La momie égyptienne

Cliché Stéphane Miquel, service photographique, mairie de Perpignan

Par Annie Perraud


Première partie : histoire de la momie

Deuxième partie : étude de la momie et du cercueil


Introduction

Une étude pluridisciplinaire de la momie égyptienne, conservée au Muséum de Perpignan, a été réalisée au mois d'avril 1997. L'idée directrice de ce travail de recherche était de déterminer si les techniques médicales et scientifiques actuelles pouvaient améliorer la connaissance des rites funéraires égyptiens et des pratiques de momification. Cette étude scientifique est basée sur des méthodes non destructives, respectant l'intégrité de la momie et son état actuel, et ne nécessitant pas de débandelettage. L'étude des momies égyptiennes permet, au-delà de l'intérêt scientifique, une étude beaucoup plus large : celle de la civilisation égyptienne et des croyances des Egyptiens anciens d'une part, une approche anthropologique d'autre part.

Les connaissances relatives à la momification nous sont parvenues grâce à deux textes tardifs, connus sous l'appellation Rituel de l'Embaumement : le Papyrus de Boulaq III, daté du début du ler siècle après J.-C., conservé au musée du Caire, et le Papyrus du Louvre n° 5158, daté de la 2e moitié du ler siècle avant J.-C. Ce sont les copies incomplètes et lacunaires d'un exemplaire original beaucoup plus ancien, constitué par onze chapitres, énumérant un protocole royal. Chaque chapitre comporte deux parties. La première partie constitue une sorte de manuel pratique à l'usage des embaumeurs, incluant l'application des différents produits constituant les baumes de momification ; la seconde partie est consacrée aux textes à caractère religieux et à la liturgie.

En l'absence d'autres documents, les études de momies constituent la base de nos connaissances des pratiques de momification et des rites funéraires égyptiens. Elles permettent de déduire les pratiques des ateliers d'embaumement et leur évolution à travers le temps.

Première partie : histoire de la momie

1. ELEMENTS HISTORIQUES

Contrairement aux momies étudiées sur leur lieu de sépulture, les momies explorées dans les musées sont souvent de provenance inconnue et de datation incertaine. Dans le cas de la momie du Muséum de Perpignan, le musée ne dispose d'aucun document pouvant donner une indication du lieu d'origine. Le don de la momie au musée n'a fait l'objet d'aucun inventaire, comme c'est le cas pour la plupart des momies ayant quitté l'Egypte au cours du XIXe siècle. On sait toutefois que la momie et le cercueil ont été donnés en 1847 par Ibrahim Pacha.

Les circonstances dans lesquelles cette momie est parvenue à Perpignan, sont les suivantes :

Ibrahim Pacha, né en 1789, était le fils aîné de Méhémet Ali, vice-roi d'Egypte.
Son père lui ayant confié la conduite de l'armée en 1816, le prince fit preuve de qualités de grand stratège.
Il ressentit les premières atteintes de la maladie, qui devait causer sa mort, à l'âge de 56 ans (1). Après avoir subi une intervention chirurgicale, il est confié à Claude-François Lallemand, médecin à Montpellier. Celui-ci lui conseilla les eaux thermales de Vernet-les-Bains où il séjourna de janvier à février 1846. Dès son retour en Egypte, Ibrahim Pacha fit envoyer une momie à Perpignan, en remerciement pour l'accueil qui lui avait été réservé et pour les soins reçus.
La momie, probablement choisie pour son état apparent de conservation et pour la beauté des scènes décorant le cercueil où elle repose, est envoyée en France par bateau, au départ du port d'Alexandrie. Le 27 février 1847, Louis Companyo, directeur et fondateur du Muséum de Perpignan, recevait une lettre de Monsieur Bonfort, intendant de S. A. Ibrahim Pacha, envoyée du Caire, indiquant : «Je viens aujourd'hui vous prévenir que Son Altesse Ibrahim Pacha a destiné une momie pour le Muséum d'histoire naturelle de Perpignan et que je viens d'expédier la caisse au Consul général de France à Alexandrie pour l'expédier par les paquebots de l'Etat à Marseille. Veuillez la réclamer et l'offrir au musée, au nom du prince» (2). La momie et son cercueil sont débarqués à Marseille, puis acheminés vers les Pyrénées-Orientales.

D'après les textes inscrits sur les parois du cercueil, on pourrait s'orienter vers une origine thébaine du défunt auquel était destiné, à l'origine, le cercueil : ce sujet appartenait au domaine d'Amon (Pr Jmn).

Le don de la momie doit être resitué dans son contexte historique, le contexte archéologique ne pouvant être évoqué qu'en termes hypothétiques, en l'absence de documents. Les dons d'antiquités égyptiennes étaient fort appréciés par les gouvernements étrangers, pris d'une véritable passion pour cette civilisation. De ce fait, Méhémet Ali donnait des autorisations de fouilles avec facilité.

Jean-François Champollion, venu en Egypte en 1828, fit prendre conscience au gouvernement égyptien du danger lié au commerce des antiquités et au démantellement des monuments, ne faisant l'objet d'aucun contrôle de la part des autorités égyptiennes (3). A la suite de ses conseils, Méhémet Ali publia, quelques années plus tard, une ordonnance (4), datée du 15 août 1835, notifiant les mesures prises à l'encontre des trafiquants d'antiquités et des pilleurs de tombes. Le don officiel de la momie par Ibrahim Pacha permet d'émettre l'hypothèse que la découverte de la sépulture était récente et qu'elle avait fait l'objet de fouilles répondant à des critères plus scientifiques de la part d'archéologues étrangers, premiers égyptologues sur le terrain (5).

2. BILAN DES ETUDES ANTERIEURES REALISEES

Pendant un siècle, la momie du Muséum de Perpignan est restée intacte dans le cercueil qui la contenait. Depuis 1955, elle a fait l'objet de trois études ayant précédé la dernière, réalisée en 1997.

          2.1. L'ETUDE REALISEE EN 1955

Marie-Thérèse Ducup de Saint Paul, docteur en médecine et membre de la Société Française d'Egyptologie, réalise la première étude de la momie en 1955, cette étude étant menée, à la fois, sur un plan archéologique, anthropologique et paléopathologique (6).

Le cercueil est ouvert à cette occasion. La momie est identifiée être celle d'une femme. Le linceul qui la revêtait entièrement a été retiré, ainsi que le masque protecteur recouvrant le visage. M.-Th. de Saint Paul observe que la momie n'a pas été enlevée de son cercueil depuis son entrée au musée : elle adhère toujours à la cuve du cercueil.

Un premier bilan radiographique est fait.

          2.2. L'ETUDE REALISEE EN 1975

Llorenç Baqués-Estapé, attaché au muséum d'Archéologie de Barcelone, et Joseph Padro i Parcerisa sont les deux égyptologues qui ont permis une meilleure connaissance du personnage auquel était destiné le cercueil, grâce à son identification par le déchiffrage des textes hiéroglyphiques et l'étude des scènes figurées du cercueil. Ils ont été aidés de Eduard Porta et Josep Maria Xarrié. L'étude de la momie était incluse dans le plan d'étude des antiquités égyptiennes conservées dans les musées des pays catalans (7).

Un premier occupant du cercueil est identifié : il s'agit de Pae-n-ns.t-tae.wy (Paennesttaouy). L'individu ayant réemployé le cercueil se nommait Jw=f-n-Ínsw (Iouefenkhonsou), il était scribe du temple d'Amon-Rê.

Un nouveau bilan radiographique de la momie est réalisé. Il s'agit d'un adulte, de sexe masculin, âgé d'environ trente ans.

          2.3. L'ETUDE REALISEE EN 1985

La troisième étude de la momie date de 1985. Il s'agit déjà d'une étude pluridisciplinaire. Dans le cadre d'un projet de restauration de la momie, Robert Bourgat, conservateur du Muséum de Perpignan, demande l'intervention de Béatrice Coursier, restaurateur au musée de l'Homme, à Paris, en vue de prévoir le traitement de la momie et du cercueil. Un nouveau bilan radiographique, constitué de clichés du crâne, de la mandibule, du thorax et de l'abdomen, est réalisé par le radiologue Elise Sevette.

L'étude est complétée par un examen odontologique, effectué par le stomatologue Cl. Pellequer. La dentition est complète. Les dents sont fortement abrasées, mais elles ne présentent pas de signe de carie.

Dès la première étude, la datation de la momie est évaluée à la XXIe dynastie (1085 à 950 avant notre ère), à partir des éléments typologiques des pièces constituant le cercueil.

Deuxième partie : étude de la momie et du cercueil

Introduction

La compréhension de l'anatomie donnée en imagerie médicale, spécifique à chaque momie, demande une adaptation particulière des connaissances médicales. Dans le cas de la momie de Jw=f-n-Ínsw (Iouefenkhonsou), la difficulté d'interprétation des résultats est majorée par la désorganisation de son squelette, devenu un véritable puzzle. Un lent travail fait d'observation des clichés, de comparaison entre eux, aux différents temps des explorations, mais aussi avec ceux que l'on peut retrouver chez un individu vivant, a été réalisé.

