LV - L'intérieur de Rome pendant le proconsulat de César (58-49) |
I - CLODIUS, CICERON ET MILON
Neuf ans auparavant, Rome avait vu partir par la voie Flaminienne cet élégant débauché qui mêlait le plaisir aux préoccupations les plus graves, et qui semblait s'inquiéter autant des plis de sa toge que du succès d'une affaire. Nul n'avait cru qu'avec ce corps usé par les excès et les travaux, il pourrait résister aux fatigues d'une longue guerre. Mais un jour on avait appris qu'il avait battu quatre cent mille Helvètes et cent vingt mille Suèves, puis les Belges et les Armoricains ; une autre fois, qu'il avait franchi le Rhin et porté les aigles romaines jusque dans la Bretagne, aux extrémités de l'Occident. Et les lettres des officiers et des soldats peignaient ces luttes terribles au milieu de pays sauvages ; leurs marches rapides, leurs immenses travaux, par-dessus tout l'infatigable activité de cet homme au teint pâle, aux membres délicats, à la santé chancelante, qui croyait n'avoir rien fait tant qu'il restait quelque chose à faire ; qui traversait les grands fleuves à la nage et les hautes montagnes durant l'hiver ; qui, sous la pluie, sous la neige, dans les forêts profondes ou les plaines fangeuses, ne s'épargnait pas plus que le moindre légionnaire, à moins que, porté dans sa litière, il ne dictât à ses secrétaires quatre lettres à la fois. |
César en toge |
Il fallait donc oublier celui que les oisifs du lac
Curtius appelaient l'ami complaisant de Nicomède et le
complice de Catilina, pour reconnaître enfin le grand
général qui mettait aux pieds de Rome, sans
l'avoir un instant distraite de ses plaisirs, cette race
gauloise, dont le turbulent courage avait si longtemps
troublé l'ancien monde. Trente batailles, où
trois millions d'hommes avaient combattu, valaient bien les
équivoques victoires de Pompée et ses lauriers
glanés sur les pas de tant de rivaux moins
heureux.
Tandis qu'aux moyens d'influence que nous lui connaissons
déjà, César ajoutait le plus puissant de
tous, le prestige de la gloire, qu'était devenue la
république ? Pour bien comprendre ces temps
déplorables et juger équitablement les acteurs,
il faut regarder dans ce chaos impur d'ambitions sans
portée, de vices sans éclat, de crimes sans
but, où le peuple est représenté par des
gladiateurs et quelques mendiants avinés, le
sénat par des vieillards tremblants, les lois par des
marchés, la liberté par des émeutes ;
temps odieux qui nous gâtent Cicéron, Caton
même, et où les chefs du sénat, ainsi que
ceux du peuple, se dégradent et s'abaissent comme pour
laisser mieux voir le maître inévitable dont
l'image, malgré l'éloignement, est
présente et semble chaque jour grandir à
l'horizon.
Nous avons laissé Clodius maître du Forum de
l'aveu des triumvirs. Mais ce personnage était trop
ambitieux pour se contenter longtemps de servir d'instrument
à l'ambition d'autrui. En mettant aux enchères
sa faveur et l'influence que sa charge lui donnait, en
vendant à Menula d'Anagni l'impunité, à
Brogitarus le riche sacerdoce de la Cybèle de
Pessinunte, à cent autres tout ce qu'ils pouvaient
acheter, il réunit assez d'argent pour contenter les
coupe-jarrets dont il s'était entouré. A la
tête d'une bande armée, il renversa la maison de
Cicéron sur le Palatin, et, pour qu'on ne pût en
restituer l'emplacement, il le consacra à la
déesse de la Liberté. Une statue
d'hétaïre que son frère Appius avait
rapportée de Tanagra fut placée dans
l'édicule et représenta la déesse ;
c'était la vraie figure de la Liberté qu'il
aimait et qui s'appelle la Licence. Les consuls Gabinius et
Pison, qu'il avait gagnés en leur assurant les deux
riches gouvernements de Macédoine et de Syrie,
l'aidèrent à piller les villas de l'orateur,
d'où ils emportèrent les meubles les plus
précieux et les curiosités de tout genre que
Cicéron s'était plu à y réunir.
