Ulysse et les Sirène - Stamnos à figures rouges - 480-470 av.JC - British Museum
I/ Les Sirènes dans l'Odyssée
Dans le chant XII de l'Odyssée, les Sirènes constituent, avec Charybde et Scylla et les Roches Planctes, l'une des trois épreuves qui attendent Ulysse immédiatement après son départ de l'île de Circé. Voici l'avertissement de cette dernière (Odyssée, XII, 39-46) :
Σειρῆνας μὲν πρῶτον ἀφίξεαι, αἵ ῥά τε πάντας D'abord tu croiseras les Sirènes qui ensorcellent |
Tout le monde connaît la ruse inspirée à Ulysse par la déesse : après avoir bouché les oreilles de ses compagnons avec de la cire, il se fait lier au mât de son navire, pour pouvoir entendre ce chant merveilleux en toute sécurité. Voici ce chant (Odyssée, XII, 184-191) :
Ulysse lié au mât de son navire |
‘δεῦρ’ ἄγ’ ἰών, πολύαιν’ Ὀδυσεῦ, μέγα κῦδος Ἀχαιῶν, " Viens, Ulysse fameux, gloire éternelle de la Grèce, |
Averti par Circé, Ulysse passe sans encombre ; mais il est heureux qu'il se soit fait solidement attacher, car il n'a pas les pouvoirs surhumains d'un Orphée, et sans cette précaution il aurait rejoint sur les rochers les nombreuses victimes du chant des Sirènes.
II/ Orphée et les Sirènes
Le mythe d'Ulysse croise en effet souvent celui de Jason et des Argonautes ; l'épisode des Sirènes en particulier propose une variante intéressante. Dans ses Argonautiques, Apollonios de Rhodes raconte au IIIe siècle avant JC comment la nef Argo a pu franchir l'écueil sans l'aide d'une déesse telle que Circé. Plus tard, le poème des Argonautiques orphiques complète l'épisode en racontant, par la bouche d'Orphée, comment les Sirènes furent vaincues :
Apollonios de Rhodes, Argonautiques, IV, 885-919
Le lendemain, aussitôt que l'aurore eut frappé de ses rayons le sommet des cieux, on se rembarque à la faveur du zéphyr, on lève avec joie les ancres et on déploie les voiles. Le vent qui les enfle porte bientôt le vaisseau à la vue d'une île couverte de fleurs, et d'un aspect riant. Elle était habitée par les Sirènes, si funestes à ceux qui se laissent séduire par la douceur de leurs chants. Filles d'Achéloüs et de la Muse Terpsichore, elles accompagnaient autrefois Proserpine et l'amusaient par leurs concerts avant qu'elle eût subi le joug de l'hymen. Depuis, transformées en des monstres moitié femmes et moitié oiseaux, elles étaient retirées sur un lieu élevé, près duquel on pouvait facilement aborder. De là, portant de tous côtés leurs regards, elles tâchaient d'arrêter les étrangers qu'elles faisaient périr en les laissant consumer par un amour insensé. Les Argonautes, entendant leurs voix, étaient près de s'approcher du rivage, mais Orphée prenant en main sa lyre, charma tout à coup leurs oreilles par un chant vif et rapide qui effaçait celui des Sirènes, et la vitesse de leur course les mit tout à fait hors de danger. Le seul Butés, fils de Téléon, emporté tout d'abord par sa passion, se jeta dans la mer, et nageait en allant chercher une perte certaine, mais la déesse qui règne sur le mont Éryx, l'aimable Vénus, le retira des flots et le transporta près du promontoire Lilybée. Argonautiques orphiques, 1264-1290
Poursuivant notre course, nous doublâmes non loin de là un rocher élevé : cette roche, brisée à son sommet, s'avance dans la mer en larges cavernes sous lesquelles les flots noirs s'engouffrent en hurlant. C'est là que de jeunes filles, les sirènes, modulent les accents d'une douce voix et charment les hommes par la suavité de leurs chants. Les Myniens étaient charmés de les entendre ainsi ; ils ne voulaient pas naviguer plus loin et déjà ils avaient rejeté les rames, et Ancée avait dirigé le navire vers l'écueil le plus élevé lorsque je saisis ma lyre et je leur chantai les chants délicieux que j'avais appris de ma mère. Je touchai fortement les cordes de ma lyre pour en tirer des sons divins : je dis comment Neptune, irrité contre son père Jupiter, frappa la terre de son trident d'or et fit naître, à travers l'immense océan des îles maritimes qu'on appela Sardo, Eubée et Cypre, battues des vents. Je chantais, et sur leur sommet neigeux les sirènes restaient muettes d'étonnement ; leurs chants avaient cessé. L'une jeta sa flûte, l'autre jeta sa cithare, et elles soupirèrent profondément, car l'heure fatale de leur mort était venue. Du sommet des rochers elles se précipitèrent elles-mêmes dans les ondes mugissantes de l'abîme : leurs beaux corps dont les formes étaient si charmantes furent changés en rochers. |
III/ Développements du mythe
a) L'ascendance des Sirènes, leurs noms, leur nombre et leur aspect
Homère ne leur donne aucune ascendance et ne les décrit pas physiquement, ce qui peut laisser supposer qu'elles ont une forme humaine. En revanche, la forme duelle qu'il utilise au vers XII, 52 indique qu'elles ne sont que deux. Il reviendra aux poètes et mythographes postérieurs de compléter la légende et d'augmenter le nombre de ces créatures.
