Le cheval de Troie
Amphore funéraire en terre cuite - Milieu VIIe s. av.JC
© Barbara F. McManus

Si l'Iliade ne mentionne pas l'épisode du cheval de Troie puisqu'elle s'arrête après la mort d'Hector, l'Odyssée en revanche y fait deux allusions intéressantes.

Dans la première (IV, v.271-289), Télémaque rend visite à Ménélas et à Hélène de Sparte, en quête de nouvelles de son père. Hélène lui raconte comment, pendant le siège de Troie, elle vit Ulysse, introduit subrepticement dans la ville. Ménélas enchaîne alors, et raconte un autre exploit d'Ulysse, dont il fut témoin pendant la dernière nuit de Troie, alors que les plus valeureux des Achéens se trouvaient à l'intérieur du cheval de bois et qu'Hélène recourait à la ruse pour les débusquer. Mais il est remarquable de constater que si Ulysse parvient à contrer efficacement le stratagème d'Hélène, comme il le fera plus tard en résistant au chant des Sirènes, il n'est pas désigné comme le concepteur du stratagème du cheval.

Le deuxième épisode se situe chez les Phéaciens (VIII, v.492-495). Ulysse ne leur a pas encore révélé sa véritable identité. Mais voilà que s'avance l'aède Démodocos : Ulysse le met au défi de raconter l'histoire du cheval, et Démodocos, inspiré par les dieux, conte la dernière nuit de Troie, au point qu'Ulysse, submergé par l'émotion, se met à pleurer. Cette fois encore, Ulysse est présenté comme un héros qui conduit les Achéens dans une mission périlleuse, mais le texte indique que le constructeur du cheval, Epeios, a été assisté par Athéna. Rien ne dit explicitement que ce soit sur une idée d'Ulysse.

οἷον καὶ τόδ᾽ ἔρεξε καὶ ἔτλη καρτερὸς ἀνὴρ
ἵππωι ἔνι ξεστῶι, ἵν᾽ ἐνήμεθα πάντες ἄριστοι
Ἀργείων Τρώεσσι φόνον καὶ κῆρα φέροντες.
ἦλθες ἔπειτα σὺ κεῖσε· κελευσέμεναι δέ σ᾽ ἔμελλε
δαίμων, ὃς Τρώεσσιν ἐβούλετο κῦδος ὀρέξαι·
καί τοι Δηΐφοβος θεοείκελος ἕσπετ᾽ ἰούσηι.
τρὶς δὲ περίστειξας κοῖλον λόχον ἀμφαφόωσα,
ἐκ δ᾽ ὀνομακλήδην Δαναῶν ὀνόμαζες ἀρίστους,
πάντων Ἀργείων φωνὴν ἴσκουσ᾽ ἀλόχοισιν.
αὐτὰρ ἐγὼ καὶ Τυδεΐδης καὶ δῖος Ὀδυσσεὺς
ἥμενοι ἐν μέσσοισιν ἀκούσαμεν ὡς ἐβόησας.
νῶι μὲν ἀμφοτέρω μενεήναμεν ὁρμηθέντε
ἢ ἐξελθέμεναι, ἢ ἔνδοθεν αἶψ᾽ ὑπακοῦσαι·
ἀλλ᾽ Ὀδυσεὺς κατέρυκε καὶ ἔσχεθεν ἱεμένω περ.
ἔνθ᾽ ἄλλοι μὲν πάντες ἀκὴν ἔσαν υἷες Ἀχαιῶν,
Ἄντικλος δὲ σέ γ᾽ οἶος ἀμείψασθαι ἐπέεσσιν
ἤθελεν. ἀλλ᾽ Ὀδυσεὺς ἐπὶ μάστακα χερσὶ πίεζεν
νωλεμέως κρατερῆισι, σάωσε δὲ πάντας Ἀχαιούς·
τόφρα δ᾽ ἔχ᾽, ὄφρα σε νόσφιν ἀπήγαγε Παλλὰς Ἀθήνη.

