Scène 1 Ptolomée, Achillas, Photin
PTOLOMEE Quoi ? de la même main et de la même épée Dont il vient d'immoler le malheureux Pompée, Septime, par César indignement chassé, Dans un tel désespoir à vos yeux a passé ?
ACHILLAS Oui, Seigneur ; et sa mort a de quoi vous apprendre La honte qu'il prévient et qu'il vous faut attendre. Jugez quel est César à ce courroux si lent. Un moment pousse et rompt un transport violent ; Mais l'indignation qu'on prend avec étude Augmente avec le temps, et porte un coup plus rude ; Ainsi n'espérez pas de le voir modéré : Par adresse il se fâche après s'être assuré. Sa puissance établie, il a soin de sa gloire. Il poursuivait Pompée, et chérit sa mémoire ; Et veut tirer à soi, par un courroux accort, L'honneur de sa vengeance et le fruit de sa mort.
PTOLOMEE Ah ! si je t'avais cru, je n'aurais pas de maître : Je serais dans le trône où le ciel m'a fait naître ; Mais c'est une imprudence assez commune aux rois D'écouter trop d'avis, et se tromper au choix ; Le destin les aveugle au bord du précipice ; Ou si quelque lumière en leur âme se glisse, Cette fausse clarté, dont il les éblouit, Les plonge dans un gouffre, et puis s'évanouit.
PHOTIN J'ai mal connu César ; mais puisqu'on son estime Un si rare service est un énorme crime, Il porte dans son flanc de quoi nous en laver ; C'est là qu'est notre grâce, il nous l'y faut trouver ! Je ne vous parle plus de souffrir sans murmure, D'attendre son départ pour venger cette injure ; Je sais mieux conformer les remèdes au mal : Justifions sur lui la mort de son rival ; Et notre main alors également trempée Et du sang de César et du sang de Pompée, Rome, sans leur donner de titres différents, Se croira par vous seul libre de deux tyrans.
PTOLOMEE Oui, par là seulement ma perte est évitable : C'est trop craindre un tyran que j'ai fait redoutable. Montrons que sa fortune est l'oeuvre de nos mains ; Deux fois en même jour disposons des Romains ; Faisons leur liberté comme leur esclavage. César, que tes exploits n'enflent plus ton courage ; Considère les miens, tes yeux en sont témoins. Pompée était mortel, et tu ne l'es pas moins ; Il pouvait plus que toi ; tu lui portais envie ; Tu n'as, non plus que lui, qu'une âme et qu'une vie ; Et son sort que tu plains te doit faire penser Que ton coeur est sensible, et qu'on peut le percer. Tonne, tonne à ton gré, fais peur de ta justice : C'est à moi d'apaiser Rome par ton supplice ; C'est à moi de punir ta cruelle douceur, Qui n'épargne en un roi que le sang de sa soeur. Je n'abandonne plus ma vie et ma puissance Au hasard de sa haine ou de ton inconstance ; Ne crois pas que jamais tu puisses à ce prix Récompenser sa flamme ou punir ses mépris : J'emploierai contre toi de plus nobles maximes. Tu m'as prescrit tantôt de choisir des victimes, De bien penser au choix ; j'obéis, et je voi Que je n'en puis choisir de plus dignes que toi, Ni dont le sang offert, la fumée et la cendre Puissent mieux satisfaire aux mânes de ton gendre. Mais ce n'est pas assez, amis, de s'irriter : Il faut voir quels moyens on a d'exécuter ; Toute cette chaleur est peut-être inutile ; Les soldats du tyran sont maîtres de la ville ; Que pouvons-nous contre eux ? et pour les prévenir, Quel temps devons-nous prendre, et quel ordre tenir ?
