Scène 1
ERIPHILE, DORIS
ERIPHILE
Ne les contraignons point, Doris, retirons-nous,
Laissons-les dans les bras d'un père et d'un
époux,
Et tandis qu'à l'envi leur amour se
déploie,
Mettons en liberté ma tristesse et leur
joie.
DORIS
Quoi, Madame ! toujours irritant vos douleurs,
Croirez-vous ne plus voir que des sujets de pleurs
?
Je sais que tout déplaît aux yeux d'une
captive,
Qu'il n'est point dans les fers de plaisir qui la suive
;
Mais dans le temps fatal que repassant les flots,
Nous suivions malgré nous le vainqueur de
Lesbos,
Lorsque dans son vaisseau, prisonnière
timide,
Vous voyiez devant vous ce vainqueur homicide,
Le dirai-je ? vos yeux, de larmes moins
trempés,
A pleurer vos malheurs étaient moins
occupés.
Maintenant tout vous rit. L'aimable
Iphigénie
D'une amitié sincère avec vous est unie
;
Elle vous plaint, vous voit avec des yeux de
soeur,
Et vous seriez dans Troie avec moins de douceur.
Vous vouliez voir l'Aulide, où son père
l'appelle,
Et l'Aulide vous voit arriver avec elle.
Cependant, par un sort que je ne conçois
pas,
Votre douleur redouble et croît à chaque
pas.
ERIPHILE
Hé quoi ! te semble-t-il que la triste
Eriphile
Doive être de leur joie un témoin si
tranquille ?
Crois-tu que mes chagrins doivent
s'évanouir
A l'aspect d'un bonheur dont je ne puis jouir ?
Je vois Iphigénie entre les bras d'un
père,
Elle fait tout l'orgueil d'une superbe mère
;
Et moi, toujours en butte à de nouveaux
dangers,
Remise dès l'enfance en des bras
étrangers,
Je reçus et je vois le jour que je respire
Sans que mère ni père ait daigné
me sourire.
J'ignore qui je suis. Et pour comble d'horreur,
Un oracle effrayant m'attache à mon
erreur,
Et quand je veux chercher le sang qui m'a fait
naître,
Me dit que sans périr je ne me puis
connaître.
DORIS
Non, non, jusques au bout vous devez le chercher.
Un oracle toujours se plaît à se
cacher.
Toujours avec un sens il en présente un
autre.
En perdant un faux nom vous reprendrez le
vôtre.
C'est là tout le danger que vous pouvez
courir,
Et c'est peut-être ainsi que vous devez
périr.
Songez que votre nom fut changé dès
l'enfance.
ERIPHILE
Je n'ai de tout mon sort que cette connaissance ;
Et ton père, du reste infortuné
témoin,
Ne me permit jamais de pénétrer plus
loin.
Hélas ! dans cette Troie où
j'étais attendue,
Ma gloire, disait-il, m'allait être rendue
;
J'allais, en reprenant et mon nom et mon rang,
Des plus grands rois en moi reconnaître le
sang.
Déjà je découvrais cette fameuse
ville ;
Le Ciel mène à Lesbos l'impitoyable
Achille.
Tout cède, tout ressent ses funestes
efforts.
Ton père, enseveli dans la foule des
morts,
Me laisse dans les fers à moi-même
inconnue ;
Et de tant de grandeurs dont j'étais
prévenue,,
Vile esclave des Grecs, je n'ai pu conserver
Que la fierté d'un sang que je ne puis
prouver.
DORIS
Ah ! que perdant, Madame, un témoin si
fidèle,
La main qui vous l'ôta vous doit sembler cruelle
!
Mais Calchas est ici, Calchas si renommé,
Qui des secrets des Dieux fut toujours
informé.
Le Ciel souvent lui parle. Instruit par un tel
maître,
Il sait tout ce qui fut, et tout ce qui doit
être.
Pourrait-il de vos jours ignorer les auteurs ?
Ce camp même est pour vous tout plein de
protecteurs.