Objectifs

3. RADIOLOGIE STANDARD DU SQUELETTE

Ce bilan radiographique de la momie est le quatrième. Pour la première fois, il a pu être réalisé dans une salle de radiologie, au centre hospitalier de Perpignan, par le Dr Elise Sevette, permettant l'obtention de clichés du corps entier, d'une meilleure qualité que les clichés antérieurs, obtenus grâce à un appareil portatif.

Résultats

L'ensemble des clichés pris révèle un bouleversement complet du squelette.

Conclusion

Les radiographies ne montrent pas de signes de fracture ou de pathologie osseuse, ni de stries d'arrêt de croissance de Harris (9).

Cet individu présente une bonne minéralisation osseuse, bien répartie au niveau de tout le squelette : bonne calcification, absence de signes d'ostéoporose (10). L'âge osseux peut être évalué à la trentaine.

Le squelette présente un remaniement total, avec absence de conservation des articulations, absence de connexion anatomique. Une partie des os n'a pas pu être identifiée ou retrouvée (phalanges, une partie du rachis). Tous les os de petite taille sont dispersés. Cependant, il ne semble pas qu'il y ait des os surnuméraires, prouvant l'appartenance de ces os à un seul individu.

4. TOMODENSITOMETRIE

La tomodensitométrie (TDM) ou scanner a permis de vérifier les données fournies par la radiologie standard : absence d'effraction osseuse au niveau du crâne, orifice d'éviscération non retrouvé.

Topogramme

Ce cliché permet d'avoir une vue tomodensitométrique d'ensemble, comprenant le crâne, le thorax, les membres supérieurs et l'abdomen.

Topogramme. Ce cliché permet d'objectiver l'absence de connexion osseuse.
Une masse opaque, en haut du thorax, non identifiée, peut correspondre à du matériel de bourrage.

Crâne

Coupe TDM du crâne, réalisée au-dessus du maxillaire supérieur.
Présence de deux images de densité différente,
dans la cavité endocrânienne, l'ethmoïde est intact.

Thorax et abdomen

Les membres supérieurs sont enveloppés séparément du thorax. Trois masses calcifiées sont visualisées au niveau de la cavité abdominale, pouvant correspondre à des paquets canopes ou à un bourrage par tissus.

Conclusion

La tomodensitométrie, appliquée pour la première fois à l'étude de cette momie, a permis la mise en évidence de divers éléments :

5. ENDOSCOPIE

Cette exploration a été réalisée par les Dr Vincent Faucherre et M. Heran.

Objectifs

Voies d'accès

Les limites de l'exploration endoscopique sont liées à l'état de la momie et à la présence de bandelettes obturant les cavités potentiellement accessibles. Tous les orifices permettant l'introduction du fibroscope ont été explorés.

Résultats

Une image presque constante s'est offerte à nous, sur l'écran vidéo, quelle que soit la région explorée. L'intensité lumineuse éclairait des cavités vidées de leur contenu, pour la plupart.

La boîte crânienne

La tête, maintenue en place par les bandelettes, n'est plus reliée au tronc, l'ouverture du trou occipital, visible à la simple observation, nous offre la première voie d'accès.

La cavité thoraco-abdominale

Cette cavité a été explorée à travers un large orifice du thorax. L'intérieur de cette cavité ne présentait qu'un mélange inextricable d'os ne présentant plus la moindre trace de reliquats musculaires.

La disparition complète des structures cutanéomusculaires a permis l'introduction et la progression du fibroscope au cours de l'endoscopie.

Conclusion

L'endoscopie, réalisée pour la première fois sur cette momie, a permis :

1. l'examen direct des différentes cavités :

2. la réalisation de prélèvements internes en vue d'analyses biologiques ou chimiques (mise en évidence de natron, attestant le traitement du corps par déshydratation et de baumes de momification).

L'endoscopie a permis de constater l'absence de reliquats de tissus humains : seuls, les os d'un squelette remanié et désorganisé sont contenus dans l'enroulement des bandelettes. Ces os, de couleur claire, ne semblent pas avoir été en contact avec les produits constituant les baumes de momification, utilisés habituellement, et ayant la propriété de noicir tissus humains et bandelettes.

Les prélèvements réalisés montrent la qualité de certains produits utilisés lors de la momification. Les prélèvements internes effectués lors de l'endoscopie et celui réalisé au niveau de l'orbite gauche montrent un produit encore malléable et adhérant sur la pince, de couleur marron.

6. SYNTHESE DES RESULTATS OBTENUS PAR IMAGERIE MEDICALE ET ENDOSCOPIE

Les résultats obtenus par imagerie médicale sont d'une grande richesse, sur le plan médical et anthropologique, mais ils demeurent très modestes, sur un plan égyptologique. Malgré le déploiement de techniques modernes, la momie étudiée n'a révélé qu'une partie des informations attendues, mais ces investigations nous ont rendu plus proche l'individu reposant dans le cercueil. Cette momie, datée lors des études antérieures de la XXIe dynastie, a été nommée Jw=f-n-Ínsw (Iouefenkhonsou), ce nom étant celui qui figure sur deux des trois pièces constituant le cercueil composite. L'imagerie médicale et l'endoscopie ont révélé une momie réduite à l'état de squelette, constituée d'une tête conservant des traces évidentes de momification et d'un corps complètement emmailloté.

7. ANALYSE DES PRELEVEMENTS

30 prélèvements d'échantillons de natures diverses ont été réalisés, lors de l'étude de la momie. L'objectif en étant de déterminer, au cours de l'analyse des résultats obtenus, le traitement appliqué au corps et les produits utilisés au cours de la dernière phase de la momification : la pose des bandelettes et des linceuls. Selon le site de prélèvement des échantillons, j'ai distingué les prélèvements externes, réalisés sur le matériel de couverture de la momie, à la surface, effectués lors de l'ouverture de l'habitacle de protection, et les prélèvements internes, réalisés au niveau du corps de la momie, en profondeur, lors de la réalisation de l'endoscopie (15). Le matériel nécessaire a préalablement été décontaminé et désinfecté, afin de réduire le risque de contamination par des micro-organismes pour la momie. Chaque échantillon a été recueilli dans un pot stérile, et numéroté.


Site de prélèvement Origine Nature Analyse
1 thorax externe matériel
de couverture
IRTF/CLHP
2 genou droit externe baume CPG
3 avant-bras droit externe bandelette CPG
4 membre inférieur droit externe matériel
de couverture
IRTF/CLHP
5 thorax externe bandelette CPG
6 avant-bras droit externe matériel
de couverture
IRTF/CLHP
7 membre inférieur droit externe matériel
de couverture
IRTF/CLHP
8 membre inférieur droit externe bandelette  
9 membre inférieur droit externe indéterminée  
10 cuisse droite interne baume CPG
11 cuisse droite interne baume CLHP
12 membres inférieurs
zone médiane
externe bandelette microscopie
13 coude droit interne baume CLHP/CPG
14 emplacement du cou interne sels et fibres
végétales
microchimique/CPG
15 emplacement du cou interne baume IRTF/CLHP/CPG
16 orbite gauche externe matériel
de bourrage
IRTF/CLHP/CPG
17 boîte crânienne
(sommet)
interne indéterminée
tissu cérébral ?
histologie/CLHP
18 boîte crânienne
(occiput)
interne sable non réalisée
19 membre supérieur gauche externe stuc non réalisée
20 cale de maintien
sous le crâne
externe baume
bandelette
stuc, os
microscopie
21 emplacement du cou interne os non réalisée
22 avant-bras gauche interne baume IRTF/CLHP/CPG
23 joue gauche externe téguments
et poils
génétique
24 thorax externe baume CPG
25 cuisse droite externe baume CPG
26 cuve externe bois microscopie
27 cuve externe stuc microscopie
28 couverture
de momie
externe bois microscopie
29 couvercle extérieur externe bois microscopie
30 couvercle extérieur externe bois microscopie

          7.1. TISSUS HUMAINS

                    7.1.1. HISTOLOGIE

Site de prélèvement : masse intra-crânienne (n° 17) Technique : échantillon prélevé à l'aide d'une pince à biopsie (16), lors de l'endoscopie pratiquée à l'intérieur du crâne, conservé en tube sec stérile et étudié par microscopie optique (17).

Les résultats ont été donnés par le Dr Jeanne Ramos (laboratoire d'Anatomie et Cytologie Pathologiques du Pr Baldet du Centre Hospitalier Universitaire de Montpellier) qui a réalisé l'analyse de ce prélèvement. L'objet de cette recherche est de déterminer si l'échantillon prélevé est du tissu cérébral.

La pauvreté des résultats obtenus, d'une part, et l'interrogation relative à l'identification de cet échantillon, d'autre part, ont motivé une demande d'examen complémentaire auprès du Dr Patrice Josset (18) : il s'agit d'une matière homogène, probablement nécrosée, dont les immuno-marquages ne montrent aucune structure cellulaire ou fibrillaire caractéristique du cerveau. De ce fait, la masse intra-crânienne, visualisée au cours de l'endoscopie, n'a pas pu être identifiée.

Cependant, cet échantillon pourrait effectivement correspondre à du tissu nerveux d'origine cérébrale desséché. La momie ne présente aucune trace d'excérébration, comme l'imagerie médicale l'a prouvé. De même, la cavité intra-crânienne est exempte de coloration, secondaire à l'application de baumes.

