Article d'Eric Raynaud, professeur des Universités, biologiste des hôpitaux


Tout visiteur du Muséum d'histoire naturelle de Perpignan, pénétrant dans la cour intérieure, ne manque pas de remarquer une splendide fenêtre armoriée, lui rappelant ainsi que le musée siège dans l'Hôtel Çagarriga. La famille de Çagarriga est l'une des plus anciennes maisons de la noblesse catalane, dont les alliances prestigieuses se trouvent résumées dans les trois blasons offerts à l'observation du visiteur. Le nom des Çagarriga s'est éteint, en France, avec le dernier descendant mâle de la lignée, Henri de Çagarriga, en 1939. Celui-ci possédait le château de La Grange, à Villelongue dels Monts, sur la façade duquel nous retrouvons également les armoiries de la famille, légèrement différentes en leur représentation mais semblables en l'esprit. Entre la rue Fontaine-Neuve et le domaine de La Grange se déroulent donc quelques siècles d'une histoire familiale associée de très près à l'histoire de la Catalogne.

 

© Claude Casanovas

Envisageons dans un premier temps quelques éléments chronologiques, avant d'aborder de façon plus particulière la description et la symbolique des armes, telles que nous les pouvons voir au Muséum d'histoire naturelle ou sur la façade du château de La Grange.

Première époque : des origines à la «presque» extinction

Le berceau de la famille Çagarriga est très probablement la ville de La Garriga, près de Barcelone, et le nom lui-même correspond au substantif garriga, que l'on fait dériver du pré-roman garrica ou garric, c'est à dire une terre inculte, calcaire et rocailleuse, où poussent des chênes verts. Ces éléments sont la première clé pour la compréhension des armes de la famille.

Les Çagarriga sont déjà cités dès le XIIe siècle, comme le précise l'abbé Capeille dans son Dictionnaire de Biographies Roussillonnaises (1) : Bérenger de Çagarriga, témoin de différentes conventions ou accords passés entre le comte de Barcelone et celui d'Empories ; Raymond de Çagarriga, abbé du monastère cistercien de Sainte-Marie de Fitero, fondateur de l'ordre chevaleresque de Calatrava.

En fait, il faut attendre le XIIIe siècle, avec François de Çagarriga, né vers 1260, pour pouvoir décrire sans trop de manques une généalogie précise (2). François de Çagarriga épousa une certaine Guillemette, dont on ignore le nom de famille, et ils eurent un fils unique prénommé Raymond. Il n'est peut-être pas inutile, à ce stade de la discussion, de préciser que nous retrouverons régulièrement dans les générations suivantes deux prénoms prédominants, Raymond et Gaspard, et ce, jusqu'au XXe siècle. De son mariage avec Elissende de Villarich en 1318, ce Raymond de Çagarriga qui nous préoccupe actuellement, et qui était châtelain de Montferrer, eut deux fils et cinq filles. L'aîné, François de Çagarriga et de Villarich, eut la confiance des rois d'Aragon et se distingua particulièrement contre les Français, coalisés avec le roi Jacques de Majorque, en les empêchant de pénétrer en Cerdagne et en Roussillon. Il acheta en 1352 le château de Pontos. Il avait épousé Claire de Pau, qui lui donna trois fils, dont Raymond, qui poursuivit la lignée.

Le frère cadet de François de Çagarriga et de Villarich, Bernard, eut une fille, Barthélémine, qui épousa vers 1380 son cousin germain Raymond, et un fils dont est issue la branche des Seigneurs de Corbère, alliée par la suite à la famille d'Oms.

Raymond de Çagarriga et de Pau, Seigneur de Pontos et de Creixell, fut nommé en 1397 gouverneur des comtés de Roussillon et de Cerdagne. Il participa aux Cortès qui se tinrent en 1405 à Perpignan. Il défendit dans les années qui suivirent le comté de Roussillon contre un projet d'invasion par le comte d'Armagnac, et repoussa les troupes françaises du roi Charles VI, commandées par le maréchal de Boucicaut. Il montra également son autorité sur le plan civil en supprimant, en 1417, les maisons de jeu à Perpignan. C'est un certain laxisme, volontaire et assumé, dans la levée d'un nouvel impôt en Roussillon, exigée par le roi Alphonse V à l'occasion du mariage de sa soeur l'Infante Marie, qui le conduisit à donner sa démission (3). De son union avec sa cousine germaine Barthélémine étaient nés quatre enfants, dont un fils, qui précéda son père dans la tombe, et trois filles, dont une, prénommée Barthélémine, comme sa mère, et qui se trouva héritière universelle de la maison de Çagarriga. Le nom des Çagarriga était donc logiquement voué à l'extinction. Barthélémine de Çagarriga et de Çagarriga, ainsi nommée puisque issue du mariage de deux cousins germains, unit sa destinée à celle de Roger d'Alemany de Cervelló (ou Cervellon) en 1404, avec obligation pour leurs enfants de relever le nom et les armes de la famille de Çagarriga. Six enfants naquirent de cette union. L'aîné, Gaspard, prit le nom de sa mère pour premier patronyme, s'appelant donc Gaspard de Çagarriga et d'Alemany, et associa les armes des deux familles, perpétuant ainsi la maison de Çagarriga. C'est la deuxième clé pour la compréhension des armes Çagarriga.