Les trois Sirènes musiciennes - Mosaïque du Bardo |
Ainsi le mythographe Apollodore, dans sa Bibliothèque (I, 7, 10) affirme-t-il qu'elles sont les filles du fleuve Achéloos et de Stéropé, l'une des Pléiades, mais dans l'Epitome il en fait plutôt les filles d'Achéloos et de la muse Melpomène. Elles sont trois, mi-femmes mi-oiseaux :
Apollodore - Epitomé, VII, 18-19(18) παραγενόμενος δὲ πρὸς Κίρκην ὑπ’ ἐκείνης προπεμφθεὶς ἀνήχθη, καὶ τὴν νῆσον παρέπλει τῶν Σειρήνων. αἱ δὲ Σειρῆνες ἦσαν Ἀχελῴου καὶ Μελπομένης μιᾶς τῶν Μουσῶν θυγατέρες, Πεισινόη Ἀγλαόπη Θελξιέπεια. τούτων ἡ μὲν ἐκιθάριζεν, ἡ δὲ ᾖδεν, ἡ δὲ ηὔλει, καὶ διὰ τούτων ἔπειθον καταμένειν τοὺς παραπλέοντας. (19) εἶχον δὲ ἀπὸ τῶν μηρῶν ὀρνίθων μορφάς. ταύτας παραπλέων Ὀδυσσεύς, τῆς ᾠδῆς βουλόμενος ὑπακοῦσαι, Κίρκης ὑποθεμένης τῶν μὲν ἑταίρων τὰ ὦτα ἔβυσε κηρῷ, ἑαυτὸν δὲ ἐκέλευσε προσδεθῆναι τῷ ἱστῷ. πειθόμενος δὲ ὑπὸ τῶν Σειρήνων καταμένειν ἠξίου λυθῆναι, οἱ δὲ μᾶλλον αὐτὸν ἐδέσμευον, καὶ οὕτω παρέπλει. ἦν δὲ αὐταῖς Σειρῆσι λόγιον τελευτῆσαι νεὼς παρελθούσης· αἱ μὲν οὖν ἐτελεύτων. 18. Il revint auprès de Circé, puis il mit à la voile, cap sur l’île des Sirènes. Filles d’Achéloos et d’une des Muses, Melpomène, les Sirènes s’appelaient Pisinoé, Aglaopé, Thelxiepia. L’une jouait de la lyre, une autre chantait, et l’autre jouait de la flûte ; grâce à quoi elles persuadaient les navigateurs de s’arrêter. De la taille aux pieds, elles avaient l’aspect d’oiseaux.19. Quand il passa devant elles, Ulysse voulut entendre leur chant ; suivant le conseil de Circé, il boucha les oreilles de ses compagnons avec de la cire, après quoi, il se fit attacher au mât. Comme le chant des Sirènes le persuadait de s’arrêter, il supplia ses compagnons de le détacher ; mais ils resserrèrent ses liens, et ainsi il put poursuivre sa route. Une prophétie disait que les Sirènes mourraient si un navire passait devant elles sans s’arrêter ; de fait, elles périrent. |
On trouve dans la mythologie des variations importantes sur leurs parents, leurs noms et leur nombre. Sans entrer dans ces détails, nous nous contenterons de citer ce qu'en dit le scholiaste V de l'Odyssée (XII, 39) :
κατὰ μὲν τοὺς πολλοὺς Ἀχελῴου καὶ Στερόπης τῆς Πορθάονος αἱ Σειρῆνες, κατ’ ἐνίους δὲ Ἀχελῴου καὶ Τερψιχόρης μιᾶς τῶν Μουσῶν. ἑλόμεναι δὲ παρθενίαν ἐμισήθησαν ὑπὸ Ἀφροδίτης καὶ ἔχουσαι πτερὰ ἀπέπτησαν εἰς τὸ Τυρρηνικὸν κλίμα, καὶ νῆσον κατέσχον Ἀνθεμοῦσσαν ὀνομαζομένην. ὀνόματα δὲ αὐτῶν Ἀγλαοφήμη, Θελξιέπεια, Πεισινόη καὶ Λίγεια. κατὰ δὲ Ὅμηρον δύο· Σειρήνοιν γὰρ λέγει. V. Pour beaucoup d'auteurs, les Sirènes étaient les filles d'Achéloos et de Stéropé fille de Porthaon ; mais pour quelques autres, elles étaient filles d'Achéloos et de Terpsichore, l'une des Muses. Comme elles avaient choisi de rester vierges, elles furent prises en haine par Aphrodite ; elles reçurent des ailes, s'envolèrent vers la région tyrrhénienne et s'installèrent sur une île nommée Anthemoussa (la fleurie). Elles s'appelaient Aglaophémé, Thelxiépie, Pisinoé et Ligie. Pour Homère, elles sont deux : il dit en effet Σειρήνοιν. |
