[L'assassinat de César]
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LXVIII. Cet événement attira sur Brutus les
regards de la multitude ; il passait pour être, du
côté paternel, un descendant de l'ancien Brutus,
et par sa mère il était de la famille Servilia,
autre maison non moins illustre : il était d'ailleurs
neveu et gendre de Caton, et devait naturellement
désirer la ruine de la monarchie ; mais les honneurs
et les bienfaits qu'il avait reçus de César
émoussaient ce désir et l'empêchaient de
se porter à la détruire. Non content de lui
avoir donné la vie après la bataille de
Pharsale et la fuite de Pompée, et d'avoir, à
sa prière, sauvé plusieurs de ses amis,
César lui avait encore témoigné la plus
grande confiance, en lui conférant cette année
même la préture la plus honorable, et le
désignant consul pour quatre ans après ; il lui
donnait la préférence sur Cassius, son
compétiteur, quoiqu'il avouât que Cassius
apportait de meilleurs titres, mais qu'il ne pouvait le faire
passer avant Brutus (97) : aussi, lorsqu'on le lui
dénonça comme engagé dans la conjuration
qui se tramait déjà, il n'ajouta pas foi
à cette accusation ; et se prenant la peau du corps
avec la main : «Ce corps, dit-il, attend Brutus».
Il faisait entendre par là que la vertu de Brutus le
rendait digne de régner ; mais que pour régner,
il ne deviendrait pas ingrat et criminel. Cependant ceux qui
désiraient un changement, et qui avaient les yeux
fixés sur Brutus seul, ou du moins sur lui plus que
sur tout autre, n'osaient pas, à la
vérité, lui en parler ouvertement ; mais la
nuit ils couvraient le tribunal et le siège où
il rendait la justice comme prêteur de billets
conçus la plupart en ces termes : «Tu dors,
Brutus ! Tu n'es pas Brutus !» Cassius, qui
s'aperçut que ces reproches réveillaient
insensiblement en Brutus un vif désir de gloire, le
pressa lui-même beaucoup plus qu'il n'avait fait encore
; car il avait contre César des motifs particuliers de
haine, que nous ferons connaître dans la vie de Brutus
(98). Aussi
César, qui avait des soupçons sur son compte,
dit-il un jour à ses amis : «Que croyez-vous que
projette Cassius ? Pour moi, il ne me plaît
guère, car je le trouve bien pâle». Une
autre fois on accusait auprès de lui Antoine et de
Dolabella de tramer quelques nouveautés. «Ce
n'est pas, dit-il, ces gens si gras et si bien peignés
que je redoute ; je crains plutôt ces hommes si
pâles et si maigres». Il désignait Brutus
et Cassius.
LXIX. Mais il est bien
plus facile de prévoir sa destinée que de
l'éviter ; celle de César fut, dit-on,
annoncée par les présages et les prodiges les
plus étonnants. A la vérité, dans un
événement de cette importance, les feux
célestes, les bruits nocturnes qu'on entendit en
plusieurs endroits, les oiseaux solitaires qui vinrent, en
plein jour, se poser sur la place de Rome, ne sont pas des
signes assez frappants pour être remarqués.
Mais, au rapport de Strabon le philosophe (99), on vit en l'air des
hommes de feu marcher les uns contre les autres ; le valet
d'un soldat fit jaillir de sa main une flamme très
vive ; on crut que sa main en serait brûlée :
mais quand il eut cessé, on n'aperçut aucune
trace du feu. Dans un sacrifice que César offrait, on
ne trouva point de coeur à la victime ; et
c'était le prodige le plus effrayant, car il est
contre la nature que ce viscère manque à un
animal. Plusieurs personnes racontent encore aujourd'hui
qu'un devin avertit César qu'il était
menacé d'un très grand danger, le jour des ides
de mars (100) ; et que
ce jour-là César en allant au Sénat,
ayant rencontré le devin, le salua, et lui dit, en se
moquant de sa prédiction : «Eh bien !
voilà les ides de mars venues. - Oui, lui
répondit tout bas le devin, elles sont venues ; mais
elles ne sont pas passées». La veille de ces
ides, il soupait chez Lépidus, ou, suivant sa coutume,
il signa quelques lettres à table. Pendant qu'il
faisait ces signatures, les convives proposèrent cette
question : Quelle mort était la meilleure ?