Voici un autre exploit qu'accomplit ce vaillant guerrier
dans le cheval de bois où nous gîtions, toute l'élite
des Grecs, portant la mort et le meurtre aux Troyens.
Tu vins [Hélène] où nous étions ; sans doute t'y avait poussée
quelque divinité qui voulait la gloire de Troie ;
et Déiphobe égal aux dieux s'avançait sur tes pas.
Ayant tourné trois fois autour du piège en le tâtant,
tu appelas chacun par son nom les princes d'Argos
en imitant la voix de leurs épouses ;
moi cependant, le fils de Tydée et Ulysse,
nous étions là au milieu d'eux à écouter ta voix ;
et déjà, tous les deux, nous nous levions, ne songeant plus
qu'à bondir au-dehors ou à répondre sans attendre ;
mais Ulysse, malgré notre désir, nous refréna.
Les fils des Grecs restaient ainsi tous sans mot dire,
hors Anticlos qui s'apprêtait encore à te répondre ;
mais Ulysse lui mit ses deux fortes mains sur la bouche
et le contint, pour le salut de tous les Grecs,
jusqu'à ce que Pallas Athéna t'éloignât.


ἀλλ᾽ ἄγε δὴ μετάβηθι καὶ ἵππου κόσμον ἄεισον
δουρατέου, τὸν Ἐπειὸς ἐποίησεν σὺν Ἀθήνηι,
ὅν ποτ᾽ ἐς ἀκρόπολιν δόλον ἤγαγε δῖος Ὀδυσσεὺς
ἀνδρῶν ἐμπλήσας οἵ ῥ᾽ Ἴλιον ἐξαλάπαξαν.

Mais, changeant de sujet, chante l'histoire du cheval
qu'Épeios, assisté d'Athéna, construisit,
ce traquenard qu'Ulysse conduisit à l'acropole
encombrée des soldats qui allaient piller Troie.

Voici à présent le résumé que donne Proclus, dans sa Chrestomathie, de l'épisode du cheval dans deux oeuvres perdues du Cycle homérique : la Petite Iliade de Lesches de Mitylène, et l'Iliou Persis d'Arctinos :

καὶ οἱ Τρῶες πολιορκοῦνται. καὶ Ἐπειὸς κατ’ Ἀθηνᾶς προαίρεσιν τὸν δούρειον ἵππον κατασκευάζει. Ὀδυσσεύς τε αἰκισάμενος ἑαυτὸν κατάσκοπος εἰς Ἴλιον παραγίνεται, καὶ ἀναγνωρισθεὶς ὑφ’ Ἑλένης περὶ τῆς ἁλώσεως τῆς πόλεως συντίθεται κτείνας τέ τινας τῶν Τρώων ἐπὶ τὰς ναῦς ἀφικνεῖται. καὶ μετὰ ταῦτα σὺν Διομήδει τὸ παλλάδιον ἐκκομίζει ἐκ τῆς Ἰλίου. ἔπειτα εἰς τὸν δούρειον ἵππον τοὺς ἀρίστους ἐμβιβάσαντες τάς τε σκηνὰς καταφλέξαντες οἱ λοιποὶ τῶν Ἑλλήνων εἰς Τένεδον ἀνάγονται. οἱ δὲ Τρῶες τῶν κακῶν ὑπολαβόντες ἀπηλλάχθαι τόν τε δούρειον ἵππον εἰς τὴν πόλιν εἰσδέχονται, διελόντες μέρος τι τοῦ τείχους, καὶ εὐωχοῦνται ὡς νενικηκότες τοὺς Ἕλληνας.

[Petite Iliade] Les Troyens subissent un siège et Epeios, à l'initiative d'Athéna, construit le cheval de bois. Ulysse se défigure lui-même et se rend à Troie pour espionner ; reconnu par Hélène, il complote la prise de la ville. Puis après avoir tué quelques Troyens, il retourne aux navires. Après quoi, avec Diomède il emporte le Palladium hors d'Ilion. Ensuite, après avoir fait monter les meilleurs guerriers dans le cheval de bois, le reste des Grecs met le feu aux tentes et fait voile vers Ténédos. Les Troyens, s'imaginant qu'ils sont délivrés de leurs maux, accueillent le cheval de bois dans la ville après avoir abattu un pan de muraille et célèbrent par un festin ce qu'ils croient être leur victoire sur les Grecs.

