Carte des biens des Templiers en Roussillon - © Agnès Vinas
Les toponymes localisés par des puces carrées correspondent aux commanderies principales et secondaires



L’ordre du Temple a été actif en Roussillon pendant cent soixante-quinze ans, depuis la première donation que Hug Rigaud reçoit, en octobre 1132, sur le territoire de Banyuls dels Aspres, jusqu’à la veille de Noël 1307, date à laquelle le roi Jaume II de Majorque fait arrêter les frères pour les juger. Durant cette longue période, l’ordre a construit des commanderies, des fermes, des maisons et des églises, en a acheté ou transformé d’autres pour constituer son patrimoine immobilier. Ce patrimoine a subi, durant les siècles qui ont suivi et jusqu’à nos jours, de nombreux avatars. Il est d’abord passé, après le procès des Templiers, aux mains des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem - devenus aujourd’hui l’Ordre de Malte - jusqu’à la Révolution française. Mais les biens de cet ordre ont été alors confisqués et vendus comme biens nationaux à des particuliers. Aujourd’hui donc, le peu qui reste des constructions templières se trouve dans le domaine privé, souvent affecté à des activités agricoles, comme le Masdéu. Une autre partie de ces constructions a également irrémédiablement disparu, en particulier l’ensemble urbain qui constituait la commanderie de Perpignan.

Mais aujourd’hui le Temple, son histoire et ses constructions, sont devenus un objet de légende et alimentent bon nombre de fantasmes. Beaucoup d'auteurs mal informés considèrent donc comme templier tout ce qui date des XIIe et XIIIe siècles dans les lieux où les frères avaient acquis des droits. Plus même, on attribue à l’ordre, pour des raisons diverses qui vont de l’ignorance à la recherche d’intérêts économiques, une présence et des constructions qui n’ont rien à voir avec lui, alors que les historiens peuvent les attribuer sans contestation possible à d’autres ordres religieux, aux Hospitaliers, aux Bénédictins ou à d’autres encore. C’est à une promenade à travers les vestiges templiers, qu’ils soient authentiques, étrangers à l’ordre ou totalement mythiques, que je vous invite ici.


1. Vestiges authentiques


1. Le Masdéu (1)

La fondation du Masdéu reste encore pour nous totalement mystérieuse. C’est une création ex nihilo, dont nous ne connaissons pas la date précise. Rien dans nos archives ne nous informe d’un acte solennel comme la consécration de l’église. Aucune source extérieure à l’ordre du Temple n’en parle : nous ne pouvons que constater des faits.


Carte de Cassini - 1756-1815 - BnF n°59, feuille 132 - A consulter aussi sur le Géoportail de l'IGN


Le 29 juin 1133, Pere Bernat de Perpignan, le premier Templier roussillonnais recruté par le provençal Hug Rigaud, envoyé spécial du fondateur de l’ordre, Hugues de Payens, reçoit une terre à Villemolaque, donnée par une dame nommée Subirana. C’est la deuxième donation à peine que reçoivent les Templiers, et c’est dans cette partie du Roussillon, sur le territoire de la paroisse de Villemolaque, qu’ils vont installer leur Maison. Le lieu est une colline qui domine la plaine de quelques dizaines de mètres. Il est situé à moins de deux kilomètres de l’antique voie de communication qui relie Perpignan au col de Panissars. La construction apparaît dans nos archives pour la première fois dans le testament d’Ermengau de Só, le 24 mai 1137. Ermengau donne son corps à la Milice du Temple et veut être enterré au Masdéu. Dès 1137 donc, cinq ans à peine après leur première apparition en Roussillon, les Templiers possèdent une Maison pourvue d’une église et d’un cimetière, et ont réuni les conditions matérielles et surtout religieuses de leur action dans le pays.

Des témoignages de l’époque templière, nous n'avons que celui du chroniqueur Ramon Muntaner, passant devant le Masdéu au printemps de 1274 avec la suite du roi Jaume Ier d'Aragon en route pour le concile de Lyon. Il décrit ainsi la commanderie : al Mas Deu, que es molt bell lloc, qui era del Temple. Mais les seuls documents qui nous donnent une idée précise du Masdéu médiéval ne sont pas d’origine templière, ce sont les visites priorales effectuées en 1751 et 1784 sur ordre du Grand Prieur de Catalogne des Hospitaliers, dont la commanderie dépendait encore en 1789.