César, prévenant leurs réponses, dit
tout haut : «C'est la moins attendue».
Après souper, il rentra chez lui ; et pendant qu'il
était couché avec sa femme, comme à son
ordinaire, les portes et les fenêtres s'ouvrirent tout
à coup d'elles-mêmes : réveillé en
sursaut et troublé par le bruit et par la
clarté de la lune qui donnait dans sa chambre, il
entendit sa femme Calpurnia, qui dormait d'un sommeil
profond, pousser des gémissements confus, et prononcer
des mots inarticulés qu'il ne put distinguer ; mais il
lui sembla qu'elle le pleurait, en le tenant
égorgé dans ses bras. Selon quelques auteurs,
Calpurnia eut pendant son sommeil une autre vision que
celle-là : ils disent, d'après, Tite-Live, que
le sénat, par un décret, avait fait placer au
faîte de la maison de César une espèce de
pinacle qui en était comme un ornement et une
distinction (101) ;
que Calpurnia avait songé que ce pinacle était
rompu, et que c'était là le sujet de ses
gémissements et de ses larmes. Quand le jour parut,
elle conjura César de ne pas sortir, s'il lui
était possible, ce jour-là, et de remettre
à un autre jour l'assemblée du sénat.
«Si vous faites peu d'attention à mes songes,
ajouta-t-elle, ayez du moins recours à d'autres
divinations, et faites des sacrifices pour consulter
l'avenir». Ces alarmes de Calpurnia donnèrent
des soupçons et des craintes à César ;
il n'avait jamais vu dans sa femme les faiblesses ordinaires
à son sexe, ni aucun sentiment superstitieux ; et il
la voyait alors vivement affectée. Après
plusieurs sacrifices, les devins lui
déclarèrent que les signes n'étaient pas
favorables ; et il se décida enfin à envoyer
Antoine au sénat, pour remettre l'assemblée
à un autre jour.
LXX. Mais, dans ce moment,
il voit entrer Décimus Brutus, surnommé
Albinus. César avait en lui une telle confiance qu'il
l'avait institué son second héritier : il
était cependant de la conjuration de l'autre Brutus et
de Cassius ; et craignant que, si César ne tenait pas
l'assemblée ce jour-là, leur complot ne
fût découvert, il se moqua des devins, et
représenta vivement à César que ce
délai donnerait lieu aux plaintes et aux reproches du
sénat, qui se croirait insulté. «Les
sénateurs, lui dit-il, ne se sont assemblés que
sur votre convocation ; ils sont disposés à
vous déclarer roi de tous les pays situés hors
de l'Italie, et à vous permettre de porter le
diadème partout ailleurs qu'à Rome, sur terre
et sur mer. Si, maintenant qu'ils sont sur leurs
sièges, quelqu'un va leur dire de se retirer et de
revenir un autre jour où Calpurnia aura eu des songes
plus favorables, quels propos ne ferez-vous pas tenir
à vos envieux ? Et qui voudra seulement écouter
vos amis, lorsqu'ils diront que ce n'est pas d'un
côté la plus entière servitude, et de
l'autre la tyrannie la plus absolue ? Si toutefois,
ajouta-t-il, vous croyez devoir éviter ce jour comme
malheureux pour vous, il convient au moins que vous alliez en
personne au sénat, pour lui déclarer
vous-même que vous remettez l'assemblée à
un autre jour». En achevant ces mots, il le prend par
la main et le fait sortir. Il avait à peine
passé le seuil de sa porte, qu'un esclave
étranger qui voulait absolument lui parler n'ayant pu
l'approcher, à cause de la foule qui l'environnait,
alla se jeter dans sa maison, et se remit entre les mains de
Calpurnia, en la priant de le garder jusqu'au retour de
César, à qui il avait des choses importantes
à communiquer. Artémidore de Cnide, qui
enseignait à Rome les lettres grecques, qui voyait
habituellement des complices de Brutus, et savait une partie
de la conjuration, vint pour remettre à César
un écrit qui contenait les différents avis
qu'il voulait lui donner ; mais voyant que César,
à mesure qu'il recevait quelques papiers, les
remettait aux officiers qui l'entouraient, il s'approcha le
plus près qu'il lui fut possible, et en
présentant son écrit : «César,
dit-il, lisez ce papier seul et promptement ; il contient des
choses importantes, qui vous intéressent
personnellement». César l'ayant pris de sa main
essaya plusieurs fois de le lire ; mais il en fut toujours
empêché par la foule de ceux qui venaient lui
parler. Il entra dans le sénat, le tenant toujours
dans sa main, car c'était le seul qu'il eût
gardé. Quelques auteurs disent qu'Artémidore,
sans cesse repoussé dans le chemin par la foule, ne
put jamais approcher de César, et qu'il lui fit
remettre le papier par un autre.
