[La fin de Pompée] |
LXXVII. Pompée entre de même dans sa tente,
et s'y assied en silence, jusqu'à ce que les ennemis,
qui poursuivaient les fuyards, étant arrivés
à ses retranchements, il s'écrie : «Quoi
! jusque dans mon camp ?» et, sans ajouter un mot de
plus, il se lève, prend une robe convenable à
sa fortune présente, et sort sans être vu de
personne. Ses autres légions ayant aussi pris la
fuite, les ennemis s'emparent du camp, où ils font un
grand carnage des valets et des soldats qui étaient
restés pour le garder. Car de ceux qui combattirent,
il n'y en eut, au rapport d'Asinius Pollion, qui était
à cette bataille dans l'armée de César,
que six mille de tués (106). Après que le
camp eut été forcé (106 b), on vit
jusqu'à quel point les ennemis avaient porté la
folie et la légèreté : toutes les tentes
étaient couronnées de myrtes, les lits couverts
d'étoffes précieuses, les tables
chargées de vaisselle d'argent et d'urnes pleines de
vin ; tout annonçait l'appareil d'une fête et
les dispositions d'un sacrifice, plutôt que les
préparatifs d'un combat : tant, en partant pour
l'armée, ils avaient été séduits
par les plus vaines espérances, et remplis d'une folle
témérité (107) ! Quand Pompée,
qui n'avait avec lui que très peu de personnes, se fut
un peu éloigné du camp, il quitta son cheval ;
et, ne se voyant pas poursuivi, il marcha lentement, tout
entier aux réflexions qui devaient naturellement
occuper un homme accoutumé depuis trente-quatre ans
à tout subjuguer, et qui, dans sa vieillesse, faisait
la première expérience de la déroute et
de la fuite. Il se demandait à lui-même comment
une gloire et une puissance qui s'étaient toujours
accrues par tant de combats et de victoires, avaient pu
s'évanouir en une heure ; comment, après
s'être vu naguère environné de tant de
milliers de gens de pied et de cavaliers, escorté de
flottes nombreuses, il était maintenant si faible, et
réduit à un équipage si simple, que les
ennemis mêmes qui le cherchaient, ne pouvaient le
reconnaître. Il passa la ville de Larisse sans s'y
arrêter, et entra dans la vallée de
Tempé, où, pressé par la soif, il se
jeta le visage contre terre, et but dans la rivière.
Après s'être relevé, il traversa la
vallée, et se rendit au bord de la mer. Il passa la
nuit dans une cabane de pêcheur ; et dès le
point du jour, montant dans un bateau de rivière avec
les personnes de condition libre qui l'avaient
accompagné, il ordonna aux esclaves de se rendre
auprès de César, et de ne rien craindre.
LXXVIII. Il cotoyait le
rivage, lorsqu'il aperçut un grand vaisseau de charge
prêt à lever l'ancre : il avait pour patron un
Romain qui n'avait jamais eu de rapport avec Pompée,
et qui ne le connaissait que de vue ; il s'appelait
Péticius. La nuit précédente,
Pompée lui avait apparu en songe, non tel qu'il
l'avait souvent vu, mais s'entretenant avec lui dans un
état d'humiliation et d'abattement. Péticius,
comme il est d'ordinaire à des gens
désoeuvrés quand ils ont eu des songes sur
quelques objets importants, racontait le sien aux passagers ;
et tout à coup un des matelots lui dit qu'il
apercevait un bateau de rivière qui venait à
eux en forçant de rames, et des hommes qui faisaient
signe avec leurs robes en leur tendant les mains.