Bientôt Iphigénie, en épousant
Achille,
Vous va sous son appui présenter un asile.
Elle vous l'a promis et juré devant moi,
Ce gage est le premier qu'elle attend de sa foi.
ERIPHILE
Que dirais-tu, Doris, si passant tout le reste,
Cet hymen de mes maux était le plus funeste
?
DORIS
Quoi, Madame ?
ERIPHILE
Tu
vois avec étonnement
Que ma douleur ne souffre aucun soulagement.
Ecoute. Et tu te vas étonner que je vive.
C'est peu d'être étrangère,
inconnue et captive
Ce destructeur fatal des tristes Lesbiens,
Cet Achille, l'auteur de tes maux et des miens,
Dont la sanglante main m'enleva
prisonnière,
Qui m'arracha d'un coup ma naissance et ton
père,
De qui jusques au nom tout doit m'être
odieux,
Est de tous les mortels le plus cher à mes
yeux.
DORIS
Ah ! que me dites-vous ?
ERIPHILE
Je
me flattais sans cesse
Qu'un silence éternel cacherait ma
faiblesse,
Mais mon coeur trop pressé m'arrache ce
discours,
Et te parle une fois, pour se taire toujours.
Ne me demande point sur quel espoir fondée
De ce fatal amour je me vis
possédée.
Je n'en accuse point quelques feintes douleurs
Dont je crus voir Achille honorer mes malheurs.
Le Ciel s'est fait sans doute une joie inhumaine
A rassembler sur moi tous les traits de sa haine.
Rappellerai-je encor le souvenir affreux
Du jour qui dans les fers nous jeta toutes deux ?
Dans les cruelles mains par qui je fus ravie,
Je demeurai longtemps sans lumière et sans
vie.
Enfin mes tristes yeux cherchèrent la
clarté ;
Et me voyant presser d'un bras
ensanglanté,
Je frémissais, Doris, et d'un vainqueur
sauvage
Craignais de rencontrer l'effroyable visage.
J'entrai dans son vaisseau, détestant sa
fureur,
Et toujours détournant ma vue avec
horreur.
Je le vis. Son aspect n'avait rien de farouche,
Je sentis le reproche expirer dans ma bouche.
Je sentis contre moi mon coeur se
déclarer,
J'oubliai ma colère, et ne sus que
pleurer.
Je me laissai conduire à cet aimable
guide.
Je l'aimais à Lesbos, et je l'aime en
Aulide.
Iphigénie en vain s'offre à me
protéger,
Et me tend une main prompte à me soulager
:
Triste effet des fureurs dont je suis tourmentée
!
Je n'accepte la main qu'elle m'a
présentée,
Que pour m'armer contre elle, et sans me
découvrir,
Traverser son bonheur que je ne puis souffrir.
DORIS
Et que pourrait contre elle une impuissante haine
?
Ne valait-il pas mieux, renfermée à
Mycène,
Eviter les tourments que vous venez chercher,
Et combattre des feux contraints de se cacher ?
ERIPHILE
Je le voulais, Doris. Mais quelque triste image
Que sa gloire à mes yeux montrât sur ce
rivage,
Au sort qui me traînait il fallut
consentir,
Une secrète voix m'ordonna de partir,
Me dit qu'offrant ici ma présence
importune,
Peut-être j'y pourrais porter mon infortune
;
Que peut-être approchant ces amants trop
heureux,
Quelqu'un de mes malheurs se répandrait sur
eux.
Voilà ce qui m'amène, et non
l'impatience
D'apprendre à qui je dois une triste
naissance.
Ou plutôt leur hymen me servira de loi.
S'il s'achève, il suffit : tout est fini pour
moi.
Je périrai, Doris, et par une mort prompte
Dans la nuit du tombeau j'enfermerai ma honte,
Sans chercher des parents si longtemps
ignorés,
Et que ma folle amour a trop
déshonorés.
