William Holman Hunt - Eve of St Agnes (1848) |
ILa veille de la Sainte-Agnès, ah ! comme le froid était âpre !Le hibou, malgré toutes ses plumes, était perclus. Le lièvre boitait, tout tremblant, par l'herbe glacée Et silencieux était le troupeau dans son bercail laineux. Gourds étaient les doigts du diseur de chapelets Tandis qu'il égrenait son rosaire et que son souffle glacé Comme pieux encens montant d'un encensoir antique Semblait, avant la mort, s'envoler vers le ciel, Et passait devant l'image de la douce Vierge cependant qu'il disait sa prière. IIIl dit sa prière, ce patient, ce saint hommePuis prend sa lampe, se lève de sur ses genoux Et s'en vient, maigre, pieds nus, hâve, A petits pas au long des bas-côtés de la chapelle. De chaque côté les gisants sculptés semblaient transis Emprisonnés de sombres grilles de purgatoire ; Chevaliers, dames, mains jointes, priant en muettes oraisons Défilaient près de lui ; et son faible esprit défaille à songer Combien ils doivent souffrir sous ces casques et ces cottes de maille glacés. IIIIl se tourne vers le nord, prit une petite porte ;A peine a-t-il fait trois pas que la langue d'or de la musique Alanguit jusqu'aux larmes sa pauvre vieillesse ; Mais non, déjà son glas de mort avait sonné, Les joies de toute sa vie étaient dites et chantées, Il n'avait, lui, que la dure pénitence en la veille de Sainte-Agnès, Il prit un autre chemin et bientôt parmi Des cendres grises il s'assit pour le rachat de son âme Et toute la nuit veilla, pleurant pour la grâce des pécheurs. IVCe vieux diseur de chapelets entendit les suaves préludesCar plus d'une porte était grande ouverte Pour laisser passer la foule qui se hâtait. Bientôt d'en haut Tombèrent les rauques grondements des trompettes d'argent, Les vastes pièces déjà toutes glorieuses de la Sainte-Agnès Etaient ardentes pour recevoir un millier de convives ; Les angles sculptés aux yeux éternellement guetteurs Epiaient sous les corniches que soutenaient leurs fronts, Les cheveux soulevés comme par le vent, les ailes croisées sur la poitrine. VA la fin déborda la claire fête éblouissanteEn plumes, en diadèmes, et son riche déploiement Nombreux comme les féeriques voisins qui hantent Les cervelles juvéniles et les peuplent du gai triomphe Des vieilles légendes. Mais oublions ceux-là Et que notre seule pensée soit pour une dame Dont le coeur tout ce long jour d'hiver S'est repu d'amour et du saint culte de sainte Agnès ailée ; Maintes fois elle avait entendu les vieilles dames en parler. VIElles lui avaient dit comment la veille de Sainte-AgnèsLes jeunes vierges pouvaient avoir des visions délicieuses Et recevoir la douce adoration de leurs amoureux Vers l'heure de miel du milieu de la nuit Si elles savaient accomplir les rites propices ! Sans souper elles devaient reposer leurs beautés, S'allonger la face au ciel, tels des lys immaculés Nul regard en arrière ni autour d'elles, mais requérir Du ciel les yeux levés, tous leurs désirs, de la Sainte-Agnès. VIIToute à cette fantaisie était la pensive MadeleineEn vain la musique gémissait ; Comme un dieu supplicié d'amour ses divins yeux de vierge Fixés à terre voyaient bien plus d'une traîne bruissante Passer sans y prêter attention ; en vain S'approche à pas légers quelque bel amoureux Qui bientôt s'en va découragé mais non par un froid dédain, Car ses yeux, ne voyaient point ; son coeur était ailleurs Et soupirait après les songes d'Agnès, les plus doux de l'année. VIIIElle tournoyait les yeux vagues, sans pensées,La bouche tourmentée, la respiration rapide et oppressée, A l'approche de l'heure sainte, elle soupirait En entendant les tambourins, et parmi l'affluence serrée Des chuchotteurs mécontents ou joyeux, Et sous tous ses regards amoureux, défiants, envieux, méprisants Aveuglée par l'attente féerique, et comme morte A tout ce qui n'était pas sainte Agnès et ses agneaux aux blanches toisons Et toute cette joie qui serait sienne avant le jour. IXAinsi voulant à chaque moment partirElle s'attarde encore. Cependant à travers la