L'argument d'Iphigénie en Tauride n'est absolument pas repris dans la littérature tardo-latine et médiévale, tandis que le chroniqueur byzantin Johannes Malalas en fait un récit très particulier : après l'anagnôrisis, le frère, la soeur et Pylade partent avec la statue d'Artémis et abordent en Palestine et en Syrie... Les événements, de même que le style, paraissent contaminés par les textes de l'Evangile.


Johannes Malalas, Chronique, V, 179 sqq

« Mon frère, de la lignée de Pélops, a comme signe particulier un olivier sur l'épaule ». Et regardant attentivement sur son épaule droite, elle vit qu'il avait le signe des Pélopides. Elle embrassa Oreste, lui dit de faire venir à terre les navires et les marins ; ils tirèrent les navires, et passèrent là l'hiver.

A l'arrivée du printemps, Oreste et Pylade prirent en cachette Iphigénie et la statue d'or d'Artémis et s'enfuirent sur leurs navires jusqu'à la région des Adiabènes ; de là, ils se rendirent vers l'est dans la terre des Sarrasins, puis ils remontèrent jusqu'en Palestine à Tricomie. Les gens de Tricomie, devant l'aspect hiératique d'Iphigénie, l'accueillirent avec beaucoup d'honneur ; mais ils restaient là, car Oreste était en proie à l'une de ses crises de folie. Les Tricomites édifièrent un grand temple à Artémis et prièrent Iphigénie de lui sacrifier une vierge, et de donner son nom au village. Ils lui amenèrent une jeune fille nommée Nyssa, qu'ils sacrifièrent à Artémis ; et ils firent de la jeune fille égorgée une statue de bronze protectrice. Iphigénie appela Nyssa, du nom de la vierge sacrifiée, la ville qui était auparavant un village, et elle lui dédia aussi un autel, sur lequel elle fit écrire : « Accueille, ô puissante déesse Nyssa, ceux qui s'enfuient de la Scythie ». Inscription que l'on peut voir encore à ce jour.

Quand Oreste reprit conscience, Iphigénie vit en songe une biche qui lui disait :« Quitte vite cette terre ! ». Le lendemain elle se leva et s'enfuit avec Oreste et Pylade jusqu'à la plage de la Palestine d'où elle embarqua vers la Syrie, obéissant à l'oracle.

Le roi de Scythie, Thoas, apprenant qu'Iphigénie avait emporté la statue en or d'Artémis et s'était enfuie, envoya beaucoup de Scythes à leurs trousses en leur disant : « Ne revenez pas en Scythie avant de me rapporter la statue d'or d'Artémis ! » Ils les poursuivirent, les cherchèrent partout et arrivèrent en Palestine dans la ville de Nyssa, appelée auparavant Tricomie. Quand ils apprirent que ceux qui accompagnaient Iphigénie et Oreste étaient descendus vers le rivage et immédiatement partis, charmés par le site, la ville de Nyssa et le temple d'Artémis, et par ailleurs craignant leur roi, ils s'installèrent là et changèrent le nom de la ville d'après le leur, Scythopolis.

Oreste et ceux qui le suivaient arriva en Syrie ; en débarquant, il demanda où se trouvait le mont Melantion et le temple d'Hestia. Il le trouva, et entra dans le temple ; et après avoir fait un sacrifice, il se coucha et resta là. Puis quand il fut guéri de sa terrible maladie, il s'éloigna du temple, se baigna dans les eaux des deux fleuves appelés Mélantia par les Syriens, car ils descendent du mont Mélantion, et se lava. Puis, traversant le fleuve Typhon, qu'on appelle maintenant l'Oronte, Oreste alla jusqu'au mont Silpion saluer les Ionites. Les Argiens Ionites qui habitaient la Syrie, ayant appris la guérison d'Oreste, allèrent vers lui parce qu'il était leur compatriote et de sang royal. Ils vinrent à sa rencontre, et voyant avec lui des gens du temple d'Hestia, ils leur demandèrent : « Qui est celui-ci ? », et eux répondirent : « C'est Oreste, nous vous l'amenons ». Alors les Ionites s'empressèrent de le saluer et dirent : « Oreste, où as-tu déposé ta maladie ? » Mais Oreste, craignant encore la virulence de la maladie, ne se tourna pas pour leur indiquer le temple ou la montagne où il avait été libéré de la maladie, mais ouvrant sa main droite au-dessus de sa tête, il leur indiqua du doigt de la main le mont et le temple, en leur disant : « C'est sur ce mont, dans le temple de la divine Hestia, que j'ai déposé ma terrible maladie ». Alors les Ionites s'empressèrent de dresser à Oreste une statue de bronze, dans la position même qu'il avait lorsqu'il leur indiqua [le temple] : elle se trouve sur une colonne, en mémoire et à la gloire de la région, du temple et d'Hestia. Ils signalaient ainsi à la postérité l'endroit où Oreste déposa sa folle maladie. Cette image existe encore, et les Ionites changèrent en Amanon le nom du mont Mélanion. Oreste salua les Ionites et se rendit sur le rivage de l'ancienne Paléopolis, aujourd'hui Séleucie. Et ayant trouvé là des navires, il partit avec Iphigénie et Pylade vers la Grèce. Il maria sa soeur Electre à Pylade, puis régna sur la terre des Mycéniens jusqu'à sa mort.

Traduction de Francesco Chiappinelli et Agnès Vinas


Merci au professeur Francesco Chiappinelli, auteur de l'Impius Aeneas, de nous avoir fourni ces textes.