[La deuxième bataille de Philippes] |
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LII. Brutus, informé de la défaite de
Cassius, redoubla sa marche, et apprit sa mort quand il fut
près du camp. Il pleura sur son corps, l'appela le
dernier des Romains, persuadé que Rome ne pouvait plus
produire un homme d'un si grand courage ; il le fit
ensevelir, et l'envoya dans l'île de Thasos, de peur
que la vue de ses funérailles ne causât du
trouble dans le camp. Ayant ensuite assemblé les
soldats, il les consola ; et, pour les dédommager de
la perte de leurs effets les plus nécessaires qui
avaient été pillés, il leur promit deux
mille drachmes par tête. Cette promesse leur rendit le
courage ; ils admirèrent une si grande
générosité ; et quand il les quitta, ils
l'accompagnèrent de leurs acclamations, en lui donnant
le glorieux témoignage qu'il était le seul des
quatre généraux qui n'eût pas
été vaincu. Il avait justifié par ses
actions la confiance qu'il avait eue de vaincre : avec le peu
de légions qu'il commandait, il renversa tous ceux qui
lui firent tête ; et si dans la bataille il eût
pu faire usage de toutes ses légions, que la plus
grande partie de son aile n'eût pas outrepassé
les ennemis pour aller piller leur bagage, il n'y aurait pas
eu un seul de leurs différents corps qui n'eût
été défait. Il resta, du
côté de Brutus, huit mille hommes sur le champ
de bataille, en comptant les valets des soldats, que Brutus
appelait Briges (51) ; et, suivant Messala,
il en périt plus du double dans l'armée des
ennemis.
LIII. Une perte si
considérable avait jeté ces derniers dans le
découragement; mais un esclave de Cassius,
nominé Démétrius, arriva le soir au camp
d'Antoine, et lui remit la robe et l'épée de
son maître. Cette vue enflamma leur courage ; et le
lendemain, dès le point du jour, ils
présentèrent la bataille. Mais Brutus voyait
les deux camps dans une agitation dangereuse : le sien
était plein de prisonniers qui demandaient la
surveillance la plus exacte ; celui de Cassius supportait
avec peine le changement de chef, et la honte de leur
défaite leur avait inspiré une haine et une
envie secrète contre les vainqueurs : il se borna donc
à tenir ses troupes sous les armes, et refusa le
combat. Il sépara les prisonniers en deux troupes, fit
mettre à mort les esclaves que leurs rapports
fréquents avec ses soldats lui rendaient suspects, et
renvoya la plus grande partie des hommes libres, en disant
que, déjà pris par les ennemis, ils seraient
avec eux prisonniers et esclaves, au lieu qu'auprès de
lui ils auraient été libres et citoyens
(52) ; et comme il
s'aperçut que ses amis et ses officiers avaient pour
quelques-uns de ces prisonniers un ressentiment implacable,
il les cacha pour les dérober à leur fureur, et
les fit partir secrètement de l'armée. Il y
avait parmi eux un mime nommé Volumnius, et un certain
Saculion, bouffon de son métier, dont Brutus n'avait
tenu aucun compte. Ses amis les lui amenèrent, en se
plaignant que ces hommes, même dans la
captivité, se permettaient de les railler insolemment.
Brutus, occupé de soins bien différents, ne
leur ayant rien répondu, Messala Corvinus proposa
qu'après les avoir fait battre de verges sur le
théâtre, on les renvoyât tout nus aux
généraux ennemis, pour les faire rougir d'avoir
besoin, jusque dans les camps, d'amis et de convives de cette
espèce. Quelques-uns de ceux qui étaient
présents se mirent à rire de cette proposition,
mais Casca, celui qui avait porté le premier coup
à César, prenant la parole : «Ce n'est
pas, dit-il, par des jeux et des plaisanteries qu'il convient
de faire les obsèques de Cassius. Brutus, ajouta-t-il,
c'est à vous de faire voir quel souvenir vous
conservez de ce général, en punissant ou en
laissant vivre ceux qui osent le prendre pour sujet de leurs
railleries». Brutus, vivement piqué de cette
remontrance : «Pourquoi donc, dit-il à Casca, me
demandez-vous mon avis ? Que ne faites-vous ce que vous jugez
convenable ?» Les amis de Brutus prenant cette
réponse pour un consentement à la mort de ces
malheureux, les emmenèrent, et les firent
mourir.