Grâce à l'abattement du sénat, à
l'indifférence du peuple, à l'inertie de
Pompée, Rome vit s'établir la domination d'un
homme dont l'audace était toute la politique.
Vatinius, le principal agent de César durant le
consulat de son patron, était cité devant le
préteur ; Clodius renversa le tribunal et chassa les
juges. Pompée avait donné en garde à un
de ses amis le jeune Tigrane, son prisonnier ; le prince
gagna à prix d'argent le tribun, qui le fit
évader, et, pour protéger sa fuite, attaqua et
tua ceux qui le poursuivaient. C'était une offense
directe au triumvir, d'autres suivirent ; car telle
était la confiance de cet homme sorti de la plus
orgueilleuse des races patriciennes, que le conquérant
de l'Asie lui semblait un rival importun qu'il fallait
abattre. Les amis de Pompée furent menacés
d'accusations ; lui-même était en butte à
des railleries auxquelles il ne savait pas répondre et
qui ruinaient sa popularité. Aussi en vint-il à
désirer le retour de l'exilé. Quelques tribuns
en firent la proposition : elle fut appuyée par tout
le sénat, même par Gabinius, à qui
Pompée, son patron, imposa cette évolution.
Mais Clodius lança ses gens ; le consul fut
blessé, l'assemblée dissoute et l'affaire
remise. Ebloui par ce succès, il crut pouvoir
s'attaquer impunément à l'autre triumvir, et
demanda au sénat de casser les lois juliennes, comme
ayant été rendues contrairement aux
auspices.
Il y avait cependant trop d'audace à vouloir lutter
à la fois contre César et contre Pompée.
Celui-ci écrivit à son allié des Gaules
pour savoir ce qu'il pensait du rappel de Cicéron, et
un tribun désigné, Sextius, porta la lettre :
double preuve de l'entente qui existait encore entre les deux
puissants personnages, et de la grande situation que
César conservait à Rome, où
Pompée, le sénat et le collège des
tribuns n'osaient rien faire de considérable avant de
s'être assurés de son assentiment. César
cessa de s'opposer au retour de l'orateur, qu'il croyait
résigné, après cette rude
épreuve, à ne plus se croire l'homme
nécessaire ; et les triumvirs ne laissèrent
arriver aux charges, pour l'année suivante, que des
adversaires de Clodius.
Le 1er janvier 57, les nouveaux consuls ayant demandé
le rappel de Cicéron, le sénat rendit le
décret le plus honorable pour l'exilé ; mais
quand le projet de loi fut porté devant
l'assemblée publique, Clodius et les siens
empêchèrent le vote. Cicéron conseilla de
le battre avec ses propres armes. Il y avait alors au banc
des tribuns un individu sans talent, mais aussi sans
scrupule, homme de main, criblé de dettes et qui ne
pouvait échapper à ses créanciers qu'en
obtenant une province à piller. Pour cela, il fallait
être d'un parti ; il se donna à Pompée,
et les amis de Cicéron lui fournirent les moyens
d'enrégimenter, comme Clodius, une bande de
gladiateurs et de spadassins.
Telle était l'impuissance des lois et des magistrats,
que rien ne se fit plus que sous la protection de l'une ou de
l'autre de ces deux bandes de brigands armés. Maintes
fois elles en vinrent aux mains. Dans une de ces rencontres,
Quintus, le frère de Cicéron, gravement
blessé, n'échappa qu'en se cachant sous des
cadavres ; un tribun faillit être tué. Afin de
rejeter sur leurs adversaires l'odieux de cet attentat, les
amis de Clodius voulaient égorger un autre tribun,
leur partisan, puis accuser Milon de ce meurtre. Tel fut le
nombre des morts, que les cadavres encombrèrent le
Tibre, qu'ils remplirent les égouts, et que le Forum
fut inondé de sang. Les sénateurs
appelèrent à Rome beaucoup d'Italiens ; ils
défendirent d'observer le ciel, que chaque parti
faisait parler suivant ses besoins, et Milon contenant
Clodius avec ses gladiateurs, la loi du rappel passa.