ACHILLAS Nous pouvons tout, Seigneur, en l'état où nous sommes. A deux milles d'ici vous avez six mille hommes, Que depuis quelques jours, craignant des remuements, Je faisais tenir prêts à tous événements. Quelques soins qu'ait César, sa prudence est déçue. Cette ville a sous terre une secrète issue, Par où fort aisément on les peut cette nuit Jusque dans le palais introduire sans bruit ; Car contre sa fortune aller à force ouverte, Ce serait trop courir vous-même à votre perte. Il nous le faut surprendre au milieu du festin, Enivré des douceurs de l'amour et du vin. Tout le peuple est pour nous. Tantôt, à son entrée, J'ai remarqué l'horreur que ce peuple a montrée Lorsque avec tant de faste il a vu ses faisceaux Marcher arrogamment et braver nos drapeaux ; Au spectacle insolent de ce pompeux outrage Ses farouches regards étincelaient de rage : Je voyais sa fureur à peine se dompter ; Et pour peu qu'on le pousse, il est prêt d'éclater ; Mais surtout les Romains que commandait Septime, Pressés de la terreur que sa mort leur imprime, Ne cherchent qu'à venger par un coup généreux Le mépris qu'en leur chef ce superbe a fait d'eux.
PTOLOMEE Mais qui pourra de nous approcher sa personne, Si durant le festin sa garde l'environne ?
PHOTIN Les gens de Cornélie, entre qui vos Romains Ont déjà reconnu des frères, des germains, Dont l'âpre déplaisir leur a laissé paraître Une soif d'immoler leur tyran à leur maître : Ils ont donné parole, et peuvent, mieux que nous, Dans les flancs de César porter les premiers coups. Son faux art de clémence, ou plutôt sa folie, Qui pense gagner Rome en flattant Cornélie, Leur donnera sans doute un assez libre accès Pour de ce grand dessein assurer le succès. Mais voici Cléopâtre : agissez avec feinte, Seigneur, et ne montrez que faiblesse et que crainte. Nous allons vous quitter, comme objets odieux Dont l'aspect importun offenserait ses yeux.
PTOLOMEE Allez, je vous rejoins.
Scène 2 Ptolomée, Cléopâtre, Achorée, Charmion CLEOPATRE J'ai vu César, mon frère, Et de tout mon pouvoir combattu sa colère.
PTOLOMEE Vous êtes généreuse, et j'avais attendu Cet office de soeur que vous m'avez rendu. Mais cet illustre amant vous a bientôt quittée.
CLEOPATRE Sur quelque brouillerie, en la ville excitée : Il a voulu lui-même apaiser les débats Qu'avec nos citoyens ont eus quelques soldats ; Et moi, j'ai bien voulu moi-même vous redire Que vous ne craigniez rien pour vous ni votre empire ; Et que le grand César blâme votre action Avec moins de courroux que de compassion. Il vous plaint d'écouter ces lâches politiques Qui n'inspirent aux rois que des moeurs tyranniques : Ainsi que la naissance, ils ont les esprits bas. En vain on les élève à régir des Etats : Un coeur né pour servir sait mal comme on commande ; Sa puissance l'accable alors qu'elle est trop grande ; Et sa main, que le crime en vain fait redouter, Laisse choir le fardeau qu'elle ne peut porter.
PTOLOMEE Vous dites vrai, ma soeur, et ces effets sinistres Me font bien voir ma faute au choix de mes ministres. Si j'avais écouté de plus nobles conseils, Je vivrais dans la gloire où vivent mes pareils ; Je mériterais mieux cette amitié si pure Que pour un frère ingrat vous donne la nature ; César embrasserait Pompée en ce palais ; Notre Egypte à la terre aurait rendu la paix, Et verrait son monarque encore à juste titre Ami de tous les deux, et peut-être l'arbitre. Mais puisque le passé ne peut se révoquer, Trouvez bon qu'avec vous mon coeur s'ose expliquer. Je vous ai maltraitée, et vous êtes si bonne, Que vous me conservez la vie et la couronne. Vainquez-vous tout à fait ; et par un digne effort Arrachez Achillas et Photin à la mort : Elle leur est bien due ; ils vous ont offensée ; Mais ma gloire en leur perte est trop intéressée. Si César les punit des crimes de leur roi, Toute l'ignominie en rejaillit sur moi : Il me punit en eux ; leur supplice est ma peine. Forcez, en ma faveur, une trop juste haine. De quoi peut satisfaire un coeur si généreux Le sang abject et vil de ces deux malheureux ? Que je vous doive tout : César cherche à vous plaire, Et vous pouvez d'un mot désarmer sa colère.
