. de la Cappadoce et de la Commagène,
désigné dans la première partie de son parcours (là où il sépare la Sophène et le reste de l'Arménie de la Mésopotamie) sous le
nom de Taurus proprement dit et quelquefois sous celui de Monts Gordyaens, voire sous la dénomination particulière de Mont Masius dans l'endroit où il se trouve dominer
à la fois la ville de Nisibe et celle de Tigranocertes, il prend, en s'élevant davantage, un nom nouveau, le nom de Niphatès (les sources du Tigre sont situées
quelque part sur le versant méridional du Niphatès) ; puis, en se déployant de plus en plus, il reçoit d'autres noms encore, le nom de Zagrius là où il
forme la séparation entre la Médie et la Babylonie ; les noms de Monts de l'Elymée et de Monts de la Paraetacène au-dessus de la Babylonie ; et enfin le nom de Monts
des Cosséens au-dessus de la Médie. C'est entre ces diverses branches du Taurus que se trouvent comprises la Médie et l'Arménie. Mais ces deux contrées
renferment elles-mêmes beaucoup de montagnes et de plateaux ou de hautes plaines, beaucoup de plaines basses aussi et de vallées profondes ; l'une et l'autre sont peuplées
qui plus est d'une infinité de petites tribus de montagnards vivant de rapines et de brigandages. Cela étant, nous avons cru devoir rattacher à la région
cis-taurique non seulement la Médie, avec le défilé des Pyles Caspiennes qui en dépend, mais aussi l'Arménie.
5. Seulement, par cela même que ces deux contrées se trouvent situées en dedans du Taurus, c'est à l'Asie septentrionale, suivant nous, qu'elles devraient appartenir.
Il semble toutefois qu'Eratosthène en prenant, comme il a fait, les Pyles Caspiennes pour limite ou séparation des deux climats dans sa division de l'Asie en deux parties qu'il
appelle boréale et australe et qu'il subdivise ensuite en sphragides boréales et australes,ait entendu attribuer au climat septentrional tous les pays situés au N. des
Pyles Caspiennes et au climat méridional tous les pays situés au S. du même défilé et du nombre desquels sont l'Arménie et la Médie, puisque, de
quelque façon qu'on dispose les choses, on ne peut changer la situation relative des lieux. Mais Eratosthène n'avait peut-être pas pensé à une
difficulté, c'est qu'aucune partie ni de l'Arménie ni de la Médie ne se trouve située au S. et en dehors de la chaîne du Taurus.