Conclusion

Le phénotypage (19) cellulaire s'avérant négatif, les résultats sont compatibles avec incertitude avec l'hypothèse émise : présence de tissu cérébral, hypothèse en lien avec l'absence d'excérébration constatée par imagerie médicale et vérifiée par endoscopie.

                    7.1.2. GENETIQUE

Site de prélèvement : joue gauche (n° 23)

Technique : prélèvement d'un échantillon, constitué de poils et de téguments, réalisé au bistouri et à la pince à disséquer, conservé en tube sec.

Les résultats ont été donnés par le Dr Patricia Martinez, médecin en biologie médicale (laboratoire d'Hématologie du Pr Jean-François Schwed du Centre Hospitalier Universitaire de Montpellier), qui a été chargée de réaliser cette analyse.

Conclusion

Les résultats obtenus aux analyses histologiques et biologiques permettent d'apporter quelques éléments supplémentaires à la connaissance de l'individu étudié. Cependant, leur pauvreté pose la question de la pertinence de telles méthodes pour l'étude d'une momie. En ce qui concerne l'individu étudié, seul le prélèvement fait au niveau de la boîte crânienne présente un intérêt en lien direct avec les pratiques de momification.

          7.2. BAUMES DE MOMIFICATION

                    7.2.1. ANALYSE CHROMATOGRAPHIQUE

La chromatographie est une méthode de séparation, utilisée en chimie. Grâce à la séparation des différents éléments les constituant, elle a contribué à l'identification des baumes utilisés en Egypte ancienne. Les composés, issus de produits naturels, sont des mélanges de mélanges, caractérisés par leur complexité et leur manque de stabilité dans le temps.

L'analyse des prélèvements d'échantillons de baumes de momification et l'identification des produits les constituant a été effectuée selon deux méthodes complémentaires :

                    7.2.2. PRODUITS RETROUVES

Le constat est le suivant : 17 prélèvements ont été analysés par une technique chromatographique. Les produits retrouvés appartiennent à six classes différentes :

                    7.2.3. TRAITEMENT DU CORPS

La répartition des prélèvements permet de faire le constat de l'absence de prélèvement au niveau de l'abdomen et du membre inférieur gauche, ainsi que sur la face postérieure de la momie, étant inaccessible. La prédominance du choix des sites de prélèvement du côté droit est liée à l'état de détérioration des enveloppements et du matériel de couverture de la momie, pour les prélèvements d'origine externe, aux orifices permettant l'introduction du fibroscope, pour ceux d'origine interne. La conclusion que l'on peut en tirer est que la momie est mieux conservée sur le côté gauche, qui a été, de ce fait, l'objet d'une moindre investigation. Les enveloppements, au niveau de l'abdomen, forment un ensemble compact ne permettant pas d'autres prélèvements. La comparaison des éléments donnés par le Rituel de l'Embaumement et les substances retrouvées sur la momie et ses enveloppements ne permet de déduire que ceci : la momie a été traitée par l'application de baumes, mais sans correspondance réelle avec le protocole indiqué. Les classes des produits retrouvés permettent de les rapprocher des onguents à usage funéraire, sans toutefois pouvoir les identifier.

L'identification des baumes par chromatographie a permis de confirmer que cette momie a été traitée d'une façon classique, respectant les procédures suivantes :

1°) dessication par le natron

Un échantillon (n° 14), prélevé lors de l'endoscopie au niveau de l'emplacement du cou, ne correspondant pas aux autres échantillons, a fait l'objet d'une étude microscopique (26), ayant révélé la présence de carbonate de sodium, caractéristique du natron (27). Ceci est la preuve d'un traitement de dessication du corps, au cours de la momification de cet individu. Le natron était utilisé en Egypte pour les purifications et au cours de la momification (lustrations et dessication du corps).

2°) application de baumes sur le corps et sur les enveloppements, mais avec une adaptation probable relative à leur utilisation, sur le plan qualitatif et quantitatif, du fait du coût engagé pour la famille du défunt.

Le traitement interne (momie) et le traitement externe (enveloppements) sont identiques : les substances retrouvées le plus fréquemment appartiennent aux mêmes classes de produits : les corps gras, les gommes et les résines.

Le traitement de la tête comporte le bourrage des orbites avec un mélange de corps gras, de gomme (arabique ?) et de résine diterpénique, ces deux derniers produits ayant été retrouvés dans la cavité endocrânienne, par migration probable au cours du remaniement du corps.

Conclusion

Les résultats obtenus par les deux méthodes d'analyse sont modestes et limités, par rapport à la connaissance des produits utilisés en Egypte ancienne, du fait de deux éléments essentiels : les rites funéraires pratiqués sur la momie étudiée et l'état de conservation actuel de la momie. Les produits utilisés sont dégradés du fait du vieillissement de la momie et des nombreuses manipulations antiques et contemporaines qu'elle a subies, ayant pu être exposée successivement à des variations de température, à la lumière et à l'humidité, ces divers éléments accentuant et accélérant la destruction des tissus. Des produits sont restés non identifiés, les marqueurs de ces produits ne correspondant à aucun standard.

          7.3. CALE DE MAINTIEN

La cale de maintien de la tête, retrouvée sur le côté droit, est constituée d'un mélange de résines, bandelettes, stuc et os (28). De forme triangulaire et arrondie, légèrement incurvé en son centre, cet objet paraît avoir été façonné à la main ; il formait une sorte de petit coussin s'effritant au toucher. Un autre objet de ce type, sur le côté gauche, est déposé plus bas, sous la momie. En fait, ces deux cales, posées de part et d'autre de la tête de la momie, et lui permettant de ne pas reposer dans le vide, remplacent un appui-tête ou chevet, qui était déposé sous la nuque (29). Le chevet symbolise ainsi le passage de la vie humaine terrestre à la vie divine céleste. Celui-ci, de forme rudimentaire, est lié à la pauvreté du mobilier funéraire, hormis le cercueil décoré sur la face extérieure. Le fait de retrouver un simulacre d'appui-tête dans ce cercueil est un nouvel élément en faveur de l'attribution du cercueil à la momie qui l'occupe, et à laquelle il était destiné, malgré l'effacement du nom du premier propriétaire, en deuxième intention. Aucune inscription, aucun dessin ne figurent sur cet objet.

8. INTERPRETATION DES RESULTATS OBTENUS

Les données acquises par imagerie médicale ont été comparées à celles qui ont été données par les analyses histologiques, biologiques et chromatographiques, afin de déterminer les pratiques de momification dont a bénéficié le défunt. Les divers éléments apportés par les techniques d'investigation médicale permettent de déduire quels étaient son état de santé et son âge, au moment de son décès.

          8.1. CONNAISSANCE DU DEFUNT

                    8.1.1. EVALUATION DE L'AGE ET DE L'ETAT DE SANTE

D'après les clichés radiologiques et tomodensitométriques de la momie, on peut déduire qu'il s'agit d'un individu jeune, dont l'âge est compris entre vingt-cinq et trente ans. Plusieurs éléments sont en faveur de cette affirmation :

Sur le plan sanitaire, il s'agit d'un homme, en bon état général, au squelette robuste, à la dentition saine et conservée, preuve d'une bonne hygiène alimentaire et d'une alimentation de qualité.

Sa fonction sacerdotale de scribe, peut-être héréditaire et transmise par son père ou son frère, lui a permis de mener une vie relativement aisée. L'observation de sa momie, de l'épaisseur des enveloppements qui la recouvrent, du cercueil décoré qui la contient, vient renforcer l'évaluation de sa position sociale, lui ayant permis de bonnes conditions de vie.

                    8.1.2. CONNAISSANCE DE LA CAUSE DE LA MORT

Etudier une momie avec les moyens scientifiques actuels ne signifie pas connaître la cause de la mort de cet individu. La mort peut être secondaire à des causes intérieures biologiques (la maladie) liées à l'état de santé et à l'hygiène de vie de l'individu, ou extérieures (les traumatismes) dont les traces peuvent être retrouvées sur le squelette. En fait, les études de peu d'individus momifiés ont révélé la cause de leur décès. L'imagerie médicale n'a donné aucune indication dans ce domaine. En effet, le sujet étudié semblait en bonne santé, son âge a pu être évalué à la trentaine, lors de sa mort. Dans le cas présent, aucun signe anatomique ou pathologique n'a pu être retrouvé sur le squelette. Les signes biologiques peuvent traduire une pathologie chronique ou aiguë, difficile à mettre en évidence sur des restes humains osseux, plus facilement à partir de prélèvements d'échantillons de tissus humains momifiés. Compte tenu de l'état de conservation des tissus de la momie, aucune anomalie viscérale n'a pu être retrouvée, en l'absence de reliquats d'organes thoraco-abdominaux. Seules des analyses biologiques pouvaient nous apporter de nouvelles informations. Or, la recherche d'ADN n'a permis d'apporter aucun élément nouveau. Aucun agent pathogène, aucun parasite, aucune trace de passage d'insectes nécrophages n'ont été mis en évidence par les différentes explorations réalisées. Les analyses effectuées sur la momie ne permettent pas d'envisager autre chose qu'une mort survenue probablement de façon brutale de Jw=f-n-Ínsw, lorsqu'il est parvenu à l'âge adulte, en deçà de l'espérance de vie de l'époque, le cercueil n'ayant pas été préparé à l'avance et portant l'inscription de deux noms.