LIV. Brutus fit distribuer
aux soldats l'argent qu'il leur avait promis ; et
après quelques légers reproches sur leur
précipitation à devancer l'ordre et le mot,
pour aller témérairement et en désordre
charger l'ennemi, il leur promit que, si dans la bataille
suivante ils se conduisaient eu gens de coeur, il leur
abandonnerait le pillage de deux villes, Thessalonique et
Lacédémone (53). C'est, dans toute la
vie de Brutus, le seul reproche dont on ne puisse le
justifier. Dans la suite, il est vrai, Antoine et
César payèrent à leurs soldats des prix
bien plus criminels de leurs victoires ; ils
chassèrent de presque toute l'Italie ses anciens
habitants, pour en abandonner à leurs troupes les
terres et les villes, qui ne leur appartenaient à
aucun titre : mais ces deux généraux n'avaient
d'autre but dans cette guerre que de vaincre et de dominer.
Brutus, au contraire, avait donné une si haute opinion
de sa vertu, que le peuple même ne lui permettait de
vaincre et de conserver sa vie que par des voies justes et
honnêtes, et plus encore depuis la mort de Cassius,
qu'on accusait de pousser Brutus aux actes de violence qui
lui échappaient quelquefois. Mais comme sur mer,
lorsque le gouvernail est brisé par la tempête,
les matelots clouent et ajustent à la place, du mieux
qu'ils peuvent, d'autres pièces de bois qu'ils
emploient par nécessité, de même Brutus,
qui, chargé du commandement d'une armée si
nombreuse, et placé dans des conjectures si
difficiles, n'avait aucun général qui pût
aller de pair avec lui, était obligé de se
servir de ceux qu'il avait, et d'agir ou de parler souvent
d'après leur opinion. Il croyait donc devoir faire
tout ce qui pouvait rendre plus soumis les soldats de
Cassius, l'anarchie les avait rendus audacieux dans le camp,
et leur défaite, lâches contre l'ennemi.
LV. Antoine et
César n'étaient pas dans une meilleure
situation : réduits à une extrême
disette, et campés dans des lieux enfoncés, ils
s'attendaient à passer un hiver très
pénible. Ils étaient environnés de
marais ; les pluies d'automne, survenues après la
bataille, avaient rempli les tentes de boue, de fange et
d'eau, que le froid déjà piquant gelait tout de
suite. Dans une extrémité si fâcheuse,
ils apprirent la perte que leurs troupes venaient de faire
sur mer : des vaisseaux qui conduisaient d'Italie un renfort
considérable à César avaient
été attaqués par la flotte de Brutus,
qui les avait si complètement battus, qu'il ne
s'était sauvé que très peu de soldats ;
et ceux qui avaient échappé à cette
défaite se trouvèrent réduits à
une telle famine, qu'ils mangèrent jusqu'aux voiles et
aux cordages de leurs vaisseaux. Cette nouvelle les
détermina à presser une bataille
décisive, avant que Brutus fût instruit du
bonheur qu'il avait eu, car ce combat naval s'était
donné le même jour que la bataille de terre, et
le hasard, plutôt que la mauvaise volonté des
capitaines de vaisseau, fit que Brutus ne l'apprit que vingt
jours après. S'il l'eût su plus tôt, il
n'aurait pas livré un second combat : il avait pour
longtemps toutes les provisions nécessaires à
son armée ; et il était campé si
avantageusement, qu'il n'avait pas à craindre les
rigueurs de l'hiver, et qu'il ne pouvait être
forcé par les ennemis. Il était enfin
maître de la mer, il avait de son côté
vaincu sur terre ; et ce double avantage devait lui donner la
plus grande confiance et les plus hautes espérances.
Mais l'empire romain ne pouvait être gouverné
par plusieurs maîtres, il lui fallait un monarque ; et
Dieu voulant sans doute délivrer César du seul
homme qui pût mettre obstacle à sa domination,
empêcha que Brutus ne fût informé de cette
victoire au moment même où il allait
l'apprendre. La veille du jour qu'il devait combattre, un
déserteur, nommé Clodius, vint le soir dans son
camp, pour l'avertir que les généraux ennemis
ne se hâtaient de donner la bataille que parce qu'ils
venaient d'apprendre la défaite de leur flotte. Mais
on ne voulut pas le croire, il ne fut pas même
présenté à Brutus ; et tous les
officiers méprisèrent cet avis, qu'ils
regardèrent comme incertain ou comme inventé
par cet homme pour faire plaisir à Brutus.