LXXI. Toutes ces
circonstances peuvent avoir été l'effet du
hasard ; mais on ne saurait en dire autant du lieu où
le sénat fut assemblé ce jour-là, et
où se passa cette scène sanglante. Il y avait
une statue de Pompée, et c'était un des
édifices qu'il avait dédiés pour servir
d'ornement à son théâtre. N'est-ce pas
une preuve évidente que cette entreprise était
conduite par un dieu qui avait marqué cet
édifice pour le lieu de l'exécution ? On dit
même que Cassius, lorsqu'on fut prêt d'attaquer
César, porta ses yeux sur la statue de Pompée,
et l'invoqua en secret, quoiqu'il fût d'ailleurs dans
les sentiments d'Epicure (102), mais la vue du danger
présent pénétra son âme d'un vif
sentiment d'enthousiasme, qui lui fit démentir ses
anciennes opinions. Antoine, dont on craignait la
fidélité pour César, et la force de
corps extraordinaire, fut retenu, hors du lieu de
l'assemblée, par Albinus, qui engagea à dessein
avec lui une longue conversation (103). Lorsque César
entra, tous les sénateurs se levèrent pour lui
faire honneur. Des complices de Brutus, les uns se
placèrent autour du siège de César ; les
autres allèrent au-devant de lui, pour joindre leurs
prières à celles de Métellus Cimber
(104), qui demandait
le rappel de son frère ; et ils le suivirent, en
redoublant leurs instances, jusqu'à ce qu'il fût
arrivé à sa place. Il s'assit, en rejetant
leurs prières ; et comme ils le pressaient toujours
plus vivement, il leur témoigna à chacun en
particulier son mécontentement. Alors Métellus
lui prit la robe de ses deux mains, et lui découvrit
le haut de l'épaule ; c'était le signal dont
les conjurés étaient convenus. Casca le frappa
le premier de son épée ; mais le coup ne fut
pas mortel, le fer n'ayant pas pénétré
bien avant. Il y a apparence que, chargé de commencer
une si grande entreprise, il se sentit troublé.
César, se tournant vers lui, saisit son
épée, qu'il tint toujours dans sa main. Ils
s'écrièrent tous deux en même temps,
César en latin : «Scélérat de
Casca, que fais-tu ?» Et Casca, s'adressant à
son frère, lui cria, en grec : «Mon
frère, au secours !»
LXXII. Dans le premier
moment, tous ceux qui n'étaient pas du secret furent
saisis d'horreur ; et, frissonnant de tout leur corps, ils
n'osèrent ni prendre la fuite, ni défendre
César, ni proférer une seule parole. Cependant
les conjurés, tirant chacun son épée,
l'environnent de toutes parts ; de quelque côté
qu'il se tourne, il ne trouve que des épées qui
le frappent aux yeux et au visage : telle qu'une bête
féroce assaillie par les chasseurs, il se
débattait entre toutes ces mains armées contre
lui ; car chacun voulait avoir part à ce meurtre et
goûter pour ainsi dire à ce sang, comme aux
libations d'un sacrifice. Brutus lui-même lui porta un
coup dans l'aine. Il s'était défendu, dit-on,
contre les autres, et traînait son corps de
côté et d'autre en poussant de grands cris. Mais
quand il vit Brutus venir sur lui l'épée nue
à la main, il se couvrit la tête de sa robe et
s'abandonna au fer des conjurés. Soit hasard, soit
dessein formé de leur part, il fut poussé
jusqu'au piédestal de la statue de Pompée, qui
fut couverte de son sang. Il semblait que Pompée
présidât à la vengeance qu'on tirait de
son ennemi, qui, abattu et palpitant, venait d'expirer
à ses pieds, du grand nombre de blessures qu'il avait
reçues. Il fut percé, dit-on, de vingt-trois
coups ; et plusieurs des conjurés se blessèrent
eux-mêmes, en frappant tous à la fois sur un
seul homme.