lande s'avance Le jeune Porphyro, le coeur brûlant pour Madeline. Près du porche d'entrée Dans l'ombre massive portée par la lune il s'accoude et il implore Tous les saints de lui donner la vue de Madeline de la Sainte-Agnès Pour un instant seulement pendant ces heures interminables, Et qu'invisible il puisse en îa contemplant l'adorer Et peut-être lui parler à genoux, l'effleurer de la main, des lèvres, En vérité il advient parfois de pareilles choses ! XIl s'aventure - qu'aucun bruit chuchotteur ne le dénonceQue les yeux soient voilés ; ou bien cent lames Vont assaillir son coeur, citadelle du fiévreux amour, Ces salles regorgent pour lui de hordes barbares D'hyènes ennemies, de lords au sang trop chaud Dont les chiens eux-mêmes hurleraient exécration Sur toute sa lignée ; aucune poitrine ne lui accorderait pitié Dans toute cette maison impure Sinon une vieille, faible de corps et d'âme. XIOh ! favorable chance ! la vieille tremblotanteS'appuyant sur sa baguette à tête d'ivoire Se traîne jusqu'à lui qu'abritait contre la flamme des torches Un vaste pilier, très loin Des rumeurs joyeuses, et des chants suaves : Elle tressaille à sa vue ; mais en reconnaissant son visage Elle saisit ses doigts de sa main tremblante Et dit : Par pitié, Porphyro, enfuis-toi d'ici Ce soir elle est ici tout entière, la bande assoiffée de sang. XIIHors d'ici, hors d'ici ! Ne vois-tu pas Hildebrand le nain ;Pendant ses fièvres dernièrement il jetait ses malédictions Sur toi, les tiens, ta maison, tes biens, Puis il y a Maurice ce vieux lord, que ses cheveux gris N'ont pu refroidir. Malheur sur moi ! Va-t'en ! Fuis un fantôme ! - Ah ! chère commère, Ne sommes-nous pas en sûreté ici ? dans ce fauteuil laisse-moi choir Et dis-moi comment... - Saints du Ciel, pas ici, Suis-moi, mon enfant, ou, tu le verras, ces pierres deviendront ta tombe. XIIIIl suivit un chemin aux voûtes abaissées,Balayant les toiles d'araignées de ses hautes plumes Et tandis qu'elle murmurait encore ; Ah malheur ! ah malheur ! Il se trouva dans une petite chambre toute pleine de lune Blanche, lambrissée, froide et muette comme une tombe, - Et maintenant dites-moi où est Madeline, dit-il, O dites-moi, Angèle, par le saint métier Que nul ne peut voir, sauf les initiées du fraternel secret, Quand par elles la laine de sainte Agnès est tissée pieusement. XIVSainte Agnès ! ah ! c'est la veille de la Sainte-Agnès,Et cependant les hommes restent meurtriers même en ces jours sacrés, Il faudrait pouvoir retenir l'eau dans le tamis des sorcières Et être le tout-puissant seigneur des Elfes et des Fées, Pour t'aventurer ainsi ! Cela me remplit de stupeur De te voir, Porphyro, la veille de la Sainte-Agnès. Dieu m'aide ! ma dame jolie fait la magicienne, Ce soir - que les bons anges la déçoivent ! Mais laisse-moi rire en ce moment - j'ai moult temps de pleurer. XVFaiblement elle rit sous la lune alanguie,Pendant que Porphyro regarde fixement, Comme l'enfant perplexe regarde une vieille grand'mère Qui tient fermé le beau livre des merveilleuses énigmes, Tandis que ses besicles sur le nez elle siège au recoin de l'âtre, Mais ses yeux se mettent bientôt à briller, pendant qu'elle raconte. Le projet de sa dame, et il peut à peine l'entendre Sans larmes, à la pensée de ces froids maléfices, Et de Madeline assoupie au sein de légendes vieilles. XVIUne idée soudaine lui vint comme une rose épanouie,Empourprant tout son front, et dans son coeur endolori Fit un rouge tumulte, alors il proposa Un stratagème à la vieille qui la fit sursauter ; Tu es un homme impie et cruel : La jolie dame, laisse-la prier, sommeiller et rêver Seule avec les bons anges, bien loin Des mauvais hommes de ta sorte. Va - va - je ne te crois plus, Celui que tu me semblais être. XVII- Je ne lui ferai pas de mal, par les saints je le jure,S'écria Porphyro ; O puissé-je ne plus trouver grâce, Quand ma faible voix murmurera sa prière dernière, Si je déplace une de ses douces boucles, Si je regarde avec une passion brutale son visage, Bonne Angèle, croyez-moi, par ces