Diomède (à gauche) et Ulysse (à droite) volent les chevaux de Rhesos
Situle apulienne à figures rouges - v.360 av.JC
Musée archéologique de Naples

La Dolonie et la mort de Rhésos

L'Iliade évoque des incursions chez l'ennemi, de part et d'autre, au cours du siège de Troie ; le chant X en évoque une que l'on intitule couramment la Dolonie, parce qu'elle commence par mettre en scène un espion troyen, Dolon. Après une action guerrière particulièrement favorable aux Troyens, Hector promet une grosse récompense à qui acceptera une mission d'espionnage. C'est Dolon qui part en reconnaissance, de nuit, auprès des nefs achéennes pour savoir si elles sont bien gardées. Mais il est surpris par Ulysse et Diomède, intercepté, interrogé puis décapité : les deux compères ont appris ce qu'ils voulaient savoir. Ils décident alors de se rendre dans le camp des Thraces alliés des Troyens : ils y font un véritable massacre, s'emparent du char et des chevaux du roi Rhésos, qui venait tout juste d'arriver et qu'ils tuent dans son sommeil, et s'en retournent tout joyeux, avec leur butin, au camp des Achéens.

A l'époque classique, cet épisode homérique a fourni l'argument d'une tragédie, Rhésos, que les critiques hésitent à attribuer à Euripide. Cette fois, l'action se situe la nuit dans le camp troyen : Hector projette une attaque contre les Grecs, mais accepte d'envoyer un espion au préalable. Avec forfanterie, Dolon se porte volontaire et promet de ramener la tête d'Ulysse. Arrive à présent le roi thrace, Rhésos, un autre fanfaron qui se fait fort, devant Hector, de mettre un terme à la guerre en un jour (v.443-453) :

ἀλλ’ ὕστερος μὲν ἦλθον, ἐν καιρῶι δ’ ὅμως·
σὺ μὲν γὰρ ἤδη δέκατον αἰχμάζεις ἔτος
κοὐδὲν περαίνεις, ἡμέραν δ’ ἐξ ἡμέρας
ῥίπτεις κυβεύων τὸν πρὸς Ἀργείους Ἄρη·
ἐμοὶ δὲ φῶς ἓν ἡλίου καταρκέσει
πέρσαντι πύργους ναυστάθμοις ἐπεσπεσεῖν
κτεῖναί τ’ Ἀχαιούς· θατέραι δ’ ἀπ’ Ἰλίου
πρὸς οἶκον εἶμι, συντεμὼν τοὺς σοὺς πόνους.
ὑμῶν δὲ μή τις ἀσπίδ’ ἄρηται χερί·
ἐγὼ γὰρ †ἕξω† τοὺς μέγ’ αὐχοῦντας δορὶ
πέρσας Ἀχαιούς, καίπερ ὕστερος μολών.

C'est vrai que je viens tard, encore à temps toutefois pour vous,
puisque voici dix ans que tu te bats sans avancer en rien.
Tu perds jour après jour à jouer aux dés contre l'audace grecque.
Le soleil d'une seule journée va me suffire à moi
pour renverser leurs murs, tomber sur leurs navires
et les tuer. Le lendemain je pourrai quitter Troie
et retourner chez moi, ayant abrégé vos travaux.
Que nul de vous ne lève seulement son bouclier.
Je saurai contenir ceux dont la lance est arrogante,
et les exterminer, ces Grecs, tout tard venu que je puisse être !

En attendant ce glorieux moment, Rhésos installe ses tentes. Arrivent Ulysse et Diomède, qui viennent de tuer Dolon. Athéna leur apparaît et leur recommande, sans entrer dans les détails, de tuer Rhésos sans plus tarder (v.598-605 et 616-621) :

ἄνδρα δ’ οὐ πέπυσθε σύμμαχον
Τροίαι μολόντα Ῥῆσον οὐ φαύλωι τρόπωι;
ὃς εἰ διοίσει νύκτα τήνδ’ ἐς αὔριον,
οὔτ’ ἄν σφ’ Ἀχιλλεὺς οὔτ’ ἂν Αἴαντος δόρυ
μὴ πάντα πέρσαι ναύσταθμ’ Ἀργείων σχέθοι,
τείχη κατασκάψαντα καὶ πυλῶν ἔσω
λόγχηι πλατεῖαν ἐσδρομὴν ποιούμενον.
τοῦτον κατακτὰς πάντ’ ἔχεις·
[...]
πέλας δὲ πῶλοι Θρηικίων ἐξ ἁρμάτων
λευκαὶ δέδενται, διαπρεπεῖς ἐν εὐφρόνηι·
στίλβουσι δ’ ὥστε ποταμίου κύκνου πτερόν.
ταύτας, κτανόντε δεσπότην, κομίζετε,
κάλλιστον οἴκοις σκῦλον· οὐ γὰρ ἔσθ’ ὅπου
τοιόνδ’ ὄχημα χθὼν κέκευθε πωλικόν.

Situle de Naples (détail)

N'avez-vous pas appris qu'un allié
vient au secours de Troie, Rhésos, en splendide appareil ?
S'il peut mener jusqu'au matin la nuit présente,
ni Achille ni la lance d'Ajax
ne le retiendront de détruire le camp naval.
Il renversera vos défenses, forcera les passages
à la lance, et se taillera une large brèche.
Tue-le donc, et tout est à toi [...]
Il a près de lui, attachés au char thrace,
ses chevaux blancs que l'on distingue en pleine nuit,
brillants comme l'aile d'un cygne de rivière.
Tuez leur maître et emmenez-les,
beau trophée pour une demeure.
Aucun lieu de la terre ne possède un semblable attelage.

Ainsi les injonctions d'Athéna confirment curieusement ce qui apparaissait chez Rhésos comme de pures rodomontades. Rhésos est donc assassiné dans son sommeil, et les chevaux volés. Mais le poète tragique ne donne aucune explication explicite au pouvoir qu'aurait eu Rhésos de sauver Troie s'il avait survécu jusqu'au jour.



