Oreste est fils d'Agamemnon et de Clytemnestre c'est le
fils chéri (Têlugetos) ; pendant que son
père est devant Troie, il vit dans Mycènes au
milieu du plus grand luxe. Sa destinée est
déterminée par l'assassinat de son père.
Il y a dans Homère trois récits du meurtre
d'Agamemnon. Le premier est fait par Nestor à
Télémaque : Egisthe se débarrasse de
l'aède qu'Agamemnon a laissé près de
Clytemnestre, et il amène celle-ci dans sa demeure,
ethelôn ethelousan. Pendant sept ans il
régna sur la riche Mycènes ; la huitième
année Oreste vint d'Athènes ; il tua le
meurtrier de son père, le rusé Egisthe ;
après l'avoir tué, il donna aux Argiens le
repas des funérailles de sa détestable
mère et du lâche Egisthe. Dans le second
récit, mis par le poète dans la bouche de
Ménélas, Agamemnon est porté par la
tempête sur la partie éloignée de
l'Argolide où Egisthe a sa demeure ; prévenu
par un veilleur, Egisthe dresse une embûche ; il invite
Agamemnon à un festin et il le tue, lui et tous ses
compagnons, après une lutte acharnée. Le nom de
Clytemnestre n'est pas prononcé dans ce récit ;
mais un peu auparavant, Ménélas, parlant de la
mort de son frère, dit qu'il était tombé
victime de la ruse de sa funeste femme. Le troisième
récit enfin est fait par Agamemnon lui-même dans
la Nekyia. Cette fois la complicité de Clytemnestre
est nettement affirmée. La Nekyia est
considérée comme une des parties les plus
récentes de l'Odyssée. On en a conclu
que primitivement Clytemnestre n'était pas en cause ;
c'est à une époque postérieure qu'on
aurait fait d'elle la complice d'Egisthe. Aristarque avait
déjà remarqué que Clytemnestre mourait
en même temps qu'Egisthe, mais qu'Homère ne
disait pas qu'elle était tuée par son fils. Un
autre scoliaste observe finement que le poète emploie
un euphémisme, ethapse tên mêtera,
pour ménager Oreste. Sans doute, Zeus, au début
de l'Odyssée, rejette tout le crime sur Egisthe
seul ; mais Athéna fait de Clytemnestre la complice du
meurtre. Il y a souvent, dans Homère, un parti pris de
silence quand il s'agit d'événements concernant
les familles des anaktes. Homère, ignorant ou
voulant ignorer le parricide, ignore naturellement la
poursuite d'Oreste par les Furies : Oreste a vengé son
père ; ayant accompli ce devoir, il vit glorieux et
honoré.
Après Homère la légende se
développe. Hésiode, Stasimos de Cypre, Agias de
Trézène, auteurs d'épopées, la
traitent tour à tour. Mais l'oeuvre qui eut l'action
la plus grande sur le développement de la
légende est due à un poète lyrique,
Stésichore. Il composa un hymne intitulé
Orestie, qui avait au moins deux livres. Cet hymne eut
un très grand succès : Aristophane le parodiait
un siècle et demi plus tard. Nous n'avons que
très peu de fragments de ce poème. Pindare,
dans la XIe Pythique, mentionne cette légende. Pour
lui, comme pour Stésichore, Oreste est
Lacédémonien ; au moment où son
père est tué à Amyclée, il est
sauvé des mains violentes de sa mère par sa
nourrice Arsinoé et il trouve un refuge chez Strophios
au pied du Parnasse. Cette ode a été
composée en 478 ; vingt ans après, Eschyle
faisait représenter son Orestie.
Peu de mythes tiennent dans la tragédie grecque une
place aussi grande que le mythe d'Oreste ; par une
conséquence naturelle, cette importance est au moins
aussi grande dans l'art grec.