Tableau généalogique 1 : des origines à la «presque» extinction

Cette alliance à la famille d'Alemany de Cervelló était très prestigieuse, puisque l'on retrouve ces deux patronymes parmi les neuf barons de Catalogne. On fait remonter l'origine de la famille de Cervelló aux années 690 à 720, en Allemagne, avec le comte d'Astolberg et son épouse la princesse Clotilde de Bavière. C'est leur arrière petit-fils, issu de leur fils cadet, qui fut élevé à la dignité de baron de Cervelló par l'empereur Charlemagne, en raison de son courage lors des sièges de Barcelone et de Tortosa. Le onzième baron, Guillem de Cervelló, épousa en 1130 l'unique héritière du baron Pierre d'Alemany, sous la condition, une fois encore, d'en porter le nom et les armes. De leur fils, Pierre, descendait Roger d'Alemany de Cervelló, qui unit sa famille à la maison de Çagarriga (4,5).

Deuxième époque : vers les trois branches, espagnole, italienne et française

Gaspard de Çagarriga et d'Alemany poursuivit donc les destinées de la maison de Çagarriga. Il eut un rôle politique de conseiller et encore plus un rôle militaire sous le règne de Jean II, dont il était le lieutenant. Il se porta notamment au secours de la reine Jeanne en 1462, à Gérone, lors de l'irruption des Français en Roussillon. C'est d'ailleurs le 26 juin de cette année qu'il fut mortellement blessé, devant la collégiale Saint-Félix de Gérone, dont il défendait l'entrée. De son mariage avec Marguerite de Rocabruna, en 1447, étaient nés trois fils et deux filles.

Parmi ceux-ci, Louis-Gabriel de Çagarriga est à mentionner tout particulièrement, puisqu'il est à l'origine de la branche italienne de la famille. En effet, Louis-Gabriel suivit Gonzalve de Cordoue à la conquête du royaume de Naples, en 1495. Après la paix, il s'établit à Barletta, puis à Giovinazzo, où il fut immédiatement intégré à la noblesse locale, au titre de noble de Barcelone. En 1617, l'un de ses descendants lui fit élever un tombeau dans la chapelle de famille, en la collégiale du Saint-Esprit de Giovinazzo. On peut encore y voir, gravées, les armes de la maison de Çagarriga. La branche italienne a adopté l'orthographe «Sagarriga», et se divise aujourd'hui en deux rameaux principaux, les Sagarriga-Visconti et les Sagarriga-Gentile.

 

Raymond de Çagarriga et de Rocabruna, frère de Louis-Gabriel, poursuivit la branche principale. Sa maison, ainsi que ses titres de famille, furent brûlés lors de l'occupation française du Roussillon. De son premier mariage avec Yolande Xammar, en 1479, était né un fils, Pierre-François. Demeuré veuf, il épousa en secondes noces, en 1493, Catherine dez Volo, qui avait elle-même trois filles d'un premier mariage avec César d'Entici, capitaine de hallebardiers. L'une d'elles, Cécile, épousa Pierre-François. Raymond de Çagarriga et de Rocabruna eut d'autre part de sa seconde épouse quatre enfants, deux fils et deux filles. Parmi ces derniers, Bernardin de Çagarriga et dez Volo fut nommé bailli de Perpignan en 1494, après le retour du Roussillon à la couronne d'Aragon, et Isabelle se maria avec le capitaine d'infanterie Jean d'Arce, qui obtint de Charles-Quint, en 1530, la charge de commandant du Castillet, à Perpignan. Leur fils cadet, Jean d'Arce - Çagarriga, succéda à son père dans ce commandement. Raymond de Çagarriga et de Rocabruna mourut en 1512.

Pierre-François de Çagarriga et Xammar eut cinq enfants de son mariage avec la fille de sa belle-mère, Cécile d'Entici. Trois d'entre eux méritent particulièrement d'être mentionnés. Louis de Çagarriga et d'Entici entra dans l'Ordre de Saint Benoît et fut nommé en 1566 abbé de Saint-Michel de Cuxa, charge qu'il occupa jusqu'à sa mort en 1569. Les chroniqueurs rapportent qu'il obtint du ciel une grâce particulière, en voulant prouver l'authenticité d'un morceau de la vraie Croix, pieusement conservé dans le reliquaire de l'abbaye. Des doutes s'étaient en effet exprimés à ce sujet, en raison de la dimension conséquente de la relique, longue de presque un décimètre. L'abbé de Çagarriga demanda au ciel un miracle : il décida de soumettre la précieuse relique à l'épreuve du feu, et celle-ci, à la grande édification des personnes présentes, ne se consuma pas. Un acte notarié fut aussitôt rédigé, afin d'attester de l'événement (6)>.