DORIS
Que je vous plains, Madame ! et que la tyrannie
...
ERIPHILE
Tu vois Agamemnon avec Iphigénie.
Scène 2
AGAMEMNON, IPHIGENIE, ERIPHILE, DORIS
IPHIGENIE
Seigneur, où courez-vous ? et quels
empressements
Vous dérobent sitôt à nos
embrassements ?
A qui dois-je imputer cette fuite soudaine ?
Mon respect a fait place aux transports de la
reine.
Un moment à mon tour ne vous puis-je
arrêter ?
Et ma joie à vos yeux n'ose-t-elle
éclater ?
Ne puis-je...
AGAMEMNON
Hé
bien ! ma fille, embrassez votre père,
Il vous aime toujours.
IPHIGENIE
Que
cette amour m'est chère !
Quel plaisir de vous voir et de vous contempler
Dans ce nouvel éclat dont je vous vois briller
!
Quels honneurs ! Quel pouvoir ! Déjà la
Renommée
Par d'étonnants récits m'en avait
informée,
Mais que voyant de près ce spectacle
charmant,
Je sens croître ma joie et mon étonnement
!
Dieux ! Avec quel amour la Grèce vous
révère !
Quel bonheur de me voir la fille d'un tel père
!
AGAMEMNON
Vous méritiez, ma fille, un père plus
heureux.
IPHIGENIE
Quelle félicité peut manquer à vos
voeux ?
A de plus grands honneurs un roi peut-il
prétendre ?
J'ai cru n'avoir au Ciel que des grâces à
rendre.
AGAMEMNON
Grands Dieux ! à son malheur dois-je la
préparer ?
IPHIGENIE
Vous vous cachez, Seigneur, et semblez soupirer ;
Tous vos regards sur moi ne tombent qu'avec
peine.
Avons-nous sans votre ordre abandonné
Mycène ?
AGAMEMNON
Ma fille, je vous vois toujours des mêmes
yeux.
Mais les temps sont changés, aussi bien que les
lieux.
D'un soin cruel ma joie est ici combattue.
IPHIGENIE
Hé ! mon père, oubliez votre rang
à ma vue.
Je prévois la rigueur d'un long
éloignement.
N'osez-vous sans rougir être père un
moment ?
Vous n'avez devant vous qu'une jeune princesse
A qui j'avais pour moi vanté votre
tendresse.
Cent fois lui promettant mes soins, votre
bonté,
J'ai fait gloire à ses yeux de ma
félicité.
Oue va-t-elle penser de votre indifférence
?
Ai-je flatté ses voeux d'une fausse
espérance ?
N'éclaircirez-vous point ce front chargé
d'ennuis ?
AGAMEMNON
Ah ! ma fille !
IPHIGENIE
Seigneur,
poursuivez.
AGAMEMNON
Je
ne puis.
IPHIGENIE
Périsse le Troyen auteur de nos alarmes !
AGAMEMNON
Sa perte à ses vainqueurs coûtera bien des
larmes.
IPHIGENIE
Les Dieux daignent surtout prendre soin de vos jours
!
AGAMEMNON
Les Dieux depuis un temps me sont cruels et
sourds.
IPHIGENIE
Calchas, dit-on, prépare un pompeux
sacrifice.
AGAMEMNON
Puissé-je auparavant fléchir leur
injustice !
IPHIGENIE
L'offrira-t-on bientôt ?
AGAMEMNON
Plus
tôt que je ne veux.
IPHIGENIE
Me sera-t-il permis de me joindre à vos voeux
?
Verra-t-on à l'autel votre heureuse famille
?
AGAMEMNON
Hélas !
IPHIGENIE
Vous
vous taisez ?
AGAMEMNON
Vous
y serez, ma fille.
Adieu.
Scène 3
IPHIGENIE, ERIPHILE, DORIS
IPHIGENIE
De
cet accueil que dois-je soupçonner ?
D'une secrète horreur je me sens
frissonner.
Je crains, malgré moi-même, un malheur que
j'ignore.