LVI. On prétend que
le fantôme que Brutus avait déjà vu lui
apparut encore cette nuit sous la même figure, et qu'il
disparut sans lui avoir dit un seul mot ; mais Publius
Volumnius, homme très versé dans la
philosophie, et qui n'avait pas quitté Brutus depuis
le commencement de la guerre, ne parle point de cette
apparition : il dit seulement que l'aigle de la
première enseigne fut couverte d'abeilles ; que le
bras d'un de ses officiers distilla si abondamment de l'huile
de rose, qu'on ne pouvait l'arrêter, avec quelque soin
qu'on l'essuyât. Il ajoute que peu de temps avant la
bataille deux aigles se battirent entre les deux
armées ; que pendant ce combat, qui attira l'attention
de tout le monde, il régna dans toute la plaine un
silence extraordinaire, et qu'enfin l'aigle qui était
du côté de Brutus céda, et prit la fuite.
On parle aussi d'un Ethiopien qui, s'étant
présenté le premier à l'ouverture des
portes du camp, fut massacré par les soldats, qui
prirent cette rencontre pour un mauvais augure. Quand Brutus
eut fait sortir ses troupes et qu'il les eut rangées
en bataille, en face de l'armée ennemie, il attendit
longtemps à donner le signal du combat : en parcourant
les rangs, il lui était venu sur quelques-unes de ses
compagnies des soupçons et même des rapports
inquiétants ; il vit que sa cavalerie, peu
disposée à commencer l'attaque, attendait de
voir agir l'infanterie. Enfin, un de ses meilleurs officiers,
singulièrement estimé pour sa valeur, sortit
tout à coup des rangs, et, passant à cheval
devant Brutus, alla se rendre à l'ennemi : il se
nommait Camulatus.
LVII. Brutus fut vivement
affecté de cette désertion ; et soit
colère, soit crainte que le ge!lt du changement et la
trahison ne s'étendissent plus loin, il fit
sur-le-champ marcher ses troupes à l'ennemi, comme le
soleil inclinait déjà vers la neuvième
heure du jour (54).
Il enfonça tout ce qui lui était opposé,
et, secondé par sa cavalerie, qui avait chargé
vigoureusement avec les gens de pied dès qu'elle avait
vu les ennemis s'ébranler, il pressa vivement leur
aile gauche, qu'il força de plier. Son autre aile,
dont les officiers avaient étendu les rangs, parce
qu'étant moins nombreuse que celle des ennemis, ils
craignaient qu'elle ne fût enveloppée, laissa,
par ce mouvement, un grand intervalle dans le centre. Devenue
alors faible, elle ne fit pas une longue résistance,
et fut la première à prendre la fuite. Les
ennemis, après l'avoir mise en déroute,
revinrent sur l'aile victorieuse, et enveloppèrent
Brutus, qui, dans un danger si pressant, fit de la tête
et de la main tous les devoirs d'un grand
général et d'un brave soldat, et mit tout en
oeuvre pour s'assurer la victoire. Mais ce qui la lui avait
donnée à la première bataille la lui fit
perdre à la seconde. Dans l'action
précédente, tous les ennemis qui furent vaincus
restèrent morts sur la place ; dans celle-ci,
où les troupes de Cas-sius prirent d'abord la fuite,
il n'en périt qu'un très petit nombre, et ceux
qui se sauvèrent, effrayés encore de leur
première défaite, remplirent de trouble et de
découragement le reste de l'armée (55). Ce fut là que
le fils de Caton fut tué, en faisant des prodiges de
valeur, au milieu des plus braves de la jeunesse romaine :
accablé de fatigue, il ne voulut ni fuir, ni reculer ;
combattant tou-jours avec le même courage, disant tout
haut son nom et celui de son père, il tomba sur un
monceau de morts ennemis. Les plus braves de l'armée
se firent tuer en défendant Brutus.
LVIII. Ce
général avait dans son armée un de ses
amis, nominé Lucilius, homme plein de couage, qui,
voyant quelques cavaliers barbares laisser tous les autres
fuyards pour ne s'attacher qu'à Brutus, résolut
de sacrifier sa vie, s'il le fallait, pour les arrêter.
Il se tint à quelque distance d'eux, et cria qu'il
était Brutus. Ce qui fit ajouter foi à sa
parole, c'est qu'il demanda d'être conduit à
Antoine, à qui il se fiait ; au lieu, disait-il, qu'il
craignait César. Ces cavaliers se félicitant
d'une rencontre si heureuse, emmènent leur prisonnier,
qu'il faisait déjà nuit, et détachent
quelques-uns d'entre eux pour en aller porter la nouvelle
à Antoine, qui, ravi de joie, sortit au-devant d'eux.