LXXIII. Quand César
fut mort, Brutus s'avança au milieu du sénat
pour rendre raison de ce que les conjurés venaient de
faire : mais les sénateurs n'eurent pas la force de
l'entendre ; ils s'enfuirent précipitamment par les
portes et jetèrent parmi le peuple le trouble et
l'effroi. Les uns fermaient leurs maisons, les autres
abandonnaient leurs banques et leurs comptoirs ; les rues
étaient pleines de gens qui couraient çà
et là, et dont les uns allaient au sénat pour
voir cet affreux spectacle, les autres en revenaient
après l'avoir vu. Antoine et Lépidus, les deux
plus grands amis de César, se dérobant de la
foule, cherchèrent un asile dans des maisons
étrangères. Mais Brutus et les autres
conjurés, encore tout fumants du sang qu'ils venaient
de répandre, et tenant leurs épées nues,
sortirent tous ensemble du sénat, et prirent le chemin
du Capitole, non comme des gens qui fuient, mais l'air
content, et avec un visage gai qui annonçait leur
confiance. Ils appelaient le peuple à la
liberté, et s'arrêtaient avec les personnes de
distinction qu'ils rencontraient dans les rues. Il y en eut
même qui se joignirent à eux, pour faire croire
qu'ils avaient eu part à la conjuration, et en
partager faussement la gloire. De ce nombre furent Caïus
Octavius et Lentulus Spinther, qui, dans la suite, furent
bien punis de cette vanité. Antoine et le jeune
César les firent mettre à mort, et leur
ôtèrent même l'honneur qu'ils avaient
ambitionné et qui causa leur perte. Ceux qui les
condamnèrent punirent en eux, non la complicité
du meurtre, mais l'intention. Le lendemain, Brutus et les
autres conjurés se rendirent sur la place et
parlèrent au peuple, qui les écouta sans donner
un signe de blâme ni d'approbation ; le profond silence
qu'il garda faisait seulement connaître que, si d'un
côté il plaignait César, de l'autre il
respectait Brutus. Le sénat décréta
l'amnistie générale du passé ; il
ordonna qu'on rendrait à César les honneurs
divins, et qu'on ne changerait aucune des ordonnances qu'il
avait faite pendant sa dictature. Il distribua à
Brutus et à ses complices des gouvernements, et leur
décerna des honneurs convenables. Tout le monde crut
que les affaires étaient sagement disposées, et
la république remise dans le meilleur
état.
LXXIV. Mais quand on eut
ouvert le testament de César, et qu'on y eut lu qu'il
laissait à chaque Romain un legs considérable ;
qu'ensuite on vit porter, à travers la place, son
corps sanglant et déchiré de plaies, le peuple,
ne se contenant plus et ne gardant aucune modération,
fit un bûcher des bancs, des barrières et des
tables qui, étaient sur la place, et brûla le
corps de César. Prenant ensuite des tisons
enflammés, il courut en foule aux maisons des
meurtriers, pour y mettre le feu ; plusieurs même se
répandirent dans la ville, et les cherchèrent
dans le dessein de les mettre en pièces ; mais on ne
put les découvrir, parce qu'ils se tinrent bien
renfermés. Un des amis de César, nommé
Cinna, avait eu, la nuit précédente, un songe
assez extraordinaire : il avait cru voir César qui
l'invitait à souper, et qui, sur son refus, l'avait
pris par la main et l'avait entraîné,
malgré sa résistance. Quand il apprit qu'on
brûlait, sur la place, le corps du dictateur, il se
leva ; et quoique inquiet du songe qu'il avait eu, quoique
malade de la fièvre, il y courut pour rendre à
son ami les derniers devoirs. Lorsqu'il arriva sur la place,
quelqu'un du peuple le nomma à un citoyen qui lui
demandait son nom ; celui-ci le dit à un autre ; et
bientôt il courut dans toute la foule que
c'était un des meurtriers de César : il y avait
en effet un des conjurés qui s'appelait Cinna ; et le
peuple, prenant cet homme pour le meurtrier, se jeta sur lui,
et le mit en pièces sur la place même. Brutus et
Cassius, effrayés de cette fureur populaire, sortirent
de la ville peu de jours après. Je raconterai dans la
vie de Brutus ce qu'ils firent depuis, et les malheurs qu'ils
éprouvèrent.
