56. 4 Pourquoi donc, hommes vains, à l'esprit frivole (j'y veux revenir encore !), après avoir parlé - en impies - du «lieu supracéleste», avez-vous rabattu la piété sur le sol ? Pourquoi vous façonnez-vous des dieux terrestres, et vous adressez-vous à ces créatures plutôt qu'au dieu incréé, tombant ainsi dans de plus profondes ténèbres ? 5 Le marbre de Paros est beau, mais il n'est pas encore Poseidon ; l'ivoire est beau, mais ce n'est pas encore le Zeus d'Olympie ; toujours la matière a besoin de l'art, tandis que Dieu est sans besoin. L'art s'est présenté et la matière a revêtu une forme ; si la richesse de la substance en fait une marchandise dont on peut tirer profit, c'est la forme seule qui la rend vénérable. 6 Votre statue, c'est de l'or, c'est du bois, c'est de la pierre, c'est enfin, si vous remontez jusqu'au bout, de la terre, qui a reçu sa forme de l'artiste. Pour moi, je m'applique à marcher sur la terre, non pas à l'adorer ; car il ne m'est pas permis de jamais confier les espérances de mon âme à des choses inanimées.
57. 1 Approchez-vous donc le plus possible des statues, afin de vous habituer à déceler l'erreur d'un seul coup d'oeil. Leur extérieur présente la marque tout à fait claire des dispositions intérieures de vos démons. 2 Parcourt-on, pour les examiner, peintures et statues, on reconnaîtra sur-le-champ vos dieux à leurs attitudes honteuses, Dionysos à son vêtement. Hèphaistos à son métier, Dèo à son malheur, Ino à son voile, Poseidon à son trident, Zeus à son cygne ; le bûcher désigne Hèraclès, et si l'on voit peinte une femme nue, on pense à l'Aphrodite dorée. 3 C'est ainsi que Pygmalion de Chypre s'éprit d'une statue d'ivoire ; c'était celle d'Aphrodite et elle était nue ; subjugué par sa beauté, le Chypriote s'unit à la statue, à ce que raconte Philostéphanos. A Cnide, il y avait une autre Aphrodite, celle-ci de marbre, belle aussi ; un autre, s'en étant épris, a commerce avec ce marbre ; c'est Posidippe qui le raconte (le premier de ces auteurs dans son livre sur Chypre, le second, dans son livre sur Cnide). Tellement l'art a de force pour tromper, lui qui, pour les hommes épris d'amour, a été le corrupteur entraînant à l'abîme ! 4 La puissance créatrice des artistes a sans doute beaucoup d'influence, mais elle n'est pas capable de tromper un homme raisonnable ni certes ceux qui ont vécu selon le Logos : ce sont des pigeons, que le portrait ressemblant d'une colombe fit voler vers des tableaux ; ce sont des chevaux, qu'on vit hennir vers des cavales habilement peintes. On parle bien d'une jeune fille qui s'éprit d'un portrait, d'un beau jeune homme qui aima une statue de Cnide, mais l'art, quand ils les contemplaient, avait trompé leurs yeux. 5 Car personne dans son bon sens n'eût songé à s'unir à la statue d'une déesse, ni à s'enterrer avec une morte, ni à s'éprendre d'un démon et d'un marbre. Mais vous, l'art vous trompe et vous fascine d'une autre manière, en vous entraînant, sinon à l'amour, du moins au respect, à l'adoration des statues et des peintures. 6 La peinture est ressemblante ? Qu'on en loue l'art, mais qu'il ne trompe pas l'homme en se donnant pour la vérité ! Le cheval s'est arrêté sans broncher ; le pigeon est immobile, l'aile au repos ; la génisse de Dédale, en bois, a enflammé un taureau sauvage, et l'art qui a égaré l'animal l'a contraint ensuite de se jeter sur une femme éprise de lui !
Traduction de Claude Mondésert, Edition du Cerf, 1976, pp.120-122