LVII - De la mort de Pompée à celle de Caton (48-46)

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II - RETOUR DE CESAR A ROME (47)

Les affaires de l'Asie réglées, César partit enfin pour l'Italie, où son absence prolongée avait causé de graves désordres, et il y arriva avant qu'on sût qu'il était parti.

Ces troubles étaient causés par un personnage que nous avons déjà rencontré, Coelius, cet ami de Cicéron, qui le déclare un grand politique et dont l'histoire n'a fait qu'un brouillon. C'était un homme d'esprit, amuseur de salon et fort méchante langue, qui s'était fourvoyé dans la politique lorsqu'en lui le goût du pouvoir s'était joint à celui des plaisirs. Préteur en 48, il se crut mal récompensé de services qu'il n'avait point rendus, et, sans autres titres que de jolies lettres et de scandaleuses amours, il prétendit aux premiers rôles, qui tous étaient pris. Au moment où, de chef populaire et de chef d'armée, César, avec un grand sens politique, se faisait chef d'Etat, Caelius se fit démagogue et rêva de chercher la fortune à la tête des pauvres. Il promit son appui aux débiteurs qui ne voudraient pas se soumettre à la décision des arbitres si judicieusement établis l'année précédente par César ; et personne ne se présentant, il recourut aux grands moyens révolutionnaires : la suspension du payement des loyers et l'abolition des dettes. Le sénat de César et son collègue dans le consulat, Servilius, montrèrent heureusement beaucoup de décision. Le consul défendit à Caelius d'exercer les fonctions de sa charge, et, le préteur s'y obstinant, il fit briser sa chaise curule et le chassa de la tribune, sans qu'une voix s'élevât dans le peuple en faveur de ce représentant arriéré des violences tribunitiennes. Après ce déshonneur public et cet abandon de la part du peuple, le nouveau Catilina sortit de honte, et finit comme lui, mais avec moins de grandeur sauvage. Caelius avait rappelé de Marseille Milon, qui avait encore quelques-uns de ses gladiateurs ; tous deux cherchèrent à exciter un soulèvement dans la Campanie et la Grande-Grèce. C'était assez des deux grandes ambitions qui se disputaient l'empire ; on ne fit aucune attention é ces aventuriers obscurs, qui périrent sans bruit, l'un devant Cosa, l'autre à Thurium.

Pendant les huit mois que dura la lutte en Grèce, la ville resta dans une cruelle anxiété, que la nouvelle de la bataille de Pharsale ne dissipa point, parce que tout ce qui restait de forces aux pompéiens se tenait dans le voisinage de l'Italie. Quand arriva le récit de la mort de Pompée et qu'on vit son anneau apporté par Antoine, l'enthousiasme, jusqu'alors incertain et tenu en réserve au service de celui des deux rivaux que la victoire désignerait, éclata autour du nom de César. Antoine eut soin de le diriger d'une manière utile aux intérêts de son général, qui fut élu une seconde fois dictateur pour une année entière (oct. 48) ; on lui donna le consulat pour cinq années, la puissance tribunitienne pour sa vie durant, le droit de décider de la paix et de la guerre, avec la présidence des comices d'élection aux grandes magistratures. Aussi, comme il était absent, n'élut-on, pour l'année 47, que des tribuns du peuple. César prit possession de la dictature à Alexandrie, et, puisqu'il n'y avait pas de consuls, il chargea Antoine, son maître de la cavalerie, du gouvernement de la ville. Brave, mais violent et débauché, Antoine n'avait ni l'énergie persévérante ni la prudence déliée que les circonstances réclamaient. Les bruits sinistres qui circulèrent bientôt sur la triste situation de son chef en Egypte rendirent sa conduite indécise ; il n'osa tenir tête aux brouillons à qui la mort de César ferait peut-être passer la puissance. Le gendre de Cicéron, Corn. Dolabella, ruiné par ses débauches, s'était, comme Clodius, fait adopter par un plébéien, afin d'arriver au tribunat. Une fois nommé, il avait repris la proposition d'abolir les dettes. Antoine résista d'abord mollement ; mais, quand il crut avoir à venger sur Dolabella une offense personnelle, il passa à l'excès contraire, et des scènes de violence et de pillage recommencèrent dans la ville, comme pour prouver, même aux plus incrédules, l'indispensable besoin que Rome avait d'un maître. Heureusement ce maître arrivait ; César avait enfin débarqué à Tarente en septembre 47.

Contre l'attente de beaucoup, son retour ne fut marqué par aucune proscription. Seulement il confisqua les biens de ceux qui portaient encore les armes contre lui, et fit vendre à l'encan ceux de Pompée. Dolabella et Antoine s'en rendirent adjudicataires ; mais le dernier refusa d'en payer le prix, et répondit fièrement aux réclamations de César, que c'était sa part dans le butin. Le dictateur se contenta de lui imposer une légère restitution d'argent : il n'estimait pas assez les hommes de son temps pour employer contre eux la sévérité, ce qui eût été les supposer capables de changement, et il répugnait par nature aux mesures de rigueur.

Il multiplia les charges : les unes, comme la préture, dans l'intérêt du service ; les autres, telles que les collèges sacerdotaux, pour satisfaire de vaniteuses et puériles ambitions. Il doubla le sénat en y appelant de braves officiers, comme Junius Pera avait fait après Cannes et en donnant le laticlave aux plus considérés des provinciaux. La noblesse romaine, naturellement, s'en indigna ; elle appela ces nouveaux venus des barbares et les poursuivit de ses sarcasmes ; mais ces prétendus barbares représentaient, dans la curie, une grande et nouvelle idée, l'unité du monde romain.

Quoiqu'on fût au neuvième mois de l'année, il tint les comices consulaires, et proclama Fufius Calenus et Vatinius. Quelques jours après, il se fit désigner lui-même consul, pour l'année suivante, avec Lépide, et il prit en même temps la dictature. Ses partisans dotés de places, de dignités et de gouvernements, il paya aux pauvres leur loyer d'une année, et accorda aux débiteurs la suppression des intérêts des trois derniers termes. Les soldats réclamaient aussi l'accomplissement des promesses tant de fois renouvelées ; ceux de la dixième légion allèrent jusqu'à une révolte ouverte. César l'apprend et les convoque au Champ de Mars ; il s'y rend seul, monte sur son tribunal et leur commande de parler. A sa vue, les murmures se taisent : incertains, honteux, ils demandent à voix sourde leur congé. Je vous licencie, répond aussitôt le général ; allez, Quirites. César a trouvé pour eux la plus vive offense : il les appelle citoyens, eux, ses compagnons d'armes, eux, des soldats ! Les rendre citoyens, c'est les dégrader : ils aiment mieux qu'il les châtie, qu'il les décime ; et ils le pressent de retirer la flétrissante parole. On a vanté ce trait d'éloquence ; il jette un triste jour sur cette époque ; tout ce que nous avons dit de la transformation des moeurs politiques est expliqué par le sens attaché maintenant à ces deux mots, citoyens et soldats, Quirites et commilitones ; l'homme civil n'est plus rien, l'homme de guerre est tout ; le règne des armées approche : déjà leur chef ne veut plus quitter, même dans l'intérieur de la cité, son titre militaire d'imperator.