Diomède tue Rhésos dans son sommeil, sous l'oeil d'Athéna
Cratère apulien à figures rouges - v.340 av.JC - AltesMuseum, Berlin

Il faut attendre une allusion de Virgile dans l'Enéide (I, 469 sqq) pour comprendre qu'une prophétie liait le sort de Troie à cette fameuse nuit que devait passer Rhésos (ou plus exactement son attelage) sur le sol troyen. Enée, arrivé à Carthage, découvre une fresque représentant la prise de Troie, et il reconnaît en particulier l'épisode de Rhésos :

Nec procul hinc Rhesi niueis tentoria uelis
adgnoscit lacrimans, primo quae prodita somno ;
Tydides multa uastabat caede cruentus,
ardentisque auertit equos in castra, prius quam
pabula gustassent Troiae Xanthumque bibissent.

En pleurant, Énée identifie non loin de là les tentes de Rhésus,
aux voiles de neige, livrées par ruse dans le premier sommeil :
le fils de Tydée, tout couvert de sang, y mena grand carnage,
puis détourna les fougueux chevaux vers son propre camp, avant
qu'ils aient goûté aux pâtures de Troie et bu l'eau du Xanthe.

Un commentaire de Servius sur ce vers (I, 469) confirme l'information :

nec procul hinc rhesi : Rhesus rex Thraciae fuit qui cum ad Troiae venisset auxilia clausisque iam portis tentoria locavisset in litore, Dolone prodente Troiano, qui missus fuerat speculator, a Diomede et Vlixe est interfectus, qui et ipsi speculatum venerant ; abductique sunt equi, quibus pendebant fata Troiana, ut, si pabulo Troiano usi essent vel de Xantho Troiae fluvio bibissent, Troia perire non posset.

Et non loin de là de Rhésus : Rhésus était un roi de Thrace venu porter secours à Troie mais qui, les portes de la cité étant closes, avait installé ses tentes sur le rivage. Grâce à la révélation de Dolon, un Troyen qui avait été envoyé en espion, Rhésus fut tué par Ulysse et Diomède, venus eux-mêmes espionner. Ils emmenèrent avec eux les chevaux dont dépendait le sort de Troie, car, s'ils avaient pâturé sur le sol troyen ou bu de l'eau du Xanthe, le fleuve de Troie, la perte de Troie aurait été impossible.

Mais en l'absence de sources plus complètes, il est impossible de déterminer à quand remonte cette prédiction... une de plus ! mais pas la dernière...


Ulysse et le vol du Palladium



Diomède (à gauche) et Ulysse (à droite) séparés par quatre hommes se disputent le Palladium

L'incursion d'Ulysse et de Diomède dans les tentes des alliés thraces n'est en effet pas la seule dont rendent compte les épopées homériques. Un autre exploit d'Ulysse est raconté par Hélène au chant IV de l'Odyssée. A Télémaque venu demander à Sparte des nouvelles de son père disparu, elle raconte la dernière fois qu'elle a vu Ulysse (v.240-258) :

πάντα μὲν οὐκ ἂν ἐγὼ μυθήσομαι οὐδ’ ὀνομήνω,
ὅσσοι Ὀδυσσῆος ταλασίφρονός εἰσιν ἄεθλοι·
ἀλλ’ οἷον τόδ’ ἔρεξε καὶ ἔτλη καρτερὸς ἀνὴρ
δήμῳ ἔνι Τρώων, ὅθι πάσχετε πήματ’ Ἀχαιοί.
αὐτόν μιν πληγῇσιν ἀεικελίῃσι δαμάσσας,
σπεῖρα κάκ’ ἀμφ’ ὤμοισι βαλών, οἰκῆϊ ἐοικώς,
ἀνδρῶν δυσμενέων κατέδυ πόλιν εὐρυάγυιαν.
ἄλλῳ δ’ αὐτὸν φωτὶ κατακρύπτων ἤϊσκε
Δέκτῃ, ὃς οὐδὲν τοῖος ἔην ἐπὶ νηυσὶν Ἀχαιῶν·
τῷ ἴκελος κατέδυ Τρώων πόλιν, οἱ δ’ ἀβάκησαν
πάντες· ἐγὼ δέ μιν οἴη ἀνέγνων τοῖον ἐόντα,
καί μιν ἀνειρώτευν· ὁ δὲ κερδοσύνῃ ἀλέεινεν.
ἀλλ’ ὅτε δή μιν ἐγὼ λόεον καὶ χρῖον ἐλαίῳ,
ἀμφὶ δὲ εἵματα ἕσσα καὶ ὤμοσα καρτερὸν ὅρκον,
μή με πρὶν Ὀδυσῆα μετὰ Τρώεσσ’ ἀναφῆναι,
πρίν γε τὸν ἐς νῆάς τε θοὰς κλισίας τ’ ἀφικέσθαι,
καὶ τότε δή μοι πάντα νόον κατέλεξεν Ἀχαιῶν.
πολλοὺς δὲ Τρώων κτείνας ταναήκεϊ χαλκῷ
ἦλθε μετ’ Ἀργείους, κατὰ δὲ φρόνιν ἤγαγε πολλήν.

Certes, je ne pourrais vous dire, vous énumérer
tous les exploits qui furent ceux du patient Ulysse ;
mais ceci seulement, qu'accomplit ce vaillant guerrier
au pays des Troyens, dans le temps de vos peines.
Après s'être lui-même affreusement meurtri le corps
et revêtu de vieux haillons, semblable à un esclave,
il pénétra dans la ville ennemie aux larges rues ;
il essayait de contrefaire quelqu'un d'autre,
un mendiant, lui si peu mendiant sur les navires !
Ainsi pénétra-t-il dans la ville de Troie, et tous
furent dupés ; moi seule, en cet aspect, le reconnus :
je l'interrogeai donc ; l'astucieux se déroba.
Mais, quand je l'eus baigné et frotté d'huile fine,
que je lui eus donné d'autres habits et fait serment
de ne pas révéler Ulysse aux gens de Troie
avant qu'il n'eût rejoint les prompts navires et les tentes,
il m'exposa dans ses détails le projet des Argiens.
Puis, maint Troyen passé au fil de son épée,
il rejoignit les Grecs avec son butin de nouvelles.