Péticius s'étant levé, reconnut d'abord
Pompée tel qu'il l'avait vu en songe, et se frappant
la tête de douleur, il ordonna aux matelots de
descendre l'esquif. En même temps il tendit la main
à Pompée, en l'appelant par son nom, et
conjectura, par l'état dans lequel il le voyait, le
changement de sa fortune. Aussi, sans attendre de sa part ni
prière, ni discours, le reçut-il dans son
vaisseau, et avec lui tous ceux que voulut Pompée,
entre autres les deux Lentulus et Favonius. Il mit
aussitôt à la voile. Peu de temps après
ils virent sur le rivage le roi Déjotarus, qui faisait
des signes pour être aperçu d'eux ; et ils le
reçurent dans leur vaisseau. Quand l'heure du repas
fut venue, le patron lui-même l'apprêta avec les
provisions qu'il avait ; et Favonius, voyant que
Pompée, faute de domestiques, ôtait
lui-même ses habits pour se baigner, courut à
lui, le déshabilla, le mit dans le bain et le frotta
d'huile. Depuis ce moment il ne cessa d'en avoir soin, et de
lui rendre tous les services qu'un esclave rend à son
maître, jusqu'à lui laver les pieds et lui
préparer ses repas. Quelqu'un voyant avec quelle
noblesse et quelle simplicité éloignée
de toute affectation il s'acquittait de ce service,
s'écria :
Grands dieux ! comme tout sied aux âmes généreuses !
LXXIX. Pompée ayant passé devant Amphipolis,
fit voile de là vers Mitylène (108), pour y prendre
Cornélie et son fils. Lorsqu'il eut jeté
l'ancre devant l'île, il envoya à la ville un
courrier, non tel que Cornélie l'attendait,
après les nouvelles agréables qui lui avaient
été annoncées de vive voix et par
écrit, et qui lui faisaient espérer que la
victoire de Dyrrachium ayant terminé la guerre,
Pompée n'aurait plus eu qu'à poursuivre
César. Le courrier, la trouvant toute pleine de cette
espérance, n'eut pas la force de la saluer ; mais lui
faisant connaître l'excès de ses malheurs plus
par ses larmes que par ses paroles, il lui dit de se
hâter, si elle voulait voir Pompée sur un seul
vaisseau, qui même ne lui appartenait pas. A cette
nouvelle, Cornélie se jette à terre et y reste
longtemps, l'esprit égaré, sans proférer
une seule parole. Revenue à elle-même avec
peine, et sentant que ce n'était pas le moment des
gémissements et des larmes, elle traverse la ville et
court au rivage. Pompée alla au-devant d'elle, et la
reçut dans ses bras, prête à
s'évanouir : «O mon époux ! lui dit-elle,
ce n'est pas ta mauvaise fortune, c'est la mienne qui t'a
réduit à une seule barque ; toi qui, avant que
d'épouser Cornélie, voguais sur cette mer avec
cinq cents voiles ! Pourquoi venir me chercher ? Que ne
m'abandonnais-tu à ce funeste destin qui seul attire
sur toi tant de calamités ? Quel bonheur pour moi, si
j'avais pu mourir avant que d'apprendre la mort de Publius
Crassus, mon premier mari, qui a péri par la main des
Parthes ! ou que j'aurais été sage, si,
après sa mort, j'avais quitté la vie, comme
j'en avais d'abord le dessein ! Je ne l'ai donc
conservée que pour faire le malheur du grand
Pompée !» Telles furent, dit-on, les paroles de
Cornélie à son mari : «Cornélie,
lui répondit Pompée, tu n'avais connu encore
que les faveurs de la fortune : et c'est sans doute leur
durée au delà du terme ordinaire qui fait
aujourd'hui ton erreur. Mais, puisque nous sommes nés
mortels, il faut savoir supporter les disgrâces et
tenter encore la fortune : ne désespérons pas
de revenir de mon état présent à ma
grandeur passée, comme de ma grandeur je suis
tombé dans l'état où tu me
vois».
LXXX. Cornélie fit
venir de Mitylène ses domestiques et ses effets les
plus précieux ; les Mityléniens vinrent saluer
Pompée, et le prièrent d'entrer dans leur ville
; mais il le refusa, et leur dit de se soumettre au vainqueur
avec confiance : «Car, ajouta-t-il, César est
bon et clément». Se tournant ensuite vers le
philosophe Cratippe, qui était descendu de
Mitylène pour le voir, il se plaignit de la Providence
divine, et témoigna quelques doutes sur son existence.