larmes, Ou bien je vais dans l'espace d'un moment Eveiller, d'un horrible cri, les oreilles de mes ennemis, Et les défier, eussent-ils plus de crocs que des loups et des ours. XVIII- Ah ! pourquoi veux-tu effrayer une âme faible,Pauvre, dolente, frappée de paralysie, proche du cimetière, Dont le glas peut sonner avant minuit, Dont les prières pour toi, chaque matin et soir, N'ont jamais été oubliées, - Gémissant ainsi elle inspire De plus douces paroles au brûlant Porphyro, Si malheureux, si profondément affligé, Qu'Angèle promet qu'elle fera Tout ce qu'il désire, qu'il en advienne bien ou mal pour elle. XIXEt elle lui promet de l'amener, en profond secret,A la chambre même de Madeline, et de l'y cacher Dans un cabinet si privé Qu'il pût voir sa beauté sans être espionné Et gagner peut-être cette nuit une fiancée incomparable Pendant que les fées en légion dansent sur la courtepointe Et qu'un pâle enchantement tient ses paupières closes, Jamais en une nuit pareille ne se rencontrèrent des amants Depuis que Merlin paya à son démon toute la monstrueuse dette. XX- Ce sera comme tu le désires, dit la vieille,Des mets délicats, des friandises seront réunis là Vivement pour cette fête de nuit Tu verras son propre luth près du métier à broder. Nul temps à perdre, car je suis lente et faible, Osant à peine confier cette mission à ma tête étourdie. Attends ici, mon enfant, avec patience, agenouille-toi en prière Pendant ces temps - ah ! il faudra bien que tu épouses la dame, Ou puissé-je ne jamais quitter ma tombe d'entre les morts. XXICe disant, elle s'en alla en clopinant, tremblante de hâte et de peur.Les minutes interminables de l'amant s'écoulent avec lenteur. La bonne dame revient, et lui murmure à l'oreille De la suivre, ses yeux de vieille rendus hagards Par la crainte de voir luire des yeux dans les ténèbres. Par de sombres galeries, ils passent saufs, et atteignent enfin La chambre de la demoiselle, soyeuse, silencieuse et chaste Et Porphyro s'y blottit, tout joyeux. Son pauvre guide s'éloigne avec hâte, le cerveau frissonnant de fièvre. XXIILa main hésitante sur la rampe,La vieille Angèle cherchait des pieds les marches Quand Madeline, vierge charmée de sainte Agnès, Surgit comme un esprit annonciateur A la lumière d'un flambeau d'argent. Avec un soin pieux Elle revient, et conduit la vieille commère Jusqu'à un palier natté et sûr. Maintenant prépare, jeune Porphyro, tes regards pour cette couche, Elle vient, elle revient, telle une colombe effrayée qui s'enfuit. XXIIILe flambeau s'éteint comme elle rentre avec hâteSa légère fumée meurt dans le pâle clair de lune. Elle clôt la porte, elle palpite, soeur Des esprits de l'air, et des visions éperdues. Qu'aucune syllabe ne s'exhale, ou malheur à elle : Mais à son coeur, son coeur parlait profusément Endolorissant de son éloquence son flanc embaumé Tel un rossignol privé de voix enfle Son gosier en vain, et meurt dans un vallon étouffé par son coeur ! XXIVUne haute fenêtre dressait là ses trois arceauxToute enguirlandée de sculptures, De fruits, de fleurs et de gerbes de renouée Et losangée de vitres aux bizarres dessins, Aux nuances, aux taches splendides innombrables Comme les ailes d'une phalène tigrée de pourpre sombre Et au centre parmi cent emblèmes héraldiques Les saints crépusculaires, le blason pénombreux, Un bouclier armorié rougissait du sang de reines et de rois. XXVSur la croisée brillait en plein la lune d'hiver,Jetant de chaudes gueules sur le sein de Madeline Comme elle s'agenouillait pour demander au ciel grâce et bénédiction. Une rose lueur tombait sur ses mains unies en prière Et sur sa croix d'argent, une douceur d'améthyste, Et sur ses cheveux une auréole comme aux saintes ; Elle semblait un ange resplendissant, nouvellement paré Auquel seules manquent des ailes pour le ciel ; Porphyro se sentit défaillir, Elle était agenouillée, si pure, si dégagée de souillures mortelles. XXVIMais le coeur de Porphyro renaît ; ses prières du soir dites,De toutes ses perles tressées elle délivre ses cheveux. Détache