          8.2. PRATIQUES DE MOMIFICATION

La synthèse des résultats obtenus par imagerie médicale et endoscopie tend à prouver que la momie de Jw=f-n-Ínsw a bénéficié de l'une des deux classes les moins onéreuses, en référence aux écrits d'Hérodote (32). Certaines momies présentent les éléments suivants, attribués à la troisième classe de momification, décrite par cet auteur : l'éviscération crânienne est absente et le traitement manifestement hâtif ayant pour conséquence des preuves visibles de putréfaction : désarticulation plus ou moins importante des membres, absence totale de restes viscéraux. Ces éléments sont tous retrouvés pour la momie étudiée. Le facteur économique peut en être l'argument. J'avais posé l'hypothèse d'un traitement tardif du corps, expliquant le manque de connexion du squelette et l'état actuel de la momie. Or, l'absence constatée d'insectes nécrophages ou de larves sur le corps et dans la cavité endocrânienne tendrait à prouver, au contraire, que ce traitement a été effectué rapidement, ne laissant pas le temps aux insectes de se développer et de se reproduire. Ceci va à l'encontre d'une momification tardive, mais serait peut être davantage en faveur de la mauvaise qualité de la momification.

                    8.2.1. TRAITEMENT DU CRANE

Cette pratique, probablement fort coûteuse, n'a pas été appliquée lors de la momification sommaire de Jw=f-n-Ínsw. Cependant, on peut s'interroger sur la possibilité d'avoir pratiqué ce geste par voie occipitale : désolidarisation du crâne par rapport au reste du squelette, disparition du rachis cervical (33) (ainsi que du rachis en général) (34).

Un autre élément doit être souligné : la présence de gomme et de résine de conifère retrouvée dans un prélèvement (n° 17), réalisé dans la cavité endocrânienne. L'interprétation de ces différents éléments peut paraître contradictoire, l'hypothèse d'une momification sommaire à moindres frais, mais respectant symboliquement le rituel, me paraît la plus objective.

L'absence des globes oculaires, qui n'ont pas été retrouvés à la tomodensitométrie, peut évoquer une énucléation. Une fracture du toit de l'orbite gauche pourrait correspondre à ce geste. Le matériel de bourrage, encore en place et restant malléable, ne permet pas d'observer les paupières, probablement affaissées dans un premier temps, puis disparues. Les sourcils sont conservés. Vingt-huit dents sont présentes, des phénomènes intervenus post mortem, probablement au cours de la momification, ont provoqué l'expulsion de quatre dents et la fracture de cinq autres, dont quatre incisives (35). Cet individu jeune possédait une dentition normale, lors de son décès. Son état dentaire permettait au défunt une bonne mastication, donc une alimentation normale.

En fonction de ces éléments, on peut conclure à un traitement de meilleure qualité au niveau de la tête, partie du corps la plus «représentative» du défunt à laquelle est plus particulièrement liée l'image corporelle. C'est aussi, il faut le souligner, la partie du corps présentant le meilleur soutien de l'ossature pour les structures cutanéo-musculaires la recouvrant, élément en faveur de sa conservation grâce à la momification.

                    8.2.2. EVISCERATION

Les viscères doivent être rapidement enlevés, afin de garantir une conservation au corps privé de vie, mais ils doivent être conservés pour que le défunt puisse accéder à sa nouvelle vie, à sa nouvelle naissance, dans son intégrité physique.

Pour la momie étudiée, les éléments retrouvés ne permettent pas de connaître l'éventualité de la réalisation d'une éviscération, pratiquée par laparotomie (ouverture par incision de la paroi abdominale), les structures cutanéo-musculaires ayant totalement disparu. Une éviscération par injection d'un produit caustique per anum peut être envisagée, mais sans aucune preuve. La présence de masses opaques à l'intérieur de l'abdomen, visibles à la tomodensitométrie, mais non retrouvées à l'endoscopie, pose un problème d'interprétation (enveloppements enduits de baumes, autre matériel de bourrage, paquets canopes ?).

                    8.2.3. TRAITEMENT DU SEXE

Le sexe du défunt n'a pas été identifié. Un enroulement de bandelettes formant une sorte d'«appendice», de forme conique et allongée, apparaît entre les membres inférieurs, au niveau du tiers supérieur des tibias. Cet objet adhère aux enveloppements. L'identification avec le sexe du défunt, décrite par les personnes présentes lors de la réalisation de l'examen, doit être discutée, mais ne peut être écartée, correspondant à l'assimilation du défunt à Osiris, dont le phallus avait été dévoré par le poisson oxyrhynque ; cette caractéristique étant un signe d'appartenance divine, et non plus humaine. Dans ce cas, le corps aurait été émasculé de façon rituelle. Cependant, lorsqu'il est amputé, le sexe est habituellement déposé entre les cuisses de la momie, libre de toute insertion anatomique ; ici, la position est très basse (au niveau des genoux), par rapport au pubis. L'hypothèse de l'émasculation ne peut, cependant, être totalement écartée.

On peut s'interroger face à la conservation de cette partie du corps, par rapport aux autres structures, ayant totalement disparu. Seul un examen histologique permettrait de déterminer la nature de ce vestige.

                    8.2.4. ENVELOPPEMENTS

L'état de détérioration du matériel recouvrant la momie permet d'avoir un aperçu de l'épaisseur des enveloppements, qui semble disproportionnée par rapport au corps lui-même. La grande quantité de textile utilisée pose la question du coût de cette momification et des pratiques des embaumeurs, les baumes paraissant utilisés en quantité insuffisante, paradoxalement à celle des tissus.

Les échantillons prélevés correspondent à des morceaux de bandelettes déchirées, aucun d'entre eux ne comporte de lisière tissée. Aucune inscription, ni aucun décor n'ont été retrouvés sur ces échantillons de petite taille, prélevés en petite quantité afin de ne pas endommager davantage le matériel de couverture.

L'étude des textiles, constitués par du lin (36), est très limitée, puisqu'elle ne concerne qu'un seul échantillon, et qu'aucun élément d'habillage de la momie n'a pu être identifié, ni isolé, les prélèvements ayant été faits au niveau d'un mélange de morceaux de linceul et de bandelettes déchirés épars.

Connaître le nombre d'enveloppements de la momie étudiée est impossible du fait qu'elle n'a pas été débandelettée. Les bandelettes présentent un tissage très régulier, les fibres sont de taille moyenne et égales au niveau de la trame et de la chaîne.

L'absence de recherche de datation de la momie ne permet pas de savoir si le corps a été rebandeletté, après la violation de sépulture potentielle que j'ai pu évoquer. Dans un tel cas, seule la datation de la momie et du matériel de couverture (37) permettrait d'affirmer une telle hypothèse, en l'absence de textes inscrits sur les bandelettes ou le cercueil, hypothèse rendue peu crédible par comparaison avec les pratiques de momification sommaires dont nous avons pu retrouver la trace au cours de cette étude globale.

                    8.2.5. BAUMES DE MOMIFICATION

L'appartenance à une classe sociale privilégiée - celle du personnel du domaine d'Amon à Thèbes - a permis au défunt d'être traité selon les rituels adaptés à un personnage qui n'était pas de sang royal, et qui exerçait une fonction de scribe, le coût des baumes ayant justifié une quantité peu abondante des produits, voire insuffisante afin de pouvoir être caractérisés avec certitude, par analyse chromatographique.

Les résultats obtenus sont assez modestes, sans doute à cause de l'état deconservation de la momie et de la dégradation des substances utilisées. Quoique limités, ils prouvent cependant de manière concrète que l'application de baumes a réellement été pratiquée sur la momie de Jw=f-n-Ínsw. En effet, l'étude par imagerie médicale et endoscopie n'avait pas permis de confirmer l'application de baumes de momification sur le corps du défunt. Seul le visage conservait encore des traces visibles de momification (conservation de téguments, os noircis par les baumes), ainsi que le matériel de couverture de la momie (baumes formant une plaque dure et cassante en surface). L'endoscopie n'a dévoilé que des restes osseux de couleur jaune pâle, couleur prouvant l'absence de contact avec les baumes liquides et chauds, donnant une coloration caractéristique.

Les produits identifiés démontrent la similitude du traitement interne et externe : corps gras, gommes et résines sont retrouvés le plus fréquemment. La conclusion peut en être un traitement en surface de la momie seulement, le corps étant laissé en l'état, sans éviscération, recouvert de natron, puis traité par application de baumes sur la peau, avant la pose des bandelettes. Les enveloppements externes ont été recouverts de baumes liquides qui ont brûlé les bandelettes.