LXXV. César mourut
âgé de cinquante-six ans, et ne survécut
guère que de quatre ans à Pompée. Cette
domination, ce pouvoir souverain qu'il n'avait cessé
de poursuivre à travers mille dangers, et qu'il obtint
avec tant de peine, ne lui procura qu'un vain titre, qu'une
gloire fragile, qui lui attirèrent la haine de ses
concitoyens. Mais ce génie puissant qui l'avait
conduit pendant sa vie le suivit encore après sa mort
; il s'en montra le vengeur, en s'attachant sur les pas de
ses meurtriers et par terre et par mer ; jusqu'à ce
qu'il n'en restât plus un seul de ceux qui avaient pris
la moindre part à l'exécution, ou qui avaient
seulement approuvé le complot. Entre les
événements humains, il n'en est pas de plus
étonnant que celui qu'éprouva Cassius : vaincu
à la bataille de Philippes, il se tua de la même
épée dont il avait frappé César ;
et parmi les phénomènes célestes, on vit
un premier signe remarquable dans cette grande comète
qui, après le meurtre de César, brilla avec
tant d'éclat pendant sept nuits et disparut ensuite
(105). Un second
signe, ce fut l'obscurcissement du globe solaire, qui parut
fort pâle toute cette année-là, et qui
chaque jour, à son lever, au lieu de rayons
étincelants, n'envoyait qu'une lumière faible
et une chaleur si languissante, que l'air fut toujours
épais et ténébreux ; car la chaleur
seule peut le raréfier ; son intempérie fit
avorter les fruits, qui se flétrirent avant que
d'arriver à leur maturité.
LXXVI. Mais rien ne prouve
davantage comment le meurtre de César avait
déplu aux dieux que le fantôme qui apparut
à Brutus. Pendant qu'il se disposait à faire
passer son armée du port d'Abyde (106) au rivage opposé,
il se reposait la nuit dans sa tente, suivant sa coutume,
sans dormir et réfléchissant sur l'avenir.
C'était de tous les généraux celui qui
avait le moins besoin de sommeil, et que la nature avait fait
pour veiller le plus longtemps. Il crut entendre quelque
bruit à la porte de sa tente ; et en regardant
à la clarté d'une lampe prête à
s'éteindre, il aperçut un spectre horrible,
d'une grandeur démesurée, et d'une figure
hideuse. Cette apparition lui causa d'abord de l'effroi ;
mais quand il vit que le spectre, sans faire aucun mouvement
et sans rien dire, se tenait en silence auprès de son
lit, il lui demanda qui il était : «Brutus, lui
répondit le fantôme, je suis ton mauvais
génie, et tu me verras à Philippes. - Eh bien !
reprit Brutus d'un ton assuré, je t'y verrai».
Et aussitôt le spectre s'évanouit. Quelque temps
après, à la bataille de Philippes contre
Antoine et César, il remporta une première
victoire, renversa de son côté tout ce qui lui
faisait tête, et poursuivit les fuyards jusqu'au camp
de César, qui fut livré au pillage. Il se
préparait à un second combat, lorsque ce
même spectre lui apparut encore la nuit, sans
proférer une seule parole. Brutus, qui comprit que son
heure était venue, se précipita volontairement
au milieu des plus grands dangers. Cependant il ne mourut pas
dans le combat ; ses troupes ayant été mises en
déroute, il se retira sur une roche escarpée ;
là, se jetant sur son épée, avec l'aide
d'un de ses amis, il se l'enfonça dans la poitrine, et
expira sur le coup.
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(97) Ce trait est
rapporté dans la vie de Brutus, mais par
rapport à la préture urbaine, que Plutarque
désigne quelques lignes plus haut par ces mots :
la préture la plus honorable.
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(98) Dans la vie
de Brutus, Plutarque rapporte que Cassius, outre
d'autres sujets de plainte qu'il avait contre
César, ne lui pardonnait pas de lui avoir
enlevé des lions qu'il avait fait rassembler et
conduire à Mégare, pour les jeux de son
édilité. Il ajoute qu'on regardait cet
affront fait à Cassius comme la principale cause
de la conjuration ; mais il paraît plutôt
croire que Cassius avait apporté en naissant une
aversion invincible contre la tyrannie, et qu'il avait,
dès son enfance même, manifesté cette
disposition.