b) L'événement à l'origine de leur métamorphose
Le scholiaste ci-dessus suggère que la raison de leur métamorphose fut la colère d'Aphrodite, la déesse de l'amour. Mais on trouve d'autres explications possibles :
Hygin, Fable 141SIRENES1. Sirenes Acheloi fluminis et Melpomenes Musae filiae Proserpinae raptu aberrantes ad Apollinis terram uenerunt, ibique Cereris uoluntate, quod Proserpinae auxilium non tulerant, uolaticae sunt factae. Les Sirènes, filles du fleuve Achéloos et de la muse Melpomène, erraient à l'aventure après l'enlèvement de Proserpine et parvinrent à la terre d'Apollon. Là, par la volonté de Cérès qui leur reprochait de ne pas être venues en aide à Proserpine, elles furent métamorphosées en oiseaux. Ovide, Métamorphoses, XV, 552 sqq
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c) Le lieu où elles se trouvent
Répondant à tous ceux qui ont tenté de localiser non seulement l'île des Sirènes mais de manière plus générale toutes les étapes des voyages d'Ulysse, le géographe Eratosthène a clos définitivement le débat : il s'agit d'inventions poétiques. Chercher des localisations réalistes n'a aucun intérêt et conduit souvent à forcer les textes :
Strabon - Géographie, I, 2, 11-12(11.) Δεῖ δὲ ταῦτα προϋποθέμενον σκοπεῖν τί λέγουσιν οἱ φήσαντες περὶ Σικελίαν ἢ Ἰταλίαν γενέσθαι τῷ Ὀδυσσεῖ τὴν πλάνην καθ’ Ὅμηρον· ἔστι γὰρ ἀμφοτέρως τοῦτο δέξασθαι, καὶ βέλτιον καὶ χεῖρον· βέλτιον μέν, ἂν οὕτω [τις] δέχηται ὅτι πεισθεὶς ἐκεῖ τὴν πλάνην τῷ Ὀδυσσεῖ γενέσθαι, λαβὼν ἀληθῆ ταύτην τὴν ὑπόθεσιν ποιητικῶς διεσκεύασε· τοῦτο γὰρ οἰκείως ἂν λέγοιτο περὶ αὐτοῦ· καὶ οὐ μόνον γε περὶ Ἰταλίαν, ἀλλὰ καὶ μέχρι τῶν ἐσχάτων τῆς Ἰβηρίας ἐστὶν εὑρεῖν ἴχνη τῆς ἐκείνου πλάνης καὶ ἄλλων πλειόνων. χεῖρον δέ, ἐάν τις καὶ τὴν διασκευὴν ὡς ἱστορίαν δέχηται, ἐκείνου ὠκεανὸν καὶ ᾅδην καὶ Ἡλίου βόας καὶ παρὰ θεαῖς ξενίας καὶ μεταμορφώσεις καὶ μεγέθη Κυκλώπων καὶ Λαιστρυγόνων καὶ μορφὴν Σκύλλης καὶ διαστήματα πλοῦ καὶ ἄλλα πλείω τοιαῦτα τερατογραφοῦντος φαπλοῦ καὶ ἄλλα πλείω τοιαῦτα τερατογραφοῦντος φανερῶς. οὔτε δὲ πρὸς τοῦτον ἄξιον ἀντιλέγειν οὕτω φανερῶς καταψευδόμενον τοῦ ποιητοῦ, καθάπερ οὐδ’ εἰ φαίη τοῦτον τὸν τρόπον γενέσθαι τὸν εἰς τὴν Ἰθάκην κατάπλουν τοῦ Ὀδυσσέως καὶ τὴν μνηστηροφονίαν καὶ τὴν ἐπὶ τοῦ ἀγροῦ συστᾶσαν μάχην τοῖς Ἰθακησίοις πρὸς αὐτόν, οὔτε πρὸς τὸν δεξάμενον οἰκείως προσπλέκεσθαι δίκαιον. 