Centauresse

H. Roux, Herculanum et Pompéi, tome IV,
planche 80, pp.161 sqq (éd. 1875)

Encore une centauresse : il paraît que ce produit femelle de l'imagination antique, s'il fut postérieur à l'invention du mâle de la même espèce, n'en devint pas moins cher aux artistes. Zeuxis le premier peignit une centauresse allaitant ses petits, et Lucien nous a transmis une description fidèle de ce tableau : c'est même le peintre qui fut l'inventeur de son sujet (1) ; car, parmi les poètes, Ovide le premier parla des centaures femelles (2).

Sur la croupe de cavale est assise une jeune fille, couverte d'une tunique jaune, krokopeplos (3); et au thyrse qu'elle tient de la main gauche, à ses cheveux à demi flottants, on reconnaît facilement une Bacchante. La centauresse elle-même n'a qu'une draperie verte, qui, se repliant d'une manière élégante et capricieuse sur l'épaule gauche, va tomber sur ses reins. Les oreilles du monstre à demi femme ont ici une pointe bien marquée, caractère sauvage qui n'était point apparent dans la première centauresse (4) ; et qui, pour le tableau de Zeuxis, a été remarqué par Lucien, mais non par Philostrate. Du reste, on peut remarquer que, dans cette figure, l'attache du torse de femme avec le corps du quadrupède est moins heureusement faite, plus heurtée que dans la précédente.

La robe de la belle cavale est blanche ; et c'est une des couleurs les plus estimées. Les anciens voulaient des coursiers,

Leukoteroi chionos, theiein anemoisin omoioi (5),
Qui candore nives anteirent, cursibus auras (6),
Aussi blancs que la neige, aussi prompts que les vents.

Si Virgile paraît contredire cette assertion dans un autre endroit où il dit : Color est deterrimus albis (7), c'est que là il parle de l'étalon seul, et non des chevaux en général.

On remarquera enfin la guirlande, garnie de rubans et de glands, que la centauresse passe sous l'épaule et autour du cou de la Bacchante comme pour lui en faire une de ces écharpes que l'on appelait en grec upothumiades (8), en latin phalerae (9), et qui formaient encore un attribut bachique.

On ne doit voir dans ce groupe qu'un caprice de l'imagination du peintre : et pour soutenir que la centauresse joue avec une nymphe qui est sa fille, il faudrait ignorer la restitution du texte de Lucien faite par Gronovius, restitution de laquelle il résulte que les deux enfants de la centauresse de Zeuxis étaient deux jeunes centaures : d'où il suit que, selon la véritable tradition, les centauresses mettaient au jour des êtres semblables à elles, et non des nymphes ou des sylvains.


(1) Philostrat., Imag., II, a.
(2) Ovid., Met., XII, 404.
(3) Nonn., Dionys., XIV, 160.
(4) Planche 78.
(5) Homer., Iliad., X , 438.
(6) Virg., Aeneid., XII, 84.
(7) Virg., Georg., III, 82.
(8) Plutarch., Sympos., III, 1 ; Athen., XV, p. 678 et 688.
(9) Scheff., de Torq., XI.


Commentaire de M. L. Barré dans l'édition d'Herculanum et Pompéi mentionnée ci-dessus.