Après un premier mariage sans postérité, François-Raymond de Çagarriga et d'Entici, frère de l'abbé de Cuxa, épousa en secondes noces, en 1560, Anne de Stanybo et d'Oms, qui apporta à la famille Çagarriga la seigneurie de Rivesaltes. Leur descendance poursuivit la branche des seigneurs de Pontos et de Creixell. La seigneurie de Creixell fut érigée en comté par le roi Charles II, le 20 novembre 1691. La branche espagnole s'éteignit en ligne directe au milieu du XIXe siècle. Le titre de comte de Creixell fut transféré le 7 mai 1969 à don Vicente Cebrian Sagarriga, puis le 6 novembre 1997 à son fils, don Vicente Cebrian Sagarriga-Suarez Llanos. De la branche espagnole est issu un rameau établi en Roussillon, à Alenya, vers le milieu du 17e siècle. Ce rameau dit «des seigneurs d'Alenya» s'allia, au XVIIIe siècle, avec les familles Dubois de Boisambert et de Chefdebien d'Armissan. La branche cadette de la maison vicomtale de Chefdebien d'Armissan prit au 19e siècle le patronyme «Chefdebien-Zagarriga», et le titre de baron (7)>. Le relèvement du nom fut l'objet d'une querelle entre les Chefdebien et les Çagarriga, ces derniers le jugeant avec raison sans véritable nécessité (8).

Enfin, Gaspard de Çagarriga et d'Entici, frère des deux précédents, est à l'origine de la branche principale roussillonnaise, dite «branche de Millas».

Tableau généalogique 2 : vers les trois branches espagnole, italienne et française

Troisième époque : la branche de Millas

Gaspard de Çagarriga et d'Entici était venu s'établir en Roussillon et acheta plusieurs champs situés à Millas, comme en témoignent différents actes notariés datés du 12 août 1555, du 11 novembre 1562 et du 20 août 1567 (9, 10). En 1788, son descendant, Jean de Çagarriga d'Anglade, dut faire ses preuves de noblesse devant Chérin, généalogiste du Roi, afin d'obtenir l'admission de son fils aux Ecoles Militaires : les premiers documents produits furent ces trois actes. La noblesse des Çagarriga y était attestée par la mention de différents qualificatifs nobiliaires, portés par les Catalans, tels «don Gaspard de Çagarriga, damoiseau...», «Illustre...» (9).

Gaspard de Çagarriga et d'Entici mourut en 1574, laissant un fils unique, Gaspard de Çagarriga et Ros, de son mariage avec Monica Ros.

Celui-ci, domicilié à Perpignan, épousa en 1599 Mancia Ballaro, dont il eut trois filles et un fils, Joseph de Çagarriga et Ballaro, né en 1613, qui poursuivit la lignée. D'un premier mariage avec Engracia Galindez de Terreros, Joseph eut trois enfant, dont l'aîné fut prénommé Gaspard. Alors qu'il était tout jeune, celui-ci tomba gravement malade. Ses parents, qui avaient une grande dévotion à la Vierge, firent le voeu de fondre leur argenterie et d'en faire une statue de l'Immaculée Conception, si la guérison de l'enfant leur était accordée. Ce fut chose faite en 1639. La situation confuse qui régnait alors en Catalogne contraignit Joseph de Çagarriga à différer la réalisation de son voeu. La statue fut finalement réalisée à Barcelone en 1666. Des fêtes somptueuses furent alors organisées à Millas pour l'accueil et la vénération de la statue. L'abbé Capeille rapporte la description qu'en fit Joseph de Çagarriga dans son registre de mémoires (11) :

«La fête fut pour la première fois célébrée à Millas le 8 décembre 1666. Elle fut annoncée dès la veille par de nombreuses charges de mousqueterie, parties du haut du clocher. A l'entrée de la nuit, on chanta complies à trois choeurs avec la plus grande solennité et profusion de lumières ; et pendant tout le temps des complies, des décharges continuelles partirent du clocher... Après complies, on tira sur la place quantités de fusées et plusieurs roues d'artifice... Le jour de la fête, la grand' messe en musique, composée exprès pour cette solennité, fut exécutée par des musiciens venus d'Espagne. Le soir, on chanta vêpres et complies à trois choeurs et l'on fit ensuite la procession ; à la tête marchait la bannière neuve parsemée de l'écu des armes de la famille, brodé en or. Elle était portée par le fils de Çagarriga... Suivaient les prêtres de la communauté en chapes blanches et un cierge à la main. Venait enfin l'Image de la Sainte Vierge, portée sur un piédestal doré et décoré aux quatre coins de quatre très grands bouquets artificiels ; elle était précédée par six torches de cire blanche, portées par divers gentilshommes et propriétaires, et marchait sous un dais neuf de damas cramoisi, sur les quatre coins duquel était brodé en or l'écu des armes de la famille de Çagarriga». Cette statue de la Vierge, dite «Vierge des Çagarriga» est visible encore aujourd'hui au Centre d'Art Sacré d'Ille-sur-Têt. Une profonde dévotion à l'Immaculée Conception a toujours caractérisé la famille au long des siècles.