11. Cela posé, examinons ce que veulent dire ceux qui ont prétendu qu'il fallait chercher dans les parages de la Sicile ou de l'Italie le théâtre attribué par Homère aux erreurs d'Ulysse. La chose en effet peut s'entendre de deux façons, bien ou mal : bien, si l'on conçoit qu'Homère, sérieusement convaincu de la réalité des courses d'Ulysse dans ces parages, a accepté cette donnée comme vraie historiquement, mais l'a traitée avec la libre imagination d'un poète (et l'on est d'autant plus autorisé à croire que c'est là ce qu'a fait Homère qu'aujourd'hui encore on retrouve, non seulement en Italie, mais jusqu'aux derniers confins de l'Ibérie, les traces du passage d'Ulysse et de celui de maint autre héros) ; mal, si l'on veut voir de l'histoire dans de pures fictions, sans reconnaître, ce qui pourtant saute aux yeux, qu'en parlant comme il fait de l'Océan, de l'Enfer, des Boeufs du Soleil, du séjour d'Ulysse et des métamorphoses de ses compagnons dans le palais des déesses, de la stature colossale des Cyclopes et des Laestrygons, de la figure monstrueuse de Scylla, des distances énormes parcourue par le vaisseau d'Ulysse et de mainte autre circonstance analogue, Homère emploie à dessein le merveilleux poétique. Or, suivant nous, l'homme qui peut méconnaître à ce point les procédés du poète ne mérite pas même qu'on le réfute, car il n'eût pas fait pis en affirmant que le retour d'Ulysse dans Ithaque, le massacre des prétendants et le combat du héros contre les Ithaciens hors de l'enceinte de la ville se sont réellement passés comme le raconte Homère ; et d'autre part il nous paraît souverainement injuste qu'on vienne chercher querelle à ceux qui entendent le poète ainsi qu'il faut l'entendre. (12.) Ὁ Ἐρατοσθένης δὲ πρὸς ἀμφοτέρας τὰς ἀποφάσεις ἀπήντηκεν οὐκ εὖ· πρὸς μὲν τὴν δευτέραν, ὅτι πειρᾶται διαβάλλειν φανερῶς ψευδῆ καὶ οὐκ ἄξια λόγου διὰ μακρῶν, πρὸς δὲ τὴν προτέραν, ποιητήν τε ἅπαντα ἀποφήνας φλύαρον καὶ μήτε τόπων ἐμπειρίαν μήτε τεχνῶν πρὸς ἀρετὴν συντείνειν νομίσας· τῶν τε μύθων τῶν μὲν ἐν τόποις οὐ πεπλασμένοις πεφημισμένων, οἷον ἐν Ἰλίῳ καὶ Ἴδῃ καὶ Πηλίῳ, τῶν δὲ ἐν πεπλασμένοις, καθάπερ ἐν οἷς αἱ Γοργόνες ἢ ὁ Γηρυόνης, ταύτης φησὶ τῆς ἰδέας εἶναι καὶ τοὺς κατὰ τὴν Ὀδυσσέως πλάνην λεγομένους, τοὺς δὲ μὴ πεπλάσθαι λέγοντας ἀλλ’ ὑποκεῖσθαι ἐξ αὐτοῦ τοῦ μὴ συμφωνεῖν ἐλέγχεσθαι ψευδομένους· τὰς γοῦν Σειρῆνας τοὺς μὲν ἐπὶ τῆς Πελωριάδος καθιδρύειν, τοὺς δὲ ἐπὶ τῶν Σειρηνουσσῶν πλείους ἢ δισχιλίους διεχουσῶν σταδίους· εἶναι δ’ αὐτὰς σκόπελον τρικόρυφον διείργοντα τὸν Κυμαῖον καὶ Ποσειδωνιάτην κόλπον. ἀλλ’ οὔθ’ ὁ σκόπελος οὗτος ἐστὶ τρικόρυφος οὔθ’ ὅλως κορυφοῦται πρὸς ὕψος, ἀλλ’ ἀγκών τις ἔκκειται μακρὸς καὶ στενὸς ἀπὸ τῶν κατὰ Συρρεντὸν χωρίων ἐπὶ τὸν κατὰ Καπρίας πορθμόν, ἐπὶ θάτερα μὲν τῆς ὀρεινῆς τὸ τῶν Σειρήνων ἱερὸν ἔχων, ἐπὶ θάτερα δὲ πρὸς τῷ Ποσειδωνιάτῃ κόλπῳ νησίδια τρία προκείμενα ἔρημα πετρώδη, ἃ καλοῦσι Σειρῆνας, ἐπ’ αὐτῷ δὲ τῷ πορθμῷ τὸ Ἀθήναιον, ᾧπερ ὁμωνυμεῖ καὶ ὁ ἀγκὼν αὐτός. 