Dès que les soldats eurent entendu dire qu'on amenait
Brutus en vie, ils accoururent en foule ; les uns, en
plaignant son infortune ; les autres, regardant comme indigne
de sa gloire que, par un amour excessif de la vie, il
eût consenti à être la proie des Barbares.
Quand les cavaliers approchèrent d'Antoine, il
s'arrêta pour penser à l'accueil qu'il devait
faire à Brutus ; mais Lucilius s'avançant vers
lui avec la plus grande confiance : «Antoine, lui
dit-il, aucun des ennemis n'a fait et ne fera Brutus
prisonnier : à Dieu ne plaise que la fortune ait tant
de pouvoir sur la vertu ! On le trouvera sans doute mort ; ou
s'il est vivant, on le verra toujours digne de
lui-même. Pour moi, j'en ai imposé à vos
soldats en me disant Brutus, et je viens, prêt à
souffrir pour ce mensonge les plus horribles
tourments». Ces paroles frappèrent
d'étonnement tous ceux qui les enten-dirent ; et
Antoine, se tournant vers les soldats qui avaient
amené Lucilius : «Mes compagnons, leur dit-il,
vous êtes sans doute irrités d'une tromperie que
vous regardez comme une insulte : mais sachez que vous avez
fait une bien meilleure prise que celle que vous poursuiviez
; au lieu d'un ennemi que vous cherchiez, vous m'avez
amené un ami. Je ne sais, je vous le jure, comment
j'aurais traité Brutus, si vous me l'aviez
amené vivant; mais j'aime mieux acquérir des
amis de ce mérite, que d'avoir en ma puissance des
ennemis». A ces mots, il embrasse Lucilius et le remet
entre les mains d'un de ses amis ; il l'employa souvent dans
la suite, et éprouva en toute occasion son attachement
et sa fidélité.
LIX. Il était
déjà nuit, lorsque Brutus, après avoir
traversé une rivière dont les bords
étaient escarpés et couverts d'arbres,
s'éloigna du champ de bataille, et que,
s'arrêtant dans un endroit creux, il s'assit sur un
grand rocher, avec le petit nombre d'officiers et d'amis qui
l'accompagnaient. Là, devant d'abord ses regards vers
le ciel, qui était semé d'étoiles, il
prononça deux vers grecs, dont Volumnius rapporte
celui-ci :
Punis, ô Jupiter, l'auteur de tant de maux !
Il dit avoir oublié l'autre (56). Il nomma ensuite tous
ceux de ses amis qui avaient péri sous ses yeux, et
soupira surtout au souvenir de Flavius et de Labéon :
celui-ci était son lieutenant, et l'autre le chef des
ouvriers. Dans ce moment quelqu'un de sa suite, se sentant
pressé par la soif, et voyant aussi Brutus très
altéré, prit un casque, et courut à la
rivière pour y puisser de l'eau. Pendant qu'il y
allait, on entendit du bruit à l'autre bord, et
Volumnius, suivi de Dardanus, l'écuyer de Brutus,
s'avança pour voir ce que c'était. Ils
revinrent bientôt, et demandèrent de l'eau :
«Elle est toute bue, répondit Brutus à
Volumnius avec un sourire plein de douceur ; mais on va vous
en apporter d'autre». Il renvoya à la
rivière celui qui avait été
déjà en chercher, et qui manqua d'être
pris ; il fut blessé, et ne se sauva qu'avec peine.
Brutus conjecturant qu'il devait avoir perdu peu de monde
à cette bataille, Statilius s'offrit, pour l'en
assurer, de passer au travers des ennemis, afin d'aller voir
ce qui se passait dans son camp (car c'était le seul
moyen de s'en éclaircir), en convenant avec Brutus que
s'il y trouvait les choses en bon état, il
élèverait une torche allumée, et
reviendrait aussitôt le rejoindre. Statilius parvint
jusqu'au camp, et éleva le signal convenu : mais
après un long intervalle Brutus ne le voyant pas
revenir : «Si Statilius, dit-il, était en vie,
il serait déjà de retour». En effet,
comme il retournait vers Brutus, il tomba entre les mains des
ennemis, qui le massacrèrent.
