Le récit de Camus commençant par la phrase suivante : « Les curieux événements
qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran », la date mentionnée appelle un triple commentaire :
- on pense immédiatement à un événement qui se serait produit dans les années 40 du XXe siècle. Effectivement, la troisième pandémie de peste, déclarée en Chine à la fin du XIXe siècle, a connu de petites résurgences en particulier au Maghreb, avec en Algérie 158 cas déclarés de 1935 à 1950, à Oran et Alger. Si les faits sont donc avérés, il ne s'agit pas, pour Oran, d'un épisode de peste meurtrier comme ceux des deux premières pandémies, et la description tragique de Camus, fortement inspirée du Journal de la Peste de Daniel Defoe, ne recherche aucune reconstitution historique et a une portée symbolique plus universelle, ce que suggère la date tronquée : 194.
- d'autant que l'épigraphe tirée du Robinson Crusoe de ce même Daniel Defoe nous invite d'emblée à l'élargissement : « Il est aussi raisonnable de représenter une espèce d’emprisonnement par une autre que de représenter n’importe quelle chose qui existe réellement par quelque chose qui n’existe pas. » Autrement dit, la fiction sera tout aussi valable qu'une relation historique ou journalistique, ET la lecture pourra être allégorique : le lecteur sera invité à explorer simultanément plusieurs niveaux de lecture. Par exemple, considérer que les événements qui se sont produits en 194. peuvent le renvoyer, en même temps qu'une épidémie de peste bubonique, à la peste brune, au nazisme et à la Résistance, qui constituent effectivement le contexte dans lequel le roman a été élaboré puis difficilement rédigé.
- dans une lettre à Roland Barthes, Camus a d'ailleurs non seulement confirmé cette lecture : « La Peste a comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme », mais peut aussi « servir à toutes les résistances contre toutes les tyrannies ». Ce qui explique qu'un réalisateur comme Luis Puenzo ait situé son adaptation cinématographique de 1993 en Argentine, avec des références visuelles appuyées aux dictatures sud-américaines de la deuxième moitié du XXe siècle, ou bien qu'on puisse y lire une critique allégorique du colonialisme, ou en faire un guide précieux en temps de Covid-19, etc.
Enfin il ne faut pas oublier que Camus est un polygraphe qui a structuré toute son œuvre en cycles philosophiques, ce qui nous conduit au préalable à inscrire son roman dans le cycle de la Révolte succédant à l'Absurde. Cette page sera donc consacrée à ce cadrage, puis la page suivante vous donnera accès à un cours de préparation à l'épreuve anticipée de Français en fin de Première, proposant quelques études de textes et de questions d'ensemble. |