18. Ménippe et Mercure
Ménippe
Où sont donc, Mercure, les beaux garçons et les belles femmes ? Sers-moi de conducteur : je ne fais que d'arriver.
Mercure
Je n'ai pas le temps, Ménippe ; seulement regarde de ce côté, à ta droite, par ici, est Hyacinthe, Narcisse, Nirée, Achille, Tyro, Hélène, Lédà, en un mot, toutes les beautés des temps antiques.
Ménippe
Je ne vois que des os, des crânes décharnés, qui se ressemblent tous.
Mercure
Eh ! ce sont là ces beautés tant admirées des poètes, les mêmes os que tu parais si fort dédaigner.
Ménippe
Alors montre-moi donc Hélène : je ne saurais la reconnaître.
Mercure
Tiens ! c'est ce crâne-là qui est Hélène.
Ménippe
Comment ! c'est pour cela que les mille vaisseaux ont été rassemblés de tous les points de la Grèce, que tant de Grecs et dé Barbares sont tombés, que tant de villes ont été renversées ?
Mercure
Oui, mais tu n'as pas vu cette beauté quand elle était vivante ; tu aurais dit aussi : «Il est bien naturel que pour une pareille femme nous endurions de si longs malheurs». Ainsi, quand on voit des fleurs desséchées et privées de leur coloris, on les trouve sans grâce et sans charmes ; mais au moment où florissait leur éclat, elles semblaient ravissantes.
Ménippe
Et voilà justement, Mercure, ce qui m'étonne c'est que les Grecs n'aient pas compris qu'ils se donnaient tant de mal pour une beauté passagère et sitôt fanée.
Mercure
Je n'ai pas le temps, Ménippe, de philosopher avec toi : choisis la place où tu veux être, et t'y couche ; moi, je vais chercher d'autres morts.
Traduction d'Eugène Talbot (1857)