LX. La nuit était
fort avancée, lorsque Brutus se penchant, assis comme
il était, vers Clitus, un de ses domestiques, lui dit
quelques mots à l'oreille. Clitus ne lui
répondit rien, mais ses yeux se remplirent de larmes.
Alors Brutus tirant à part Dardanus, son
écuyer, lui parla tout bas. Il s'adressa enfin
à Volumnius, et, lui parlant grec, il lui rappela les
études et les exercices qu'ils avaient faits ensemble,
et le pria de l'aider à tenir son épée
et à s'en percer le sein. Volumnius s'y refusa, ainsi
que ses autres amis ; et l'un d'eux ayant dit qu'il ne
fallait pas rester là plus longtemps, mais
s'éloigner par la fuite : «Sans doute il faut
fuir, répondit Brutus en se levant, et se servir pour
cela non de ses pieds, mais de ses mains». En
même temps il leur serre à tous la main l'un
après l'autre, et leur dit, avec un air de
gaieté : «Je vois avec la satisfaction la plus
vive que je n'ai été abandonné par aucun
de mes amis ; et ce n'est que par rapport à ma patrie
que je me plains de la fortune. Je me crois bien plus heureux
que les vainqueurs, non seulement pour le passé, mais
pour le présent ; car je laisse une réputation
de vertu que ni leurs armes, ni leurs richesses, ne pourront
jamais leur acquérir, ni leur faire transmettre
à leurs descendants : on dira toujours d'eux,
qu'injustes et méchants, ils ont vaincu des hommes
justes et bons, pour usurper un empire auquel ils n'avaient
aucun droit». Il finit par les conjurer de pourvoir
à leur sûreté, et se retira à
quelque distance avec deux ou trois d'entre eux, du nombre
desquels était Straton, qui, en lui donnant des
leçons d'éloquence, s'était
particulièrement lié avec lui ; il le fit
mettre près de lui, et appuyant à deux mains la
garde de son épée contre terre, il se jeta sur
la pointe, et se donna la mort. Quelques auteurs disent qu'il
ne tint pas lui-même l'épée ; mais que
Straton, cédant à ses vives instances, la lui
tendit en détournant les yeux, et que Brutus, se
précipitant avec roideur sur la pointe, se
perça d'outre en outre, et expira sur l'heure.
Messala, l'ami de Brutus, ayant fait depuis sa paix avec
César, prit un jour de loisir pour lui
présenter Straton, en lui disant, les larmes aux yeux
: «Voilà, César, celui qui a rendu
à mon cher Brutus le dernier service».
César le reçut avec bonté, et l'eut
depuis pour compagnon dans toutes ses guerres, en particulier
dans celle d'Actium où Straton lui rendit autant de
services qu'aucun des Grecs qu'il avait à sa suite.
César louant un jour ce même Messala de ce
qu'ayant été, par amitié pour Brutus,
son plus grand en-nemi à Philippes, il avait
montré, à Actium, le plus grand zèle
pour son service : «César, lui répondit
Messala, je me suis toujours attaché au parti le
meilleur et le plus juste (57)».
LXI. Antoine ayant
trouvé le corps de Brutus, ordonna qu'on
l'ensevelît dans la plus riche de ses cottes d'armes ;
et dans la suite ayant su qu'elle avait été
dérobée, il fit mourir celui qui l'avait
soustraite, et envoya les cendres de Brutus à sa
mère Servilie. Nicolas le philosophe (58) et
Valère-Maxime (59) rapportent que sa
femme Porcia, résolue de se donner la mort, mais en
étant empêchée par tous ses amis qui la
gardaient à vue, prit un jour dans le feu des charbons
ardents, les avala, et tint sa bouche si exactement
fermée, qu'elle fut étouffée en un
instant. Cependant il existe une lettre de Brutus, dans
laquelle il reproche à ses amis d'avoir tellement
négligé Porcia, qu'elle s'était
laissée mourir pour se délivrer d'une
pénible maladie. Il semble donc que ce soit de la part
de ces deux écrivains un anachronisme, car cette
lettre, si elle est véritablement de Brutus, fait
assez connaître la maladie de sa femme, son amour pour
son mari, et le genre de sa mort.
