Jaume Mateu - Pere III el Cerimoniós - 1427 - MNAC, Barcelone


Ce souverain de la lignée catalano-aragonaise n’est pas un homme de guerre comme Jaume Ier le Conquérant ou Pere III le Grand, mais un homme de culture et d’histoire.

Son physique faible ne lui permettait pas de s’illustrer au combat : il est né à sept mois. Et pourtant, il a pourtant défié le roi Pierre Ier le Cruel de Castille, qui a battu en retraite.

Sa Chronique, racontant l’histoire de son règne, a été écrite avec une équipe de collaborateurs fortement encadrés. C’est pourquoi, en dehors de sa valeur de document historique, elle a une grande importance historiographique puisque, grâce aux documents qui indiquent comment devaient agir les collaborateurs du roi, elle nous montre comment pouvait être menée à terme la composition d’une chronique officielle au XIVe siècle.

Nous connaissons d'ailleurs les noms de ceux qui l’ont aidé dans la rédaction, Bernat Descoll et Arnau de Torrelles surtout.

Malgré l’utilisation de documents de chancellerie et l’aide de collaborateurs, Pere IV a imprimé son sceau personnel à ce texte dont il a suivi pas à pas les développements. D’ailleurs il y a introduit nombre de détails personnels, à l’imitation de son arrière-arrière grand-père le roi Jaume Ier, qu’il admire et veut imiter. Il a en particulier fait copier deux fois le Livre des Faits de son glorieux ancêtre, d’abord à Poblet en 1343 (ms H copié par Celesti Destorrents), puis en Aragon en 1380 (ms C copié par Joan de Barbastro) deux manuscrits qui restent, avec la Chronique du dominicain Pere Marsili, les documents sur lesquels travaillent encore aujourd’hui les chercheurs qui veulent établir la version critique du Livre des Faits.

Mais lorsque le roi meurt en 1387, Il n’a pas eu le temps de réviser les chapitres de la fin. C’est ainsi que nous ne sommes pas informés des circonstances dans lesquelles il devient duc d’Athènes et de Néopatrie en 1381, recueillant ainsi l’héritage de la Compagnie catalane d’Orient. Les historiens catalans ont brodé à l'envi sur la phrase de sa correspondance qu’ils ont pompeusement appelée l’éloge de l’Acropole : « El castell de Cetines - l’Acropole d’Athènes - és la pus bella joia que sigui al món »


Plaque commémorative de la phrase de Pere le Cérémonieux - Porte Beulé à Athènes - © Eusebi Ayensa Prat

 

Le troisième chapitre, le plus long, aborde un seul thème : le procès que Pere intente à son beau-frère Jaume III de Majorque, la conquête et la confiscation de son royaume, qu’il intègre définitivement à son royaume d’Aragon de 1341 à 1345. Mais l’œuvre n’est pas exempte d’omissions et de distorsions, le roi voulant à chaque page prouver qu’il a agi justement, au point que l’un de ses détracteurs a pu dire que ce qui s’en détache c’est, au contraire, « la justification de l’injustice et de la violence ». C’est ce que nous pouvons voir en prenant l’exemple des évènements qui ont amené à la conquête de Majorque en 1343, puis du Roussillon.

En fait toute la politique des rois d’Aragon, depuis 1279 et le coup de force de Pere III le Grand, vise à faire respecter la vassalité imposée au roi de Majorque ; et toute la politique des rois de Majorque, à l’inverse, vise à s’en libérer, même par des alliances avec la France, comme pendant la croisade de 1285.

Car les rois d’Aragon, depuis Pere le Grand, n’admettent pas le partage fait par Jaume Ier, qui a créé le royaume de Majorque : toute la stratégie du Cérémonieux sera de faire commettre à son cousin Jaume III de Majorque des fautes telles qu’elles pourront justifier une intervention armée. Or Jaume III n’est pas prudent et au lieu de se tenir tranquille, il prend des initiatives. C’est ainsi qu'au printemps de 1343 il demande à son cousin son aide contre le roi de France dont les sénéchaux lui créent des problèmes à Montpellier. Le Cérémonieux, qui n’a aucune envie de faire la guerre au roi de France pour défendre les intérêts de son cousin et beau-frère, lui répond en substance : "Viens d’abord à Barcelone me rendre l’hommage que tu me dois comme vassal !" Et il exige, comme le prévoit l’accord de vassalité, qu’il vienne en personne. Sinon, il brise lui-même leur accord et évidemment il ne sera plus question de l’aider contre le roi de France.

Il en profite aussi pour accuser le roi de Majorque de fabriquer subrepticement à Perpignan des monnaies aragonaises et de laisser circuler dans ses domaines des monnaies françaises. Le roi de Majorque comprend que l'affaire est grave et accepte enfin de se rendre à Barcelone avec sa femme. Mais comme la confiance règne, il vient en bateau et ne débarque pas : il fait construire une passerelle qui va du bateau au couvent des frères mineurs.

Un frère mineur vient alors en secret avertir le Cérémonieux (c’est lui qui le prétend) que c’est un piège pour l’attirer au couvent et que son cousin en profitera pour le capturer : prétextant une maladie de la reine de Majorque, on demandera à Pierre de venir lui rendre visite au couvent et là. Qui ment ? Qui invente ? C’est Pere.

Bien sûr, plus question d’entrevue ni d’entente. C'est précisément ce que voulait le roi d’Aragon. Pire encore, le roi de Majorque fait saisir les biens des sujets du roi d’Aragon à Majorque. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : place à la guerre et à la conquête militaire des ïles d’abord et du Roussillon ensuite.

Mais pour Pierre, tous ses actes sont justifiés par la Providence qui le protège, et ses succès sont l’œuvre de Dieu qui les a permis : ils sont donc justifiés. C’est un élément traditionnel dans l’historiographie médiévale. Comme Jaume Ier en effet, le Cérémonieux écrit l’histoire de sa vie à l’usage de ses successeurs, ses deux fils Joan et Marti qui seront rois après lui. C’est pourquoi elle fourmille d’exempla.

La fin de la lignée en 1410 et le passage du royaume à la branche castillano-parlante des Trastamare empêcheront longtemps le texte d’être connu dans une version fiable, jusqu’au XIXe siècle. C’est pourtant l’un des textes fondateurs de l’histoire de la Catalogne et aussi de la langue catalane.


Et pour prolonger



© Robert Vinas