ὡς τὰ περὶ τὸν ἵππον οἱ Τρῶες ὑπόπτως ἔχοντες περιστάντες βουλεύονται ὅ τι χρὴ ποιεῖν· καὶ τοῖς μὲν δοκεῖ κατακρημνίσαι αὐτόν, τοῖς δὲ καταφλέγειν, οἱ δὲ ἱερὸν αὐτὸν ἔφασαν δεῖν τῇ Ἀθηνᾷ ἀνατεθῆναι· καὶ τέλος νικᾷ ἡ τούτων γνώμη. τραπέντες δὲ εἰς εὐφροσύνην εὐωχοῦνται ὡς ἀπηλλαγμένοι τοῦ πολέμου. ἐν αὐτῷ δὲ τούτῳ δύο δράκοντες ἐπιφανέντες τόν τε Λαοκόωντα καὶ τὸν ἕτερον τῶν παίδων διαφθείρουσιν. ἐπὶ δὲ τῷ τέρατι δυσφορήσαντες οἱ περὶ τὸν Αἰνείαν ὑπεξῆλθον εἰς τὴν Ἴδην. καὶ Σίνων τοὺς πυρσοὺς ἀνίσχει τοῖς Ἀχαιοῖς, πρότερον εἰσεληλυθὼς προσποίητος. οἱ δὲ ἐκ Τενέδου προσπλεύσαντες καὶ οἱ ἐκ τοῦ δουρείου ἵππου ἐπιπίπτουσι τοῖς πολεμίοις καὶ πολλοὺς ἀνελόντες τὴν πόλιν κατὰ κράτος λαμβάνουσι.

[Destruction de Troie] Rassemblés autour du cheval, les Troyens méfiants débattent sur ce qu'il faut faire. Les uns sont d'avis de le démolir, les autres de le brûler et d'autres de l'offrir en offrande à Athéna. Finalement, c'est ce dernier avis qui l'emporte. Puis ils se livrent aux réjouissances et fêtent ce qu'ils croient être la fin de la guerre. Mais précisément à ce moment-là, deux serpents apparaissent et font périr Laocoon et l'un de ses enfants : alarmés par ce prodige, les partisans d'Enée s'enfuient sur l'Ida. Sinon envoie un signal de feu aux Achéens après s'être introduit dans la ville par une feinte. Les uns, revenus à la voile de Ténédos et les autres sortis du cheval tombent sur les ennemis, en massacrent un grand nombre et prennent la ville par la force.

Ainsi, ce qui nous reste du Cycle n'attribue pas davantage l'idée du cheval à Ulysse. Le peu qui subsiste des tragiques semble confirmer cette constatation : le constructeur du cheval s'appelle Epeios, il a été aidé ou même conseillé par Athéna, ennemie des Troyens, puis Ulysse a pris la direction des opérations, en persuadant les plus valeureux des chefs achéens de se cacher dans le cheval. A la fin du Ier siècle avant JC, Virgile (Enéide, II, 13 sqq) et Hygin (fable 108) s'alignent sur cette tradition.

Fracti bello fatisque repulsi
ductores Danaum, tot iam labentibus annis,
instar montis equum diuina Palladis arte
aedificant, sectaque intexunt abiete costas :
uotum pro reditu simulant ; ea fama uagatur.
Huc delecta uirum sortiti corpora furtim
includunt caeco lateri, penitusque cauernas
ingentis uterumque armato milite complent.

Brisés par la guerre et refoulés par les destins,
les chefs des Danaens, après tant d'années écoulées déjà,
fabriquent, inspirés par la divine Pallas, un cheval haut
comme une montagne, aux flancs de planches de sapin tressées;
ce serait - c'est le bruit qui court - une offrande pour leur retour.
En cachette, ils enferment dans les flancs aveugles de l'animal
des hommes d'élite tirés au sort, remplissant de soldats armés
les profondes cavités du ventre de la bête.

