Nerva

1. Après la mort de Domitien, les Romains proclamèrent empereur Coccéius Nerva. En haine du tyran, ses nombreuses statues d'argent et même d'or furent fondues, et l'on en retira des sommes énormes ; on renversa aussi les arcs de triomphes, élevés en trop grand nombre pour un seul homme. Nerva fit absoudre ceux qui étaient accusés de lèse-majesté, et rappela les exilés ; quant aux esclaves et aux affranchis qui avaient dressé des embûches à leurs maîtres, il les fit tous mettre à mort. Il ne permit plus aux gens de cette condition de porter aucune plainte en justice contre leurs maîtres ; il ne permit pas aux autres d'accuser personne de lèse-majesté ou de judaïsme. Beaucoup de délateurs furent condamnés à mort ; parmi eux, le philosophe Séras. Un trouble extraordinaire étant survenu parce que tous se faisaient les accusateurs de tous, on rapporte que le consul Fronton dit que si c'est un malheur d'avoir un prince sous qui il n'est permis à personne de rien faire, c'en est un pire encore quand il permet tout à tous ; et Nerva, qui entendit ces paroles, défendit d'user à l'avenir d'une telle licence ... La vieillesse et une débilité qui lui faisait vomir sans cesse sa nourriture avaient affaibli Nerva.

2. Il défendit qu'on lui élevât des statues d'or ou d'argent. Il rendit aux citoyens dépouillés sans motif par Domitien, toutes les sommes qui se trouvaient être encore dans le fisc. Il assigna aux citoyens pauvres de Rome des terres pour le prix d'environ quinze cent mille drachmes, dont il confia l'acquisition et la distribution à des sénateurs. Comme il manquait d'argent, il vendit quantité de vêtements, de vases d'argent et d'or, ainsi que d'autres meubles, tant des siens propres que ceux de l'Etat, quantité de terres et de maisons, ou plutôt il vendit tout, excepté les objets nécessaires. Au reste, il ne montra aucune petitesse à l'égard du prix de ces objets ; loin de là, il en fit un moyen d'obliger les gens. Il abolit un grand nombre de sacrifices, de jeux du cirque et d'autres spectacles, restreignant, autant que possible, les dépenses. Il jura, en plein sénat, qu'il ne ferait mourir aucun sénateur, et il garda son serment, bien qu'on ait attenté à sa vie. Il ne faisait rien sans la participation de citoyens du premier rang. Il publia plusieurs lois, entre autres, pour défendre de faire aucun homme eunuque, et d'épouser sa nièce. Bien que Verginius Rufus eût été plusieurs fois proclamé empereur, il ne fit pas difficulté de le prendre pour collègue au consulat ; on mit sur le tombeau de Verginius cette inscription : «Après la défaite de Vindex, il assura l'empire, non à lui-même, mais à sa patrie».

3. Nerva gouvernait avec tant d'honnêteté, qu'il dit un jour : «Je n'ai rien fait qui puisse m'empêcher de déposer l'empire et de vivre en sûreté dans une condition privée». Crassus Calpurnius, descendant des fameux Crassus, ayant conjuré avec quelques autres contre lui, il les fit asseoir à ses côtés pendant un spectacle, avant qu'ils sussent que leur conjuration était découverte, et leur donna des épées, en apparence pour examiner, comme c'est la coutume, si elles étaient pointues ; mais, en réalité, pour faire voir que peu lui importait de mourir sur-le-champ en ce lieu même. Aelianus Caspérius, qui, sous son règne, comme sous celui de Domitien, commandait les gardes prétoriennes, souleva les soldats contre lui, en les poussant à demander la mort de quelques citoyens. Nerva opposa une telle résistance à cette demande, qu'il leur présenta le cou et leur montra qu'ils devaient alors l'égorger. Mais cette résistance ne servit de rien ; ceux qu'Aelianus voulait furent massacrés. Aussi Nerva, se voyant méprisé à cause de sa vieillesse, monta au Capitole et dit à haute voix : «Puisse la chose être heureuse et favorable pour le sénat et le peuple romain, ainsi que pour moi-même ! J'adopte M. Ulpius Nerva Trajan». Après cela, il le déclara César dans le sénat, et lui écrivit de sa propre main (Trajan commandait en Germanie) : «Que les Danaëns expient mes larmes sous les coups de tes flèches».

4. Voilà comment Trajan devint César et ensuite Empereur, bien que Nerva eût des parents. Mais Nerva ne préféra pas sa parenté au salut de l'Etat ; bien que Trajan fût Espagnol et non Italien, ni même issu d'Italien, il ne l'en adopta pas moins malgré cela, car, jusqu'à ce jour, aucun étranger n'avait été empereur des Romains ; il crut qu'il fallait examiner le mérite d'un homme et non sa patrie. Il mourut après cette adoption, à la suite d'un règne d'un an quatre mois neuf jours ; il avait vécu soixantecinq ans dix mois dix jours.


Les Empereurs du IIe siècle chez Dion Cassius

Nerva

Trajan

Hadrien

Antonin le Pieux

Marc-Aurèle

Commode