Socle armorié de la Vierge des Çagarriga

Signalons qu'il existe une autre version du voeu de don Joseph, selon laquelle les parents auraient prié la Vierge de préserver la vie de leur enfant, parti à la guerre : celui-ci étant âgé de trois ans au moment des faits, cette vue est totalement erronée.

Après le décès de son épouse, Joseph de Çagarriga se remaria avec Madeleine Esprer. Il n'eut pas d'enfant de son second mariage et décéda à Perpignan, le 26 août 1685.

Son fils, Gaspard de Çagarriga et Galindez de Terreros, embrassa la carrière militaire et mourut en 1691, à l'âge de 55 ans, laissant un fils unique, François, de son mariage avec Marie de Ros.

François de Çagarriga et de Ros eut deux enfants d'un premier mariage, Marie et Gaspard de Çagarriga et de Blanes, décédés tous les deux sans postérité. Gaspard était marié avec la fille d'Ange-Charles Delpas de Camporells, baron de Saint-Marsal, dont la dernière descendante devait épouser en 1851 le père d'Henri de Çagarriga, dernier du nom, de sorte que ces deux nobles maisons du Roussillon s'éteignirent presque en même temps. D'un second mariage avec Cécile de Réart, François de Çagarriga et de Ros eut cinq enfants, dont un fils, Joseph, qui poursuivit la lignée.

Joseph de Çagarriga et de Réart était né en 1697. Il épousa en 1726 la fille de l'Aide de camp du maréchal duc de Noailles, Françoise d'Anglade et de Rocabruna. Leur union fut, selon les sources, plus ou moins féconde, puisqu'on leur attribue sept à douze enfants, à moins que dans un cas, on ait omis de mentionner des enfants morts-nés ou décédés en bas âge (4, 12, 13). Parmi ceux-là, François et Gaétan firent une brillante carrière militaire. Né en 1741, François fut d'abord lieutenant au régiment de Belzunce en 1758 et fit les campagnes d'Allemagne. En 1765, il passa à Saint-Domingue et resta environ huit ans à l'Armée des Iles. Il fut nommé capitaine en 1774, et décoré de la croix de chevalier de Saint-Louis en 1781. En 1791, il fut promu lieutenant-colonel puis passa l'année suivante à l'armée des Princes. Grièvement blessé par balles en 1796, il se retira à Londres avec le grade de colonel. Louis XVIII le récompensa pour les services rendus en le créant maréchal de camp honoraire en janvier 1815. Il avait épousé à Londres Marie-Louise de Gosson en 1807, et décéda sans postérité à Paris, le 25 septembre 1817. Gaétan était né en 1742 et entra au service du Roi en 1758, le même jour que son frère François, mais au régiment de Flandre. Sa carrière fut cependant plus brève, puisqu'il mourut en janvier 1781 à Saint-Domingue, décoré de la croix de Saint-Louis, particulièrement apprécié pour son intelligence et son instruction.

Leur frère aîné, Jean de Çagarriga d'Anglade, né en mars 1728, joua un rôle prédominant au sein de la noblesse roussillonnaise. En janvier 1789, il était l'un des commissaires de l'Ordre de la noblesse, parmi lesquels on trouvait les marquis d'Aguilar et d'Oms, ainsi qu'Antoine de Ros. Arrêté en mai 1793, il fut délivré lors de son transfert vers Montpellier par une compagnie de dragons appelés «les foudroyants». Il émigra alors en Espagne et, de retour en Roussillon, mourut à Perpignan en juillet 1801, laissant un fils unique, Augustin, de son mariage avec Augustine de Ros. C'est pour son fils, rappelons-le, qu'il avait été amené à produire, le 3 octobre 1788, ses preuves de noblesse devant Chérin, remontant sa généalogie jusqu'en 1555. Les documents présentés consistaient en un ensemble d'actes notariés, d'achat ou de succession, qu'il fallut faire traduire du catalan au français.