          8.3. SYNTHESE

Le cercueil au nom de Pae-n-ns.t-tae.wy, a été utilisé dans la hâte pour Jw=f-n-Ínsw, décédé de façon brutale dans sa jeunesse, soit de mort naturelle, soit d'une maladie aiguë (en dehors de tout traumatisme), n'ayant laissé aucune trace sur les vestiges de sa momie. Sa famille lui offrit des funérailles selon ses moyens : momification très sommaire, pouvant correspondre à la 3e classe décrite par Hérodote, ou à une de ses variantes. La décomposition des tissus accélérée par la chaleur du climat, auxquelles s'est surajouté un traitement de mauvaise qualité (secondaire à des raisons économiques ou aux circonstances du décès) sont responsables de l'état actuel de la momie, réduite à l'état de squelette sans connexion anatomique (articulations non conservées), le visage semble avoir été le seul traité convenablement. Des baumes sont appliqués sur le corps et pendant la pose des bandelettes, provoquant la brûlure des couches superficielles.

Tous ces éléments, liés au mauvais état de conservation de la momie pourraient expliquer la pauvreté des résultats obtenus aux différentes analyses.

Conclusion

La mise en évidence de produits constitutifs des baumes fait la preuve d'un traitement «classique» du corps, mais ils ne peuvent pas être rattachés au protocole du Rituel de l'Embaumement.

Le traitement de la momie ne correspond à aucune des trois méthodes décrites par Hérodote, mais plutôt à un mélange de pratiques, adaptées au statut social de Jw=f-n-Ínsw, au coût engagé par sa momification pour ses proches, et peut-être, aussi, au savoir-faire des embaumeurs auxquels son corps a été confié.

9. ETUDE DU CERCUEIL

Constitution du cercueil

Le cercueil est constitué de trois éléments : la cuve contenant la momie, le couvercle intérieur ou couverture de momie, qui était déposé sur la momie, et le couvercle extérieur qui sont, tous deux, exposés verticalement dans les vitrines du musée. Le cercueil anthropomorphe est en bois stucqué, peint et vernis, à dominante jaune.

Etude xylologique

Les prélèvements d'échantillons de bois ont permis de déterminer les espèces utilisées pour la confection du cercueil. L'étude xylologique a été réalisée par Victoria Asensi Amoros.

Les trois pièces constituant le cercueil composite sont constituées d'essences différentes :

Deux essences ont été retrouvées avec certitude : cela pourrait correspondre à deux, voire trois cercueils d'origine différente, la cuve et le couvercle extérieur n'obéissant pas aux mêmes règles de style, ni aux mêmes dimensions. Par ailleurs, la cuve et la couverture de momie représentent un visage et un buste masculins - le nom et la représentation du défunt sont ceux d'un individu de sexe masculin -, le couvercle extérieur, un visage et un buste féminins.

L'iconographie suggère une datation du début de la troisième période intermédiaire (XXIe, XXIIe dynasties). Par une étude sommaire du cercueil (typologie, iconographie) et de l'onomastique, la même datation approximative est retrouvée. Une datation par Carbone 14 n'a pas été effectuée, sachant que cette méthode est trop aléatoire dans le cadre d'une étude de momie.

En plus du réemploi déjà connu, de nouvelles données s'offrent à nous, lors de la remise en place des couvercles intérieur et extérieur sur la cuve du cercueil abritant la momie :

- le couvercle extérieur du cercueil ne s'adapte pas à la cuve dont les dimensions sont plus grandes sur le plan de la largeur et de la longueur. Le couvercle extérieur, de style différent, sur lequel ne figure plus d'inscription permettant l'identification du défunt, a pu être ajouté aux deux autres pièces à une époque moderne, lors du départ de la momie pour la France.
- le couvercle intérieur, par contre, est très bien positionné sur la momie, à l'intérieur de la cuve. La hauteur excessive de la cuve par rapport à la momie, constatée lors de l'examen clinique, est ramenée à une dimension plus adaptée, grâce à l'adjonction de cet élément.

La cuve et le couvercle intérieur peuvent être attribués à la momie de Jw=f-n-Ínsw (Iouefenkhonsou). Le style et la qualité de décoration différents peuvent s'expliquer par plusieurs éléments :

- l'exécution des deux pièces par deux artisans.
- la provenance de ces deux pièces de deux cercueils d'origine différente. Le fait que le nom de Jw=f-n-Ínsw (Iouefenkhonsou) soit retrouvé sur ces deux pièces prouve leur emploi contemporain, lors de la sépulture du défunt, que ces pièces aient été exécutées pour le même cercueil ou pour deux cercueils différents. Le défunt est représenté à plusieurs reprises.
- l'appartenance à deux périodes différentes. Dans ce cas, la momie de Jw=f-n-Ínsw (Iouefenkhonsou), l'occupant actuel du cercueil, donc le dernier, correspond au sujet ayant vécu à la période la plus récente.

Il est à noter la présence de petites fentes allongées, aux coins arrondis, à proximité de chacune des mortaises creusées sur le bord intérieur de la cuve. Ce type d'orifice, non retrouvé sur d'autres cercueils datés de la même époque, pourrait correspondre à une retouche faite dans le bois pour adapter l'entrée de chacun des tenons du couvercle extérieur au niveau de la cuve, à une période contemporaine de la momification de cet individu.

Hormis les éléments de datation apportés par l'étude typologique et stylistique du cercueil abritant la momie, des éléments liés à la connaissance du statut social du défunt peuvent être déduits de l'observation de la décoration du cercueil et de la parure du défunt.

La couverture de momie comporte l'emplacement de la fausse barbe, aujourd'hui disparue. Les oreilles portent la représentation, peinte en rouge, du percement des oreilles. Un bandeau frontal aux motifs géométriques recouvre la frange de la perruque dont les deux pans descendent sur la poitrine. Le buste et les épaules sont entièrement recouverts d'un large collier wsÏ (ousekh), constitué de plusieurs rangs aux motifs géométriques et bordé d'un rang de fleurs de lotus stylisées. Un pectoral dont le motif est constitué par un scarabée aux ailes déployées et à la tête de bélier est représenté entre les mains sculptées en relief. Plus bas, au niveau du bassin, la déesse Nout surmontée du déterminatif du ciel, étend ses ailes sur le corps momifié. Au-dessous est figurée une résille aux motifs noirs sur un fond rouge-brun, descendant jusqu'aux pieds qu'elle recouvre. La représentation du défunt est soignée, montrant une recherche d'expressivité (quatre ridules sont figurées au niveau du cou), mais n'apporte que peu d'éléments spécifiques.

Le défunt est représenté, à trois reprises, sur la cuve du cercueil, habillé d'une robe longue plissée blanche, nouée à la taille, un collier autour du cou. Sa perruque est courte, un bandeau ceint son front, un cône de graisse est posé sur sa tête, surmontée d'une fleur de lotus en bouton, retombant sur son front. Cette représentation répond aux conventions de l'époque et ne comporte aucun élément particulier.

Le couvercle extérieur, n'appartenant pas au mobilier funéraire de ce personnage, ne peut pas être pris en compte.

La décoration des seules faces extérieures des deux pièces du cercueil peut être interprétée comme un élément de moindre coût, ou encore par l'exécution à la hâte du cercueil, en raison du décès du personnage, survenu de façon brutale.

10. ESSAI D'IDENTIFICATION DU DEFUNT

L'étude réalisée par L. Baquès-Estapé avait permis de déterminer que l'occupant actuel n'est pas celui auquel était initialement destiné le cercueil.

L'attribution originale du cercueil à la momie qui l'occupe est, en effet, difficile à certifier. L'habitude d'usurper le cercueil fabriqué pour un individu particulier et de le réemployer est une pratique courante, en Egypte Ancienne. Par ailleurs, le don des momies aux musées a été pratiqué de façon non rigoureuse au XIXe siècle, et l'on retrouve le plus souvent une momie totalement étrangère au cercueil qui la contient.

          10.1. ETUDE ONOMASTIQUE

Deux noms différents ont été retrouvés sur les inscriptions hiéroglyphiques du cercueil composite :

Ces deux personnages, ayant occupé une fonction sacerdotale, ont un nom se référant à deux divinités de la triade thébaine, constituée par Amon, Mout, et leur fils Khonsou.

Le nom de Pae-n-ns.t-tae.wy serait celui de l'occupant antérieur du cercueil et celui du commanditaire, selon l'étude de Llorenç Baqués-Estapé (38), réalisée en 1975. Le nom de Pae-n-ns.t-tae.wy n'est plus visible, actuellement, les inscriptions le concernant ayant disparu.

Ces deux noms figurent sur deux des trois pièces constituant le cercueil où repose la momie : la cuve et le couvercle intérieur ou couverture de momie. Seule la surface extérieure de la cuve comporte des inscriptions, l'intérieur de la cuve est en bois brut, non décoré, ni peint. Un enduit de couleur dominante jaune, caractéristique de la XXIe dynastie, sert de support à des textes hiéroglyphiques, de couleur noire et rouge, écrits selon un ordre respectant le décor. Cet enduit est très endommagé sur la face latérale droite de la cuve, des scènes et des textes ont totalement disparu depuis l'étude précédente.

          10.2. LES INSCRIPTIONS (39)

                    10.2.1. LA CUVE

Le nom de Pae-n-ns.t-tae.wy apparaissait à trois reprises sur la face latérale droite.

Le texte indique :

dd md.w j(n) Wsjr nb ÌÌ [...] Ï.t nb(.t) nfr.t wcb.t n Wsjr Pae-n-ns.t tae.wy maec-Ïrw : «Dire les paroles par Osiris, Seigneur de l'Eternité [...] toute sorte de choses bonnes et pures à l'Osiris Paennesttaouy, juste de voix».