Après dix-sept mois d'absence, Cicéron rentra
dans Rome, porté, dit-il, sur les bras de toute
l'Italie. A quoi Vatinius répondait : Mais si
l'Italie t'a rapporté sur ses épaules,
d'où viennent donc tes varices, unde ergo tibi varices
? (16 août 57.) Pendant une année
entière, le sénat, Pompée, n'avaient pas
eu d'autre pensée que ce retour de Cicéron ; et
cette année, César l'avait employée
à terminer victorieusement trois guerres !
Quels étaient les sentiments, les desseins de cet
homme pour qui, durant six mois, le sénat avait
suspendu toute affaire ? Cette confiance qu'il avait
naguère en lui-même et dans les institutions de
son pays, le triumvirat l'avait affaiblie, son exil la ruina.
Dans le malheur, toute sa philosophie lui avait
été inutile, et il était tombé
dans un grand abattement. Puis-je oublier,
répétait-il à ses amis, ce que
j'étais et ce que j'ai perdu ? Rutilius avait
donné un autre exemple. Depuis ce temps, sa conduite
cessa d'être à la hauteur du rôle qu'il
avait joué six ans auparavant et qu'il ne reprit, pour
quelques jours, qu'au lendemain de la mort de César.
Après tout, que pouvait-il, lui, homme nouveau, sans
liens de famille avec l'aristocratie, et à qui les
grands reprochaient durement son origine ? Son plan de
conciliation universelle avait échoué comme
celui de Drusus. Les hommes d'argent, qui s'étaient
serrés autour de lui dans un moment où toutes
les fortunes semblaient menacées, allaient maintenant
là où leur intérêt les appelait,
vers ceux qui réglaient à leur gré les
travaux publics et les tributs des provinces. Les ordres, les
comices, le sénat ! vains mots, formes vides,
souvenirs effacés d'une république qui
n'existait plus. Le droit, c'était la force ; et la
force était à celui qui osait le plus.
Cicéron, admirablement doué pour les luttes
pacifiques des temps tranquilles, n'avait point assez
d'audace pour attaquer de front les puissants du jour. Contre
Catilina il avait été énergique et
résolu, parce qu'un grand parti le soutenait et que la
cause était gagnée d'avance. Aujourd'hui que le
drapeau qu'il avait levé alors ne ralliait plus
personne, il comprenait que, dans une république
guerrière qui finit, l'éloquence peut donner un
instant le pouvoir, mais que ce sont les armes qui
l'assurent. Il trouvait que les grands n'avaient pas pour son
ennemi Clodius une haine assez vigoureuse, et qu'ils
lésinaient sur l'indemnité pour ses maisons
abattues ou pillées. Je vois bien,
écrivait-il tristement, que je n'ai
été qu'un sot. Aussi, dans son esprit
découragé, le soin de ses intérêts
remplaça les préoccupations politiques, et
celui que le sénat et le peuple avaient
proclamé le père de la patrie se fit le
lieutenant de Pompée et l'agent de César
!
Quelque temps après son retour, une disette
momentanée causa une émeute : des cris de mort
étaient proférés contre le sénat,
et les séditieux menaçaient de brûler les
sénateurs dans la curie. Cicéron se hâta
de payer à Pompée sa dette de reconnaissance,
en appuyant une motion qui le chargeait pour cinq
années de l'intendance des vivres, avec la
surveillance des ports et marchés dans tout l'empire.
Pompée aimait ces fonctions extraordinaires qui le
plaçaient en dehors du droit commun ; mais il
eût voulu attacher à sa mission un commandement
militaire, une armée, une flotte, le droit de puiser
à son gré dans le trésor, enfin
l'autorité sur tous les gouverneurs de provinces ;
dans sa pensée, il y ajoutait même la
conquête de l'Egypte pour faire de ce pays le grenier
de Rome. Le sénat, qui gardait contre lui toutes ses
rancunes, et que Crassus, les amis de César,
encouragèrent en secret, refusa la royauté
qu'on lui demandait, et n'accorda que le soin des vivres.