Cratippe, en paraissant entrer dans ses raisons,
tâchait de le ramener à de meilleures
espérances ; il craignait sans doute de se rendre
importun en le contredisant mal à propos. Car, aux
doutes que Pompée élevait sur la Providence,
Cratippe pouvait répondre en lui montrant que dans le
désordre où la république était
tombée, elle avait besoin d'un gouvernement
monarchique (109). Il
aurait pu lui dire encore : «Comment et à quelle
marque pourrions-nous croire, Pompée, que si la
victoire s'était déclarée en votre
faveur, vous auriez usé mieux que César de
votre fortune ?» Mais laissons là ces questions,
comme toutes celles qui regardent les dieux (110).
LXXXI. Pompée ayant
pris sur son vaisseau sa femme et ses amis, continua sa route
sans s'arrêter ailleurs que dans les ports, quand le
besoin de faire de l'eau et de prendre des vivres le
forçait de relâcher. La première ville
où il descendit fut Attalie (111) dans la Phamphylie. Il
y arriva quelques galères qui venaient de Cilicie, et
il parvint à rassembler quelques troupes ; il eut
même bientôt auprès de lui jusqu'à
soixante sénateurs ; et ayant appris que sa flotte
n'avait reçu aucun échec ; que Caton,
après avoir recueilli un grand nombre de soldats de la
déroute de Pharsale, était passé en
Afrique, il se plaignit à ses amis ; et se fit
à lui-même les plus vifs reproches de
s'être laissé forcer à combattre avec sa
seule armée de terre, sans employer ses troupes de
nier, qui faisaient ses principales forces ; ou du moins de
ne s'être pas fait comme un rempart de sa flotte, qui,
en cas d'une défaite sur terre, lui aurait fourni une
autre armée si puissante, si capable de
résister à l'ennemi. Il est vrai que la plus
grande faute de Pompée, comme la ruse la plus habile
de César, fut d'avoir placé le lieu du combat
si loin du secours que Pompée pouvait tirer de sa
flotte. Cependant celui-ci, forcé de tenter quelque
entreprise avec les faibles ressources qui lui restaient,
envoya ses amis dans quelques villes, alla lui-même
dans d'autres pour demander de l'argent et équiper des
vaisseaux ; mais craignant qu'un ennemi aussi prompt et aussi
actif que César ne vînt subitement lui enlever
tous les préparatifs qu'il aurait pu faire, il
examinait quelle retraite, quel asile il pouvait
espérer dans sa fortune présente.
LXXXII. Après en
avoir délibéré avec ses amis, il ne vit
aucune province de l'empire où il pût se retirer
en sûreté. Entre les royaumes étrangers,
il ne voyait que celui des Parthes qui, pour le moment,
fût le plus propre à les recevoir, à
protéger d'abord leur faiblesse, ensuite à les
remettre en pied et à les renvoyer avec des forces
considérables. La plupart de ses amis penchaient pour
l'Afrique et pour le roi Juba ; mais Théophane de
Lesbos représenta que ce serait la plus grande folie
de laisser là l'Egypte, qui n'était qu'à
trois journées de navigation, dont, à la
vérité, le roi Ptolémée (112) sortait à peine
de l'enfance, mais devait à Pompée tant de
reconnaissance pour les services et les témoignages
d'amitié que son père en avait reçus, et
d'aller se jeter entre les mains des Parthes, la plus perfide
de toutes les nations. «Serait-il raisonnable,
ajouta-t-il, que Pompée, qui refuse d'être le
second après un Romain dont il a été le
gendre, pour être le premier de tous les autres, qui ne
veut pas faire l'épreuve de la modération de
César, allât livrer sa personne à un
Arsace (113), qui n'a
jamais pu avoir en sa puissance Crassus vivant ?
