Cette contribution est directement reliée à celle d'Agnès Vinas sur le Palladium classique, qu’il faudra lire attentivement avant celle-ci, qui se contentera, comme d’habitude, d’examiner le mythe dans la littérature tardo-latine, byzantine et médiévale. En effet peu de mythes sont aussi riches de variantes, souvent très différentes les unes des autres : toutes les villes anciennes (mais souvent les modernes aussi) conservent jalousement un talisman protecteur, et l’on comprend bien les précautions compliquées que prennent les Troyens pour leur Palladium.

Darès ne parle pas du Palladium, et par conséquent Joseph of Exeter non plus ; en revanche, dans la partie finale de son poème, Benoît de Sainte-Maure suit Dictys, qui au contraire le mentionne abondamment ; après lui, Guido delle Colonne et ses innombrables vulgarisateurs racontent eux aussi amplement cette histoire.

Il y a en effet deux épisodes : le vol du talisman et la querelle entre Ulysse et Ajax fils de Télamon, qui chez les auteurs classiques concernait les armes d’Achille. Malalas, qui d’habitude suit fidèlement Dictys, regroupe à propos du Palladium les épisodes du vol et de la querelle : c’est Ulysse qui rappelle le vol au moment de la dispute. Il faut aussi prendre garde au rôle d'Anténor qui, chez Benoît et Guido, est le vrai responsable de la dévolution de la statue à Ulysse, et donc de la trahison de Troie.

1. Le vol du Palladium

Malalas, Chronographia, V 108-111, passim

ὁ γὰρ Τελαμώνιος Αἴας ἐζήτει λαβεῖν τὸ βρέτας, ὅπερ ἐστὶ τὸ Παλλάδιον, ζώδιον τῆς Παλλάδος μικρὸν ξύλινον, ὃ ἔλεγον εἶναι τετελεσμένον εἰς νίκην, φυλάττοντα τὴν πόλιν ἔνθα ἀπόκειται ἀπαράληπτον. τὸ δὲ αὐτὸ Παλλάδιον ἔδωκε τῷ Τρώῳ βασιλεῖ μέλλοντι κτίζειν τὴν πόλιν Ἄσιός τις, φιλόσοφος καὶ τελεστής. καὶ ὑπὲρ εὐχαριστίας ὁ Τρῶος βασιλεὺς εἰς μνήμην αὐτοῦ τὴν ὑπ’ αὐτὸν οὖσαν χώραν πᾶσαν τὴν πρῴην λεγομένην Ἐπίτροπον [ἣν] μετεκάλεσεν Ἀσίαν. τοῦτο δὲ τὸ βρέτας Ὀδυσσεὺς καὶ Διομήδης ἔκλεψαν κατὰ γνώμην τοῦ Ἀντήνορος, ἐξάρχου τῶν Τρώων, οὗτινος ἡ γυνή, ὀνόματι Θεανώ, ἦν ἱέρεια τῆς Παλλάδος, ὅπου τὸ αὐτὸ βρέτας ἀπέκειτο, εἰσελθόντες νυκτὸς οἱ περὶ τὸν Ὀδυσσέα καὶ Διομήδην ἐν τῇ Τροίῃ, καὶ παρακοιμηθέντες εἰς τὸ ἱερὸν τῆς Παλλάδος, ὅτε τὰς ἑορτὰς τῶν ἀναθημάτων εἶχον οἱ Φρύγες καὶ οἱ Ἕλληνες. ἐποίησαν δὲ τοῦτο οἱ Δαναοί, ἐπειδὴ ἐδόθη αὐτοῖς χρησμὸς ὅτι Οὐ δυνατὸν ὑμᾶς παραλαβεῖν τὴν Τροίην, εἰ μὴ τὸ Παλλάδιον ἀφέλησθε.

Ajax enim Telamonius Palladium quaerebat sibi : nempe parva illa Palladis statua lignea, quae ritu, ut aiunt, mystico parabatur, in victoriam scilicet, et ut urbem in qua servabatur inexpugnabilem praestaret. Palladium istud Asius quidam philosophus ac mysta Troi regi obtulerat urbis fundamenta jacturo : cuius in gratiam rex Tros universam dicionem suam, Epitropum ante vocatam, Asiam Asii philosophi in memoriam denominavit. Palladium hoc Ulisses ac Diomedes nocturno tempore Troiam ingressi Palladis ad fanum obdormientes, interim dum a Graecis Phrygibusque festa anathematum celebrarentur clam abstulerunt : hoc autem ex consilio Antenoris, qui ex Troianorum ducibus erat ; et cuius uxor Theano sacerdos Palladi inserviebat ubi Palladium hoc reponebatur nimirum Graeci ex oraculo edocti fuerant Trojam non aliter occupari posse nisi Palladium illud inde surriperetur.