12. C'est pourtant là ce que fait Eratosthène en condamnant l'un et l'autre modes d'interprétation, mais dans les deux cas il a tort : tort dans le second cas, en ce qu'il prend la peine de réfuter longuement des mensonges notoires et qui ne méritaient pas même un mot de réfutation ; tort dans le premier cas en ce qu'il traite toute poésie de bavardage frivole, qu'il dénie aux connaissances techniques ou géographiques toute efficacité pour former les âmes à la vertu, et que, distinguant les fables en deux classes, suivant qu'elles se rattachent à un théâtre réel, comme Ilion, l'Ida ou le Pélion, ou à un théâtre imaginaire, comme le séjour des Gorgones ou celui de Géryon, il n'hésite pas à ranger dans cette deuxième catégorie le théâtre des erreurs d'Ulysse, prenant même à partie ceux qui le tiennent pour un emplacement réel et nullement fictif, et concluant de leur désaccord sur tel ou tel point secondaire que ce sont d'effrontés menteurs ; c'est ainsi qu'il triomphe de ce qu'on place les Sirènes tantôt sur le Pélorias, tantôt sur les Sirénusses, à plus de 2000 stades de là, tandis qu'à l'entendre le nom de Sirènes désigne ce rocher à triple pointe qui sépare le golfe de Cumes du golfe Posidoniate. Mais d'abord ledit rocher n'a pas trois pointes, il n'offre même pas à proprement parler de pointe élevée ou de promontoire, car la côte entre Surrentum et le détroit de Caprées décrit une espèce de coude allongé et étroit, avec le temple des Sirènes sur l'un des deux versants et au pied de l'autre versant, c'est-à-dire du versant du golfe Posidoniate, trois îlots déserts et rocheux, qui sont ce qu'on nomme proprement les Sirènes, tandis que sur le bord même du détroit s'élève un Athenaeum ou temple de Minerve qui donne son nom au coude tout entier. |
d) Leur destin après le passage d'Ulysse et/ou d'Orphée
Une Sirène se jette dans la mer |
Hygin - Fable 141, 2-32. His responsum erat tam diu eas uicturas quam diu cantantes eas audiens nemo esset praeteruectus. quibus fatalis fuit Vlixes; astutia enim sua cum praenauigasset scopulos in quibus morabantur, praecipitarunt se in mare. 3 A quibus locus Sirenides cognominatur, qui est inter Siciliam et Italiam. On leur avait prédit que leur pouvoir durerait aussi longtemps que leurs chants seraient capables d'arrêter la route des marins qui les entendraient ; mais Ulysse leur fut fatal. Comme sa ruse lui avait permis de dépasser les rochers sur lesquels elles demeuraient, elles se précipitèrent dans la mer. Ce lieu prit le nom de rocher des Sirènes, et se trouve entre la Sicile et l'Italie. Strabon - Géographie, VI, 1, 1ἐντεῦθεν δ’ ἐκπλέοντι τὸν κόλπον νῆσος Λευκωσία, μικρὸν ἔχουσα πρὸς τὴν ἤπειρον διάπλουν, ἐπώνυμος μιᾶς τῶν Σειρήνων, ἐκπεσούσης δεῦρο μετὰ τὴν μυθευομένην ῥῖψιν αὐτῶν εἰς τὸν βυθόν. Hors du golfe [Posidoniate], en pleine mer, bien qu'à une faible distance encore du continent, est l'île de Leucosie, ainsi nommée parce que la sirène Leucosie, après s'être, comme nous dit la fable, précipitée à la mer avec ses compagnes, aurait été par