mènerait-il une jeune femme du sang des Scipions au
milieu de ces Barbares, qui ne mesurent leur pouvoir que sur
la licence qu'ils prennent d'assouvir leurs passions brutales
? et quand elle ne devrait en recevoir aucun outrage, ne
serait-il pas indigne d'elle d'être seulement
exposée au soupçon d'en avoir souffert, par
cela seul qu'elle aurait été avec des hommes
capables de le faire ?» Cette dernière raison
fut, dit-on, la seule qui détourna Pompée de
prendre le chemin de l'Euphrate, si toutefois ce fut la
réflexion de Pompée, et non pas son mauvais
génie, qui lui fit prendre l'autre route. L'avis de se
retirer en Egypte ayant donc prévalu, il partit de
Cypre avec sa femme, sur une galère de Séleucie
: les autres personnes de sa suite montaient, ou des
vaisseaux longs, ou des navires marchands ; la
traversée fut heureuse. En arrivant en Egypte, il
apprit que Ptolémée était à
Péluse (114)
avec son armée, et qu'il faisait la guerre à sa
soeur : il se mit en chemin pour s'y rendre, et se fit
précéder par un de ses amis, chargé
d'informer le roi de son arrivée, et de lui demander
un asile dans ses Etats.
LXXXIII.
Ptolémée était extrêmement jeune ;
mais Pothin (115),
qui exerçait sous son nom toute l'autorité,
assembla sur-le-champ un conseil des principaux courtisans,
qui tous n'avaient d'autre pouvoir que celui qu'il voulait
bien leur communiquer, et leur ordonna de dire chacun son
avis. Il était déjà bien humiliant pour
le grand Pompée que son sort dépendit de la
délibération d'un Pothin, valet de chambre du
roi ; d'un Théodote de Chio, gagé par le prince
pour lui enseigner la rhétorique, et de l'Egyptien
Achillas ; car ces trois hommes, pris entre les valets de
chambre du roi, et parmi ceux qui l'avaient
élevé étaient ses principaux ministres :
voilà le conseil dont Pompée,
arrêté à l'ancre loin du rivage,
attendait la décision, lui qui n'avait pas cru qu'il
fût de sa dignité de devoir sa vie à
César. Les opinions furent tellement opposées,
que les uns voulaient qu'on renvoyât Pompée, les
autres qu'on le reçût ; mais Théodote,
pour faire parade de son art de rhéteur, soutint qu'il
n'y avait de sûreté dans aucun de ces deux avis
; que recevoir Pompée, c'était se donner
César pour ennemi, et Pompée pour maître
; que si on le renvoyait, il pourrait les faire repentir un
jour de l'avoir chassé, et César de l'avoir
obligé de le poursuivre : le meilleur parti
était donc de le recevoir et de le faire périr
; par là ils obligeraient César, sans avoir
à craindre Pompée : «Car, ajouta-t-il en
souriant, un mort ne mord pas».
LXXXIV. Tout le conseil
adopta cet avis ; et Achillas ayant été
chargé de l'exécution, prit avec lui deux
Romains, nommés Septimius et Salvius, qui avaient
été autrefois, l'un chef de bande, et l'autre
centurion sous Pompée. Il y joignit trois ou quatre
esclaves, et se rendirent avec cette suite à la
galère de Pompée, où les principaux
d'entre ceux qui l'avaient accompagné s'étaient
rassemblés, pour voir quel serait le succès de
son message. Lorsqu'au lieu d'une réception magnifique
et digne d'un roi, tel que Théophane en avait
donné l'espérance, ils ne virent que ce petit
nombre d'hommes qui venaient dans un bateau de
pêcheurs, ce mépris affecté leur parut
suspect, et ils conseillèrent à Pompée
de gagner le large, pendant qu'ils étaient encore hors
de la portée du trait. Cependant le bateau
s'étant approché, Septimius se leva le premier,
et saluant Pompée en sa langue, il lui donna le titre
d'imperator. Achillas, l'ayant salué en langue
grecque, l'invita à passer dans sa barque, parce que
la côte était trop vaseuse, et que la mer,
hérissée de bancs de sable, n'avait pas de
profondeur pour sa galère. On voyait en même
temps armer des vaisseaux du roi, et des soldats se
répandre sur le rivage : ainsi la fuite devenait
impossible à Pompée, quand même il aurait
changé d'avis ; d'ailleurs, montrer de la
défiance, c'était fournir aux assassins
l'excuse de leur crime. Après avoir embrassé
Cornélie, qui pleurait déjà sa mort, il
ordonna à deux centurions de sa suite, à
Philippe, un de ses affranchis, et à un de ses
esclaves, nommé Scyné, de monter les premiers
dans la barque ; et voyant Achillas lui tendre la main de
dessus le bateau, il se retourna vers sa femme et son fils,
et leur dit ces vers de Sophocle :
Dans la cour d'un tyran quiconque s'est
jeté,
Quelque libre qu'il soit, y perd sa liberté.