 

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Plan du Masdéu - © Rodrigue Tréton d'après Joan Fuguet i Sans


A l’époque médiévale, le Masdéu était constitué d’un ensemble de constructions qui en faisaient un couvent rural comparable à celui que les Templiers avaient à Barbens en Catalogne. Il a avec ce dernier des caractères communs : construction en L, tours d'angle dont l'une, sur l'angle bâti, au nord-est, est plus importante que les autres, et une grande place intérieure autour de laquelle se distribuent les services et où se trouve le puits qui alimente encore en eau la propriété. L'église, dédiée à Sainte-Marie comme beaucoup d'églises templières, et le cimetière adjacent, probablement situé au sud de l'église, complètent l'ensemble. Le tout s’inscrit dans un quadrilatère irrégulier de vastes dimensions (85x57x74x78 mètres) entouré de murailles.

Après la dissolution de l’Ordre du Temple par le pape Clément V, les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem s’y installent. Ils en font, jusqu’à la Révolution française, le siège de leur commanderie, car le Masdéu était plus important que celle qu’ils possédaient à Saint-Vincent de Bajoles, près de Perpignan.

Ensuite, le Masdéu, considéré comme bien national, est vendu à des particuliers et n’est plus qu’un domaine agricole. Au XIXe siècle toutefois, les nouveaux propriétaires y construisent, sur le côté ouest, un château de style néogothique, détruit le 19 août 1944 par une explosion, au moment où les troupes allemandes abandonnent le site.


 

Aujourd’hui le Masdéu est, au milieu d’un parc arboré, une magnifique ruine « romantique » où l’église, autrefois dédiée à Sainte-Marie, est le seul édifice encore debout. Elle sert encore de grange. Accolée au mur Est de l'édifice, elle est légèrement en saillie à l'extérieur, d’un mètre à peu près.


L'église du Masdéu et la tour de l'Enfer - © Agnès Vinas


C’est une construction toute simple, de forme rectangulaire, de 19,50 mètres de long pour 7,50 mètres de large. Tout l'appareil est en galets, sauf les angles et les piédroits des ouvertures qui sont en tuf taillé. Les murs ont jusqu’à 1,60 mètre d’épaisseur. La voûte, assez haute - 10 mètres -, est en berceau brisé et totalement lisse. La porte primitive s’ouvrait sur le Midi, maintenant on entre par l'ouest. Sur le mur méridional s'ouvrent deux fenêtres à double ébrasement. On trouve deux autres ouvertures, l'une au-dessus de la porte actuelle, la plus grande, et l'autre au dessus du choeur. On voit aussi une ligne de corbeaux sous la fenêtre occidentale ce qui permet de supposer qu’il y avait autrefois un porche. Enfin, il y avait une communication entre l'église et les bâtiments d’habitation par le mur nord, au fond de l'église. Cet édifice austère est la seule église authentiquement templière du Roussillon. Aujourd'hui, la quantité de débris entassés sur plusieurs mètres à l'intérieur en fausse les proportions.

Le Masdéu des Templiers n'était pas un château fort, c'était avant tout le siège d'une communauté religieuse exploitant les terres alentour et vivant dans un lieu clos et protégé où l'on pouvait se réfugier en temps de guerre ou de troubles. C’était à la fois un lieu de retraite, de refuge, de passage, de charité et d'aumônes, où l’église et le cimetière jouaient un rôle essentiel. Il abritait les frères, de douze à quinze au plus, et parmi eux trois ou quatre chevaliers, sept ou huit frères servants et deux ou trois chapelains. Il ne pouvait soutenir un siège en règle. Ce sont les Hospitaliers qui ont accentué le caractère défensif du site à partir du milieu du XIVe siècle. Le croquis qui accompagne l’une des visites priorales du XVIIIe siècle montre bien la présence de tours et d’un pont-levis.