Si ce texte indique clairement une collusion entre Ulysse et Hélène, qui sentant le vent tourner prépare son retour en grâce auprès des Grecs, il indique aussi qu'Ulysse ne ramène de cette expédition qu'un "butin de nouvelles". Il n'est pas encore question d'un objet qui apparaît dans la Petite Iliade de Leschès résumée par Proclus, et qui est appelé à connaître une très grande fortune, le Palladium :

Ὀδυσσεύς τε αἰκισάμενος ἑαυτὸν κατάσκοπος εἰς Ἴλιον παραγίνεται, καὶ ἀναγνωρισθεὶς ὑφ’ Ἑλένης περὶ τῆς ἁλώσεως τῆς πόλεως συντίθεται κτείνας τέ τινας τῶν Τρώων ἐπὶ τὰς ναῦς ἀφικνεῖται. καὶ μετὰ ταῦτα σὺν Διομήδει τὸ παλλάδιον ἐκκομίζει ἐκ τῆς Ἰλίου.

Ulysse se défigure lui-même et se rend à Troie pour espionner ; reconnu par Hélène, il complote la prise de la ville. Puis après avoir tué quelques Troyens, il retourne aux navires. Après quoi, avec Diomède il emporte le Palladium hors d'Ilion.

Le Cycle indique donc bien qu'il y a eu deux incursions d'Ulysse à l'intérieur des murailles de Troie : dans la première, il est seul à repérer les lieux et probablement à préparer un plan, en accord avec Hélène. C'est au cours de la deuxième qu'il volera le Palladium avec son compagnon Diomède. La première incursion est aussi mentionnée dans l'Hécube d'Euripide (v.239-248) :

[Εκ.] οἶσθ’ ἡνίκ’ ἦλθες Ἰλίου κατάσκοπος
δυσχλαινίαι τ’ ἄμορφος ὀμμάτων τ’ ἄπο
φόνου σταλαγμοὶ σὴν κατέσταζον γένυν;
[Οδ.] οἶδ’· οὐ γὰρ ἄκρας καρδίας ἔψαυσέ μου.
[Εκ.] ἔγνω δέ σ’ Ἑλένη καὶ μόνηι κατεῖπ’ ἐμοί;
[Οδ.] μεμνήμεθ’ ἐς κίνδυνον ἐλθόντες μέγαν.
[Εκ.] ἥψω δὲ γονάτων τῶν ἐμῶν ταπεινὸς ὤν;
[Οδ.] ὥστ’ ἐνθανεῖν γε σοῖς πέπλοισι χεῖρ’ ἐμήν.
[Εκ.] ἔσωσα δῆτά σ’ ἐξέπεμψά τε χθονός;
[Οδ.] ὥστ’ εἰσορᾶν γε φέγγος ἡλίου τόδε.
[Εκ.] τί δῆτ’ ἔλεξας δοῦλος ὢν ἐμὸς τότε;
[Οδ.] πολλῶν λόγων εὑρήμαθ’ ὥστε μὴ θανεῖν.

HECUBE- Tu te souviens qu'un jour tu vins à Troie en éclaireur, sous des haillons, méconnaissable ? Des filets de sang coulaient de tes yeux sur ta barbe.
ULYSSE - Hé oui, ce jour m'est resté gravé dans le coeur.
HECUBE - Qu'Hélene te reconnut et le dit à moi seule ?
ULYSSE - Je me souviens du grand danger que je courus.
HECUBE - Et qu'humblement tu touchas mes genoux ?
ULYSSE - C'est vrai. Ma main raidie ne pouvait plus lâcher ta robe.
HECUBE - Et moi, je t'ai sauvé, je t'ai laissé partir.
ULYSSE - Si bien qu'aujourd'hui je vois la lumière.
HECUBE - A ce moment où c'est toi qui étais mon esclave, que m'as-tu dit ?
ULYSSE - Tout ce qu'on peut trouver quand on veut échapper à la mort.

Belle preuve d'ingratitude, puisqu'Ulysse, aujourd'hui vainqueur, s'apprête à venir chercher Polyxène pour qu'on l'égorge sur le tombeau d'Achille.

Quant à la deuxième incursion, qui a le Palladium pour objet, elle est signalée dans le Rhésos : "C'est lui qui pénétra de nuit au temple d'Athéna, pour voler son image qu'il emporta vers les navires".

Qu'est-ce que ce Palladium, et pourquoi justifie-t-il qu'on prenne pour lui tant de risques ? Apollodore dans sa Bibliothèque (III, 12, 3) évoque son origine :

ἱστορία δὲ ἡ περὶ τοῦ παλλαδίου τοιάδε φέρεται: φασὶ γεννηθεῖσαν τὴν Ἀθηνᾶν παρὰ Τρίτωνι τρέφεσθαι, ᾧ θυγάτηρ ἦν Παλλάς: ἀμφοτέρας δὲ ἀσκούσας τὰ κατὰ πόλεμον εἰς φιλονεικίαν ποτὲ προελθεῖν. μελλούσης δὲ πλήττειν τῆς Παλλάδος τὸν Δία φοβηθέντα τὴν αἰγίδα προτεῖναι, τὴν δὲ εὐλαβηθεῖσαν ἀναβλέψαι, καὶ οὕτως ὑπὸ τῆς Ἀθηνᾶς τρωθεῖσαν πεσεῖν. Ἀθηνᾶν δὲ περίλυπον ἐπ᾽ αὐτῇ γενομένην, ξόανον ἐκείνης ὅμοιον κατασκευάσαι, καὶ περιθεῖναι τοῖς στέρνοις ἣν ἔδεισεν αἰγίδα, καὶ τιμᾶν ἱδρυσαμένην παρὰ τῷ Διί. ὕστερον δὲ Ἠλέκτρας κατὰ τὴν φθορὰν τούτῳ προσφυγούσης, Δία ῥῖψαι [μετ᾽ Ἄτης καὶ] τὸ παλλάδιον εἰς τὴν Ἰλιάδα χώραν, Ἶλον δὲ τούτῳ ναὸν κατασκευάσαντα τιμᾶν. καὶ περὶ μὲν τοῦ παλλαδίου ταῦτα λέγεται.