Ce furent les dernières paroles qu'il dit aux
siens, et il passa dans la barque.
LXXXV. Il y avait loin de
sa galère au rivage ; et comme, dans le trajet, aucun
de ceux qui étaient avec lui dans la barque ne lui
disait un mot d'honnêteté, il jeta les yeux sur
Septimius : «Mon ami, lui dit-il, me trompé-je,
ou n'as-tu pas fait autrefois la guerre avec moi ?»
Septimius lui répondit affirmativement par un signe de
tête, sans lui dire une parole, sans lui montrer aucun
intérêt. Il se fit de nouveau un profond silence
; et Pompée prenant des tablettes où il avait
écrit un discours grec qu'il devait adresser à
Ptolémée, se mit à le lire. Lorsqu'ils
furent près du rivage, Cornélie, en proie aux
plus vives inquiétudes, regardait avec ses amis de
dessus la galère ce qui allait arriver ; elle
commençait à se rassurer, en voyant plusieurs
officiers du roi venir au débarquement de
Pompée, comme pour lui faire honneur. Mais dans le
moment où il prenait la main de Philippe son
affranchi, pour se lever plus facilement, Septimius lui passa
le premier, par derrière, son épée au
travers du corps, et aussitôt Salvius et Achillas
tirèrent leurs épées. Pompée
prenant sa robe avec ses deux mains, s'en couvrit le visage,
et sans rien dire ni rien faire d'indigne de lui, jetant un
simple soupir, il reçut avec courage tous les coups
dont on le frappa. Il était âgé de
cinquante-neuf ans, et fut tué le lendemain du jour de
sa naissance (116). A
la vue de cet assassinat, ceux qui étaient dans la
galère de Cornélie et dans les deux autres
navires, poussèrent des cris affreux qui retentirent
jusqu'au rivage ; et levant les ancres, ils prirent
précipitamment la fuite, poussés par un vent
fort qui les prit en poupe ; les Egyptiens, qui se
disposaient à les poursuivre, renoncèrent
à leur dessein. Les assassins coupèrent la
tête à Pompée, et jetèrent hors de
la barque le corps tout nu, qu'ils laissèrent
exposé aux regards de ceux qui voulurent se
repaître de ce spectacle.
LXXXVI. Après
qu'ils s'en furent rassasiés, Philippe, qui ne l'avait
point quitté, lava le corps dans l'eau de la mer,
l'enveloppa, faute d'autre vêtement, de sa propre
tunique, et ramassa sur le rivage quelques débris d'un
bateau de pêcheur, presque pourris de
vétusté, mais qui suffirent pour composer un
bûcher à un corps nu qui n'était pas
même entier. Pendant qu'il rassemblait ces restes pour
les porter sur le bûcher, un Romain déjà
vieux, qui dans sa jeunesse avait fait ses premières
campagnes sous Pompée, s'approcha de lui : «Qui
es-tu, mon ami, lui dit-il, toi qui te disposes à
faire les obsèques du grand Pompée ?»
Philippe lui ayant répondu qu'il était son
affranchi : «Tu n'auras pas seul cet honneur, reprit le
vieillard ; conduit ici par un hasard favorable, je
m'associerai à cette pieuse cérémonie.