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(51) Hésychius,
sur ce mot, dit qu'il est une altération de celui
de Phryges, ou Phrygiens, parce que c'était
ordinairement de cette nation que venaient les valets qui
suivaient les troupes, pour y remplir les plus bas
offices, et dont quelquefois on se servait pour
combattre. |
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(52) Brutus
regarde les Romains qui avaient suivi le parti d'Auguste
et d'Antoine, comme s'étant rendus esclaves en
s'attachant aux oppresseurs de la liberté
publique, et ne méritant que de vivre sous les
maîtres qu'ils s'étaient choisis ; au lieu
qu'avec lui ils auraient été libres et
citoyens, parce que la liberté et la patrie ne se
trouvaient plus que dans son parti. |
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(53) Le nom
de Lacédémone paraît suspect en cet
endroit : Thessalonique était dans la
Macédoine, et par conséquent bien
éloignée de Lacédémone. On ne
voit pas d'ailleurs que les Lacédémoniens
aient pris part à cette guerre, ni pour ni contre
Brutus. On ne connaît pas non plus d'autre ville de
ce nom dans les environs du lien où se faisait la
guerre. Etienne de Byzance nomme une autre ville de
Lacédémone : mais c'est dans l'île de
Cypre, qui ne paraît pas plus convenir ici que le
Péloponèse. |
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(54) Trois
heures de l'après-midi. |
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(55) Ce
passage manque d'un peu de développement. Voyez M.
Dacier sur cet endroit. |
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(56) Ce vers
est le trois cent trente-deuxième de la
Médée d'Euripide. Le sens de l'autre
que Volumnius avait oublié était : «O
vertu, tu n'es qu'un vain nom ! malheureux de t'avoir
suivie, je reconnais aujourd'hui que tu n'es qu'une vile
esclave de la fortune». Médée
prononce ces vers contre Jason, lorsqu'elle apprend qu'il
l'a trahie. Appien, liv. IV des Guerres civiles,
p.665, applique le premier vers à Antoine, qui,
pouvant délivrer sa patrie en s'unissant à
Brutus, et n'ayant même été
épargné lors du meurtre de César,
dans lequel les conjurés avaient voulu le
comprendre, que par l'espérance qu'avait Brutus
qu'il embrasserait le bon parti, aima mieux se joindre
à César pour opprimer et renverser la
république, et finit par en être
lui-même la victime. |
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(57) Réponse
à la fois généreuse et adroite : il
ne lui dissimule pas que la cause de Brutus ne fût
meilleure que la sienne ; mais il reconnaît
qu'après avoir suivi le parti de Brutus, il
n'avait pu en embrasser un meilleur que celui
d'Auguste. |
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(58) Nicolas
Damascène, ou de Damas en Syrie, est toujours
désigné par le surnom du lieu de sa
naissance. Son père Antipater y tenait un rang
distingué par ses emplois et ses richesses. Le
fils, qui fut élevé avec beaucoup de soin,
et qui aimait l'étude, fit dans les lettres et
dans la philosophie des progrès qui lui
donnèrent dès sa jeunesse la plus brillante
réputation, et devint un des membres les plus
distingués de l'école
péripatéticienne. Il vécut dans une
grande intimité avec Hérode, roi des Juifs,
et fut aussi fort avant dans les bonnes grâces
d'Auguste ; c'était lui qui envoyait à cet
empereur ces dattes fameuses que produisait la
vallée de Jéricho, remarquables par leur
beauté, et auxquelles Auguste, pour les distinguer
des dattes ordinaires, donna le nom du philosophe de qui
lui venait un si beau présent. Nicolas avait
composé une Histoire universelle en cent
quarante livres ; un Traité des Moeurs des
différentes nations, dont Stobée nous a
conservé quelques fragments, qu'on place
ordinairement avec ceux d'Héraclide sur la
même matière, à la suite des
Politiques d'Aristote. Nicolas avait
dédié cet ouvrage au roi Hérode,
suivant Photius, dans sa Bibliothèque, cod.
CLXXXIX. Il avait écrit aussi ses propres
Mémoires, et une vie d'Auguste, qui
peut-être faisait partie de son Histoire
universelle. Il avait composé avec
succès des tragédies et des
comédies, et s'était illustré, au
témoignage de Suidas, en tout genre de
composition. Voyez la Bibliothèque grecque de
Fabricius, t. II, p. 306 et 307. |
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(59) Liv.IV,
chap.VI. Valère-Maxime, qui nous a conservé
les traits mémorables de l'histoire romaine et de
celle des autres peuples, vivait sous Auguste et
Tibère, et dédia son ouvrage à ce
dernier empereur ; il descendait des deux familles
Valéria et Fabia, dans la dernière
desquelles le surnom Maximus était assez
commun ; et c'est de là que lui viennent ses deux
noms. |