Lycophron - Alexandra, v.16-19

Ἠὼς μὲν αἰπὺν ἄρτι Φηγίου πάγον
κραιπνοῖς ὑπερποτᾶτο Πηγάσου πτεροῖς,
Τιθωνὸν ἐν κοίτῃσι τῆς Κέρνης πέλας
λιποῦσα, τὸν σὸν ἀμφιμήτριον κάσιν.

Aurore à peine
Piton du Phégion,
Dans son lit
Tithon,

survolait l'abrupt
sur les promptes ailes de Pégase,
près de Cerné laissant
ton frère adultérin.


Trad. Cédric Chauvin et Christophe Cusset, 2008

L'à-peine lumière du jour par-delà l'abrupt figement de la colline aux chênes.
La clarté du matin -
Elle fendait l'air, se déployaient les saisissantes plumes du cheval,
près de Kernè le plus vieux des vieillards
il l'a laissé couché, ton frère par la ceinture défaite de ta mère.

Trad. Pascal Quignard,1971


Édouard s’agenouilla et se dit que son nom n’aurait pas dû être Pouce - encore qu’il fût gros comme Tom Pouce - et qu’il aurait dû lui suggérer de le nommer Tithon. Il se souvint d’une tabatière qu’il possédait dans le tiroir de la commode, dans sa chambre, à Anvers, dont l’avers portait en médaillon Tithon jeune, d’une beauté si éblouissante que l’Aurore l’enlève, et, sur le revers, Tithon devenu une cigale pathétique avec des cheveux blancs et une barbe blanche dans une petite cage d’osier.

Pascal Quignard - Les escaliers de Chambord (1989) - Gallimard, Folio p.239


Anne Brochet dans Tous les matins du monde - Alain Corneau (1991)


Marin Marais ôta ses mains de la couverture. Il recula jusqu'à s'adosser contre le mur de la chambre, dans l'ombre que faisait l'encoignure de la fenêtre. Il parlait tout bas :

- Vous m'en voulez ?

- Oui, Marin.

- Ce que j'ai fait jadis vous inspire encore de la haine contre moi ?

- Il n'y en a pas que pour vous, Monsieur ! J'ai nourri aussi des ressentiments contre moi. Je m'en veux de m'être laissée sécher tout d'abord par votre souvenir, ensuite par pure tristesse. Je ne suis plus que les os de Tithon !

Pascal Quignard - Tous les matins du monde (1991) - Gallimard, Folio p.103


La mélodie humaine nord-européenne investit de façon invisible et continue tous les lieux où les humains se rassemblent telle, jadis, la stridulation des cigales convoquant l'été.

Le chant appeau de l'été.

Le tarabust solaire.

*

Platon les nommait les Musiciennes. Les anciens Grecs aimaient tellement le chant des cigales qu'ils les mettaient en cage et les suspendaient dans leur maison.

*

Tithon, fils de Laomédon, frère aîné de Priam, était l'homme le plus beau qu'on pût trouver sur terre.

Aurore le vit. Elle l'enleva. Elle l'aimait. Elle supplia Zeus d'accorder l'immortalité à son amant. Zeus l'accorda au plus beau des hommes. Mais en formulant la demande, dans sa hâte, l'Aurore omit de préciser la jeunesse. Aussi, tandis que son amante demeurait identique à elle-même, Tithon vieillissait-il et se ratatinait-il. Aurore dut le mettre, comme un enfant gazouillant, dans une corbeille d'osier. Puis, quand le corps de son si vieil amant ne fut pas plus long qu'un doigt, elle le transforma en cigale. Le suspendant à une branche dans une cage, elle regardait son petit mari qui chantait sans finir.

Le matin, comme elle n'avait pu assouvir son désir avec la minucule poupée qu'était devenu son mari, la déesse pleurait. Les larmes d'Aurore forment les gouttes de la rosée.

Pascal Quignard - La haine de la musique (1996) - Gallimard, Folio p.277-278