un à un ses bijoux, tièdes de sa chair, Délace son corsage parfumé ; peu à peu Ses riches vêtements glissent en bruissant jusqu'aux genoux : La voilant à demi telle une sirène dans les algues, Pensive, un instant elle rêve tout éveillée, et imagine Qu'elle voit la belle sainte Agnès sur son lit Mais n'ose pas se retourner ou le charme va s'envoler. XXVIIBientôt tremblante de la douceur frileuse du nidComme en une sorte d'évanouissement conscient, elle repose perplexe, Jusqu'à ce que les chauds pavots du sommeil accablent Ses membres épuisés et son âme emportée de fatigue : Envolée comme une pensée jusqu'au jour prochain Délicieusement abrité dans ce port contre les joies et les douleurs, Close comme un missel où prient des païens basanés Défendus autant contre le soleil que la pluie Comme si une rose se refermait, et bouton redevenait. XXVIIIEntré furtivement dans ce paradis et tout extasiéPorphyro regarde longuement les vêtements vides de Madeline, Ecoute son souffle pour voir s'il ne devait pas Se transformer dans la tendre et profonde respiration du sommeil, Il respire alors lui-même ; et du réduit il se glisse Aussi silencieusement qu'un homme terrifié dans une vaste solitude Et sur le tapis sourd en silence il se glisse Et à travers les rideaux regarde : oh ! comme profondément elle dort ! XXIXAlors près du lit où la lune déclinanteFait un terne crépuscule d'argent, doucement il pose Une table et encore anxieux y jette Une étoffe tissée de pourpre, d'or, et de jais. O qui lui donnerait quelqu'endormeuse amulette de Morphée ! Le bruyant et joyeux clairon de ce minuit festoyant, Les timbales, et les lointaines clarinettes Vont effrayer son oreille, bien que les sons aillent en se mourant ; La porte de l'entrée se ferme de nouveau : tout bruit cesse. XXXEt elle dormait toujours, d'un sommeil, aux paupières azuréesDans le lin blanc, et doux et fleurant la lavande Pendant que de sa cachette il rapporte un monceau De pommes candies, de coings, de prunes, et de melons Avec des gelées plus douces que la crème caillée Et de radieux sirops au parfum de canelle, Du miel et des dattes apportés par des galions De Fez, et des friandises épicées venant toutes De la soyeuse Samarcande ou du Liban riche en cèdres. XXXIEt toutes ces délices il les entasse d'une main ardenteSur des plats d'or, et dans des corbeilles brillantes D'argent tressé, elles s'élèvent somptueuses Dans la retraite calme de la nuit, Emplissant la chambre fraîche de parfums légers : Et maintenant mon amour, mon clair chérubin, éveille-toi, Toi, tu es mon Ciel et moi ton ermite. Ouvre tes yeux de grâce, pour la douce sainte Agnès Ou près de toi, je vais m'assoupir tant mon âme est chargée de souffrance. XXXIIMurmurant ainsi, il glisse son bras chaud et fébrileSous les coussins. Le rêve de Madeline était abrité Par la nuit des rideaux ; c'était un philtre nocturne Plus difficile à rompre qu'un torrent gelé, Les étincelants plateaux reluisent sous la lune, Les larges franges dorées traînent sur les tapis, Jamais, jamais, lui semblait-il, il ne pourrait libérer D'un aussi magique emprisonnement les yeux de sa dame. Et ainsi rêva-t-il longtemps, emprisonné dans le réseau que tissait sa fantaisie. XXXIIIMais enfin, il sortit de sa torpeur, et saisit le luth creux,Et fiévreusement sur la tendre chanterelle Il joue une ancienne chanson, depuis longtemps oubliée, Appelée en Provence : la Belle Dame sans Mercy. Et près de son oreille il joue la mélodie, Qui la trouble, et doucement elle gémit. Il cesse, elle soupire plus fort et soudain Ses yeux bleus agrandis d'effroi brillent largement ouverts. Il tombe à genoux pâle comme la lisse pierre sculptée. XXXIVSes yeux étaient ouverts, mais elle gardait encoreBien que tout éveillée la vision de ses songes, Douloureux changement ! qui chassait ainsi Les délices profondes et pures de son rêve, La charmante Madeline commence à pleurer En balbutiant des mots dénués de sens avec tant de soupirs Et cependant son regard resta fixé sur Porphyro A genoux, mains jointes et les