Du Palladion, on raconte l'histoire suivante. Quand naquit Athéna, la déesse fut élevée par Triton, qui avait une fille, Pallas. Les deux jeunes filles s'entraînaient ensemble aux exercices guerriers. Un jour, comme elles se défiaient amicalement, et que Pallas se disposait à frapper, Zeus, inquiet pour Athéna, abaissa son égide pour la protéger ; ainsi Pallas, effrayée leva les yeux, fut touchée par Athéna et mourut. La déesse, attristée par la mort de son amie, fit une sculpture de bois à sa ressemblance ; elle la fixa sur le bouclier qui avait épouvanté la jeune fille, déposa son image auprès de Zeus et lui rendit les honneurs. Mais le jour où Électre, violée par Zeus, se réfugia près du Palladion, Zeus le jeta dans la région d'Ilion, en même temps que la jeune fille. Ensuite Ilos construisit un temple pour le Palladion, et le vénéra. Voilà l'histoire du Palladion.

Une autre tradition est longuement rapportée par Denys d'Halicarnasse dans les Antiquités romaines (I, 68-69). Elle est précieuse parce qu'elle permet de faire le point sur l'état du mythe au Ier siècle avant JC, donc à l'époque de Virgile, en un temps où la légende des origines troyennes de Rome connaissait un remarquable développement :

[68] Ἃ δὲ αὐτός τε ἰδὼν ἐπίσταμαι καὶ δέος οὐδὲν ἀποκωλύει με περὶ αὐτῶν γράφειν τοιάδε ἐστί· νεὼς ἐν Ῥώμῃ δείκνυται τῆς ἀγορᾶς οὐ πρόσω κατὰ τὴν ἐπὶ Καρίνας φέρουσαν ἐπίτομον ὁδὸν ὑπεροχῇ σκοτεινὸς ἱδρυμένος οὐ μέγας. λέγεται δὲ κατὰ τὴν ἐπιχώριον γλῶτταν ὑπ’ Ἐλαίας τὸ χωρίον. ἐν δὲ τούτῳ κεῖνται τῶν Τρωικῶν θεῶν εἰκόνες, ἃς ἅπασιν ὁρᾶν θέμις, ΔΕΝΑΣ ἐπιγραφὴν ἔχουσαι δηλοῦσαν τοὺς Πενάτας. [δοκοῦσι γάρ μοι τοῦ θ μήπω γράμματος εὑρημένου τῷ δ δηλοῦν τὴν ἐκείνου δύναμιν οἱ παλαιοί.] εἰσὶ δὲ νεανίαι δύο καθήμενοι δόρατα διειληφότες, τῆς παλαιᾶς ἔργα τέχνης. πολλὰ δὲ καὶ ἄλλα ἐν ἱεροῖς ἀρχαίοις εἴδωλα τῶν θεῶν τούτων ἐθεασάμεθα, καὶ ἐν ἅπασι νεανίσκοι δύο στρατιωτικὰ σχήματα ἔχοντες φαίνονται. ὁρᾶν μὲν δὴ ταῦτα ἔξεστιν, ἀκούειν δὲ καὶ γράφειν ὑπὲρ αὐτῶν, ἃ Καλλίστρατός ἀκούειν δὲ καὶ γράφειν ὑπὲρ αὐτῶν, ἃ Καλλίστρατός τε ὁ περὶ Σαμοθρᾴκης συνταξάμενος ἱστορεῖ καὶ Σάτυρος ὁ τοὺς ἀρχαίους μύθους συναγαγὼν καὶ ἄλλοι συχνοί, παλαιότατος δὲ ὧν ἡμεῖς ἴσμεν ποιητὴς Ἀρκτῖνος. λέγουσι γοῦν ὧδε· Χρύσην τὴν Πάλλαντος θυγατέρα γημαμένην Δαρδάνῳ φερνὰς ἐπενέγκασθαι δωρεὰς Ἀθηνᾶς τά τε Παλλάδια καὶ τὰ ἱερὰ τῶν μεγάλων θεῶν διδαχθεῖσαν αὐτῶν τὰς τελετάς. ἐπειδὴ δὲ τὴν ἐπομβρίαν φεύγοντες Ἀρκάδες Πελοπόννησον μὲν ἐξέλιπον, ἐν δὲ τῇ Θρᾳκίᾳ νήσῳ τοὺς βίους ἱδρύσαντο, κατασκευάσαι τὸν Δάρδανον ἐνταῦθα τῶν θεῶν τούτων ἱερὸν ἀρρήτους τοῖς ἄλλοις ποιοῦντα τὰς ἰδίους αὐτῶν ὀνομασίας καὶ τὰς τελετὰς αὐτοῖς τὰς καὶ εἰς τόδε χρόνου γινομένας ὑπὸ Σαμοθρᾴ κων ἐπιτελεῖν. ὡς δὲ μετῆγε τοῦ λεὼ τὴν πλείω μοῖραν εἰς τὴν Ἀσίαν τὰ μὲν ἱερὰ τῶν θεῶν καὶ τὰς τελετὰς τοῖς ὑπομείνασιν ἐν τῇ νήσῳ καταλιπεῖν· τὰ δὲ Παλλάδια καὶ τὰς <τῶν> θεῶν εἰκόνας κατασκευασάμενον ἀγαγέσθαι μετ’ αὐτοῦ. διαμαντευόμενον δὲ περὶ τῆς οἰκήσεως τά τε ἄλλα μαθεῖν καὶ περὶ τῶν ἱερῶν τῆς φυλακῆς τόνδε τὸν χρησμὸν λαβεῖν·

Εἰς πόλιν ἣν κτίζῃσθα θεοῖς σέβας ἄφθιτον αἰεὶ
θεῖναι, καὶ φυλακαῖς τε σέβειν θυσίαις τε χοροῖς τε.
ἔστ’ ἂν γὰρ τάδε σεμνὰ καθ’ ὑμετέρην χθόνα μίμνῃ
δῶρα Διὸς κούρης ἀλόχῳ σέθεν, ἡ δὲ πόλις σοι
ἔσται ἀπόρθητος τὸν ἀεὶ χρόνον ἤματα πάντα.