Justes Dieux, vous savez pour qui je vous
implore.
ERIPHILE
Quoi ! parmi tous les soins qui doivent
l'accabler,
Quelque froideur suffît pour vous faire trembler
?
Hélas ! à quels soupirs suis-je donc
condamnée,
Moi, qui de mes parents toujours
abandonnée,
Etrangère partout, n'ai pas, même en
naissant,
Peut-être reçu d'eux un regard caressant
!
Du moins, si vos respects sont rejetés d'un
père,
Vous en pouvez gémir dans le sein d'une
mère,
Et de quelque disgrâce enfin que vous
pleuriez,
Quels pleurs par un amant ne sont point essuyés
?
IPHIGENIE
Je ne m'en défends point. Mes pleurs, belle
Eriphile,
Ne tiendraient pas longtemps contre les soins d'Achille
;
Sa gloire, son amour, mon père, mon
devoir,
Lui donnent sur mon âme un trop juste
pouvoir.
Mais de lui-même ici que faut-il que je pense
?
Cet amant, pour me voir brûlant
d'impatience,
Que les Grecs de ces bords ne pouvaient arracher,
Qu'un père de si loin m'ordonne de
chercher,
S'empresse-t-il assez pour jouir d'une vue
Qu'avec tant de transports je croyais attendue ?
Pour moi, depuis deux jours qu'approchant de ces
lieux
Leur aspect souhaité se découvre à
nos yeux,
Je l'attendais partout, et d'un regard timide
Sans cesse parcourant les chemins de l'Aulide,
Mon coeur pour le chercher volait loin devant
moi,
Et je demande Achille à tout ce que je
voi.
Je viens, j'arrive enfin sans qu'il m'ait
prévenue.
Je n'ai percé qu'à peine une foule
inconnue ;
Lui seul ne paraît point. Le triste
Agamemnon
Semble craindre à mes yeux de prononcer son
nom.
Que fait-il ? Qui pourra m'expliquer ce mystère
?
Trouverai-je l'amant glacé comme le père
?
Et les soins de la guerre auraient-ils en un jour
Eteint dans tous les coeurs la tendresse et l'amour
?
Mais non : c'est l'offenser par d'injustes
alarmes.
C'est à moi que l'on doit le secours de ses
armes.
Il n'était point à Sparte entre tous ces
amants
Dont le père d'Hélène a
reçu les serments.
Lui seul de tous les Grecs, maître de sa
parole,
S'il part contre Ilion, c'est pour moi qu'il y vole
;
Et, satisfait d'un prix qui lui semble si doux,
Il veut même y porter le nom de mon
époux.
Scène 4
CLYTEMNESTRE, IPHIGENIE, ERIPHILE, DORIS
CLYTEMNESTRE
Ma fille, il faut partir sans que rien nous
retienne,
Et sauver, en fuyant, votre gloire et la mienne.
Je ne m'étonne plus qu'interdit et
distrait,
Votre père ait paru nous revoir à
regret.
Aux affronts d'un refus craignant de vous
commettre,
Il m'avait par Arcas envoyé cette lettre.
Arcas s'est vu trompé par notre
égarement,
Et vient de me la rendre en ce même moment.
Sauvons, encore un coup, notre gloire
offensée.
Pour votre hymen Achille a changé de
pensée,
Et, refusant l'honneur qu'on lui veut accorder,
Jusques à son retour il veut le retarder.
ERIPHILE
Qu'entends-je ?
CLYTEMNESTRE
Je
vous vois rougir de cet outrage.
Il faut d'un noble orgueil armer votre courage.
Moi-même, de l'ingrat approuvant le
dessein,
Je vous l'ai dans Argos présenté de ma
main ;
Et mon choix, que flattait le bruit de sa
noblesse,
Vous donnait avec joie au fils d'une
Déesse.