D’ailleurs, deux épisodes guerriers peuvent être mentionnés : celui du siège par les troupes françaises menées par Gaston IV de Foix en 1462, et celui qui eut lieu pendant la Révolution française, quand les troupes espagnoles du général Ricardos, qui avaient envahi le Roussillon, durent se replier en octobre 1793 après la bataille de Peyrestortes. C’est cet épisode, « L’abandon du Masdéu par les Espagnols », magnifié par l’enthousiasme révolutionnaire de l’artiste, que le peintre carcassonnais Jacques Gamelin a représenté dans l’un des onze médaillons qu’il a peints en 1794 pour représenter la guerre du Roussillon.


2. L'église Sainte-Marie de Nyls

Carte de Cassini - 1756-1815 - BnF n°59, feuille 132 - A consulter aussi sur le Géoportail de l'IGN


Il s’agit ici de l’ancienne église paroissiale, aujourd’hui désaffectée. Ce n’est pas à l’origine une création templière. Elle a été acquise en même temps que toute la seigneurie en 1182, lorsque le noble Guillem de Montesquiu, seigneur du lieu, a cédé tous ses droits et dépendances au commandeur du Masdéu, Pere d’Aiguaviva.

L'église, ici aussi dédiée à sainte Marie, existait au XIe siècle. Elle n'a donc pas été construite par les Templiers. Les frères du Masdéu l'ont simplement aménagée, dès qu'ils l'ont eue en leur possession, à partir de 1182.

© Agnès Vinas


Le plan en est tout simple : une nef et une abside semi-circulaire. C’est un édifice de petites dimensions - 15x5,50 mètres - soutenu par des murs d’un mètre cinquante d’épaisseur. Un examen précis permet de constater qu’on est en présence de deux appareils différents, l'un datant du XIe siècle, l'autre de la fin du XIIe siècle, donc de l'époque templière. Les Templiers ont ici remodelé et probablement agrandi l’édifice. Partout le matériau est simple. Ce sont des moellons bruts, parfois éclatés au marteau. Dans les parties (abside, extérieur de la nef le long de la travée du chœur jusqu’à l’ancien portail muré le long du mur méridional) où ils sont encadrés de « faux joints » tracés au fer, selon un procédé couramment utilisé en Roussillon, on se trouve en présence de la construction du XIe siècle. Appartient également à cette première église, à la hauteur de la seconde travée, une étroite fenêtre en forme de meurtrière - 15 centimètres d’ouverture - à simple ébrasement, sans appareillage, dont l'arc est creusé dans un linteau de pierre taillée.

Par contre, le portail en plein cintre, appareillé en pierre de taille, appartient à l'édifice du XIIe siècle. Il comporte un embryon de bandeau plat, en forme de croissant, occupant la partie supérieure de l'extrados. La seconde fenêtre, à double ébrasement, qui s’ouvre sur la face méridionale du choeur, appartient aussi au deuxième appareil. Elle s'ouvre dans une muraille d'aspect différent, toujours faite de galets, mais beaucoup plus saillants, avec une tendance des assises à se disposer en épi.

A l'intérieur, on retrouve aussi les caractéristiques qui permettent de différencier la construction d’origine des modifications apportées par les Templiers.

Mais il existe ici un élément qui a souvent échappé aux visiteurs, même avertis : les culots de l'arc occidental sont constitués par deux petites arcatures appareillées, soulignées de rainures, reposant sur des modillons moulurés. Ce sont des modillons à copeaux composés de trois rouleaux, chacun décoré sur le côté de petites croix pattées, symboles du Temple. Ces modillons à rouleaux, que l’on trouve déjà à la mosquée de Cordoue, ont eu une large diffusion dans l’architecture mozarabe puis romane jusqu’au-delà de la Péninsule Ibérique.

L'église est actuellement restaurée, grâce aux efforts de la municipalité de Nyls-Ponteilla.

© Agnès Vinas


3. Palau del Vidre

C’est le testament de Girard, le dernier comte indépendant du Roussillon, qui donne aux Templiers, en 1172, la ville et le castrum de Palau, faisant d’eux les seigneurs du lieu. Leur Maison se situait dans la cellera, contre la muraille, comme l’indiquent les comptes-rendus des visites priorales des Hospitaliers, en particulier celle de 1784.