CLEOPATRE Si j'avais en mes mains leur vie et leur trépas, Je les méprise assez pour ne m'en venger pas ; Mais sur le grand César je puis fort peu de chose, Quand le sang de Pompée à mes désirs s'oppose. Je ne me vante pas de pouvoir le fléchir ; J'en ai déjà parlé, mais il a su gauchir ; Et tournant le discours sur une autre matière, Il n'a ni refusé, ni souffert ma prière. Je veux bien toutefois encor m'y hasarder, Mes efforts redoublés pourront mieux succéder ; Et j'ose croire...
PTOLOMEE Il vient ; souffrez que je l'évite : Je crains que ma présence à vos yeux ne l'irrite, Que son courroux ému ne s'aigrisse à me voir ; Et vous agirez seule avec plus de pouvoir.
Scène 3 César, Cléopâtre, Antoine, Lépide, Charmion, Achorée, Romains CESAR Reine, tout est paisible ; et la ville calmée, Qu'un trouble assez léger avait trop alarmée, N'a plus à redouter le divorce intestin Du soldat insolent et du peuple mutin. Mais, ô Dieux ! ce moment que je vous ai quittée D'un trouble bien plus grand à mon âme agitée ! Et ces soins importuns, qui m'arrachaient de vous. Contre ma grandeur même allumaient mon courroux : Je lui voulais du mal de m'être si contraire, De rendre ma présence ailleurs si nécessaire ; Mais je lui pardonnais, au simple souvenir Du bonheur qu'à ma flamme elle fait obtenir. C'est elle dont je tiens cette haute espérance Qui flatte mes désirs d'une illustre apparence, Et fait croire à César qu'il peut former des voeux, Qu'il n'est pas tout à fait indigne de vos feux, Et qu'il peut en prétendre une juste conquête, N'ayant plus que les Dieux au-dessus de sa tête. Oui, Reine, si quelqu'un dans ce vaste univers Pouvait porter plus haut la gloire de vos fers ; S'il était quelque trône où vous pussiez paraître Plus dignement assise en captivant son maître, J'irais, j'irais à lui, moins pour le lui ravir, Que pour lui disputer le droit de vous servir ; Et je n'aspirerais au bonheur de vous plaire Qu'après avoir mis bas un si grand adversaire. C'était pour acquérir un droit si précieux Que combattait partout mon bras ambitieux Et dans Pharsale même il a tiré l'épée Plus pour le conserver que pour vaincre Pompée. Je l'ai vaincu, Princesse ; et le Dieu des combats M'y favorisait moins que vos divins appas : Ils conduisaient ma main, ils enflaient mon courage ; Cette pleine victoire est leur dernier ouvrage : C'est l'effet des ardeurs qu'ils daignaient m'inspirer ; Et vos beaux yeux enfin m'ayant fait soupirer, Pour faire que votre âme avec gloire y réponde, M'ont rendu le premier et de Rome et du monde. C'est ce glorieux titre, à présent effectif, Que je viens ennoblir par celui de captif : Heureux, si mon esprit gagne tant sur le vôtre, Qu'il en estime l'un et me permette l'autre !
CLEOPATRE Je sais ce que je dois au souverain bonheur Dont me comble et m'accable un tel excès d'honneur. Je ne vous tiendrai plus mes passions secrètes : Je sais ce que je suis ; je sais ce que vous êtes. Vous daignâtes m'aimer dès mes plus jeunes ans ; Le sceptre que je porte est un de vos présents ; Vous m'avez par deux fois rendu le diadème : J'avoue, après cela, Seigneur, que je vous aime, Et que mon coeur n'est point à l'épreuve des traits Ni de tant de vertus, ni de tant de bienfaits. Mais, hélas ! ce haut rang, cette illustre naissance, Cet Etat de nouveau rangé sous ma puissance, Ce sceptre par vos mains dans les miennes remis, A mes voeux innocents sont autant d'ennemis. Ils allument contre eux une implacable haine : Ils me font méprisable alors qu'ils me font reine ; Et si Rome est encor telle qu'auparavant, Le trône où je me sieds m'abaisse en m'élevant ; Et ces marques d'honneur, comme titres infâmes, Me rendent à jamais indigne de vos flammes. J'ose encor toutefois, voyant votre pouvoir, Permettre à mes désirs un généreux espoir. Après tant de combats, je sais qu'un si grand homme A droit de triompher des caprices de Rome, Et que l'injuste horreur qu'elle eut, toujours des rois Peut céder par votre ordre à de plus justes lois. Je sais que vous pouvez forcer d'autres obstacles : Vous me l'avez promis, et j'attends ces miracles. Votre bras dans Pharsale a fait de plus grands coups, Et je ne les demande à d'autres Dieux qu'à vous.