Un événement de l'enfance d'Oreste était
célèbre. On racontait que
Télèphe, roi des Mysiens, était
allé déguisé chez les Grecs pour se
faire guérir de sa blessure par celui qui l'avait
faite, Achille : il est découvert et va être
massacré, quand il saisit le fils d'Agamemnon, le
jeune Oreste, et, réfugié sur l'autel
domestique, menace de le tuer, si on l'attaque. Cette
légende avait été mise sur la
scène par les trois tragiques ; elle avait aussi
inspiré le peintre Parrhasios. Elle se trouve
reproduite sur plusieurs vases peints, sur un rhyton
d'argent, sur une pierre gravée, sur des urnes
cinéraires étrusques, enfin sur la frise de
Pergame.
D'après Euripide, Oreste enfant était à
Aulis au moment où sa soeur Iphigénie fut
immolée ; il a même un rôle dans la
tragédie : il joint ses prières à celles
de sa soeur et de sa mère. Stésichore et
Pindare le font assister au meurtre de son père, il
est sauvé par sa nourrice qui le dérobe aux
assassins. C. Robert, qui a proposé une restitution
ingénieuse de l'hymne de Stésichore,
d'après des peintures de vases, supposait que la
nourrice confiait Oreste à Talthybios. Cette
explication n'est pas vraisemblable. Recueilli par Strophios
n au pied du Parnasse, il se lie d'amitié avec le fils
de son hôte, Pylade. Cette amitié était
célèbre dans l'antiquité ; elle est
rappelée très souvent dans les oeuvres
littéraires et dans les oeuvres artistiques ; on
connaît le groupe d'Oreste et Pylade que possède
le musée du Louvre.
Devenu grand, Oreste reçoit d'Apollon l'ordre de
venger son père en punissant les meurtriers.
Déjà, dans Stésichore, cette
intervention d'Apollon était indiquée par le
don que le dieu fait à Oreste d'un arc pour se
défendre contre les Furies. Dans les tragiques aussi,
c'est toujours Apollon qui pousse Oreste au parricide.
Accompagné de Pylade, Oreste arrive en Argolide. La
scène dela reconnaissance du frère et de la
soeur est parmi les plus belles de la tragédie
grecque. Dans Eschyle et Sophocle, une des causes qui ont
amené la rencontre d'Oreste avec Electre est un songe
de Clytemnestre. C'était là encore une
imitation de Stésichore. On sait que dans les
Choéphores d'Eschyle, Electre reconnaît
son frère parce qu'il a les cheveux de la même
nuance et de la même nature que les siens. Cette
façon d'amener la reconnaissance, raillée par
Euripide, a été admirée par Aristophane
et par des savants de nos jours. Dans Sophocle, Electre
reconnait son frère au moment où elle va
prendre l'urne qui contient ses cendres. Dans Euripide, c'est
le vieux serviteur qui reconnaît Oreste.
Parmi les oeuvres d'art qui représentent cette
scène célèbre, on peut citer surtout une
plaque de terre estampée du Louvre : Electre est
assise auprès du tombeau d'Agamemnon ; Oreste,
accompagné de Pylade, se tient près d'elle.
Nous possédons aussi des reproductions des groupes
divers représentant Oreste avec sa soeur Electre ;
l'identification la plus sûre est celle du groupe de
Naples.
Oreste et Pylade entrent par surprise dans le palais
où se trouve Egisthe. Dans Eschyle et Euripide, c'est
Egisthe qui est tué le premier. Sophocle fait tuer
d'abord Clytemnestre ; il a imaginé un effet
dramatique très puissant en montrant Egisthe se
hâtant de revenir au palais à la nouvelle de la
mort d'Oreste, croyant voir devant lui le cadavre de son
ennemi, levant lui-même le voile qui recouvre ce
cadavre et reconnaissant Clytemnestre, pendant qu'Oreste et
Pylade se saisissent de lui.
La mort d'Egisthe et de Clytemnestre avait fait le sujet d'un
grand nombre de peintures et de sculptures. On cite un
tableau de la Pinacothèque de l'Acropole
d'Athènes ; un autre tableau, oeuvre du peintre
Théon de Samos, peut être imité dans un
sarcophage du Louvre de l'époque romaine. Nous avons
déjà parlé des deux beaux vases de
Berlin et de Vienne.