La description qui en est faite insiste surtout sur la prison, très forte, avec sa basse-fosse souterraine, ses serrures, ses fers. « Aucune prison, écrit le visiteur des Hospitaliers, ne peut être plus sûre et mieux tenue ». Les Hospitaliers, seigneurs du lieu après les Templiers, avaient en effet conservé les droits de justice et même récupéré la haute justice que l’infant Jaume, le futur roi de Majorque, avait contestée à leurs prédécesseurs en 1271. Cette prison eut en 1618 son heure de célébrité. On avait découvert à Palau un groupe de personnes qui se livraient à la sorcellerie, bruixes i bruixots. Dénoncées par un homme de Besalu, elles furent appréhendées, jugées et condamnées à la pendaison en alta forca sur les murailles de Palau.

Aujourd’hui son emplacement est bien connu, le lieu-dit figurant encore sur les cartes et le cadastre au XIXe siècle. Elle est habitée, mais une fouille permettrait certainement de l’ajouter au patrimoine templier et hospitalier.


4. Saint-Hippolyte

C’est au XIIIe siècle que les Templiers prennent progressivement possession de Saint-Hippolyte. Une politique constante d’achats de droits, de dîmes et de parts du castrum aux familles nobles qui les possèdent - les Castell surtout, toujours à la recherche d’argent frais, mais aussi les Vernet ou les Villademar - leur permet de devenir les seigneurs uniques du lieu et d’y avoir un commandeur du castrum de Saint-Hippolyte. Mais comme les Templiers n’avaient là qu’un homme ou deux, chargés de la gestion de leur domaine et de leurs droits, et qu’ils redonnaient en fief le castrum à la famille de Castell-Saint-Hippolyte qui le tenait pour eux, on ne peut savoir dans quelle mesure, ils sont responsables de la construction ou de l’entretien des imposantes murailles de la cité. Pourtant certains éléments de construction de cette muraille peuvent être datés du XIIIe siècle.

Le plus célèbre des commandeurs du Temple à Saint-Hippolyte, et l’un des derniers, fut Jaume de Garrigans. C’était un simple frère servant, mais aussi un lettré, recruté et reçu dans la chapelle du Masdéu par Ramon Saguardia. Envoyé ensuite en Catalogne, il se trouva prisonnier au château de Miravet assiégé par les troupes du roi Jaume II d’Aragon. Chargé de transmettre au roi les demandes des assiégés, il revint à Miravet sans avoir rien obtenu. Soupçonné par ses frères d’avoir trahi, il trahit réellement. Il quitta le château de nuit, emportant avec lui pour les livrer au roi d’Aragon, les correspondances secrètes que Saguardia voulait faire parvenir au roi de Majorque et au pape.


5. Orle

La possession d’Orle par les Templiers correspond à une date précise, 1271. C’est l’achat au chevalier Bernat d’Oms par le maître du Temple en Catalogne, Pere de Castellnou, de la ville et du castrum d’Orle. Désormais les Templiers sont seigneurs du lieu. Rien ne nous permet d’affirmer que l’église actuelle, qui est en cours de restauration, a été construite par eux. Elle existait probablement quand ils ont acquis l’ensemble de la seigneurie.


6. Perpignan


Carte de Perpignan au XIIIe siècle - © DRAC Occitanie - Cliquez sur l'image pour accéder au document avec légendes


A Perpignan, rien ne reste de l'ensemble bâti connu à l’époque médiévale sous le nom de « Coronell del Temple » (en jaune sur le plan ci-dessus). Limité par les rues actuelles Mailly, de l’Ange et de la Cloche d’Or, il occupait une superficie de 7500 mètres carrés. Un croquis espagnol du XVIe siècle et des gravures françaises des XVIIe et XVIIIe siècles nous montrent qu’il se situait contre la muraille de la ville.


Plan de la ville et citadelle de Perpignan avec l'estat de l'armée du Roy et les lignes de circonvalation faites par Sa Majesté
Estampe gravée par Beteille - 1642 - BnF


Il comprenait la maison du Temple proprement dite, située contre l'impasse actuelle de la Division, maison forte certainement, vu son rôle de gardienne de trésors, mais aussi l'église Sainte-Marie du Temple (n° 13 sur le plan de la DRAC ci-dessus) et l'un des fours que possédaient les frères à Perpignan. Les documents cités plus haut ainsi que les visites priorales permettent de penser qu’il s’agissait d’une église à nef unique possédant une structure d'arcs diaphragmes supportant une couverture en bois.