CESAR Tout miracle est facile où mon amour s'applique. Je n'ai plus qu'à courir les côtes de l'Afrique, Qu'à montrer mes drapeaux au reste épouvanté Du parti malheureux qui m'a persécuté ; Rome n'ayant plus lors d'ennemis à me faire, Par impuissance enfin prendra soin de me plaire ; Et vos yeux la verront, par un superbe accueil, Immoler à vos pieds sa haine et son orgueil. Encore une défaite, et dans Alexandrie Je veux que cette ingrate en ma faveur vous prie ; Et qu'un juste respect, conduisant ses regards, A votre chaste amour demande des Césars. C'est l'unique bonheur où mes désirs prétendent ; C'est le fruit que j'attends des lauriers qui m'attendent : Heureux si mon destin, encore un peu plus doux, Me les faisait cueillir sans m'éloigner de vous ! Mais, las ! contre mon feu mon feu me sollicite : Si je veux être à vous, il faut que je vous quitte. En quelques lieux qu'on fuie, il me faut y courir, Pour achever de vaincre et de vous conquérir. Permettez cependant qu'à ces douces amorces Je prenne un nouveau coeur et de nouvelles forces, Pour faire dire encore aux peuples pleins d'effroi, Que venir, voir et vaincre est même chose en moi.
CLEOPATRE C'est trop, c'est trop, Seigneur, souffrez que j'en abuse : Votre amour fait ma faute, il fera mon excuse. Vous me rendez le sceptre, et peut-être le jour ; Mais si j'ose abuser de cet excès d'amour, Je vous conjure encor, par ses plus puissants charmes, Par ce juste bonheur qui suit toujours vos armes, Par tout ce que j'espère et que vous attendez, De n'ensanglanter pas ce que vous me rendez. Faites grâce, Seigneur, ou souffrez que j'en fasse, Et montre à tous par là que j'ai repris ma place. Achillas et Photin. sont gens à dédaigner : Ils sont assez punis en me voyant régner ; Et leur crime...
CESAR Ah ! prenez d'autres marques de reine : Dessus mes volontés vous êtes souveraine ; Mais si mes sentiments peuvent être écoutés, Choisissez des sujets dignes de vos bontés. Ne vous donnez sur moi qu'un pouvoir légitime, Et ne me rendez point complice de leur crime. C'est beaucoup que pour vous j'ose épargner le Roi, Et si mes feux n'étoient...
Scène 4 César, Cornélie, Cléopâtre, Achorée, Antoine, Lépide, Charmion, Romains CORNELIE César, prends garde à toi : Ta mort est résolue, on la jure, on l'apprête ; A celle de Pompée on veut joindre ta tête. Prends-y garde, César, ou ton sang répandu Bientôt parmi le sien se verra confondu. Mes esclaves en sont ; apprends de leurs indices L'auteur de l'attentat, et l'ordre, et les complices Je te les abandonne.
CESAR 0 coeur vraiment romain, Et digne du héros qui vous donna la main ! Ses mânes, qui du ciel ont vu de quel courage Je préparais la mienne à venger son outrage, Mettant leur haine bas, me sauvent aujourd'hui Par la moitié qu'en terre il nous laisse de lui. Il vit, il vit encore en l'objet de sa flamme, Il parle par sa bouche, il agit dans son âme ; Il la pousse, et l'oppose à cette indignité, Pour me vaincre par elle en générosité.