Le crime commis, l'expiation commence, les Furies paraissent et poursuivent le meurtrier. Homère ne dit rien de cette expiation. Il semble bien que c'est Stésichore le premier qui a fait intervenir les Furies dans ce mythe ; des Erinnyes, aussitôt Clytemnestre immolée, présentent à Oreste leurs serpents et le mettent en fuite. La poursuite des Furies a fourni le sujet de belles peintures de vase ; dans l'une de ces peintures, les Erinnyes, armées de serpents, présentent à Oreste un miroir où se trouve l'image de sa mère.
Sur un vase du Musée de Naples on voit
Oreste, dans le sanctuaire de Delphes, réfugié
sur l'omphalos, encore menacé par une des
Furies, qu'Apollon repousse ; Artémis assiste à
la scène.
Dans toute cette partie du mythe, il faut remarquer
l'influence de Delphes. Cette influence est encore plus
grande dans la délivrance d'Oreste. Apollon l'a
poussé au parricide, il lui a donné une arme
pour se défendre, il le protège, et enfin il le
purifie. Cette cérémonie de la purification
serait ici le symbole du premier éveil de la
conscience sociale demandant au meurtrier compte du sang
versé. Il faudrait voir là l'oeuvre de la
religion ; mais bientôt l'Etat intervient : la
purification par Delphes ne paraît plus suffisante ;
Oreste est obligé de se soumettre à un jugement
; il comparait devant l'Aréopage ;
c'est-à-dire, la loi civile se substitue à la
loi religieuse La tradition, qui fait comparaître
Oreste devant l'Aréopage, est purement attique. Dans
Eschyle, le tribunal est composé de citoyens
athéniens, la déesse préside ;
d'après d'autres sources, les juges d'Oreste auraient
été les douze dieux. On sait qu'Oreste fut
sauvé grâce au vote d'Athéna. Nous
n'avons de cette scène que des reproductions
d'époque postérieure. La plus
intéressante est celle qui se trouve sur le
célèbre vase Corsini trouvé à
Antium : il représente Athéna déposant
son vote dans l'urne ; on a supposé qu'il était
une copie d'une sculpture du ciseleur Zopyros. La même
tradition attique rattachait la présence d'Oreste dans
Athènes à l'institution de la fête des
Choai [Dionysia].
Euripide, dans l'Oreste, s'écartait de cette
tradition : il le faisait juger par le peuple d'Argos. Le
voyage d'Oreste en Tauride [Iphigenia] est,
à ce que l'on croit, une invention d'Euripide. Dans
une scène célèbre de son
Iphigénie en Tauride une lettre est remise par
le frère à la soeur ; on sait qu'Aristote, qui
trouvait cette scène très belle, louait aussi
le poète Polyeidos d'avoir amené la
reconnaissance très naturellement en faisant dire
à Oreste devant Iphigénie que lui aussi devait
donc périr immolé comme sa soeur. Le sujet de
la fable s'était formé de la légende
relative à la statue d'Artémis Tauropole
à Brauron ; on disait que cette statue avait
été rapportée de Tauride par Oreste,
à qui cette nouvelle expiation avait été
imposée, car toutes les Furies n'avaient pas
été apaisées par le vote de
l'Aréopage. D'après d'autres traditions, Oreste
aurait porté la statue soit à Sparte, soit
à Argos, ou en Lydie, à Rhodes, etc.
Quant à la rivalité entre Oreste et
Néoptolème à propos d'Hermione,on peut
dire qu'elle est postérieure à Homère.
Dans l'Oreste d'Euripide, c'estle fils d'Agamemnon qui
doit épouser Hermione, quelque espérance qu'ait
pu concevoir Néoptolème. Dans
Andromaque, Ménélas, après avoir
promis sa fille au héros, l'a donnée à
Néoptolème ; furieux, Oreste se rend à
Delphes où se trouve son rival et le tue.
Une belle amphore de Ruvo représente cette
dernière scène. Oreste et Hermione ont un fils,
Tisaménos. On connaît l'histoire que raconte
Hérodote sur le cadavre d'Oreste enterré
à Tégée. Il est certain qu'Oreste avait
un culte à Sparte ; son tombeau aurait
été dans le temple des Moirai. D'après
la tradition romaine, Oreste aurait été
enterré à Aricie, et ses os auraient
été plus tard portés à Rome
devant le temple de Saturne.
Article d'Albert Martin