La présence d’un précepteur du Temple à Perpignan n’étant attestée que dans les premières années du XIIIe siècle, c’est de cette époque que l’on peut dater la construction de cet ensemble. En effet c’est le XIIIe siècle qui voit le grand développement des activités urbaines du Temple : commerce, prêt d’argent, industries du cuir et surtout construction du quartier Saint-Mathieu.

Cette maison a servi de coffre-fort à des particuliers qui y ont déposé biens et actes, mais aussi au roi de Majorque. C'est là qu'étaient gardés un grand nombre d'actes administratifs et de documents financiers de la monarchie, et que les frères Pere de Camprodon puis Jaume d'Ollers ont géré le trésor royal de Majorque. C’est dans cette maison que le roi Pere II le Grand s’introduisit en 1285, grâce à des complicités. Il y trouva, en fouillant dans les documents déposés par son frère le roi de Majorque, ce qu’il venait y chercher, la preuve de la trahison de son frère, le traité secret signé entre Jaume II de Majorque et Philippe le Hardi deux ans plus tôt à Carcassonne.

Plus récemment, en 1617, c’est là que Miquel Agusti, Prieur du Temple de la fidélissime ville de Perpignan, de la religion de l’Hôpital de saint-Jean de Jérusalem, a écrit son fameux ouvrage le « Llibre dels secrets de agricultura, casa rustica y pastoril », l’un des best-sellers de l’époque, publié à Barcelone en 1617 puis à Perpignan en 1626 chez Lluis Roure.


Le quartier Saint-Mathieu de Perpignan - Image satellite par Google Earth


Enfin s’il nous reste quelque chose de matériel de la présence templière à Perpignan, c’est dans le plan du quartier Saint-Mathieu qu’il faut le chercher. Il ne reste aucune maison du XIIIe siècle, époque où les Templiers se lancèrent dans le lotissement en grand. De nombreux incendies ont ravagé le quartier au cours de l’histoire, dont le plus terrible fut celui de 1639 dans lequel les Hospitaliers, successeurs des Templiers, perdirent cent soixante-douze maisons en même temps que les loyers qu’ils percevaient. Mais le quartier, avec ses rues étroites se coupant à angle droit, garde la trace de l’urbanisation templière primitive


7. Le Mas de la Garrigue

Il était situé près du Réart, aux limites des territoires de Villeneuve-de-la-Raho, Perpignan et Pollestres. C’était le centre d’une exploitation agricole prospère, que les Templiers avaient développée sur des terres données par les deux derniers comtes du Roussillon, Gausfred et Girard. Il y avait là une chapelle dédiée à Sainte-Marie, desservie au moment de la suppression de l’Ordre par un prêtre templier, Ramon Sapte, preuve de l’importance de la communauté paysanne qui participait à la culture des terres. Elle a aujourd’hui disparu, de même que les fortifications que les Hospitaliers avaient reçu l'autorisation d'y faire en 1323. Sa localisation pourrait correspondre avec celle du mas Delfau actuel.


8. Collioure

La présence d’un château templier à Collioure a longtemps fait l’objet d’une légende tenace qui n’était pas totalement sans fondement. Elle ne pouvait en aucun cas concerner le château royal, dont la propriété était établie sans contestation possible. L’origine de la tradition vient probablement de la donation aux Templiers par Berenguer d’Orle, l’un des compagnons du dernier comte de Roussillon, Girard, d’un castrum à Collioure en 1190. Ce château était peut-être une porte fortifiée située à la sortie de la ville vers Argelès. Mais ils ne l’ont pas occupé longtemps, car dès 1205 on le trouve entre les mains des Hospitaliers qui ont aussi reçu la paroisse de Collioure. Par contre, le roi Pere II avait donné aux Templiers en 1207, un terrain à lotir, près de l’ancienne porte de Port-Vendres, à l’angle sud du glacis actuel, avec la possibilité de déplacer la porte à leur convenance pour leurs activités. Parmi celles-ci figuraient l’exportation de vin et le transport de pèlerins. Aujourd’hui, il ne reste rien de ces constructions, à cause des travaux entrepris au milieu du XIVe siècle par le roi Pere III le Cérémonieux dès qu’il eut repris le contrôle du port et mis fin au royaume de Majorque.