CORNELIE Tu te flattes, César, de mettre en ta croyance Que la haine ait fait place à la reconnaissance : Ne le présume plus ; le sang de mon époux A rompu pour jamais tout commerce entre nous. J'attends la liberté qu'ici tu m'as offerte, Afin de l'employer toute entière à ta perte ; Et je te chercherai partout des ennemis, Si tu m'oses tenir ce que tu m'as promis. Mais avec cette soif que j'ai de ta ruine, Je me jette au-devant du coup qui t'assassine, Et forme des désirs avec trop de raison Pour en aimer l'effet par une trahison : Qui la sait et la souffre a part à l'infamie. Si je veux ton trépas, c'est en juste ennemie : Mon époux a des fils, il aura des neveux ; Quand ils te combattront, c'est là que je le veux, Et qu'une digne main par moi-même animée, Dans ton champ de bataille, aux yeux de ton armée, T'immole noblement, et par un digne effort, Aux mânes du héros dont tu venges la mort. Tous mes soins, tous mes voeux hâtent cette vengeance ; Ta perte la recule, et ton salut l'avance. Quelque espoir qui d'ailleurs me l'ose ou puisse offrir, Ma juste impatience aurait trop à souffrir : La vengeance éloignée est à demi perdue, Et quand il faut l'attendre, elle est trop cher vendue. Je n'irai point chercher sur les bords africains Le foudre souhaité que je vois en tes mains : La tête qu'il menace en doit être frappée. J'ai pu donner la tienne, au lieu d'elle, à Pompée : Ma haine avoit le choix ; mais cette haine enfin Sépare son vainqueur d'avec son assassin, Et ne croit avoir droit de punir ta victoire Qu'après le châtiment d'une action si noire. Rome le veut ainsi ; son adorable front Auroit de quoi rougir d'un trop honteux affront, De voir en même jour, après tant de conquêtes, Sous un indigne fer ses deux plus nobles têtes. Son grand coeur, qu'à tes lois en vain tu crois soumis, En veut aux criminels plus qu'à ses ennemis, Et tiendrait à malheur le bien de se voir libre, Si l'attentat du Nil affranchissait le Tibre. Comme autre qu'un Romain n'a pu l'assujettir, Autre aussi qu'un Romain ne l'en doit garantir. Tu tomberais ici sans être sa victime ; Au lieu d'un châtiment ta mort serait un crime ; Et sans que tes pareils en conçussent d'effroi, L'exemple que tu dois périrait avec toi. Venge-la de l'Egypte à son appui fatale, Et je la vengerai, si je puis, de Pharsale. Va, ne perds point de temps, il presse. Adieu : tu peux Te vanter qu'une fois j'ai fait pour toi des voeux.
Scène 5 César, Cléopâtre, Antoine, Lépide, Achorée, Charmion CESAR Son courage m'étonne autant que leur audace. Reine, voyez pour qui vous me demandiez grâce !
CLEOPATRE Je n'ai rien à vous dire : allez, Seigneur, allez Venger sur ces méchants tant de droits violés. On m'en veut plus qu'à vous : c'est ma mort qu'ils respirent, C'est contre mon pouvoir que les traîtres conspirent ; Leur rage, pour l'abattre, attaque mon soutien, Et par votre trépas cherche un passage au mien. Mais parmi ces transports d'une juste colère, Je ne puis oublier que leur chef est mon frère. Le saurez-vous, Seigneur ? et pourrai-je obtenir Que ce coeur irrité daigne s'en souvenir ?
CESAR Oui, je me souviendrai que ce coeur magnanime Au bonheur de son sang veut pardonner son crime. Adieu, ne craignez rien : Achillas et Photin Ne sont pas gens à vaincre un si puissant destin. Pour les mettre en déroute, eux et tous leurs complices, Je n'ai qu'à déployer l'appareil des supplices, Et pour soldats choisis, envoyer des bourreaux Qui portent hautement mes haches pour drapeaux.
(César rentre avec les Romains.)
CLEOPATRE Ne quittez pas César : allez, cher Achorée, Repousser avec lui ma mort qu'on a jurée ; Et quand il punira nos lâches ennemis, Faites-le souvenir de ce qu'il m'a promis. Ayez l'oeil sur le Roi dans la chaleur des armes, Et conservez son sang pour épargner mes larmes.
ACHOREE Madame, assurez-vous qu'il ne peut y périr Si mon zèle et mes soins peuvent le secourir.
|