Augustin de Çagarriga et de Ros (1774-1866)
en uniforme des gardes wallonnes

Augustin de Çagarriga et de Ros, né en 1774, émigra en Espagne avec son père en 1793. Il s'engagea dans le régiment des Gardes wallonnes, où il servit jusqu'en 1801. Rentré en France sous le Directoire, il obtint, grâce à l'intervention du député Guiter, d'être rayé de la liste des émigrés, récupéra ses biens et s'établit à Millas. A son sujet, l'abbé Capeille nous dit «qu'il (y) mena la vie patriarcale de l'ancienne aristocratie» (13).

Gérard de Çagarriga
fils cadet d'Augustin de Çagarriga

Gaspard de Çagarriga
fils aîné d'Augustin de Çagarriga

Il épousa en 1804 Madeleine de Guanter, qui lui donna trois garçons, Gaspard, Gérard et Raymond, ainsi que sept filles, dont Antoinette, marié au banquier et député Justin Durand ; le couple, qui possédait notamment la splendide propriété du Mas Deu, sur la commune de Trouillas, eut une vie sociale particulièrement brillante, tant à Perpignan qu'à Paris.

Antoinette de Çagarriga, épouse Durand, fille cadette d'Augustin de Çagarriga

Augustin de Çagarriga fut nommé chef d'Etat-major des gardes nationales du département en mars 1814. Il fut maire de Millas en 1815 et siégea au Conseil général du département de 1815 à 1830. Louis XVIII le décora de la croix de chevalier de Saint-Louis. Recommandé par le prince de Broglie, il put obtenir l'entrée de ses fils Gaspard et Gérard aux écoles de Saint-Cyr et de La flèche. Il mourut à Millas le 26 mars 1866, âgé de 92 ans, en ayant reconstitué la fortune familiale par une gestion attentive et avisée de son patrimoine.

Le fils aîné d'Augustin de Çagarriga et de Ros, Gaspard, poursuivit la «branche de Millas». Né en 1807, il embrassa très tôt une carrière militaire au cours de laquelle il se distingua notamment par ses compétences en matière de cartographie. Il épousa en avril 1843 sa cousine Perpétue de Llucia, fille de sa tante maternelle Louise de Guanter.

Gaspard de Çagarriga

et son épouse Perpétue de Llucia

Quatre enfants naquirent de leur union : trois fils, Raymond, François et Pierre (ces deux derniers moururent respectivement à l'âge de 19 et 17 ans) et une fille, Marie, qui épousa le vicomte Auguste de Gironde, dont elle n'eut pas d'enfant. Gaspard de Çagarriga décéda à Perpignan en juin 1887. Son fils aîné Raymond, né en 1845, fut reçu à l'école Polytechnique en 1864 et devint ingénieur des Constructions Navales, puis chef du service commercial de la compagnie des chemins de fer du Midi. Il eut trois filles, Marie-Magdeleine, Marthe et Jeanne, de son mariage avec Jeanne de Ploeuc, fille du marquis de Ploeuc.

Marie-Magdeleine épousa en 1907 Jean du Moustier, marquis de Canchy, avec descendance dans les familles du Moustier de Canchy et Claret de Fleurieu ; Marthe épousa en 1910 Gonzague de Bengy, dont elle eut deux filles et deux fils (d.p.) ; enfin, Jeanne s'unit en 1913 au comte Edouard Copin de Miribel, dont elle eut huit enfants (d.p.).

Raymond de Çagarriga mourut à Paris le 11 avril 1927, dans sa 82e année : avec lui s'éteignait la branche de Millas.

Tableau généalogique 3 : La branche de Millas (1)
Tableau généalogique 3 : La branche de Millas (2)

Des deux autres fils d'Augustin de Çagarriga et de Ros, seul Raymond eut une postérité ; après une carrière dans l'armée, Gérard mourut célibataire à l'âge de 37 ans, à Millas, en 1850.

Quatrième époque : vers l'extinction, la branche de La Grange

Le troisième fils d'Augustin de Çagarriga et de Ros, Raymond, est à l'origine d'une branche cadette qui devint branche principale à l'extinction de la «branche de Millas» en 1927. Raymond de Çagarriga, né en octobre 1818, décédé en janvier 1902, fut d'abord officier de Marine avant de revenir dans le civil et d'entrer au Conseil de Préfecture des Pyrénées Orientales, dont il assura la présidence. Chevalier de la Légion d'Honneur, il reçut dans cet Ordre son neveu Raymond, fils de son frère Gaspard, le 2 octobre 1899.

Lettre de transmission de Raymond de Çagarriga au grand Chancelier de la Légion d'Honneur, 1899



Procès-verbal de réception de Raymond de Çagarriga par son oncle
dans l'ordre de la Légion d'Honneur

 

Il avait épousé en septembre 1851 Gabrielle Guiraud de Saint-Marsal, dont la mère, Angélique Delpas de Camporells de Saint-Marsal, se trouvait la dernière descendante des marquis de Saint-Marsal. Cette terre avait été érigée en marquisat par lettres patentes du roi Louis XV, en avril 1727.