Δάρδανον μὲν ἐν τῇ κτισθείσῃ τε ὑφ’ἑαυτοῦ καὶ ὀνομασίας ὁμοίας τυχούσῃ πόλει τὰ ἕδη καταλιπεῖν, Ἰλίου δ’ ἐν ὑστέρῳ χρόνῳ συνοικισθέντος ἐκεῖσε μετενεχθῆναι πρὸς τῶν ἐγγόνων αὐτοῦ τὰ τος ἐκεῖσε μετενεχθῆναι πρὸς τῶν ἐγγόνων αὐτοῦ τὰ ἱερά. ποιήσασθαι δὲ τοὺς Ἰλιεῖς νεών τε καὶ ἄδυτον αὐτοῖς ἐπὶ τῆς ἄκρας καὶ φυλάττειν δι’ ἐπιμελείας ὅσης ἐδύναντο πλείστης θεόπεμπτά τε ἡγουμένους εἶναι καὶ σωτηρίας κύρια τῇ πόλει. ἁλισκομένης δὲ τῆς κάτω πόλεως τὸν Αἰνείαν καρτερὸν τῆς ἄκρας γενόμενον, ἄραντα ἐκ τῶν ἀδύτων τά τε ἱερὰ τῶν μεγάλων θεῶν καὶ ὅπερ ἔτι περιῆν Παλλάδιον (θάτερον γὰρ Ὀδυσσέα καὶ Διομήδην νυκτός φασιν εἰς Ἴλιον ἀφικομένους κλοπῇ λαβεῖν) οἴχεσθαί τε κομίσαντα [τὸν Αἰνείαν] ἐκ τῆς πόλεως καὶ ἐλθεῖν ἄγοντα εἰς Ἰταλίαν. Ἀρκτῖνος δέ φησιν ὑπὸ Διὸς δοθῆναι Δαρδάνῳ Παλλάδιον ἓν καὶ εἶναι τοῦτο ἐν Ἰλίῳ τέως ἡ πόλις ἡλίσκετο κεκρυμμένον ἐν ἀβάτῳ· εἰκόνα δ’ ἐκείνου κατεσκευασμένην ὡς μηδὲν τῆς ἀρχετύπου διαφέρειν ἀπάτης τῶν ἐπιβουλευόντων ἕνεκεν ἐν φανερῷ τεθῆναι καὶ αὐτὴν Ἀχαιοὺς ἐπιβουλεύσαντας λαβεῖν. τὰ μὲν οὖν εἰς Ἰταλίαν ὑπ’ Αἰνείου κομισθέντα ἱερὰ τοῖς εἰρημένοις ἀνδράσι πειθόμενος γράφω τῶν τε μεγάλων θεῶν εἰκόνας εἶναι, οὓς Σαμοθρᾷκες Ἑλλήνων μάλιστα ὀργιάζουσι, καὶ τὸ μυθευόμενον Παλλάδιον, ὅ φασι τὰς ἱερὰς φυλάττειν παρθένους ἐν ναῷ κείμενον Ἑστίας, ἔνθα καὶ τὸ ἀθάνατον διασώζεται πῦρ· ὑπὲρ ὧν ἐν ὑστέρῳ λεχθήσεται λόγῳ. εἴη δ’ ἂν καὶ παρὰ ταῦτα τοῖς βεβήλοις ἡμῖν ἄδηλα ἕτερα. καὶ περὶ μὲν τῶν Τρωικῶν ἱερῶν τοσαῦτα εἰρήσθω.

LXVIII. 1. Mais ce que je sais pour l'avoir vu moi-même et qu'aucun interdit religieux ne m'empêche d'écrire est ceci. On montre à Rome un temple non loin du forum, en descendant le raccourci qui mène aux Carènes ; c'est un édifice de petite taille, que ses voisins, beaucoup plus hauts, rendent obscur. L'endroit où il est situé se dit, en langue indigène, ὑπ´ Ἐλαίας [sous les oliviers], Velia. A l'intérieur, il y a des images des dieux de Troie exposées à la vue de tous, avec l'inscription DENATES, pour PENATES. Il me semble en effet que la lettre Π (pi) n’ayant pas encore été inventée, les anciens donnaient au delta la même valeur. 2. Ce sont deux jeunes gens assis tenant des lances à la main, d'une facture ancienne. Nous avons vu encore beaucoup d'autres statues de ces dieux dans des temples anciens : partout elles représentent deux jeunes gens en tenue de guerre. Il est permis de les voir, d'entendre et d'écrire ce qu'en ont dit Callistratos, l'auteur de l'histoire de Samothrace, Satyros, qui a compilé les anciens mythes, et beaucoup d'autres poètes, le plus ancien à notre connaissance étant Arctinos. 3. Voici donc ce qu'ils racontent :

Lorsque Chrysé, fille de Pallas, épousa Dardanos, elle apporta en dot des cadeaux d'Athéna, à savoir les Palladia et les statues des Grands Dieux aux mystères desquels elle avait été initiée. Quand les Arcadiens quittèrent le Péloponnèse pour échapper au déluge et s'établirent dans l'île de [Samo]thrace, Dardanos y bâtit un temple en l'honneur de ces dieux, sans dire à personne leur véritable nom, et il institua pour eux les mystères qu'observent encore aujourd'hui les habitants de Samothrace. 4. Puis, quand il passa en Asie avec la plus grande partie de son peuple, il laissa les rites et les mystères des dieux à ceux qui restèrent dans l’île, mais il empaqueta et emporta avec lui les Palladia et les images des dieux. Et consultant l'oracle sur l'endroit où il devrait établir sa demeure, entre autres réponses il reçut celle-ci sur le culte des dieux :

Dans la cité que tu vas fonder, voue toujours aux dieux un respect absolu,
et honore-les par des gardes, des sacrifices et des choeurs.
Car tant que ces objets sacrés resteront sur votre terre,
présents de la fille de Zeus à ton épouse,
ta cité restera imprenable, tous les jours et à jamais.