Le nom du premier propriétaire, inscrit sur la face latérale droite, ne comportait pas de retouche, contrairement à la face latérale gauche sur laquelle le nom du second propriétaire, Jw=f-n-Ínsw, apparaît sur un texte préalablement effacé, à deux reprises. La couleur jaune de base servant de support au texte est alors modifiée et assombrie par la couleur noire servant à écrire les hiéroglyphes.

(1) jn Wsjr sÒ n psd.t cae.t n pr Jmn-Rc (2) Jw=f-n-Ínsw maec-Ïrw : «Par l'Osiris, le scribe de la Grande Ennéade (40) du domaine d'Amon-Rê, Iouefenkhonsou, juste de voix».
(11) n sÒ n pr Jmn-Rc n(y)-sw.t ntr.w Jw=f-n-Ínsw maec-Ïrw : «au scribe du domaine d'Amon-Rê, le roi des dieux, Iouefenkhonsou, juste de voix».

Ainsi, chacune des faces de la cuve comporte l'inscription d'un seul nom, chacun des deux personnages portant le même titre et occupant la même fonction, ce qui a facilité la tâche du scribe ayant porté les inscriptions sur le cercueil ; mais, le fait que les inscriptions d'une seule face aient été modifiées, porte à croire que ces modifications ont été apportées dans la hâte, le scribe ayant omis de corriger les inscriptions de la face droite. Une autre hypothèse serait que cette face aurait été d'accès difficile et, de ce fait, le nom du défunt n'aurait pas pu être corrigé.

                    10.2.2. LE COUVERCLE INTERIEUR OU COUVERTURE DE MOMIE

Un examen du couvercle intérieur du cercueil permet de retrouver le nom de Jw=f-n-Ínsw, figurant sur la bande centrale, support d'inscriptions hiéroglyphiques, et portant des traces de retouche.

dd-md.w n Wsjr sÒ [...] (retouche) n pr Jmn-Rc n(y)-sw.t ntr.w Jw=f-n-Ínsw (retouche) maec-Ïrw : «Dire les paroles à l'Osiris, le scribe [...] du domaine d'Amon-Rê, le roi des dieux, Iouefenkhonsou, juste de voix» (41).
pr Jmn-Rc désigne le domaine d'Amon, l'institution, en général, du temple de Karnak.

Conclusion

Le cercueil dont le commanditaire aurait été Pae-n-ns.t-tae.wy, aurait été utilisé pour Jw=f-n-Ínsw. Les textes ne comportent de retouche qu'au niveau du nom du défunt.

La fonction de ces deux personnages était identique : sÒ n pr Jmn-Rc, «scribe du domaine d'Amon-Rê». Ils portaient tous deux le titre de sÒ n psa.t cae.t, «scribe de la Grande Ennéade». Ce titre est inconnu, il n'est pas retrouvé dans les listes prosopographiques. Le décès de Jw=f-n-Ínsw aurait pu se produire de façon brutale, avant celui du commanditaire du cercueil, qui aurait pu être plus âgé que lui et avoir prévu la confection de son cercueil de son vivant. Dans ce cas, deux interprétations sont possibles : soit Pae-n-ns.t-tae.wy aurait donné l'autorisation d'utiliser le cercueil qu'il avait fait confectionner pour lui, étant apparenté à Jw=f-n-Ínsw, ou étant un de ses proches par sa fonction de scribe, l'étude onomastique qui va suivre indique, en effet, des listes généalogiques de personnes ayant exercé la même fonction au sein du temple de Karnak ; soit les artisans de la nécropole ont utilisé, dans l'urgence, pour un autre défunt, un cercueil qui était préparé pour Pae-n-ns.t-tae.wy. Dans ce cas, il faut envisager, également, la confection «en série» des cercueils par un atelier spécialisé pour le nombreux personnel du temple de Karnak, les inscriptions étant préparées à l'avance, un espace nécessaire à celle du nom du défunt étant seul laissé.

          10.3. MOBILIER FUNERAIRE DE L'UN DES PERSONNAGES

L'étude collective portant sur les momies égyptiennes conservées dans les musées de Catalogne et des îles Baléares, réalisée par L. Baqués et al. (42) apporte de nouvelles indications sur le mobilier funéraire de la momie étudiée (43). En effet, il est identifié appartenir à un cercueil conservé au musée du Caire : «Aquest sarcòfag procedeix de la segona «cachette» de Deir el-Bahari, descoberta el 1891 a Bab el-Gussus, i no hi ha cap mena de dubte de què pertany al mateix personatge esmentat al sarcòfag de Perpinyà, la coïncidència de titols i de cronologia és determinant» (44). La tombe de Bab el-Gusus, découverte par Grébaut en 1891, abritait cercueils et momies de prêtres d'Amon, n'occupant pas de hautes charges, et de leurs familles.

Le cercueil porte le nom exact du commanditaire du cercueil conservé au musée de Perpignan. Ses titres sont plus importants : il est jt-ntr, et sÒ n pr Jmn sÒ waeÌ Ìtp-ntr : «Père divin, scribe du Domaine d'Amon, scribe de l'offrande divine...» Selon l'hypothèse d'interprétation que j'ai posée, le cercueil intérieur (cuve et couverture de momie), fabriqué à la demande de ce personnage, exerçant une fonction importante, aurait été cédé pour Jw=f-n-Ínsw, Pae-n-ns.t-tae.vvy conservant le cercueil extérieur fabriqué à son intention et ayant fait refaire le cercueil intérieur donné au défunt. L'acquisition de nouveaux titres prouverait qu'il aurait exercé une plus importante fonction, après la mort de Jw=f-n-Ínsw, époque à laquelle il n'était que simple sÒ n pr Jmn, «scribe du domaine d'Amon», et qu'il aurait vécu plusieurs années après.

          10.4. SYNTHESE DES ELEMENTS RETROUVES

Des recherches bibliographiques, m'ayant permis de retrouver des indications concernant l'attribution de ces deux noms à d'autres personnages, dont les noms apparaissent dans un contexte funéraire (cercueil, stèle, murs d'une tombe, Livre des Morts, papyrus, ouchebti, linge de momie) ou religieux (annales des prêtres d'Amon), m'ont amenée aux conclusions suivantes :

Le premier constat que l'on peut faire est que, quelle qu'ait été la destination des différentes pièces de mobilier funéraire conservées dans les musées du monde entier, la provenance de toutes ces pièces est la région thébaine. Lors de la découverte des 153 momies de prêtres d'Amon (45), à Deir el -Bahari en 1891, qui, pour la plupart d'entre elles, ont été débandelettées trois mois après leur découverte et dépouillées de leur mobilier, une véritable dispersion de tous ces objets a eu lieu : ainsi peut s'expliquer le fait que l'on retrouve des objets appartenant au mobilier funéraire d'un même individu dans différents musées du monde entier. Les momies, quant à elles, ont subi un sort aussi peu enviable, puisqu'elles ont fait l'objet de dons divers.

La momie étudiée et le cercueil dans lequel elle repose ont été donnés en 1847 par Ibrahim Pacha au musée de Perpignan. Bien que le lieu de sépulture de la momie soit inconnu, on peut cependant affirmer que la momie et le cercueil ne proviennent pas de la sépulture des prêtres d'Amon découverte par Eugène Grébaut (46).

Cependant, les indications relatives à la découverte de cette tombe collective, données par G. Daressy (47), me paraissent intéressantes, pour resituer le défunt dans un contexte historique et funéraire. En effet, plusieurs éléments du mobilier funéraire marqué au nom de Pae-n-ns.t-tae.wy sont originaires de cette sépulture. Enfin, on peut remarquer que les personnages portant le nom de Jw=f-n-Ínsw semblent mieux connus, sur le plan généalogique, mais moins bien par rapport à leurs titres et à leur(s) fonction(s) sacerdotale(s) que ceux portant le nom de Pae-n-ns.t-taewy.

En résumé, les éléments connus sont les suivants :

          10.5. LES TITRES PORTES PAR LES PERSONNAGES

                    10.5.1. LE PERSONNEL D'ADMINISTRATION

Les scribes (sÒ) sont des hommes instruits, sachant lire et écrire parmi une population probablement analphabète. Ils ne connaissent pas les inconvénients des autres professions, ni la pénibilité des travaux agricoles. Ils bénéficient d'un statut privilégié. Ils sont chargés de faire les comptes, les inventaires, de dresser les cadastres.

Dans les temples, ils participaient à la gestion économique, leur rôle pouvait être de tenir à jour les inventaires des biens appartenant au temple, obtenus par le biais des offrandes faites au dieu, mais aussi de rédiger des textes liturgiques. La fonction de scribe connaît une hiérarchie importante, dont les grades vont du simple copiste à une haute charge. Les inscriptions concernant Pae-n-ns.t-tae.wy et Jw=f-n-Ínsw ne nous permettent pas de connaître le rôle spécifique qu'ils ont tenu. Le titre de sÒ n pr Jmn-Rc peut confirmer leur origine thébaine.