Achivi cum per decem annos Trojam capere non possent, Epeus monitu Minervae equum mirae magnitudinis ligneum fecit eoque sunt collecti Menelaus Ulixes Diomedes Thessander Sthenelus Acamas Thoas Machaon Neoptolemus ; et in equo scripserunt DANAI MINERVAE DONO DANT, castraque transtulerunt Tenedo. Id Trojani cum viderunt arbitrati sunt hostes abisse ; Priamus equum in arcem Minervae duci imperavit, feriatique magno opere ut essent, edixit ; id vates Cassandra cum vociferaretur inesse hostes, fides ei habita non est. Quem in arcem cum statuissent et ipsi noctu lusu atque vino lassi obdormissent, Achivi ex equo aperto a Sinone exierunt et portarum custodes occiderunt sociosque signo dato receperunt et Troia sunt potiti.

Les Achéens assiégeaient Troie sans succès depuis dix ans, lorsqu'Epeus, sur les conseils de Minerve, construisit un cheval de bois d'une taille prodigieuse : se rassemblèrent alors à l'intérieur Ménélas, Ulysse, Diomède, Thessandre, Sthenelus, Acamas, Thoas, Machaon et Néoptolème. Sur le cheval on écrivit : DON DES DANAENS A MINERVE, puis on leva le camp pour Ténédos. Ce que voyant, les Troyens crurent que l'ennemi était parti : Priam fit tirer le cheval dans la citadelle de Minerve et ordonna de grandes réjouissances ; la prophétesse Cassandre eut beau les avertir à grands cris que des ennemis se trouvaient à l'intérieur, personne ne la crut. Une fois le cheval installé dans la citadelle et les Troyens endormis, épuisés de réjouissances nocturnes et de vin, les Achéens sortirent du cheval que leur avait ouvert Sinon, tuèrent les gardiens des portes, firent entrer les autres au signal, et s'emparèrent de Troie.

Il est donc étonnant de constater que, contrairement à ce qui se recopie partout dans les dictionnaires de mythologie qui amalgament toutes les variantes sans tenir compte de la diachronie, Ulysse n'est pas désigné explicitement par Homère et les auteurs classiques comme l'inspirateur de la ruse du cheval de Troie : cette idée extraordinaire - divine par son efficacité - est attribuée à Athéna. En revanche, Ulysse saisit immédiatement l'intérêt du stratagème, et se charge d'assurer le succès de la partie militaire de l'opération en recrutant des guerriers d'élite et en veillant à éviter tout incident à l'intérieur du cheval, tant qu'une sortie présente un danger.

Il semble ainsi, jusqu'à plus ample informé, que ce soit l'Epitome d'Apollodore (Ier ou IIe siècle apr.JC ?) qui le présente pour la première fois comme l'inventeur du piège, et cette fois sans ambiguïté :

[14] ὕστερον δὲ [Ὀδυσσεὺς] ἐπινοεῖ δουρείου ἵππου κατασκευὴν καὶ ὑποτίθεται Ἐπειῷ, ὃς ἦν ἀρχιτέκτων: οὗτοσἀπὸ τῆς Ἴδης ξύλα τεμὼν ἵππον κατασκευάζει κοῖλον ἔνδοθεν εἰς τὰς πλευρὰς ἀνεῳγμένον. εἰς τοῦτον Ὀδυσσεὺς εἰσελθεῖν πείθει πεντήκοντα τοὺς ἀρίστους, ὡς δὲ ὁ τὴν μικρὰν γράψας Ἰλιάδα φησί, τρισχιλίους, τοὺς δὲ λοιποὺς γενομένης νυκτὸς ἐμπρήσαντας τὰς σκηνάς, ἀναχθέντας περὶ τὴν Τένεδον ναυλοχεῖν καὶ μετὰ τὴν ἐπιοῦσαν νύκτα καταπλεῖν.

[15] οἱ δὲ πείθονται καὶ τοὺς μὲν ἀρίστους ἐμβιβάζουσιν εἰς τὸν ἵππον, ἡγεμόνα καταστήσαντες αὐτῶν Ὀδυσσέα,γράμματα ἐγχαράξαντες τὰ δηλοῦντα: τῆς εἰς οἶκον ἀνακομιδῆς Ἕλληνες Ἀθηνᾷ χαριστήριον. αὐτοὶ δὲ ἐμπρήσαντες τὰς σκηνὰς καὶ καταλιπόντες Σίνωνα, ὃς ἔμελλεν αὐτοῖς πυρσὸν ἀνάπτειν, τῆς νυκτὸς ἀνάγονται καὶ περὶ Τένεδον ναυλοχοῦσιν.