LXIX. 1. Ainsi Dardanos installa les objets sacrés dans la ville qu'il avait fondée et à qui il donna son nom ; mais par la suite, après la fondation d'Ilion, ses descendants y transportèrent les statues. Les habitants d'Ilion leur firent un temple et un sanctuaire dans la citadelle, et les gardèrent avec tout le soin possible, dans la pensée qu'elles étaient envoyées des dieux et que d'elles dépendait le salut de la cité. 

Énée, qui s'était assuré de la citadelle, emporta des sanctuaires les objets sacrés des Grands Dieux et le Palladium qui y était encore (car Ulysse et Diomède, dit-on, entrés de nuit dans Ilion avaient furtivement emporté l'autre), les sauva quand il quitta la ville et les ammena avec lui en Italie. 3. Cependant Arctinos affirme que c'est Zeus qui donna à Dardanos un Palladium unique, qui se trouvait à Ilion jusqu'à la prise de la ville, celé dans une cache inviolable, mais qu'il y en avait une copie absolument semblable à l'original, exposée à la vue de tous, et destinée à tromper ceux qui voudraient s'en emparer ; et que donc, c'est cette copie que les Achéens emportèrent. 4. Ainsi donc, me fiant à ce qu'en ont dit les les auteurs que je viens de mentionner, j'affirme que les objets sacrés amenés par Enée en Italie étaient les statues des Grands Dieux, dont les gens de Samothrace, plus que tous les Grecs, célèbrent les mystères, et le légendaire Palladium, dont on dit qu’il est placé sous la garde des vierges sacrées dans le temple de Vesta, là où l'on conserve aussi le feu perpétuel ; mais ce sujet sera traité plus tard. Et il se peut qu'il y ait encore d'autres objets qui nous soient cachés à nous profanes. Mais en voilà assez sur les objets sacrés des Troyens.

C'est à peu près la même histoire dont rendra compte Ovide, quelques années plus tard, dans les Fastes (VI, 417 sqq), A la même époque, voilà ce que fait dire Virgile à Sinon, le traître chargé par les Grecs de persuader les Troyens de faire entrer le cheval de bois dans leurs murailles (Enéide, II, 162-194 :

"Omnis spes Danaum et coepti fiducia belli
Palladis auxiliis semper stetit. Impius ex quo
Tydides sed enim scelerumque inuentor Ulixes,
fatale adgressi sacrato auellere templo
Palladium, caesis summae custodibus arcis,
corripuere sacram effigiem, manibusque cruentis
uirgineas ausi diuae contingere uittas ;
ex illo fluere ac retro sublapsa referri
spes Danaum, fractae uires, auersa deae mens.
Nec dubiis ea signa dedit Tritonia monstris.
Vix positum castris simulacrum, arsere coruscae
luminibus flammae arrectis, salsusque per artus
sudor iit, terque ipsa solo - mirabile dictu -
emicuit, parmamque ferens hastamque trementem.
'Extemplo temptanda fuga canit aequora Calchas,
nec posse Argolicis exscindi Pergama telis,
omina ni repetant Argis, numenque reducant,
quod pelago et curuis secum auexere carinis.
Et nunc, quod patrias uento petiere Mycenas,
arma deosque parant comites, pelagoque remenso
improuisi aderunt : ita digerit omina Calchas.
Hanc pro Palladio moniti, pro numine laeso
effigiem statuere, nefas quae triste piaret.
Hanc tamen immensam Calchas attollere molem
roboribus textis caeloque educere iussit,
ne recipi portis, aut duci in moenia possit,
neu populum antiqua sub religione tueri.
Nam si uestra manus uiolasset dona Mineruae,
tum magnum exitium quod di prius omen in ipsum
conuertant ! Priami imperio Phrygibusque futurum ;
sin manibus uestris uestram ascendisset in urbem,
ultro Asiam magno Pelopea ad moenia bello
uenturam, et nostros ea fata manere nepotes."

"Tout l'espoir des Danaens, leur confiance dans la guerre entreprise
a reposé, de tout temps, sur les secours de Pallas. Mais pourtant,
dès le jour où l'impie fils de Tydée, et Ulysse, ce fauteur de crimes,
ayant entrepris d'enlever du temple sacré le Palladium fatidique,
eurent, après le massacre des gardes de la haute citadelle,
saisi l'effigie sacrée, et de leurs mains baignées de sang,
eurent osé toucher les bandelettes virginales de la déesse, dès ce jour,
l'espoir des Danaens se mit à diminuer, s'écoulant et refluant,
leurs forces se brisèrent, la faveur de la déesse se détourna.
Et la Tritonienne le leur fit comprendre par des prodiges évidents.
Sa statue venait d'être placée dans le camp : d'ardentes flammes
embrasèrent ses yeux fixes ; une sueur salée couvrit ses membres
et par trois fois, miracle indicible, elle se souleva du sol,
d'elle-même, avec son bouclier et sa lance qui tremblait.
Aussitôt le devin Calchas s'écrie qu'il faut prendre la mer et fuir,
que les Argiens n'anéantiront sous leurs traits Pergame
que s'ils vont reprendre les auspices à Argos, et en ramènent le Palladium,
qu'ils avaient emporté avec eux par-delà la mer, sur leurs nefs creuses.
Maintenant, à la faveur du vent, ils ont regagné Mycènes, leur patrie,
ils s'y arment et se ménagent la faveur des dieux, prêts à retraverser la mer,
et à revenir à l'improviste. Voilà comment Calchas comprend les présages.
Sur son conseil, au lieu du Palladium, en l'honneur de la divinité offensée,
les Grecs ont dressé une statue pour expier leur funeste sacrilège.
Toutefois Calchas a ordonné d'élever ce monument gigantesque
de planches assemblées, et de le faire monter jusqu'au ciel,
pour qu'il ne puisse franchir les portes, ni être introduit dans vos murs,
ni assurer à votre peuple la protection de son culte ancestral.
Car si de votre main vous aviez profané l'offrande à Minerve,
un grand désastre (que les dieux retournent plutôt ce présage
contre le devin !) en résulterait pour le royaume de Priam et les Phrygiens.
Mais si vos propres mains avaient hissé le cheval dans votre ville,
ce serait l'Asie même qui irait porter une guerre terrible
sous les murs de Pélops ; tel est le destin réservé à nos descendants !"

