16. Diogène et Hercule
Diogène
N'est-ce pas Hercule que je vois ? Par Hercule, c'est lui-même ; voici son arc, sa massue, sa peau de lion, sa stature : c'est Hercule tout entier ! Eh quoi ! il est mort, lui, le fils de Jupiter ? Dis-moi, beau vainqueur, tu es mort ? Et moi qui, sur la terre, t'offrais des sacrifices, comme à un dieu !
Hercule
Tu avais raison : le véritable Hercule est dans le ciel avec les dieux ; il est l'époux d'Hébé aux pieds charmants : moi, je suis son ombre.
Diogène
Que dis-tu ? L'ombre d'un dieu ? Est-il possible qu'on soit dieu par une moitié et mort par l'autre ?
Hercule
Oui, l'autre Hercule n'est pas mort, mais seulement moi, qui suis son image.
Diogène
J'entends : il l'a donné comme remplaçant à Pluton, et tu tiens ici sa place.
Hercule
C'est quelque chose comme cela.
Diogène
Mais comment se fait-il qu'Eaque, ce juge sévère, n'ait pas reconnu que tu n'étais pas le véritable Hercule, et qu'il ait reçu l'Hercule supposé qui se présentait ?
Hercule
C'est que je lui ressemble à s'y méprendre.
Diogène
C'est juste : on peut croire que c'est tout à fait lui. Prends garde toutefois que ce ne soit le contraire, et qu'étant, toi, le véritable Hercule, ton simulacre ne soit l'époux d'Hébé chez les dieux.
Hercule
Tu es un impertinent et un bavard, et si tu ne cesses tes brocards contre moi, tu sauras bientôt de quel dieu je suis l'ombre.
Diogène
Oui, je te vois l'arc en main, prêt à tirer ; mais qu'ai-je à craindre de toi, une fois mort ? Cependant, dis-moi, au nom de ton Hercule, quand ce héros vivait, étais-tu placé près de lui comme son image, ou ne faisiez-vous qu'un seul être dans la vie ? Puis, maintenant que vous êtes morts, vous êtes-vous séparés, l'un pour revoler vers les dieux, et toi, l'image, pour descendre naturellement chez les morts ?
Hercule
Je devrais ne pas répondre un mot à un homme qui ne s'ingénie qu'à se moquer de moi. Toutefois écoute bien ceci : tout ce qui dans Hercule était l'oeuvre d'Amphitryon est mort, et c'est moi qui suis ce tout ; mais ce qui était de Jupiter vit dans le ciel avec les dieux.
Diogène
Je comprends à merveille. Alcmène, d'après ce que tu dis, est accouchée à la fois de deux Hercules, l'un fils d'Amphitryon, l'autre de Jupiter, et nous ne savions pas que vous étiez deux jumeaux, issus de la même mère.
Hercule
Mais non, imbécile ; nous étions tous les deux le même être.
Diogène
Il n'est pas facile de comprendre que deux Hercules n'en fissent qu'un ; à moins que vous ne fussiez, comme les Centaures, deux natures en une seule, homme et dieu.
Hercule
Tous les hommes ne te paraissent-ils pas composés de deux êtres, d'une âme et d'un corps ? Qui empêcherait que l'âme, émanée de Jupiter, ne fût dans le ciel, et que la partie mortelle ne fût chez les morts ?
Diogène
Oui, très excellent fils d'Amphitryon, tu aurais raison, si tu étais un corps ; mais tu n'es qu'une ombre, en sorte que tu cours le risque d'imaginer encore un triple Hercule.
Hercule
Pourquoi triple ?
Diogène
Voici pourquoi. S'il y a un Hercule dans le ciel et une ombre d'Hercule avec nous, puis sur le mont Oeta un corps qui n'est déjà plus que poussière, cela nous étonnerait : vois alors quel troisième père tu trouveras pour ce corps.
Hercule
Tu es un insolent et un sophiste. Comment t'appelles-tu ?
Diogène
L'ombre de Diogène de Sinope. Ma personne, j'en atteste Jupiter, n'est pas du tout chez les dieux immortels, mais parmi les meilleurs morts, où je ris d'Homère et de ses froides inventions.
Traduction d'Eugène Talbot (1857)