9. Dans les autres lieux où ont vécu les frères du Temple, Terrats où ils sont seigneurs, Saint-Arnac (Centernac) et Corbos, dans le pays de Fenouilllèdes, où ils avaient installé deux petites préceptories rurales, on pourrait trouver quelques traces de leur passage mais pas de création certaine.

Incertaine demeure aussi la fondation par le Masdéu dans les premières années du XIVe siècle d’une bastide, ou ville neuve à Camps-sur-Agly. Il reste là quelques vestiges, une chapelle consacrée à Saint-Jean, et un hameau, « la bastide », présentant un plan régulier semblant résulter d'une construction planifiée. Malheureusement, seule existe pour nous renseigner une brève analyse du XVIIIe siècle mentionnant l'achat de la Bastide en 1322 par les seigneurs de Camps à la commanderie alors hospitalière du Masdéu.


10. Les assèchements d’étangs et leurs traces dans le paysage roussillonnais actuel

L’œuvre de création de terres nouvelles, par défrichage ou assèchement, est caractéristique de l’action des ordres religieux au Moyen-Age. Les Templiers ne sont pas restés inactifs dans ce domaine. Dès que le Roussillon est rattaché à la monarchie catalano-aragonaise, en 1172, le comte-roi Alphonse Ier institue, avec l’appui de l’Église, les paix et trêves qui donnent enfin un peu de paix à un Roussillon jusque là ravagé par les exactions des féodaux. Ces constitutions prennent pour la première fois sous leur protection les Templiers. Dès lors ils entament sous la direction du commandeur du Masdéu, Pere d’Aiguaviva, autour de Nyls (étang Sabadell, étang de Caraig) et à Bages, un programme d’assèchement d’étangs qui modifie considérablement le paysage de cette partie du Roussillon.

Les traces de ces travaux sont encore visibles, en particulier à Caraig, entre Nyls et Ponteilla, où le canal d'écoulement s'est dégradé en correch – ravin - avant de rejoindre la Canterane. Elles ont été visibles un moment lors de la création de l’autoroute A 9 quand a été mis à jour sous le correch de Ripoll le canal d’écoulement de l’étang Sabadell vers le Réart. Elles restent apparentes à Bages, où le quadrillage des agulles secondaires qui dirigent les eaux vers l’agulla de la Mar est encore en place.


2. Erreurs d'attribution manifestes


Le village de Sainte Colombe de la Commanderie a quelquefois été un peu rapidement attribué aux Templiers, qui n’y ont jamais rien possédé… En fait, c’est le nom de commanderie qui a provoqué l’erreur, comme s’il ne pouvait y avoir de commanderie que templière, alors qu’il s’agit ici d’une possession des Hospitaliers.

La chapelle de Notre-Dame des Anges, à Perpignan, a été construite dans le second quart du XIIIe siècle en bordure du quartier Saint-Mathieu sur des terrains voisins de ceux des Templiers ou même leur ayant peut être appartenu. Il était tentant, étant donné la proximité de leur présence, de la leur attribuer. Mais rien dans les textes qui nous sont parvenus ne permet de vérifier cette hypothèse. Au contraire, l’hypothèse franciscaine est largement étayée, même si la visite de saint-François d’Assise, passant par Perpignan en 1211 et recevant là une petite chapelle de la famille Grimau, est plus que douteuse.

Le prieuré de Marcevol, lui, a été fondé par les chanoines du Saint-Sépulcre.

Enfin à Canohès, le magnifique ouvrage souterrain Les Coves qui permet d’évacuer les eaux de la cuvette ou étang de Canohès, n’a pas non plus été l’œuvre des frères du Temple. Ils n’ont pas employé en Roussillon pour l'écoulement des eaux, ces tunnels ou drains souterrains que l'on appelle coves. Ce véritable monument historique, inconnu de la plupart des Roussillonnais, constamment entretenu depuis le XIVe siècle, est l’œuvre, en 1323, des Bénédictins de l’abbaye de Lagrasse.