[16] ἡμέρας δὲ γενομένης ἔρημον οἱ Τρῶες τὸ τῶν Ἑλλήνων στρατόπεδον θεασάμενοι καὶ νομίσαντες αὐτοὺς πεφευγέναι, περιχαρέντες εἷλκον τὸν ἵππον καὶ παρὰ τοῖς Πριάμου βασιλείοις στήσαντες ἐβουλεύοντο τί χρὴ ποιεῖν.

[17] Κασάνδρας δὲ λεγούσης ἔνοπλον ἐν αὐτῷ δύναμιν εἶναι, καὶ προσέτι Λαοκόωντος τοῦ μάντεως, τοῖς μὲν ἐδόκει κατακαίειν, τοῖς δὲ κατὰ βαράθρων ἀφιέναι: δόξαν δὲ τοῖς πολλοῖς ἵνα αὐτὸν ἐάσωσι θεῖον ἀνάθημα, τραπέντες ἐπὶ θυσίαν εὐωχοῦντο.

[18] Ἀπόλλων δὲ αὐτοῖς σημεῖον ἐπιπέμπει: δύο γὰρ δράκοντες διανηξάμενοι διὰ τῆς θαλάσσης ἐκ τῶν πλησίον νήσων τοὺς Λαοκόωντος υἱοὺς κατεσθίουσιν.

[19] ὡς δὲ ἐγένετο νὺξ καὶ πάντας ὕπνος κατεῖχεν, οἱ ἀπὸΤενέδου προσέπλεον, καὶ Σίνων αὐτοῖς ἀπὸ τοῦ Ἀχιλλέως τάφου πυρσὸν ἧπτεν. Ἑλένη δὲ ἐλθοῦσα περὶ τὸν ἵππον, μιμουμένη τὰς φωνὰς ἑκάστης τῶν γυναικῶν, τοὺς ἀριστέας ἐκάλει. ὑπακοῦσαι δὲ Ἀντίκλου θέλοντος Ὀδυσσεὺς τὸ στόμα κατέσχεν.

[20] ὡς δ᾽ ἐνόμισαν κοιμᾶσθαι τοὺς πολεμίους, ἀνοίξαντες σὺν τοῖς ὅπλοις ἐξῄεσαν: καὶ πρῶτος μὲν Ἐχίων Πορθέως ἀφαλλόμενος ἀπέθανεν, οἱ δὲ λοιποὶ σειρᾷ ἐξάψαντες ἑαυτοὺς ἐπὶ τὰ τείχη παρεγένοντο καὶ τὰς πύλας ἀνοίξαντες ὑπεδέξαντο τοὺς ἀπὸ Τενέδου καταπλεύσαντας.

[14] Quelque temps plus tard, Ulysse eut l’idée de construire un cheval de bois, qu’il soumit à Épéios qui était architecte. Ce dernier fit couper du bois sur le mont Ida et construisit un cheval, creux à l’intérieur, avec des ouvertures sur les flancs. Ulysse persuada cinquante guerriers parmi les plus valeureux à y entrer (trois mille suivant l’auteur de la Petite Iliade), tandis que les autres, à la nuit venue, devaient mettre le feu à leurs tentes, lever l’ancre, prendre position à Ténédos et revenir par mer la nuit suivante.

[15] On suivit son conseil ; on fit entrer dans le Cheval les plus courageux des guerriers, aux ordres d’Ulysse. Sur le Cheval, il était écrit : « Les Grecs consacrent ce don à Athéna pour le retour dans leur patrie ». Puis ils brûlèrent leurs tentes, laissèrent Sinon à terre, qui devait allumer un feu — un signal — et, la nuit venue, ils mirent à la voile et se postèrent à Ténédos.

[16] À l’aube, les Troyens virent que le camp des Grecs était désert ; croyant que leurs ennemis avaient fui, remplis d’allégresse, ils tirèrent le Cheval dans leur ville, le placèrent devant le palais de Priam et délibérèrent sur ce qu’il convenait de faire.