Mais puisque désormais son lâche
repentir
Dément le sang des Dieux, dont on le fait
sortir,
Ma fille, c'est à nous de montrer qui nous
sommes,
Et de ne voir en lui que le dernier des hommes.
Lui ferons-nous penser, par un plus long
séjour,
Que vos voeux de son coeur attendent le retour ?
Rompons avec plaisir un hymen qu'il
diffère.
J'ai fait de mon dessein avertir votre
père.
Je ne l'attends ici que pour m'en séparer,
Et pour ce prompt départ je vais tout
préparer.
(A Eriphile.)
Je ne vous presse point, Madame, de nous suivre :
En de plus chères mains ma retraite vous
livre.
De vos desseins secrets on est trop
éclairci,
Et ce n'est pas Calchas que vous cherchez ici.
Scène 5
IPHIGENIE, ERIPHILE, DORIS
IPHIGENIE
En quel funeste état ces mots m'ont-ils
laissée !
Pour mon hymen Achille a changé de pensée
!
Il me faut sans honneur retourner sur mes pas,
Et vous cherchez ici quelque autre que Calchas ?
ERIPHILE
Madame, à ce discours je ne puis rien
comprendre.
IPHIGENIE
Vous m'entendez assez, si vous voulez m'entendre.
Le sort injurieux me ravit un époux ;
Madame, à mon malheur m'abandonnerez-vous
?
Vous ne pouviez sans moi demeurer à
Mycène.
Me verra-t-on sans vous partir avec la reine ?
ERIPHILE
Je voulais voir Calchas avant que de partir.
IPHIGENIE
Que tardez-vous, Madame, à le faire avertir
?
ERIPHILE
D'Argos, dans un moment, vous reprenez la route.
IPHIGENIE
Un moment quelquefois éclaircit plus d'un
doute.
Mais, Madame, je vois que c'est trop vous
presser.
Je vois ce que jamais je n'ai voulu penser.
Achille ... Vous brûlez que je ne sois
partie.
ERIPHILE
Moi ? Vous me soupçonnez de cette perfidie
?
Moi, j'aimerais, Madame, un vainqueur furieux,
Qui toujours tout sanglant se présente à
mes yeux,
Qui la flamme à la main, et de meurtres
avide,
Mit en cendres Lesbos ...
IPHIGENIE
Oui,
vous l'aimez, perfide.
Et ces mêmes fureurs que vous me
dépeignez,
Ces bras que dans le sang vous avez vus
baignés,
Ces morts, cette Lesbos, ces cendres, cette
flamme,
Sont les traits dont l'amour l'a gravé dans
votre âme,
Et loin d'en détester le cruel souvenir,
Vous vous plaisez encore à m'en
entretenir.
Déjà plus d'une fois, dans vos plaintes
forcées,
J'ai dû voir, et j'ai vu, le fond de vos
pensées.
Mais toujours sur mes yeux ma facile bonté
A remis le bandeau que j'avais
écarté.
Vous l'aimez ! Que faisais-je ? et quelle erreur
fatale
M'a fait entre mes bras recevoir ma rivale ?
Crédule, je l'aimais. Mon coeur même
aujourd'hui
De son parjure amant lui promettait l'appui.
Voilà donc le triomphe où j'étais
amenée !
Moi-même à votre char je me suis
enchaînée.
Je vous pardonne, hélas ! des voeux
intéressés,
Et la perte d'un coeur que vous me ravissez ;
Mais que sans m'avertir du piège qu'on me
dresse,
Vous me laissiez chercher jusqu'au fond de la
Grèce
L'ingrat, qui ne m'attend que pour m'abandonner,
Perfide, cet affront se peut-il pardonner ?
ERIPHILE
Vous me donnez des noms qui doivent me
surprendre,
Madame. On ne m'a pas instruite à les
entendre,
Et les Dieux contre moi dès longtemps
indignés
A mon oreille encor les avaient
épargnés.
Mais il faut des amants excuser l'injustice.
Et de quoi vouliez-vous que je vous avertisse ?