3. Et toujours le mythe templier...

Le mythe templier et ses manifestations modernes n’ont pas épargné le Roussillon. Mais ici le trésor des Templiers a déjà été trouvé depuis fort longtemps : il était caché dans un coffre muré dans la tour du château de Palau. Au cours de travaux effectués en 1539, un habitant du lieu le découvrit. Dénoncé, il fut appréhendé et interrogé, mais réussit à faire croire aux autorités de l’époque qu’il ne contenait que deux pièces d’or. Aujourd’hui ses éventuels descendants, les X, possèdent toujours des terres à Palau. Cette découverte, probablement méconnue, n’a pas empêché les anciens propriétaires du Masdéu de constater la présence autour de leur demeure de chercheurs de trésor, armés de leurs poêles à frire, mais quelquefois aussi celle, moins folklorique, d’individus venus là nuitamment pour l’accomplissement de rites douteux.

 

© Vignobles d'Occitanie

Mais le mythe a aussi pris chez nous des couleurs locales beaucoup plus sympathiques. Ici le mythe templier est inséparable du vin. A Banyuls-sur-Mer, où les Templiers n’ont jamais possédé grand chose, leur nom est bien exploité, au point qu’on leur attribue aussi la création de ces canalisations souterraines en terre cuite trouvées sur les collines qui dominent la ville. Pourtant, n’en déplaise aux habitants de Banyuls, rien ne permet aujourd'hui d’affirmer qu’elles sont templières ni même qu’elles servaient de conduit à du jus de raisin. Elles ne sont pas, en tout cas, antérieures au XVIIIe ou au XIXe siècle.

Mais c’est le nom du vénérable médecin, alchimiste et religieux catalan de la fin du XIIIe et du début du XIVe siècle, Arnau de Vilanova, qui donne tout son lustre à cette mythologie viti-vinicole et templière. Il aurait découvert au Masdéu, autour de 1300, le procédé qui, par adjonction d’alcool, par mutage, permet d’arriver au vin doux naturel, ce fleuron de la production roussillonnaise. Ce pieux mensonge a été probablement inventé dans les années 1960 dans les milieux viti-vinicoles roussillonnais par des personnes dont certaines sont peut-être encore en vie. C’était une très belle idée, car Arnau a écrit en latin, à la gloire du vin, son inoubliable Liber de vinis qu’il faudra bien traduire un jour. Il y décrit les diverses manières de faire fermenter le jus de raisin, soit par la méthode naturelle, soit en chauffant ou en ajoutant du sucre, mais il n’est jamais question d’alcool et encore moins de Templiers, car il ne les aimait pas. Il les jugeait responsables de l’échec des projets de croisade et de fusion des ordres religieux militaires et il s’est même aligné au moment du procès sur les positions de Philippe le Bel.


Que faire aujourd’hui pour sauver le patrimoine templier du Roussillon ?

Ce patrimoine authentique, perdu, oublié ou gravement détérioré peut encore être en partie sauvé. A Ponteilla-Nyls la municipalité restaure la vieille église, alors qu’à Palau on semble avoir oublié l’existence de la prison.

Mais c’est surtout la commanderie du Masdéu, toujours propriété privée, qui est le plus en danger. Les tours d’angle s’effondrent l’une après l’autre et le lierre a recouvert entièrement l’église Sainte-Marie, celle où le dernier commandeur, Ramon Saguardia, recevait les nouveaux frères. Elle est pourtant intacte encore et n’attend qu’un chantier pour être sauvée - et aussi pour qu’on découvre dans ses sous-sols et dans le cimetière, qui sait ? des richesses insoupçonnées.


© Robert Vinas


Note

  1.   Voir Joan Fuguet i Sans, L’arquitectura dels Templers a Catalunya, Barcelona, 1995 et Rodrigue Tréton, « Aperçus topographiques de la commanderie du Masdéu en Roussillon », in Archéologie du Midi médiéval, tome 28, 2010, pp.271-296.

    Pour les autres lieux, voir la somme de Joan Fuguet, 1995.