Je n'aurai pas à me plaindre en tout de mon
séjour dans une terre étrangère,
puisque, après tant de malheurs, j'éprouve la
consolation de toucher et d'enterrer le corps du plus grand
capitaine que les Romains aient eu». Voilà les
funérailles qu'on fit à Pompée. Le
lendemain, Lucius Lentulus, qui ignorait ce qui
s'était passé, et qui, venant de Cypre,
rangeait la côte d'Egypte, vit le feu du bûcher,
et tout auprès Philippe, qu'il ne reconnut pas. " Quel
est celui, dit-il en lui-même, qui est venu terminer
ici sa destinée, et s'y reposer de ses travaux ? " Un
moment après, jetant un profond soupir :
«Hélas ! dit-il, c'est peut-être toi,
grand Pompée !» Lentulus ayant
débarqué bientôt après, fut pris
et tué. Ainsi finit le grand Pompée.
LXXXVII. César ne
fut pas longtemps sans se rendre en Egypte, et trouva ce
royaume agité des plus grands troubles ; quand il vit
la tête de Pompée, il ne put soutenir la vue du
scélérat qui la lui présentait, et se
détourna avec horreur. On lui remit son cachet, qu'il
reçut en pleurant : il avait pour empreinte un lion
qui tient une épée. Il fit mettre à mort
Achillas et Pothin ; le roi Ptolémée,
défait dans un combat près du Nil, disparut, et
ne fut pas retrouvé depuis. Théodote le
sophiste se déroba à la vengeance de
César : ayant trouvé moyen de s'enfuir
d'Egypte, il fut longtemps errant, réduit à la
dernière misère et détesté de
tout le monde. Mais dans la suite, Marcus Brutus,
après avoir tué César et s'être
rendu le maître en Asie, y découvrit
Théodote, et le fit expirer au milieu des tourments
les plus cruels. Les cendres de Pompée furent
portées à Cornélie, qui les
déposa dans un tombeau à sa maison d'Albe.
(106) César,
p. 363, dit qu'il en périt quinze mille, et qu'il
fit vingt-quatre mille prisonniers. |
|
(106
bis) César, dès que la
bataille fut gagnée, ne voulant pas donner
à Pompée le temps de se rassurer, alla
attaquer les retranchements, et y fit donner l'assaut.
Les cohortes laissées pour les garder se
défendirent avec courage ; mais enfin le camp fut
forcé. Liv.III, p. 362. |
|
(107) César,
p. 361, confirme sur ce point le récit de
Plutarque, et dit que tout montrait dans le parti de
Pompée une trop grande assurance de la
victoire. |
|
(108) Mitylène,
capitale de l'île de Lesbos. - Amphipolis,
près de l'embouchure du fleuve Strymon. |
|
(109) C'est
une remarque déjà faite par d'autres
écrivains, que Rome, dans le désordre
où elle était plongée, il
n'était plus capable de supporter la
liberté. |
|
(110) Ce
passage n'est pas bien clair dans le texte ; j'ai suivi
le sens proposé par M. Mosès Dusoul |
|
(111) Ville
maritime de la Pamphylie, sur la côte
méridionale de l'Asie, regardant presque
l'île de Cypre, quoiqu'un peu plus
occidentale. |
|
(112) Il
était surnommé Dionysius, et fils de
Ptolémée Aulètes, qui était
mort l'année précédente, sept cent
cinq de Rome ; la bataille de Pharsale fut donnée
l'an de Rome sept cent six. Ptolémée
était alors dans sa quatorzième
année. |
|
(113) Ce nom
d'Arsace était commun à tous les rois des
Parthes. Voyez la note 31 sur la vie de Crassus. |
|
(114) Péluse,
sur la mer Méditerranée, à
l'embouchure la plus orientale du Nil. Cette soeur,
à qui Ptolémée faisait la guerre,
était la fameuse Cléopâtre qui devint
reine d'Egypte. |
|
(115) Il est
appelé ailleurs Photin ; Théodote
était un rhéteur plus connu par sa perfidie
envers Pompée que par ses talents. |
|
(116) D'après
l'époque de la naissance de Pompée, dont
nous avons fixé la date, note 62, il n'avait que
cinquante-huit ans et un jour, étant né
l'an de Rome six cent quarante-huit, et ayant
été tué l'an sept cent six, le
lendemain du jour de sa naissance. |