Ainsi Sinon parvient, non sans quelques invraisemblances, à relier Palladium et cheval de Troie. Commentant ce passage, Servius fera le point, au Ve siècle, sur la somme impressionnante de versions qui au fil des siècles se sont additionnées :

[166] palladium Helenus apud Arisbam captus a Graecis est et indicavit coactus fata Troiana, in quibus etiam de Palladio. Unde dicitur a Pyrrho regna meruisse: quamquam praestiterit Pyrrho, ut per terram rediret, dicens omnes Graecos, quod et contigit, naufragio esse perituros. Alii dicunt Helenum non captum, sed dolore, quod post mortem Paridis Helena iudicio Priami non sibi, sed Deiphobo esset adiudicata, in Idam montem fugisse, atque exinde monente Calchante productum de Palladio pro odio prodidisse. Tunc Diomedes et Ulixes, ut alii dicunt, cuniculis, ut alii, cloacis ascenderunt arcem, et occisis custodibus sustulere simulacrum ; qui cum reverterentur ad naves, Ulixes, ut sui tantum operis videretur effector, voluit sequens occidere Diomedem: cuius ille conatum cum ad umbram lunae notasset, religatum prae se usque ad castra Graecorum egit. Ideo autem hoc negotium his potissimum datur, quia cultores fuerunt Minervae. Hoc cum postea Diomedes haberet, ut quidam dicunt: quod et Vergilius ex parte tangit, et Varro plenissime dicit: credens sibi non esse aptum, propter sua pericula, quibus numquam cariturum responsis cognoverat, nisi Troianis Palladium reddidisset, transeunti per Calabriam Aeneae offerre conatus est. Sed cum se ille velato capite sacrificans convertisset, Nautes quidam accepit simulacrum: unde Minervae sacra non Iulia gens habuit, sed Nautiorum. Hinc est illud in quinto (704) videbatur : "Tum senior Nautes, Unum Tritonia Pallas Quem docuit". Quamquam alii dicant simulacrum hoc a Troianis absconditum fuisse intra extructum parietem, postquam agnoverunt Troiam esse perituram ; quod postea bello Mithridatico dicitur Fimbria quidam Romanus inventum indicasse ; quod Romam constat advectum. Et cum responsum fuisset illic imperium fore ubi et Palladium, adhobito Mamurio fabro, multa similia facta sunt. Verumtamen agnoscitur hastae oculorumque mobilitate. Une est : "hastamque ferentem". Sed ab una tantum sacerdote visa est : ut Lucanus (I, 598) : "Troianam soli cui fas vidisse Minervam". Dicunt sane alii, unum simulacrum caelo lapsum, quod nubibus advectum et in ponte depositum, apud Athenas tantum fuisse, unde et γεφυριστὴς dicta est. Ex qua etiam causa pontifices a ponte sublicio, qui primus Tybri impositus est, appellatos tradunt, sicut Saliorum carmina loquuntur. Sed hoc Atheniense Palladium a veteribus Troianis Ilium translatum. Alii duo volunt : hoc de quo diximus, et illud Atheniense. Alii, cum ab Ilo Ilium conderetur, hoc Troianum caelo lapsum dicunt. Alii a Dardano de Samothracia Troiam translatum. Alii multa fuisse Palladia, sed hoc a Diomede et Ulixe furto ablatum tradunt.

Hélénus fut capturé près d'Arisba et révéla sous la contrainte ce qui concernait le destin de Troie, en particulier à propos du Palladium. Voilà, dit-on, ce qui lui valut le royaume de Pyrrhus : bien qu'il ait [aussi] averti Pyrrhus de rentrer chez lui par la terre, en précisant que tous les Grecs (et c'est bien ce qui arriva) périraient en mer. D'autres affirment qu'Hélénos ne fut pas capturé, mais que du dépit de ne pas avoir obtenu Hélène, attribuée par Priam à Déiphobe après la mort de Pâris, il s'enfuit sur le mont Ida et qu'ensuite, à l'instigation de Calchas, il révéla ce qui concernait le Palladium.

Alors Diomède et Ulysse montèrent à la citadelle en empruntant des galeries souterraines (selon les uns) ou des égouts (selon les autres) et, après avoir tué les gardiens, ils emportèrent la statue. Mais alors qu'ils revenaient aux navires, Ulysse, pour paraître être le seul à avoir accompli un pareil exploit, voulut tuer Diomède qui marchait devant lui ; celui-ci devina son projet à l'ombre que fit la lune, le ligota, et le poussa devant lui jusqu'au camp des Grecs. Cette expédition leur est attribuée surtout parce qu'ils honoraient particulièrement Minerve.

Une fois Diomède en possession de ce Palladium (c'est une version que Virgile emprunte en partie et Varron complètement), il pensa que l'objet n'était pas fait pour lui, parce qu'un oracle lui avait appris qu'il ne verrait la fin de ses épreuves que lorsqu'il aurait rendu le Palladium aux Troyens ; il entreprit alors de le rendre à Enée pendant sa traversée de la Calabre. Mais comme celui-ci, tête voilée au cours d'un sacrifice, était tourné, c'est un certain Nautes qui prit la statue : voilà pourquoi ce n'est pas la gens Julia qui a possédé les objets sacrés de Minerve, mais celle des Nautii. D'où ce vers au livre V [de l'Enéide] (704) : "Alors le vieux Nautès, qui fut seul instruit par la Tritonnienne Pallas". Mais d'autres auteurs disent que cette statue avait été cachée par les Troyens à l'intérieur d'un mur lorsqu'ils comprirent que Troie allait périr ; par la suite, au cours de la guerre contre Mithridate, un Romain, Fimbria, dit l'avoir trouvée ; et il est établi qu'on la transporta à Rome. Et comme un oracle avait prédit que l'empire se trouverait à l'endroit même où se trouverait le Palladium, on fit venir le forgeron Mamurius pour en faire de nombreuses copies. Mais l'original se reconnaît à la mobilité de sa lance et de ses yeux. D'où l'expression "et sa lance tremblante". Mais une seule prêtresse le vit ; d'où le vers de Lucain (I, 598) : "La seule à qui il a été permis de voir la Minerve troyenne". Mais d'autres assurent qu'une seule statue tomba du ciel, portée par les nuages, et se posa sur un pont, à Athènes uniquement, d'où son nom de γεφυριστὴς ; voilà pourquoi les pontifes ont reçu leur nom du pont Sublicius, le premier à avoir été jeté sur le Tibre, comme le célèbrent les poèmes des Saliens. Mais ce Palladium athénien fut transporté à Ilion par de vieux Troyens. D'autres pourtant prétendent qu'il y en avait deux : celui dont je viens de parler, et l'athénien. D'autres, que lorsqu'Ilion fut fondée par Ilus, c'est ce Palladium troyen qui tomba du ciel. D'autres enfin assurent qu'il y a eu plusieurs Palladia, mais que celui-ci fut volé par Diomède et Ulysse.,