C'était encore une bien grande charge, car elle le
faisait maître absolu de la navigation et de
l'agriculture du monde entier. Il prit solennellement quinze
lieutenants, comme pour une très difficile affaire, et
Cicéron consentit à se trouver le premier sur
cette liste. L'orateur aurait accepté moins encore,
car dans l'effusion de sa reconnaissance, il oubliait la
position que ses talents lui avaient conquise. Sa grande
préoccupation en ce moment était d'obtenir des
pontifes qu'ils déclarassent nulle la
consécration faite par Clodius du terrain où
s'était élevée sa demeure. Sur l'avis
favorable du collège, les sénateurs
ordonnèrent la reconstruction de sa maison de Rome et
de sa villa de Tusculum. Clodius dispersa les travailleurs et
faillit tuer Cicéron. Une autre fois, il essaya
d'incendier la maison de Quintus et celle de Milon.
Accusé par celui-ci de violences, il les continua,
tout en briguant l'édilité, et Milon ne put
l'empêcher de l'obtenir qu'en déclarant qu'il
observait le ciel. L'élection fut seulement
retardée.
Milon sorti du tribunat, Clodius se fit élire à
l'édilité, ce qui suspendait toute poursuite
contre lui, et, à son tour, il accusa Milon.
Pompée le défendit ; mais Clodius ameuta la
foule autour du tribunal et infligea au malencontreux avocat
les plus sanglantes moqueries. Il faut lire cette
scène dans les lettres de Cicéron pour bien
savoir où en étaient la république et la
liberté. «Pompée parla, ou plutôt
essaya de le faire, car, dès qu'il se leva, la bande
de Clodius commença ses clameurs, et tout le long du
discours ce ne furent que vociférations et injures.
Quand il eut fini, Clodius, à son tour, voulut parler
; mais les nôtres lui rendirent la pareille, et avec un
tel bruit, qu'il en perdit les idées et la voix. Deux
heures durant on fit pleuvoir sur lui les injures, les vers
obscènes ; de son côté, il criait aux
siens, au milieu du tumulte : Qui veut faire mourir le peuple
de faim ? et la bande répondait : Pompée ! -
Qui veut se faire envoyer à Alexandrie ? -
Pompée ! A la fin on en vint aux coups.
Représentez-vous notre grave personnage, avec sa
vanité solennelle et ses airs de triomphateur,
recevant en plein visage, au milieu de tels tumultes, ces
épigrammes acérées : il en souffrait
cruellement».
Une autre affaire augmenta sa mortification.
Ptolémée Aulète, chassé par les
Alexandrins, était venu à Rome, comptant, pour
recouvrer sa couronne, sur l'appui de César, qu'il
avait déjà payé, et sur celui de
Pompée, qui le logea dans sa maison. Se sentant chaque
jour descendre dans l'opinion, Pompée, pour sortir par
quelque brillante expédition d'une situation ingrate,
désirait qu'on le chargeât de rétablir le
prince. Les Egyptiens écrasés d'impôts
par Aulète, députèrent à Rome
cent ambassadeurs pour plaider leur cause. Les uns furent
tués en route, les autres achetés. Un d'eux,
qui voulait tout révéler, fut assassiné.
Pompée n'en continua pas moins sa protection à
l'hôte indigne, mais sans réussir à se
faire désigner pour le ramener dans son royaume. Un
sénatus-consulte donna cette mission au gouverneur de
la Cilicie ; et, afin que Pompée ne cherchât
aucun prétexte de revenir sur cette décision,
il y eut des prodiges menaçants et l'on fit parler les
livres sibyllins : ils défendaient d'employer des
soldats pour rendre l'Egypte au roi. On verra plus loin
comment se termina cette affaire qui fut honteuse du
commencement à la fin.
