ALEXIS

Le berger Corydon brûlait pour le bel Alexis, les délices de son maître ; et il n'avait aucun espoir. Seulement, chaque jour, il venait sous les cimes ombreuses des hêtres touffus. Là, solitaire, il jetait en vain aux montagnes et aux forêts ces plaintes sans art :

0 cruel Alexis ! tu dédaignes mes chants ! tu es pour moi sans pitié ! tu me forceras enfin à mourir. Voici l'heure où les troupeaux eux-mêmes cherchent l'ombre et la fraîcheur ; où le vert lézard se cache sous les buissons ; où Thestylis broie, pour les moissonneurs épuisés par l'ardeur accablante du soleil, l'ail et le serpolet odorants : et moi, pour suivre la trace de tes pas, je brave les ardeurs du midi, et ma voix seule se mêle, dans les halliers, au cri de la cigale. Oh ! qu'il eût mieux valu supporter les tristes emportements d'Amaryllis et ses superbes dédains ! Qu'il eut mieux valu préférer Ménalque, malgré son teint basané, malgré la blancheur du tien ! 0 bel enfant ! ne te fie pas trop à ces fraîches couleurs : le blanc troène, on le laisse tomber, et on recueille le noir vaciet.

Tu me méprises, Alexis, et tu ne demandes même pas qui je suis ; si j'ai de nombreux troupeaux; si, dans mon bercail, coule en abondance un lait blanc comme la neige. J'ai mille brebis qui errent sur les montagnes de Sicile ; en été, comme en hiver, le lait nouveau ne me manque jamais. Je chante les airs que chantait Amphyon sur l'Aracynthe, au bord de la fontaine de Dircé, quand il rappelait ses troupeaux. Et je ne suis pas si difforme : l'autre jour, près du rivage, je me suis vu, pendant que les vents étaient calmes et la mer immobile ; et si l'image est fidèle, je ne craindrais pas Daphnis, en te prenant pour juge.

Oh ! viens seulement habiter avec moi ces campagnes que tu dédaignes, et vivre sous nos humbles cabanes ! viens forcer le cerf dans les bois, et, la verte houlette à la main, guider mon troupeau de chèvres ! Émules de Pan, nous ferons retentir les forêts de nos chants. C'est Pan qui le premier apprit à unir avec la cire plusieurs chalumeaux ; Pan protège les brebis et les maîtres des brebis. Ne crains point de froisser tes lèvres avec nos pipeaux rustiques ; pour en savoir autant, que ne faisait point Amyntas ?

Je possède une flûte composée de sept tuyaux d'inégale longueur ; c'est un présent de Damétas, et en mourant il me dit : « Sois-en le second maître.» Ainsi paria Damélas, et Amyntas en fut sottement jaloux. J'ai de plus deux jeunes chevreuils, que j'ai surpris, non sans danger, dans le fond d'un ravin. Leur poil est encore tacheté de blanc ; chaque jour, ils épuisent les deux mamelles d'une brebis ; c'est pour toi que je les garde. Depuis bien longtemps, Thestylis me les demande avec instance ; et Thestylis les obtiendra, puisque mes présents n'ont nul prix à tes yeux.

Viens, ô bel enfant ! viens en ces lieux ; vois les nymphes rapporter leurs corbeilles pleines de lis, la blanche Naïade cueillir pour toi la pâle violette et le pavot superbe, y joindre le narcisse, l'aneth parfumé, le romarin odoriférant, et relever, par l'éclat du souci doré, les molles couleurs du vaciet. Moi-même, je cueillerai les fruits que blanchit un léger duvet, et les châtaignes que mon Amaryllis aimait ; j'y joindrai les prunes dorées, et ce fruit aussi aura son prix; lauriers, et vous, myrtes, je vous rapprocherai, et j'enlacerai vos rameaux, puisqu'ainsi réunis vous mariez si bien vos suaves parfums.

Corydon, tu n'es qu'un villageois ; tes présents ne touchent point Alexis ; et quand, par des présents, tu voudrais disputer son cœur, lolas ne te le céderait point. Hélas ! malheureux, qu'ai-je fait ! j'ai sur les fleurs déchaîné le vent du midi, et dans les claires fontaines lâché les sangliers.

Jeune insensé ! sais-tu bien qui tu fuis ? Pâris issu de Dardanus et les Dieux eux-mêmes ont habité les forêts : laisse Pallas se plaire aux cités, elle qui les a bâties ; pour nous, à tout autre séjour préférons les forêts. La lionne farouche cherche le loup, le loup cherche la chèvre, et la chèvre le cytise fleuri ; mais Corydon, c'est toi qu'il cherche, ô Alexis ! Chacun cède au penchant qui l'entraîne.

Vois ces jeunes taureaux qui rapportent la charrue suspendue à leur joug ; le soleil, en se retirant, double les ombres croissantes : moi, cependant, l'amour me brûle encore ; eh ! quel terme, en effet, aux tourments de l'amour ? Ah ! Corydon, Corydon, quel est ton délire ! ta vigne languit à demi taillée sur l'orme touffu. Ah ! plutôt, donne tes soins à quelques ouvrages utiles : tresse en corbeilles le jonc ou l'osier flexible. Si celui-ci te dédaigne, tu trouveras un autre Alexis.