Servius ignore apparemment une dernière version sur l'origine du Palladium, mentionnée par un scholiaste d'Homère (Scholia in Iliadem 6.88b) et plus qu'étrange puisqu'elle n'associe plus du tout l'objet à Pallas :

φασὶν Ἥφαιστον ἐκ τῶν ὀστῶν Πέλοπος πεποιηκέναι τὸ Παλλάδιον.

On dit qu'Héphaïstos avait fait le Palladium avec les os de Pélops.

Le professeur Chiappinelli, qui nous a signalé cette rareté, la commente ainsi : «J’imagine que les Grecs voulaient s'attribuer l’origine d’un si célèbre talisman».

Une autre anecdote avait cours sur cette expédition de Diomède et Ulysse et sur leur trajet de retour. Elle développait celle qu'atteste Servius en lui donnant plus de piquant, et était racontée par l'historien augustéen Conon (livre 34), dont Photius nous a conservé l'Epitomé dans sa Bibliothèque (186) :

Στέλλονται οὖν ἐπὶ τῇ κλοπῇ τοῦ Παλλαδίου Διομήδης καὶ Ὀδυσσεύς, καὶ ἀναβαίνει ἐπὶ τὸ τεῖχος Διομήδης, ἐπιβὰς τῶν ὤμων Ὀδυσσέως· ὁ δὲ οὐκ ἀνελκύσας Ὀδυσσέα καίτοι τὰς χεῖρας ὀρέγοντα, ᾔει τὴν ἐπὶ τὸ Παλλάδιον, καὶ ἀφελόμενος αὐτὸ πρὸς Ὀδυσσέα ἔχων ὑπέστρεφε. Καὶ διὰ τοῦ πεδίου κατιόντων πυνθανομένῳ ἕκαστα τῷ Ὀδυσσεῖ Διομήδης, τὸ δόλιον τἀνδρὸς εἰδώς, οὐχ ὅπερ ἔφησεν Ἕλενος Παλλάδιον λαβεῖν αὐτόν, ἀλλ’ ἀντ’ ἐκείνου ἕτερον ἀποκρίνεται. Κινηθέντος δὲ τοῦ Παλλαδίου κατά τινα δαίμονα, γνοὺς Ὀδυσσεὺς αὐτὸ ἐκεῖνο εἶναι καὶ κατόπιν γεγονὼς σπᾶται τὸ ξίφος, ἐκεῖνον μὲν ἀνελεῖν βουληθείς, αὐτὸς δ’ Ἀχαιοῖς τὸ Παλλάδιον κομίζειν. Καὶ αὐτοῦ μέλλοντος πληγὴν ἐμβαλεῖν (ἦν γὰρ σελήνη) ὁρᾷ Διομήδης τὴν αὐγὴν τοῦ ξίφους. Ὀδυσσεὺς δ’ ἀναιρεῖν μὲν ἀπέσχετο ἀντισπασαμένου κἀκείνου ξίφος, δειλίαν δ’ ὀνειδίσας πλατεῖ τῷ ξίφει οὐκ ἐθέλοντα προϊέναι τύπτων τὰ νῶτα ἤλαυνεν. Ἐξ οὗ ἡ παροιμία «ἡ Διομήδειος ἀνάγκη» ἐπὶ παντὸς ἀκουσίου λεγομένη.

Diomède et Ulysse partent donc voler le Palladium ; Diomède grimpe sur le mur en montant sur les épaules d'Ulysse, mais ensuite il ne le tire pas, bien qu'Ulysse lui tende les mains ; il va chercher le Palladium, s'en empare, et va retrouver Ulysse. Pendant qu'ils redescendent à travers la plaine, Ulysse lui pose question sur question, mais Diomède, connaissant la fourberie du personnage, lui répond qu'il n'a pas emporté le Palladium, comme l'a dit Hélénos, mais une autre statue à sa place. Mais à ce moment, une divinité ayant fait bouger le Palladium, Ulysse comprend qu'il s'agit bien de lui : il se met derrière Diomède et tire son glaive avec l'intention le tuer, et de ramener seul le Palladium aux Achéens. Mais alors qu'il s'apprêtait à porter le coup, au clair de lune Diomède voit son reflet sur le glaive. Il empêche Ulysse de le tuer en tirant à lui le glaive, blâme sa lâcheté, et en le frappant du plat de son épée, il le pousse devant lui pour ne pas passer le premier. De là vient l'expression "le cas de force majeure de Diomède" qui s'applique à toute action que l'on fait contre son gré.

Il est décidément impossible de se fier à cette fripouille d'Ulysse !

Quant à la présence à Rome du Palladium, nous avons vu qu'une autre version supposait que Diomède aurait été averti par un oracle, et aurait apporté le Palladium à Enée en Italie. Cette version est abondamment développée, avec une variante, par Silius Italicus :

Et pour en revenir à Ulysse, voici la version plus classique de Quintus de Smyrne (X, 343-354). Quant à celle, bien plus originale, de Dictys de Crète (Ephemerides, V, 5-8) qui donne à Anténor un rôle auquel jusqu'alors les différentes variantes de l'histoire du Palladium n'avaient pas pensé, vous la trouverez dans la contribution de notre ami le professeur Chiappinelli :


Références des traductions