De ce mariage naquirent deux fils, Henri, en 1855, et Alfred, en 1861. Ce dernier, officier de hussards, mourut sans enfant en 1922. Henri de Çagarriga épousa en août 1887 Marie Azemar, fille d'Edouard Azemar, consul général d'Espagne. Ils eurent trois filles : Amélie, qui épousa en 1913 le comte Arnaud de Pontac, fils du comte Olivier de Pontac et de Marguerite de Sabran-Pontevès - ils reçurent la bénédiction nuptiale de Mgr Jules de Carsalade du Pont, en l'église de Saint Génis des Fontaines - (d.p.) ; Gabrielle, auteur de nombreux travaux historiques et littéraires, dont un sur la comtesse de Flahaut paru dans la Revue des Deux Mondes, mariée en 1933 avec Eugène Castel, président des Sociétés d'Agriculture et d'Archéologie de l'Aude (s.p.) ; Huguette, qui épousa en 1922 le vicomte André de Sevin (d.p.).

Gabrielle et Huguette naquirent au château de La Grange, sur la commune de Villelongue dels Monts, et leur mère y décéda en novembre 1917.

En France, la famille Çagarriga n'était pas titrée. Woelmont de Brumagne, dont il faut parfois lire les notices avec une certaine prudence, précise à ce sujet qu'Henri de Çagarriga «releva» les titres de marquis «donnés, par courtoisie, à quelques membres de sa famille, tant en France qu'en Espagne et, vu l'extinction, celui des Delpas de Saint-Marsal». On peut dire en tout cas qu'il en fit un usage modéré, puisque cette qualification n'est pas même mentionnée dans différents faire-parts de mariage ou de décès.

Henri de Çagarriga, dernier descendant mâle de la maison de Çagarriga, mourut à Bazas, en Gironde, le 9 novembre 1939 : avec lui s'éteignait, en France, cet illustre patronyme.

Tableau généalogique 4 : vers l'extinction, la branche de La Grange

Les armes des Çagarriga

Les armes qui ornent la fenêtre de la cour intérieure du Muséum d'histoire naturelle de Perpignan évoquent la réunion de la maison de Çagarriga à celle d'Alemany de Cervelló. C'est donc Gaspard de Çagarriga et d'Alemany, fils de Roger d'Alemany de Cervelló et de Barthélémine de Çagarriga et de Çagarriga, qui releva les armes de sa famille maternelle pour les associer à celles de son père.

Armes de la maison de Çagarriga, Muséum d'Histoire naturelle de Perpignan
© Claude Casanovas

La conception de l'ensemble est particulièrement soignée et élégante. Au centre figure le blason des Çagarriga. L'écu est de forme ovale, classiquement attribuée aux dames. Il est bien individualisé et ne correspond pas à la figuration dite «en cartouche», que l'on retrouve surtout à partir du XVIe siècle dans les motifs sculptés. A titre de comparaison, le blason de la branche italienne, que nous donnions en illustration, est représenté en cartouche.

Il n'est donc pas interdit de penser que l'utilisation de l'écu des dames est volontaire, et fait référence à Barthélémine de Çagarriga et de Çagarriga, héritière universelle de la maison de Çagarriga. Sur un champ pointillé (le pointillage est associé conventionnellement à l'or), a été sculpté un buisson de chêne-vert, englanté et entrelacé, dont les racines sont nettement visibles à la partie inférieure. On peut employer le terme d'armes «parlantes», puisque la figure végétale rappelle l'étymologie du nom «Çagarriga». Cette sculpture illustre tout à fait la description héraldique originale, donnée pour les Çagarriga de Catalogne : «En campo de oro, una mata de garriga, de sinople, arrancada» (14), traduite avec plus ou moins de justesse dans les armoriaux usuels français. Les traductions les plus pertinentes sont celles de Woelmont de Brumagne (4) ou de Chaix d'Est-Ange (10) : «d'or, au buisson de chêne-vert arraché et entrelacé de sinople», le terme sinople désignant la couleur vert. Il est par contre difficile de retenir la définition du Colonel Arnaud (15), «de gueules, à un buisson de sinople», qui pose deux problèmes : elle est assez imprécise, puisqu'elle ne mentionne pas la nature du buisson, ni l'attribut «arraché», qui fait référence aux racines ; elle est inexacte dans l'emploi des métaux et des couleurs. Il semble qu'il y ait confusion entre les armes originales et celles d'un rameau établi à Valence : «En campo de gules, una mata de garriga, de oro, arrancada», c'est à dire «de gueules, à un buisson de chêne-vert arraché et entrelacé d'or» (14). Dans son Armorial du Roussillon, l'abbé Cazes propose une interprétation alternative : il suggère que le pointillage du champ de l'écu peut avoir été réalisé dans un second temps, au XVIIe siècle, traduisant un glissement des armes «de gueules, à un buisson... d'or» vers «d'or, à un buisson... de sinople» (16).