Clodius essaya de faire servir ces présages à deux fins en les tournant aussi contre Cicéron. Les dieux étaient offensés, disait-il, de la profanation d'un terrain qu'il avait consacré a une déesse. L'orateur répondit. Mais des deux côtés on se lassa des cette lutte hypocrite dont le ciel faisait les frais ; on en revint aux coups, aux violences, et Cicéron, soutenu de Milon, brisa dans le Capitole les tables d'airain où étaient gravés les actes du tribunat de Clodius. L'ancien consul devenait, lui aussi, au milieu de la cité, un chef de bande, et il encourait les reproches sévères de Caton, qui revenait alors de Chypre ; dans une de ces bagarres, le grand orateur Hortensius faillit être tué. |
Hortensius |
Cette mission de Chypre, honorable pour Caton, qui
l'avait acceptée malgré lui et qui y montra son
intégrité, ne l'était pas pour Rome.
Sous prétexte que le roi de Chypre, un frère
d'Aulète, avait été de connivence avec
les pirates, on lui ordonna, bien qu'il eût reçu
le titre d'ami du peuple romain, de descendre du trône.
Caton lui offrit en dédommagement le riche sacerdoce
de la Vénus de Paphos. Il aima mieux s'empoisonner, et
son royaume fut annexé, comme domaine de la
république, à la province de Cilicie. Caton en
rapporta 7.000 talents, près de 40 millions de francs,
un riche mobilier, toute la défroque royale : on sait
que Rome, lorsqu'elle pillait les palais et les temples, n'y
laissait rien. Il est malheureux que le nom de Caton soit
attaché à cette expédition qu'on dirait
faite par des voleurs de grand chemin.
Mais il était trop Romain pour que, le premier ennui
de l'injustice à commettre une fois passé, il
n'ait pas tenu à ce que l'on ratifiât les
résultats de sa mission qui avait accru l'empire d'une
province et l'aerarium d'un trésor. Or
Cicéron voulait faire invalider tous les actes du
tribunat de Clodius, comme accomplis malgré les
auspices, et la légation de Caton en Chypre
était un de ces actes. De là le refroidissement
entre Cicéron et lui. Chacun ne regardant qu'à
ses intérêts personnels et se conduisant
d'après ses amitiés ou ses haines, il semblait
qu'il n'y eût même plus de parti politique. Le
vrai maître de Rome en cette année 56
était l'édile Clodius, et qui pourrait dire ce
que Clodius voulait ? Pompée, menacé par lui et
attaqué par Caton, ne savait plus ni que faire ni que
dire. Il avait peur d'être assassiné ; il
n'osait se risquer dans les rues de Rome et n'allait ait
sénat que si l'assemblée se tenait prés
de sa demeure. «On en veut à ma vie, disait-il
à Cicéron, Crassus soutient C. Caton, qui
machine des procès contre mes amis. On fournit de
l'argent à Clodius, on excite contre moi Bibulus,
Curion et bien d'autres. Il est temps, si je ne veux pas
périr, que je pourvoie à ma
sûreté, abandonné que je suis par ce
peuple qui n'a d'oreilles que pour les bavards, par une
noblesse ennemie, un sénat injuste et une jeunesse
dépravée. Aussi je vais appeler à moi
les gens de la campagne». Et Cicéron ajoute :
«Clodius prépare sa bande, mais nous avons
jusqu'à présent l'avantage du nombre, et nous
attendons des recrues du Picenum et de la Cisalpine. Quand
viendront les projets de loi contre Milon et Lentulus, nous
serons en force».
Ainsi de vraies batailles remplaçaient les discussions
législatives, et l'orateur si souvent heureux à
la tribune se promettait merveille, non plus de son
éloquence, mais de la vigueur de ses recrues : le vote
était à ceux qui avaient les meilleurs poings ;
de sorte qu'on voit bien ce que faisait la violence, mais
qu'on ne voit plus où était la liberté.
Comme elles sont belles ces paroles de Cicéron :
Legum omnes servi sumus, ut liberi esse possimus !
Mais tout le monde voulait être le maître de la
loi, et personne n'en était le serviteur.
Une autre chose se dégage nettement de l'ensemble des
faits qu'on vient de lire : l'impopularité croissante
de Pompée auprès du sénat comme
auprès du peuple : par conséquent la
nécessité pour lui de se rapprocher du
tout-puissant conquérant des Gaules, et l'obligation
de subir ses conditions en échange de son
concours.
Tel est le secret de la conférence de Lucques et
l'explication des événements de l'année
55, où le sort de Rome fut décidé.