[17] Cassandre soutint qu’à l’intérieur se trouvaient des guerriers armés ; le devin Laocoon était d’accord avec elle ; aussi, qui voulait le brûler, qui le jeter dans un précipice. Mais la majorité estima qu’il fallait l’épargner, comme une offrande votive à la divinité ; on se prépara donc aux sacrifices et aux festins.

[18] Apollon leur envoya un signe : des îles voisines arrivèrent par mer deux serpents qui dévorèrent les fils de Laocoon.

[19] À la nuit tombée, quand tous étaient profondément endormis, les Grecs, ayant quitté Ténédos, firent route vers Troie. De la tombe d’Achille, Sinon alluma un feu pour les guider. Hélène, tournant autour du cheval, appelait les guerriers, en imitant la voix de chacune de leurs femmes. Anticlos voulut répondre, mais Ulysse lui ferma la bouche.

[20] Quand ils se furent assurés que leurs ennemis étaient endormis, les Grecs ouvrirent les portes du cheval et en descendirent, armés. Échion, le fils de Porthéos, mourut le premier, en tombant [du haut] ; les autres descendirent à l’aide d’une corde, puis gagnèrent les murs, ouvrirent les portes et firent entrer leurs compagnons revenus à terre de Ténédos.

Reste à déterminer la part d'invention d'Apollodore : a-t-il extrapolé en introduisant une variante personnelle, ou suit-il une tradition qui remonte bien au Cycle homérique mais dont nous n'avons plus de traces ? En tout cas, après lui les pistes se diversifient :

Tryphiodore par exemple maintient une certaine ambiguïté : c'est bien Epeios qui construit le cheval, guidé par les conseils d'Athéna, mais Ulysse parle un peu plus loin de "notre stratagème", preuve qu'il le prend à son compte. Cela n'induit pas pour autant qu'il en ait eu l'idée avant la construction du cheval : il en attribue d'ailleurs la primauté à Athéna elle-même.

Quintus de Smyrne au contraire est tout à fait net en désignant Ulysse comme l'inventeur de cet expédient, mais il suppose que c'est le récit d'une observation du devin Calchas qui a pu mettre Ulysse sur la voie :

Dictys de Crète, dans ses Ephemerides belli trojani, (V, 9 sqq), n'en attribue pas l'idée à Ulysse, mais au devin Hélénos, un Troyen passé aux Grecs :

Ob quae placet universis, mitti Minervae donum quam honoratissimum. Tum accitus ad eam rem Helenus, cuncta. quae clam se gesta orant, ac si praesens adfuisset, ordine exponit, additque finem jam advenisse Trojanarum rerum : quippe quo maxime sustentaretur summa civitatis ejus, Palladium fuisse; quo ablato, exitium ingruere : caeterum donum Minervae fatale Trojanis esse, equum ligno fabrefactum forma ingenti, cujus magnitudine muri solvendi essent, adnitente atque administre Antenore.

Ensuite tous nos chefs arrêtent qu'il sera fait à Minerve un présent digne d'elle. On introduit Hélénus pour prendre de lui des renseignements. Ce prince raconte tout ce qui s'était passé hors de sa présence avec autant d'exactitude que s'il en eût été témoin oculaire. Il ajoute que la puissance de Troie touchait à son terme, et que la ruine de cette ville était assurée depuis que le Palladium, son plus ferme appui, lui avait été ravi; que pour offrir à Minerve un don qui fût fatal aux Troyens, il fallait construire un cheval de bois d'une grandeur prodigieuse, dont la hauteur dominât sur la ville ; que les Troyens, pour le recevoir, abattraient un pan de muraille, et qu'enfin Anténor en donnerait lui-même le conseil, et fournirait ainsi à ses concitoyens le moyen d'introduire dans leurs remparts l'instrument de leur ruine.