yeux pitoyables Il retient ses paroles et ses gestes tant elle avait l'air d'une qui rêve. XXXVAh ! Porphyro! dit-elle, il n'y a qu'un instantTa voix résonnait délicieusement à mon oreille : Faisant une tremblante harmonie de chacun de tes serments Tes tristes yeux étaient vivants, pleins de douceurs et clairs ! Quel changement t'advint ? comme tu es pâle, glacial et morne. Rends-moi ta voix que j'entendais, mon Porphyro, Ces regards infinis, ces plaintes trop aimées, Oh ! ne me laisse pas dans cette affliction sans fin Car si tu meurs, mon amour, que pourrais-je devenir ? XXXVIEmporté plus loin qu'une passion mortellePar ces voluptueux accents, il se lève Séraphique, rayonnant et tel une étoile qui palpite Dans le profond et calme saphir du ciel. Il pénètre son rêve comme la rose Confond son odeur avec celle des violettes : En un mélange enivrant et cependant la bise gelée souffle Et comme un signal d'alarme de l'Amour, le grésil aigu Crépite sur les croisées : la lune de Sainte-Agnès disparaît. XXXVIIIl fait sombre ; et sous les rafales retentit la pluie serrée.Ceci n'est pas un rêve, ô ma fiancée, ô Madeline, Il fait sombre ; les souffles glacés se déchaînent et frappent follement. Ceci n'est pas un rêve ? hélas ! hélas ! le malheur vient à moi, Porphyro me laisse ici m'étioler et dépérir, Cruel ! quel est le traître qui t'amena ici ? Je ne crie pas mes plaintes, car mon coeur est enfermé dans le tien, Bien que tu m'abandonnes et me trompes, Colombe délaissée et perdue aux ailes brisées. XXXVIIIMadeline ! ô bien-aimée ! douce rêveuse ! adorable fiancée !Dis, puis-je être toujours ton vassal bienheureux ? De ta beauté, le bouclier en forme de coeur et teint de pourpre ? Oh ! temple d'argent, c'est ici que je trouve le repos Après tant d'heures de peines et de poursuites. Je suis un pèlerin affamé et sauvé par miracle. L'ayant trouvé, je ne saurai rien dérober de ton nid Si ce n'est toi-même, ô douceur ! ne veux-tu pas te confier. Belle Madeline, à des mains fidèles et qui ignorent la violence ? XXXIXEcoute ! cette tempête enchantée nous vient du pays féerique !Elle semble folle de haine, elle n'est que bienfaisante, Lève-toi ! - lève-toi - le matin est proche. Les buveurs gonflés de vin ne prêteront nulle attention. Viens, mon amour ! que nous partions avec une hâte heureuse, Il n'y a point d'oreilles pour entendre, point d'yeux pour voir ; Ils sont tous noyés dans les vins Rhénois et les boissons assoupissantes, Eveille-toi ! lève-toi ! mon amour, et sois sans crainte, Car vers le sud au delà des Landes, ta demeure t'attend ! XLElle se hâte à ces mots, assaillie par mille terreurs.Car il y avait des dragons dormants autour d'elle Ou peut-être aux aguets, les yeux étincelants, les lances en avant. En bas des grands escaliers ils trouvent un chemin enténébré. Dans toute la maison, nul bruit humain ne s'entend. Au bout d'une chaîne une lampe se balance devant chaque porte. Les tapisseries riches de cavaliers, de faucons et de meutes Tremblent assiégées par les hurlements du vent, Et les longs tapis se soulèvent sur les parquets venteux... XLIIls glissent, tels des fantômes, dans le vaste hall,Tels des fantômes, sous le porche de fer ils se glissent. Là où le portier gît étendu plein de malaise, Près d'un profond pichet vidé, Le vigilant chien de garde se redresse, le cuir hérissé, Mais son oeil sagace a reconnu une habitante. Un par un, les verrous avec facilité cèdent, Les chaînes tombent silencieuses sur les pierres usagées. Les clés tournent, et la porte grince sur ses charnières. XLIIEt ils sont partis - oui, il y a bien longtempsQue ces amants s'enfuirent dans la tempête, Cette nuit-là, le baron rêva de malheurs sans nombre Et ses hôtes, les guerriers, torturés par des ombres et des formes De sorciers, de démons, de grandes larves de cimetières Se débattirent dans les cauchemars, Angèle, la vieille, Mourut tordue par une attaque, sa maigre face déformée, Le diseur de chapelets, après son millième Ave Pour toujours oublié s'endormit dans ces cendres glacées. |