                    10.5.2. LE TITRE DU DEFUNT

Les inscriptions hiéroglyphiques de la cuve et de la couverture de momie, concernant le titre porté par le défunt, sont identiques : sÒ n pr Jmn-Rc signifiant «scribe du domaine d'Amon-Rê». Il faut cependant préciser que les inscriptions étaient, probablement, destinées à l'origine à la sépulture de Pae-n-ns.t-taewy.

Il est intéressant de noter, par ailleurs, que le défunt n'est pas représenté dans l'exercice de ses fonctions, mais toujours en attitude d'adoration ou d'offrande devant une divinité, sur les scènes de la cuve du cercueil étudié. Le nom de Jw=f-n-Ínsw indique une référence à la fonction de patron de l'écriture du dieu thébain Khonsou. L'attribution de ce nom peut être liée à la fonction de scribe ainsi qu'à une charge héréditaire, transmise de père en fils.

          10.6. LA DATATION

L'étude comparative des différentes mentions des noms de Pae-n-ns.t-tae.wy et de Jw=f-n-Ínsw, dans les inscriptions où ils ont pu être retrouvés, permet d'évaluer la datation du personnage, correspondant à la momie étudiée, à la période comprise entre la fin de l'époque ramesside et le début de la XXIe dynastie (1085), d'une part, et la XXVe dynastie, d'autre part, en ce qui concerne l'attribution de ces noms.

En ce qui concerne l'attribution du nom de Jw=f-n-Ínsw, la datation en est comprise entre la XXIe et la XXIIIe dynastie, durée plus courte dans le temps. Il n'y a pas d'exemple connu de ce nom avant la XXIe dynastie.

Ces deux noms correspondent, tout comme le cercueil, à la même période historique.

          10.7. LA LOCALISATION

Toutes les mentions du nom de Pae-n-ns.t-taewy et de Jw=f-n-Ínsw, citées dans la bibliographie, se rapportent à une origine thébaine de ces personnages, ce qui concorde avec les inscriptions hiéroglyphiques de la cuve : sÒ n pr Jmn-Rc signifiant «scribe du domaine d'Amon-Rê», identifié au temple de Karnak.

La méconnaissance du lieu de provenance de la momie et du cercueil ne nous permet pas de pouvoir identifier sa sépulture. L'étude onomastique permet de retrouver les sites suivants : Deir el-Medineh, Deir el-Bahari, correspondant à la rive occidentale de la région thébaine.

Conclusion

L'étude onomastique, réalisée à travers celle des textes du cercueil et les éléments donnés par la bibliographie, n'a pas permis de retrouver un lien de parenté pertinent entre ces deux personnages.

L'étude onomastique des deux noms retrouvés sur le cercueil composite dans lequel repose la momie permet de donner une datation pour leur attribution, allant de la XXe à la XXIVe dynastie. Cet élément est à rapprocher de la datation du cercueil dont le style, la typologie et l'iconographie correspondent à ceux de la XXIe dynastie (48).

Les nombreux exemples de l'attribution de ces deux noms, retrouvés sur de multiples supports, dans un contexte funéraire ou religieux nous amènent à la conclusion suivante : la plupart des personnages répondant à ces deux noms, sur les documents connus, étaient des membres du clergé du temple de Karnak, vivant au début du premier millénaire avant notre ère.

Peut-on considérer que ces deux personnes étaient liées soit par une même fonction sacerdotale de scribe, soit par un lien familial, soit par les deux, comme peut l'indiquer un texte généalogique ? Le seul lien de parenté ayant pu être retrouvé est celui existant entre un prêtre nommé Jw=f-n-Ínsw et N-s-pae-paewty-tae.wy, son petit-fils, dont le nom est une variante du nom de Pae-n-ns.t-tae.wy, dont il constitue une version plus récente Ce lien semble trop hypothétique pour les deux personnes concernées par cette étude. Par ailleurs, l'hypothèse d'interprétation des faits était de considérer une chronologie entre les deux défunts, établissant que Pae-n-ns.t-tae.wy était l'aîné de Jw=f-n-Ínsw, pouvant expliquer le réemploi ou l'usurpation de son cercueil. Le seul lien hypothétique de parenté inverse ce rapport, puisque Jw=f-n-Ínsw était le grand-père de N-s-pae-paewty-tae.wy.

Il faut donc retenir seulement le lien d'appartenance à une même classe socio-professionnelle, en l'absence d'un autre type de relation connu entre ces deux hommes.

L'hypothèse de l'existence de deux frères doit, cependant, être retenue.

Compte tenu de tous les éléments retrouvés dans cette étude, je propose, à l'encontre de ce qui a pu être écrit sur ce défunt, de conserver le nom de Jw=f-n-Ínsw, pour cette momie qui a perdu son anonymat, cette étude ayant contribué à lui redonner une parcelle d'identité. Depuis son retour de l'exposition d'Agde, la momie de Jw=f-n-Ínsw a retrouvé le calme et la semi-obscurité de la salle où elle est exposée à la curiosité du public, essayant, malgré ses sorties intempestives, de rassembler les différents éléments la constituant, son corps étant stabilisé dans son état actuel, son nom lui étant rendu. Son bae et son kae ne font plus l'objet d'offrandes, depuis longtemps, mais, peut-être, les études pluridisciplinaires dont elle a fait l'objet sont-elles un moyen de reconnaissance pour l'homme qui a vécu en Egypte, trois millénaires plus tôt, lui donnant accès à une sorte de «renaissance» ?

Conclusion

Malgré le déploiement de moyens scientifiques sophistiqués, l'apport de l'étude pluridisciplinaire de la momie conservée au muséum d'histoire naturelle de Perpignan est relativement modeste, du fait de l'état de conservation de la momie. La confrontation de tous les résultats, obtenus par les techniques d'exploration scientifique (imagerie médicale, endoscopie, histologie, génétique, chromatographie, analyse xylologique) à l'étude onomastique et prosopographique du défunt a constitué le thème de la recherche que j'ai réalisée pendant ces dernières années d'études.

La réalisation de l'analyse des divers prélèvements, effectués au cours de l'étude de la momie, a demandé beaucoup de temps et de patience aux chercheurs qui les ont examinés. Certains d'entre eux avaient déjà acquis une grande expertise en ce domaine, d'autres débutaient, tout comme moi-même, dans ce type de recherche sur des échantillons de tissus humains anciens. Je leur dois, à tous, de grands remerciements pour ces recherches, effectuées malgré leur charge de travail.

Nous avons connu, à tour de rôle, des espoirs et des déceptions lors du déroulement de ces analyses, nous heurtant à l'état de dégradation de la momie qui a limité la recherche. Cependant, les résultats obtenus, quoique modestes, enrichiront la connaissance des pratiques de momification de cet individu, rendu plus proche, de ce fait, mais conservant encore bien des mystères.

Le caractère unique de cette momie, sortie de son contexte funéraire, social et familial, du fait de la méconnaissance de sa sépulture et de liens familiaux, montre, tout comme les autres études réalisées dans les mêmes conditions, une grande variabilité au niveau des résultats. Si l'on considère que la datation de la momie étudiée est celle de XXIe dynastie, on se rend compte que l'on ne peut conclure à aucune généralisation : chaque momie est unique, surtout lorsqu'elle est isolée de sa sépulture et de son contexte historique (méconnaissance de la nécropole, de l'atelier de momification...). La datation d'une momie par les procédés utilisés pour la momification est aléatoire.

Les conclusions que j'ai tenté d'apporter doivent être prises avec les réserves légitimes dans un tel contexte archéologique, l'état de la momie limitant l'obtention de résultats et leur exploitation. J'ai envisagé les différentes hypothèses qui pouvaient expliquer les éléments spécifiques rencontrés. Cet essai d'interprétation n'offre que l'intérêt d'une tentative de compréhension des faits, à partir de la synthèse des pratiques de momification évaluées.

Il est probable que les progrès de la médecine ouvriront, dès demain, un nouveau champ de connaissance, par le biais des études de momies, nous permettant d'accéder, mieux que ne pourrait le faire n'importe quel autre vestige archéologique, à une meilleure compréhension de l'homme vivant en Egypte ancienne. Les Egyptiens, à travers les siècles, et par le biais de leurs contemporains momifiés, nous adressent leur message de croyance en l'indestructibilité de la part de divinité qui se trouve en chaque homme.

J'adresse tous mes remerciements à Monsieur le Professeur Robert Bourgat, conservateur du Muséum de Perpignan, sans lequel ce travail n'aurait pas pu être mené à bien, ainsi que pour la confiance qu'il a bien voulu m'accorder dans la réalisation de cette étude.


Article publié dans les Annales du Muséum d'Histoire naturelle de Perpignan, 12, 2003 : pp.1-24

© Annie Perraud


Pour en savoir plus


BIBLIOGRAPHIE


(1)   Il y était venu afin de soigner une dysenterie qu'il avait contractée au Soudan, après avoir suivi un traitement à San Guitano, qui s'était révélé inefficace. Il est mort en novembre 1948, neuf mois avant son père.

(2)   H. Aragon, Notice historique sur le séjour d'Ibrahim Pacha à Vernet-les-Bains, impr. Barrière et Cie, Perpignan, 1923, p. 36.

(3)   Cf. J.-Fr. Champollion, Lettres et journaux écrits pendant le voyage en Egypte, coll. «Epistémè», Christian Bourgeois éd.,1986, p. 443-448.