Il faut remarquer surtout qu'outre la variante d'Hélénos, Dictys renonce à l'idée d'un cheval creux dans lequel se cacheraient des guerriers : la ruse consiste ici à le construire d'une taille telle que les Troyens seraient obligés d'abattre un pan de muraille, ce qui donne un peu plus de vraisemblance à cette histoire. Dictys a dû emprunter cette variante au mythographe Palaephatos, qui dans ses Histoires incroyables (16) a tenté d'introduire un peu de rationalité dans la mythologie :

[Περὶ τοῦ δουρείου ἵππου.] Φασὶν ὡς Ἀχαιοὶ οἱ ἐν ξυλίνῳ κοίλῳ ἵππῳ ἀριστεῖς κατέβαλον τὴν Ἴλιον. ἔστι δὲ μυθώδης ἄγαν ὁ λόγος. ἡ δὲ ἀλήθεια αὕτη. ἵππον κατεσκεύασαν ξύλινον πρὸς μέτρον τῶν πυλῶν, ὅπως μὴ ἑλκόμενος εἰσέλθῃ, ἀλλ’ ὑπερέχῃ τῷ μεγέθει. οἱ δὲ λοχαγοὶ ἐκάθηντο ἐν κοίλῳ χωρίῳ παρὰ τὴν πόλιν, ὃς Ἀργείων λόχος ἐκαλεῖτο μέχρι τοῦ νῦν. αὐτόμολος δὲ ἐλθὼν παρὰ τῶν Ἀργείων Σίνων φράζει αὐτοῖς κατὰ μαντείαν ὡς, εἰ μὴ εἰσαγάγοιεν τὸν ἵππον εἰς τὴν πόλιν, ὑποστρεψόντων Ἀχαιῶν, ἂν δὲ εἰσαγάγωσι, μηκέθ’ ἡξόντων. οὑ ἐπακούσαντες οἱ Τρῶες καὶ καθελόντες τὸ τεῖχος, εἰσάγουσι τὸν ἵππον. εὐωχουμένοις δὲ αὐτοῖς ἐπιπίπτουσιν οἱ Ἕλληνες δι’ ἧς καθῄρητο τὸ τεῖχος, καὶ οὕτως ἑάλω ἡ Ἴλιος.

[16] Le cheval de bois. On dit que quelques Achéens courageux, dissimulés à l'intérieur du cheval de bois, abattirent Ilion. C'est un récit parfaitement fabuleux. La vérité est celle-ci. On construisit un cheval de bois d'après la dimension des portes : moins large afin de pouvoir être tiré à l'intérieur, mais plus haut. Les chefs se tenaient dans une vallée boisée, près de la cité — lieu que jusqu'à aujourd'hui on a appelé le "Creux de l'embuscade". Sinon, venu du camp argien comme un déserteur, leur annonce une prophétie : s'ils se refusent à faire entrer le cheval dans la ville, alors les Achéens reviendront combattre. En entendant cela, les Troyens abattent les portes et introduisent l'animal de bois dans la cité. Pendant qu'ils festoient, les Grecs leur tombent dessus, à travers la brèche qui avait été pratiquée dans les remparts, et c'est ainsi qu'Ilion fut prise.

Enfin Darès le Phrygien, dans l'Histoire de la destruction de Troie (40-41), élimine totalement l'épisode du cheval de bois, en le remplaçant par la simple représentation figurative d'un cheval sur la porte Scée :

[40] Hoc pacto confirmato, et jurejurando astricto, suadet Polydamas, noctu exercitum ad portam Scaeam ut adducant, ubi extrinsecus caput equi pictum est, ibi praesidia habere noctu Antenorem cum Anchise, exercitusque noctu portam reseraturos, eisque lumen prolaturos. Id signum eruptionis fore, quod ibi praesto forent qui ad regiam eos ducant.

[41] Postquam pacta confirmata sunt, Polydamas in oppidum redit, facta renuntiat, dicit Antenori et Aeneae, ceterisque quibuscum actum erat, ut suos omnes ad Scaeam portam adducant, noctu Scaeam portam aperiant, lumen ostendant, exercitum introducant. Antenor et Aeneas noctu ad portam praesto fuerunt, Neoptolemum susceperunt, exercitui portam reseraverunt, lumen ostenderunt, fugae praesidium sibi et suis omnibus ut esset postulaverunt.