Au timbre de l'écu, on trouve un casque de baron, taré au tiers profil, fermé de sept grilles, surmonté d'une couronne de baron, l'ensemble faisant référence aux neufs barons de Catalogne.

Armes de la maison de Cervelló

Armes de la maison d'Alemany
© Claude Casanovas

A gauche, lorsque l'on est placé face à la fenêtre, se trouve un écu de forme espagnole portant les armes de la famille de Cervelló : «En campo de oro, un ciervo pasante, de azur», c'est à dire «d'or, au cerf passant d'azur». Il s'agit des armes initiales, qui seront déclinées par la suite sous diverses variantes : «d'or, au cerf passant de sable» ou bien «d'or, au cerf passant de gueules», ou encore «de gueules, à deux cerfs passant d'or» (17).

A droite, toujours dans un écu de forme espagnole, figurent les armes de la maison d'Alemany : «En campo de plata, tres alas bajadas de gules», soit «d'argent, à trois demi-vols de gueules, abaissés et contournés» (5,18). Le «demi-vol» correspond à l'aile. L'épithète abaissés signifie que les rémiges retombent vers la pointe de l'écu, et contournés définit l'orientation par rapport au flanc senestre.

Enfin, ces deux écus sont portés chacun par un ange.

Si nous considérons les armes sculptées sur le tombeau de la collégiale de Giovinazzo, nous trouvons une représentation similaire, bien que moins délicate, du buisson de chêne-vert, avec des racines toujours très apparentes et des glands juste esquissés, ainsi qu'un demi-vol orienté différemment. Les armes des familles associées figurent ici sur le même écu, alors que sur une façade comme celle de l'Hôtel Çagarriga à Perpignan, ou celle du château de La Grange à Villelongue dels Monts, on pouvait aussi placer les armes principales au centre, et les armes secondaires de part et d'autre.

 

Les descriptions héraldiques trouvées dans les différents armoriaux correspondent le plus souvent à un blason unique, associant les trois familles, Çagarriga, Alemany et Cervello, et impliquent donc des partitions, c'est à dire des divisions, de l'écu.

Aux 1 et 4 figurent les armes Alemany, aux 2 et 3 les armes Cervelló et sur le tout, soit en position principale, les armes Çagarriga. On s'est vraisemblablement inspiré de la disposition des armes de l'Hôtel Çagarriga pour celle de la façade du château de La Grange, avec toutefois quelques différences notables.

© Agnès Vinas

 

Les trois écus y sont figurés en cartouche. Au niveau du corps de bâtiment central se trouvent les armes Çagarriga, représentées par deux branches de chêne-vert entrelacées, identifiables par leurs feuilles. Le champ de l'écu est finement pointillé, correspondant à l'or. L'ensemble est posé sur une aigle bicéphale d'or, colletée d'une couronne de baron et portant au timbre une couronne de marquis. Sous l'écu, un listel, c'est à dire un ruban, d'or, devait porter la devise : «des neuf barons de catalogne». Les éléments fondamentaux sont bien sûr présents, mais dans un style très XIXe siècle, la couronne de marquis correspondant au relèvement du titre déjà évoqué.

© Agnès Vinas

 

Au niveau du corps latéral gauche sont sculptées les armes Cervelló, avec deux cerfs en 2 et 3 sur un champ pointillé, au niveau du corps droit, les armes Alemany avec trois demi-vols en 1 et 4. Enfin, ces deux écus sont eux aussi surmontés de la couronne de marquis, certainement plus dans un souci d'équilibre décoratif que de rigueur héraldique !

Ainsi, la contemplation des trois écus fournit une vision «éclatée» des partitions initiales, respectant la description des armoriaux usuels.

Le blason définissant en fait le mieux la branche de La Grange est celui, sculpté dans le marbre, du caveau familial, au cimetière Saint-Martin de Perpignan. On y retrouve l'aigle bicéphale avec ses deux couronnes ; sur le tout, en 1 et en 4, les armes Çagarriga, Alemany et Cervelló, respectivement ; enfin, en 2 et 3, l'évocation de l'alliance avec les Guiraud de Saint-Marsal. Plus précisément, figurent en 2 les armes Guiraud - Delpas de Saint-Marsal, «d'or, à deux perroquets de sable, adossés, la tête contournée et accompagnés de deux étoiles de gueules, une en chef et une en pointe» (19), et en 3 les armes Camporells, «fascé d'or et de gueules» (20).

Pour conclure...