(4)   J.-Fr. Champollion adressa à Méhémet Ali une Note remise au Vice-Roi pour la conservation des monuments de l'Egypte, datée du 29 novembre 1829. Un extrait de cette ordonnance figure dans l'ouvrage suivant : G. Sinoué, Le dernier pharaon. Méhémet Ali (1770-1849), éd. Pygmalion / Gérard Watelet, Paris, 1997, p. 242-243.

(5)   Cette datation ne permet pas d'effectuer des recherches au musée du Caire, le musée de Boulaq ayant été fondé en 1863 par Auguste Mariette, qui avait été nommé directeur du service des Antiquités de l'Egypte, en 1858, par Saïd Pacha, fils de Méhémet Ali.

(6)   L'étude de cette momie a fait l'objet, de la part de M.-Th. de Saint Paul, de deux communications à la Société Française d'Histoire de la Médecine :
- La première intitulée «Essai d'étude systématique d'une momie égyptienne. Présentation de radiographies de la momie du Muséum de Perpignan», est résumée dans la Revue d'Histoire de la Médecine, n° VI, juillet-sept. 1961 (p. 3).
- La seconde est intitulée : «La datation physique à partir d'éléments carbonés (14). Présentation d'un prélèvement tiré d'une momie égyptienne», dont il est fait état dans la Revue d'Histoire de la Médecine, n° VIII, nov.-déc. 1961 (p.5).

(7)   «Estudi d'una mòmia egipcia del Museu d'història natural de Perpinyà per un equip de l'Institut de Prehistòria i Arqueologia», Informaciòn Arqueològica, n° 18, Barcelona, 1975, p. 171-172.

(8)   La position des avant-bras, et celle des mains croisées au-dessus du pubis, est un élément d'évaluation en faveur du sexe masculin de ce sujet momifié.

(9)   Les lignes ou stries d'arrêt de croissance (ou lignes de Harris) sont constituées par des formations calcifiées de quelques millimètres d'épaisseur qui se déposent transversalement sur des os longs, donnant des images radiologiques linéaires de densification. Elles sont le témoin d'une malnutrition.

(10)   Ostéoporose : déminéralisation squelettique généralisée par raréfaction de la trame protéique de l'os.

(11)   Os médian et symétrique, entrant dans la constitution de l'étage antérieur de la base du crâne. L'embaumeur pratiquait l'excérébration en perforant cet os, au moyen d'une tige métallique terminée par un crochet, enfoncée par la narine gauche, qui lui permettait d'atteindre le cerveau et de vider ensuite le crâne de son contenu.

(12)   Cornets inférieurs : os indépendant en forme de lamelle osseuse recourbée, fixée à la paroi externe des fosses nasales.

(13)   Os moyen de la base du crâne, enclavé entre 1'ethmoïde et le frontal, en avant, l'occipital et les temporaux, en arrière.

(14)   Cette étape correspond à la perforation de l'ethmoïde pour réaliser l'excérébration et à l'ouverture de la paroi abdominale pour pratiquer l'éviscération. Ces deux gestes ne font l'objet d'aucune représentation et sont absents de l'iconographie.

(15)   Cette technique non destructive, simple à réaliser, permet d'accéder directement sur une partie donnée du corps momifié, dans la mesure où le passage du fibroscope est possible, et de prélever un échantillon de taille minime. Pour cela, un simple orifice offre une voie d'investigation potentielle.

(16)   Biopsie : opération qui consiste à enlever sur le vivant un fragment d'organe, dans le but de le soumettre à un examen microscopique.

(17)   La méthode utilisée consiste en la préparation de l'échantillon par cinq opérations successives : réhydratation, fixation, inclusion en bloc de paraffine, coupes au microtome suivies de coloration, réalisées avant l'étude immunohisto-chimique.

(18)   Laboratoire d'Anatomie et de Cytologie Pathologiques du Pr Liliane Boccon-Gibod, hôpital d'enfants Armand Trousseau à Paris.

(19)   Phénotype : ensemble des caractères apparents d'un individu, dus essentiellement aux facteurs héréditaires (génotype) et, dans une certaine mesure, à l'influence exercée par le milieu extérieur.

(20)   Chez l'être vivant, la molécule d'ADN se dégrade en permanence, tout en étant réparée, de façon constante, jusqu'au décès et à la mort cellulaire, où ces phénomènes de réparation cessent.

(21)   L'ADN dégradé, de bas poids moléculaire, est fréquemment rencontré lors de l'extraction d'ADN ancien sur des momies.

(22)   C. Vieillescazes, présente lors de l'endoscopie, nous a guidés pour la sélection des prélèvements à analyser par chromatographie.

(23)   Dans un tel cas, ce produit serait identifié pour la première fois, car il n'a jamais été retrouvé lors de l'analyse de baumes.

(24)   Sandaraque : nom de la résine extraite d'une espèce de thuya.

(25)   Des noms différents sont donnés à l'encens, terme générique, produit par le Boswellia, dont vingt-trois espèces ont été recensées.

(26)   L'analyse en a été réalisée par C. Vieillescazes.

(27)   Le natron est un mélange d'origine minérale, constitué, sur le plan chimique, de carbonate de sodium, bicarbonates, chlorure de sodium, sulfate de sodium, traces de sels minéraux (en faible quantité) et d'eau.

(28)   L'analyse d'un échantillon a été réalisée par V. Asensi Amoros.

(29)   Sa forme particulière symbolise les deux collines (le chevet) entre lesquelles le soleil (la tête de la momie) se lève à l'horizon, matérialisant l'ascension du mort vers le ciel, semblable au soleil levant, ascension facilitée par le soulèvement de sa tête.

(30)   Arthrose : nom sous lequel on désigne des affections chroniques dégénératives non inflammatoires des articulations.

(31)   Cartilage de conjugaison : cartilage (tissu conjonctif) séparant, chez l'enfant, la diaphyse et l'épiphyse des os longs.

(32)   Hérodote (484-420) était un historien grec, ayant fait de nombreux voyages, dont l'un le conduisit en Egypte. Il a laissé un témoignage des pratiques tardives de la momification, qui constitue l'une des sources antiques de nos connaissances. Cf. Hérodote, L'Enquête, Livres I à IV, coll. Folio classique, Gallimard, Paris, 1964 (II, 85-90).

(33)   Atlas et axis sont retrouvées à la tomodensitométrie de l'abdomen.

(34)   Quelques rares corps vertébraux et le sacrum sont retrouvés à la tomodensitométrie, sans que l'on puisse expliquer l'absence des autres vertèbres.

(35)   Etude odontologique réalisée par le Dr Henri Domenech. (Cf. H. Domenech, De l'identification d'une momie égyptienne, diplôme universitaire d'Odontologie légale, université de Montpellier I, Montpellier, 1997).

(36)   L'analyse a été effectuée par C. Vieillescazes. Le lin, d'origine végétale, était utilisé pour l'emmaillotement des momies.

(37)   Dans ce cas, la datation de la momie serait antérieure à celle des enveloppements.

(38)   38 L. Baquès-Estapé, «Description des scènes du cercueil de Pent-Nest-Taouy», dans A. Perraud, Les différentes techniques d'imagerie médicale appliquées aux momies égyptiennes. Etude d'un cas, mémoire de maîtrise d'Histoire de l'Art et Archéologie, mention Archéologie-Egyptologie, Université Paul Valéry, Montpellier III, 1997, Annexe 3.4., p. 15-19.

(39)   Les textes inscrits sur le cercueil ont fait l'objet d'une étude réalisée par l'association des Amis de l'Egypte ancienne, sous la direction de Nadine Guilhou. C'est pourquoi, je ne citerai, ici, que les phrases essentielles, permettant d'orienter les recherches sur le plan onomastique et prosopographique.

(40)   Il s'agit de l'Ennéade d'Héliopolis, réunissant neuf divinités : Atoum le créateur, ses enfants Shou et Tefnout, ses petits-enfants Geb et Nout, et leurs enfants Osiris et Isis, Seth et Nephthys.

(41)   «Juste de voix» signifie que le défunt a passé l'épreuve de la psychostasie, au cours de laquelle son coeur est pesé, avec succés. Sur l'un des plateaux de la balance est déposé le coeur, sur l'autre, une plume de la déesse Maât. Pendant cette opération, le défunt déclare une confession négative, face à ses juges.

(42)   L. Baqués, D. Campillo, J. Padro, E. Porta, J. M. Xarié, «Les mômies egipcies dels museus catalans i balears», Nilus, n° 9, 2000, p. 6-8.

(43)   Ibid., p. 6-8.

(44)   Ibid., p. 8.

(45)   Ces momies reposaient dans 101 cercueils doubles et 52 cercueils simples.

(46)   Il avait succédé à G. Maspero dans la fonction de directeur des Antiquités.

(47)   G. Daressy, «Les sépultures des prêtres d'Ammon à Deir el-Bahari», ASAE 1, 1900, p. 141-148.

(48)   A. Perraud, Les différentes techniques d'imagerie médicale appliquées aux momies égyptiennes. Etude d'un cas, mémoire de maîtrise d'Histoire de l'Art et Archéologie, mention Archéologie-Egyptologie, Université Paul Valéry, Montpellier III, 1997, p. 109 à 121.