[40] Cet engagement ratifié et revêtu de la sanction du serment, Polydamas conseille aux Grecs de conduire pendant la nuit leur armée devant la porte de Scée, sur laquelle était représentée la tête d'un cheval, parce qu'Anténor et Anchise, qui la gardaient pendant la nuit, la leur ouvriraient et leur montreraient un flambeau. Il ajouta que c'était le signal de leur arrivée, et qu'aussitôt ils trouveraient des guides pour les conduire au palais du roi.

[41] Lorsque tout est convenu et arrêté, Polydamas retourne à la ville. A son arrivée, il rend compte à Énée, à Anténor et aux autres conjurés de tout ce qui s'est passé dans le conseil des Grecs, et les avertit de placer leurs soldats à la porte de Scée, de rouvrir pendant la nuit, de montrer un flambeau et de recevoir l'armées ennemie. La nuit venue, Énée et Anténor se rendent aussitôt au poste que Polydamas vient de leur désigner, introduisent Néoptolème avec le reste de l'armée, lui montrent un flambeau, et lui demandent en même temps de protéger leur fuite et celle de tous ceux de leur parti.

Ce faisant, Darès d'une part insiste sur la trahison d'un certain nombre de Troyens, ce qui supprime la nécessité pour les Grecs de recourir à la ruse pour pénétrer dans la ville, et d'autre part il tente, comme Dictys, de rationaliser un peu cette histoire. Mais sur ce point, il rejoint Servius, le commentateur de Virgile, qui à propos d'un vers de l'Enéide (II, 15) s'interroge lui aussi sur les interprétations que l'on pourrait donner à cet épisode invraisemblable :

equum de hoc equo varia in historiis lecta sunt : ut Hyginus et Tubero dicunt, machinamentum bellicum fuit, quod equus appellatur, sicut aries, sicut testudo, quibus muri vel discuti vel subrui solent: unde est aut haec in nostros fabricata est machina muros ; ut alii, porta quam eis Antenor aperuit, equum pictum habuisse memoratur, vel certe Antenoris domus, quo posset agnosci. non nulli signum equi datum, ut internoscerent Graeci suos, vel hostes. a quibusdam dicitur facta proditione praedictum, ne quis eas domos violaret, quarum ante ianuam equus esset depictus, unde Antenoris et ceterorum domus agnitae sunt. aut quia equestri proelio victa est Troia. aut a monte Hippio, post quem se absconderant Graeci, unde et adludit 'instar montis equum'; ut pelago credas innare revulsas Cycladas. aut re vera hoc fuit, quod Vergilius sequitur. sed melius machinamenti genus accipimus.

Cheval : A propos de ce cheval, on trouve dans les histoires des versions différentes :

  • D’après Hygin et Tubero, il s’agissait d’un engin de guerre, appelé cheval, (comme il y a un bélier, ou une tortue), destiné à pratiquer une brèche ou à saper les murailles ; on comprendrait alors : « cet engin fut fabriqué pour attaquer nos murailles ».
  • Selon d’autres, c’est sur la porte que leur ouvrit Anténor qu’était peint un cheval, ou plutôt, certainement, sur la porte de la maison d’Anténor, pour qu’il pût être reconnu. Certains disent qu'on choisit ce symbole du cheval pour que les Grecs pussent faire la différence entre les leurs et les ennemis. Certains affirment qu’au moment de la trahison on s’entendit à l’avance : on n’envahirait pas les maisons sur la porte desquelles aurait été peint un cheval ; voilà comment les maisons d’Anténor et de tous les autres furent reconnues.
  • Ou bien c’est parce que Troie a été vaincue dans un combat de cavalerie.
  • Ou bien cela vient du mont Hippius, derrière lequel s’étaient cachés les Grecs ; d’où l’allusion : instar montis equum [un cheval semblable à une montagne]. cf pelago credas innare revulsas Cycladas [Enéide, VIII, 691 : on croirait que les Cyclades arrachées flottent sur la mer.]
  • Ou bien la version que suit Virgile provient d’un événement réel.

Mais j’incline à préférer l’hypothèse de l’engin de guerre.


Par delà les siècles, qu'il nous reste à explorer, et loin de ces variantes, nous retrouvons au début du XXe siècle une petite nouvelle de Jules Lemaître :

Dessin de H. Roux
d'après une fresque de Pompéi
Commentaire de cette fresque


Références des traductions