Avez-vous pu penser qu'au sang d'Agamemnon
Achille préférât une fille sans
nom,
Qui de tout son destin ce qu'elle a pu comprendre
C'est qu'elle sort d'un sang qu'il brûle de
répandre ?
IPHIGENIE
Vous triomphez, cruelle, et bravez ma douleur.
Je n'avais pas encor senti tout mon malheur.
Et vous ne comparez votre exil et ma gloire
Que pour mieux relever votre injuste victoire.
Toutefois vos transports sont trop
précipités.
Ce même Agamemnon à qui vous
insultez,
Il commande à la Grèce, il est mon
père, il m'aime,
Il ressent mes douleurs beaucoup plus que
moi-même.
Mes larmes par avance avaient su le toucher,
J'ai surpris ses soupirs qu'il me voulait cacher.
Hélas ! de son accueil condamnant la
tristesse,
J'osais me plaindre à lui de son peu de
tendresse !
Scène 6
ACHILLE, IPHIGENIE, ERIPHILE, DORIS
ACHILLE
Il est donc vrai, Madame, et c'est vous que je
vois.
Je soupçonnais d'erreur tout le camp à la
fois.
Vous en Aulide ? Vous ? Hé ! qu'y venez-vous
faire ?
D'où vient qu'Agamemnon m'assurait le contraire
?
IPHIGENIE
Seigneur, rassurez-vous. Vos voeux seront
contents,
Iphigénie encor n'y sera pas longtemps.
Scène 7
ACHILLE, ERIPHILE, DORIS
ACHILLE
Elle me fuit ! Veillé-je ? Ou n'est-ce point un
songe ?
Dans quel trouble nouveau cette fuite me plonge !
Madame, je ne sais si sans vous irriter,
Achille devant vous pourra se présenter.
Mais si d'un ennemi vous souffrez la
prière,
Si lui-même souvent a plaint sa
prisonnière,
Vous savez quel sujet conduit ici leurs pas ;
Vous savez ...
ERIPHILE
Quoi
! Seigneur, ne le savez-vous pas,
Vous qui, depuis un mois, brûlant sur ce
rivage,
Avez conclu vous-même et hâté leur
voyage ?
ACHILLE
De ce même rivage absent depuis un mois,
Je le revis hier pour la première fois.
ERIPHILE
Quoi ! lorsqu'Agamemnon écrivait à
Mycène,
Votre amour, votre main n'a pas conduit la sienne
?
Quoi ! vous qui de sa fille adoriez les attraits
...
ACHILLE
Vous m'en voyez encore épris plus que
jamais,
Madame. Et si l'effet eût suivi ma
pensée,
Moi-même dans Argos je l'aurais
devancée.
Cependant on me fuit. Quel crime ai-je commis ?
Mais je ne vois partout que des yeux ennemis.
Que dis-je ? En ce moment Calchas, Nestor,
Ulysse,
De leur vaine éloquence employant
l'artifice,
Combattaient mon amour et semblaient m'annoncer
Que si j'en crois ma gloire, il y faut renoncer.
Quelle entreprise ici pourrait être formée
?
Suis-je sans le savoir la fable de l'armée
?
Entrons. C'est un secret qu'il leur faut
arracher.
Scène 8
ERIPHILE, DORIS
ERIPHILE
Dieux, qui voyez ma honte, où me dois-je cacher
?
Orgueilleuse rivale, on t'aime, et tu murmures ?
Souffrirai-je à la fois ta gloire et tes injures
?
Ah ! plutôt... Mais, Doris, ou j'aime à me
flatter,
Ou sur eux quelque orage est tout prêt
d'éclater.
J'ai des yeux. Leur bonheur n'est pas encor
tranquille.
On trompe Iphigénie. On se cache d'Achille
;
Agamemnon gémit. Ne désespérons
point ;
Et, si le sort contre elle à ma haine se
joint,
Je saurai profiter de cette intelligence
Pour ne pas pleurer seule et mourir sans
vengeance.
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