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(99) Strabon,
si connu par sa Géographie, était
encore un philosophe distingué, de la secte des
stoïciens, selon les uns, ou de l'école du
Lycée, selon d'autres. Il avait composé
plusieurs ouvrages historiques. Il a vécu sous
Auguste et sous Tibère. Voyez, pour de plus grands
détails, Vossius, de Hist. gr. lib. II,
cap. VI. Dans tous les temps on a voulu que la mort des
hommes puissants, des princes et des rois que leurs
actions avaient élevés au-dessus des
autres, eût été annoncée par
des prodiges remarquables, et les temps modernes n'ont
pas été plus exempts de cette manie que
l'antiquité.
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(100) Les
ides des mois romains variaient, ainsi que les nones ;
dans les mois de mars, de mai, de juillet et d'octobre,
les nones étaient le sept du mois, et les ides le
quinze. Dans tous les autres mois les nones
étaient le cinq, et les ides le treize : jusqu'aux
nones, on comptait les quatre jours des calendes ; et
depuis les ides, on datait les calendes du mois suivant,
en comptant du dix.huitième avant les calendes,
lorsque les ides étaient le treize ; ou du seize
avant les calendes, lorsque les ides étaient le
quinze, comme dans le mois de mars.
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(101) Ce
pinacle était une sorte d'ornement que l'on
mettait au faîte des temples, et que les Grecs
nommaient aigle, comme on le voit dans les Oiseaux
d'Aristophane. Le sénat avait accordé
à César plusieurs honneurs, qui
ordinairement étaient réservés aux
dieux ; des temples, des autels, etc. Ce pinacle
était une distinction du même genre. Voyez,
sur tous ces honneurs prodigués à
César, Suétone, dans sa vie, chap.
LXXVI.
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(102) Epicure
supposait que les dieux ne se mêlaient point de la
conduite de l'univers, et que, livrés au repos le
plus profond, ils étaient indifférents aux
actions des hommes. Il croyait par conséquent
qu'il était inutile de les invoquer.
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(103) Dans la
vie de Brutus, c'est Caïus Trébonius
qui retient Antoine hors du sénat. Il est possible
que ce soit la faute d'un copiste qui aura
répété ici ce nom, qu'il avait lu un
peu plus haut. Plutarque ne pouvait pas tomber en
contradiction avec lui-même sur un fait aussi
connu, attesté par plusieurs historiens et surtout
par Cicéron, plus digne encore d'en être
cru, et qui le dit formellement dans la onzième
Philippique, chap. XIV, et dans la
treizième, chap. X.
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(104) Ce
Cimber ne s'appelait pas Métellus, mais Tullius ;
il est ainsi nommé dans un manuscrit, et dans
Suétone, chap. LXXXIX. Il est vrai qu'Appien
l'appelle Atilius Cimber ; et on le trouve avec ce nom
dans une médaille ; mais cette médaille est
suspecte avec raison aux antiquaires, suivant
l'observation de M. Dacier. Ni Fulvius Ursinus, qui a
ramassé toutes les médailles de la famille
Attilia, ni Antonius Augustinus, qui a donné la
liste de tous les membres de cette famille, ne
reconnaissent cet Atilius Cimber.
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(105) Pline
nous a conservé, liv. II, chap. XXV, un passage
d'Auguste, successeur de César, où il dit
que cette comète partit tout d'un coup, pendant
les jeux qu'il célébrait en l'honneur de
César ; qu'elle se levait dans la partie
septentrionale du ciel, vers la onzième heure du
jour (cinq heures du soir) : «Le peuple, ajoute
Auguste, crut que cet astre marquait l'admission de
l'âme de César parmi les dieux immortels ;
et, par cette raison, on a placé une comète
sur la tête de la statue que j'ai consacrée
depuis peu en son honneur dans la place
publique».
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(106) Abyde
était une ville d'Asie, sur l'Hellespont,
vis-à-vis de Seste, de l'autre côté
du détroit : ce fut près de ce lieu que
Xerxès fit construire ce fameux pont dont il est
tant parlé dans les anciens, lorsqu'il voulut
aller subjuguer les Scythes. Abyde est aujourd'hui la
Dardanelle d'Asie, château de la Turquie asiatique,
dans la mer Méditerranée, sur le
détroit des Dardanelles.
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