le mouvement des flots rejetée sur ses rivages. Strabon - Géographie, V, 4, 7Μετὰ δὲ Δικαιάρχειάν ἐστι Νεάπολις Κυμαίων (ὕστερον δὲ καὶ Χαλκιδεῖς ἐπῴκησαν καὶ Πιθηκουσσαίων τινὲς καὶ Ἀθηναίων, ὥστε καὶ Νεάπολις ἐκλήθη διὰ τοῦτο), ὅπου δείκνυται μνῆμα τῶν Σειρήνων μιᾶς Παρθενόπης. A Dicaearchie succède Neapolis, ville fondée également par les Cumaeens, mais accrue plus tard de nouveaux colons venus en partie de Chalcis, en partie aussi des îles Pithécusses et d'Athènes, ce qui lui fit donner ce nom de Ville-Neuve ou de Neapolis. On voit dans cette ville le tombeau de Parthénopé, l'une des Sirènes. Pausanias - Periegesis, IX, 34, 3Κορώνεια δὲ παρείχετο μὲν ἐς μνήμην ἐπὶ τῆς ἀγορᾶς Ἑρμοῦ βωμὸν Ἐπιμηλίου, τὸν δὲ ἀνέμων. κατωτέρω δὲ ὀλίγον Ἥρας ἐστὶν ἱερὸν καὶ ἄγαλμα ἀρχαῖον, Πυθοδώρου τέχνη Θηβαίου, φέρει δὲ ἐπὶ τῇ χειρὶ Σειρῆνας· τὰς γὰρ δὴ Ἀχελῴου θυγατέρας ἀναπεισθείσας φασὶν ὑπὸ Ἥρας καταστῆναι πρὸς τὰς Μούσας ἐς ᾠδῆς ἔργον· αἱ δὲ ὡς ἐνίκησαν, ἀποτίλασαι τῶν Σειρήνων τὰ πτερὰ ποιήσασθαι στεφάνους ἀπ’αὐτῶν λέγονται. [3] A Coronée on voit dans le marché un autel de Mercure Epimélius, un autre autel consacré aux vents, et un peu plus bas un temple de Junon, où il y a une statue fort ancienne faite par Pythodore de Thèbes. La déesse porte des Sirènes sur sa main ; car on dit que ces filles de l'Achéloüs, encouragées par Junon, prétendirent à la gloire de chanter mieux que les Muses et osèrent les défier au combat ; mais que les Muses les ayant vaincues, leur arrachèrent les plumes des ailes et s'en firent des couronnes. |
IV/ Des créatures chthoniennes liées à Perséphone/Proserpine
Quelles que soient les légendes qui leur donnent une caractérisation particulière, il faut insister sur le fait que les Sirènes sont à l'évidence des créatures liées aux Enfers et à Perséphone. On en trouve la preuve en particulier dans ce texte d'Euripide, et surtout dans le nombre considérable de représentations de Sirènes funéraires :
Euripide - Hélène, 164-179
HÉLÈNE |
Sirène funéraire portant une âme |
Et pour compléter
Références des traductions
- Traductions de l'Odyssée : Philippe Jaccottet (1955)
- Traduction d'Apollonios de Rhodes : J.J.A. Caussin (1841) sur le site de Philippe Remacle
- Traduction des Argonautiques orphiques : Ernest Falconnet (1842) sur le site de Philippe Remacle
- Traduction de l'Epitome d'Apollodore : Ugo Bratelli (2004) sur Nimispauci
- Traduction du scholiaste de l'Odyssée : Agnès Vinas (2009)
- Traductions des Fables d'Hygin : Agnès Vinas (2009)
- Traduction des Métamorphoses d'Ovide : Puget, Guiard, Chevriau et Fouquer (1876) sur ce site Méditerranées
- Traductions de Strabon : Amédée Tardieu (1867) sur ce site Méditerranées
- Traductions de Pausanias : abbé Gédoyn (1731) sur ce site Méditerranées
- Traduction de l'Hélène d'Euripide : M. Artaud (1842) sur le site de Philippe Remacle