George Barbier, 1914


 
PREMIERE EPITAPHE

Dans le pays où les sources naissent de la mer, et où le lit des fleuves est fait de feuilles de roches, moi, Bilitis, je suis née.

Ma mère était Phoïnikienne ; mon père Damophylos, Hellène. Ma mère m'a appris les chants de Byblos, tristes comme la première aube.

J'ai adoré l'Astarté à Kypre. J'ai connu Psappha à Lesbos. J'ai chanté comment j'aimais. Si j'ai bien vécu, Passant, dis-le à ta fille.

Et ne sacrifie pas pour moi la chèvre noire ; mais, en libation douce, presse sa mamelle sur ma tombe.


SECONDE EPITAPHE

Sur les rives sombres du Mélas, à Tamassos de Pamphylie, moi, fille de Damophylos, Bilitis, je suis née. Je repose loin de ma patrie, tu le vois.

Toute enfant, j'ai appris les amours de l'Adôn et de l'Astarté, les mystères de la Syrie sainte, et la mort et le retour vers Celle-aux-paupières-arrondies.

Si j'ai été courtisane, quoi de blâmable ? N'était-ce pas mon devoir de femme ? Etranger, la Mère-de-toutes-choses nous guide. La méconnaître n'est pas prudent.

En gratitude à toi qui t'es arrêté, je te souhaite ce destin : Puisses-tu être aimé, ne pas aimer. Adieu. Souviens-toi dans ta vieillesse, que tu as vu mon tombeau.


DERNIERE EPITAPHE

Sous les feuilles noires des lauriers, sous les fleurs amoureuses des roses, c'est ici que je suis couchée, moi qui sus tresser le vers au vers, et faire fleurir le baiser.

J'ai grandi sur la terre des nymphes ; j'ai vécu dans l'île des amies ; je suis morte dans l'île de Kypris. C'est pourquoi mon nom est illustre et ma stèle frottée d'huile.

Ne me pleure pas, toi qui t'arrêtes : on m'a fait de belles funérailles, les pleureuses se sont arraché les joues, on a couché dans ma tombe mes miroirs et mes colliers.

Et maintenant, sur les pâles prairies d'asphodèles, je me promème, ombre impalpable, et le souvenir de ma vie terrestre est la joie de ma vie souterraine.