Au terme de ce parcours à la découverte de l'histoire de la maison de Çagarriga, histoire familiale dense et passionnante, qui croise souvent les chemins de l'Histoire, il ne paraîtra pas étonnant de préciser que les sources bibliographiques les plus complètes sont roussillonnaises : cet article de synthèse doit beaucoup aux ouvrages de l'abbé Capeille (1, 11) et de Philippe Lazerme de Règnes (2), qui ont travaillé en particulier sur les archives privées de la famille. Le nom des Çagarriga n'évoque sans doute que peu de choses aux jeunes générations ; il est par contre très émouvant de constater qu'il est encore prononcé avec le plus grand respect par les natifs de la première moitié du 20e siècle, autour de Millas ou de Villelongue dels Monts. Puissent ces quelques pages donner aux lecteurs de tous âges l'envie d'approfondir l'histoire, souvent méconnue, des familles de la noblesse roussillonnaise.

Notes de lecture

Les tableaux 1 à 4 sont volontairement très simplifiés et s'attachent surtout à montrer le continuum dans la transmission du nom des Çagarriga, ainsi que l'articulation des différentes branches de la famille, en replaçant çà et là quelques figures clés évoquées dans le texte.

d.p. = dont postérité, s.p. = sans postérité

Remerciements

Je tiens à remercier M. le Professeur Bourgat, conservateur du Muséum d'histoire naturelle de Perpignan, qui a sollicité cet article.

Je voudrais exprimer toute ma gratitude à M. Alain Sanchez, directeur du Centre d'Art Sacré d'Ille-sur-Têt, pour son accueil chaleureux, et à Mme Dominique Albernhe, responsable du service du prêt «inter-bibliothèques» à la faculté de Pharmacie de Montpellier, pour sa gentillesse, sa disponibilité et son efficacité.

Bibliographie

1. Capeille J. (1914). Dictionnaire de Biographies Roussillonnaises, Imp. J. Comet, Perpignan, p.83.
2. Lazerme de Règnes P. (1975-1977). Noblesa Catalana. Cavaleros y burgesos honrats de Rossello y Cerdanya, Paris, 1, pp.220-246.
3. Capeille J. (1914). Dictionnaire de Biographies Roussillonnaises, Imp. J. Comet, Perpignan, pp.85-86.
4. Woelmont de Brumagne H. (1931-1935). Notices généalogiques, Ed. G. Saffroy, Paris, 8, pp.540-544.
5. Lazerme de Règnes P. (1975-1977). Noblesa Catalana. Cavaleros y burgesos honrats de Rossello y Cerdanya, Paris, 1, pp.65-69.
6. Capeille J. (1914). Dictionnaire de Biographies Roussillonnaises, Imp. J. Comet, Perpignan, pp.91-92.
7. Jougla de Morenas H. (1934-1949). Grand Armorial de France, 2, pp.427-428.
8. Lazerme de Règnes P. (1975-1977). Noblesa Catalana. Cavaleros y burgesos honrats de Rossello y Cerdanya, Paris, 1, p.220.
9. Bibliothèque Nationale de France (Paris), Département des manuscrits, Cabinet des titres. Fonds Chérin, 43, dossier 898 : Çagarriga.
10. Chaix d'Est-Ange G. (1909). Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle, 8, pp.79-80.
11. Capeille J. (1989 - réédition de l'ouvrage paru en 1900). Histoire de Millas, Res Universis, Paris, pp.207-209.
12. Lazerme de Règnes P. (1975-1977). Noblesa Catalana. Cavaleros y burgesos honrats de Rossello y Cerdanya, Paris, 1, pp.234-235.
13. Capeille J. (1914). Dictionnaire de Biographies Roussillonnaises, Imp. J. Comet, Perpignan, p.95.
14. Garcia Carraffa A. y A. (1968). El Solar Catalan, Valenciano y Balear, Libreria Internacional, San Sebastian, 4, pp.99-100.
15. Arnaud E. (2000). Répertoire de généalogies françaises imprimées. Version CD-Rom, Ed. Alsyd.
16. Cazes A. (1983-1985). Armorial du Roussillon, Revue Conflent, Prades.
17. Garcia Carraffa A. y A. (1968). El Solar Catalan, Valenciano y Balear, Libreria Internacional, San Sebastian, 2, p.10.
18. Garcia Carraffa A. y A. (1968). El Solar Catalan, Valenciano y Balear, Libreria Internacional, San Sebastian, 1, pp.46-54.
19. Révérend A. Vte (1974). Titres, anoblissements et pairies de la Restauration 1814-1830, Librairie Honoré Champion, Paris, 3, pp.276-277.
20. Ferrer I Vives F. d'A. (1995). Heraldica Catalana, Editorial Milla, Barcelone, 1, p.204.


Cet article a été publié dans les Annales du Muséum d'Histoire naturelle de Perpignan, n° 13, 2004 : pp.1-15.