καὶ πάλιν Ὀδυσσεὺς εἶπεν, Οὐ σιγήσομαι καὶ τοὺς λοιπούς μου κινδύνους, οὓς ἅμα Διομήδῃ ὑπέστην, ὅτε τὸ θεῖον βρέτας ἀφελέσθαι ἠβουλήθημεν, πῶς ἐν Ἰλίῳ διατρίβοντες σὺν τοῖς βαρβάροις καὶ τὰ συμβαίνοντα αὐτοῖς ἅπαντα νυκτὸς εἰς τὸ στρατόπεδον ἐξερχόμενοι ἀπηγγείλαμεν ὑμῖν τοῖς βασιλεῦσι, διηγούμενοι ἅτινα καὶ νῦν εἴπω. [...] πεισθέντες δὲ ὑμεῖς πάντες τοῦ Ἀντήνορος, ἐξεπέμψατέ με καὶ σὺν ἐμοὶ τὸν Διομήδην πρὸς Πρίαμον τυπῶσαι τὴν ποσότητα τῶν χρημάτων.

Tum vero Ulisses : "Sed neque reticendum, inquit, mihi existimo quod ulterius periculorum subivimus, ego ac Diomedes, Palladium surripientibus : quomodo, inquam, Troiae cum barbaris agentes quaecumque eis acciderant de his omnibus, castra per noctem repetentes, vos duces certiores fecerimus : quae nunc etiam repetere libet… Nobis vero omnibus Antenori annuentibus missi sumus ad Priamum ego et Diomedes ut de pecuniarum pondere statueremus…

C'est pendant cette ambassade que Diomède et Ulysse volent la statue d’Athéna. Mais Malalas n’en parle pas, tandis que son modèle Dictys en fait un récit détaillé.

Dictys de Crète, V, 5-8

[5] Quare consilio dilato, duces nostri ad Antenorem abeunt, ibique acceptis epulis pernoctant. Praeterea cognoscunt ab Antenore editum quondam oraculum Trojanis, maximo exitio civitati fore, si Palladium, quod in templo Minervae esset, extra moenia tolleretur : namque id antiquissimum signurn caelo sublapsum, qua tempestate Ilus templum Minervae extruens, prope summum fastigii pervenerat, ibique inter opera, quum necdum tegumen superpositum esset, sedem sibi occupavisse, idque signum ligno fabrefactum esse. Hortantibus dein nostris, uti secum ad ea omnia eniteretur, facturum se quae cuperent, reepondit. Atque his praedicit, publice se in consilio super qualitate eorum quae postulaturi essent, exertius disserturum, scilicet ne qua suspicio sui apud Barbaros oriretur. Ita composito negotio, cum luce simul Antenor ac reliqui proceres ad Priamum vadunt ; nostri ad naves redeunt.

[5] Cet accident ayant obligé les Troyens d'ajourner le conseil, nos chefs se rendent chez Anténor, et après avoir pris leur repas, ils y passent la nuit. Là, ils apprennent d'Anténor que, suivant un ancien oracle, la ville de Troie serait détruite de fond en comble, si l'on parvenait à enlever le Palladium que I'on conservait dans le temple de Minerve ; que cet auguste simulacre descendu du ciel était venu se placer de lui-même sur le sommet de l'édifice qu'Ilus faisait construire eu l'honneur de la déesse ; et qu'au milieu des travaux, lorsque la couverture n'était point encore posée, il avait de lui-même pris cette place. Cette statue était de bois. Les nôtres engagent Anténor à joindre ses efforts aux leurs pour enlever le Palladium. Ce prince promet de les satisfaire ; seulement il les prévient qu'il feindra de parler dans le conseil avec beaucoup de chaleur contre les Grecs au sujet des conditions de la paix, de peur d'inspirer aux Barbares des soupçons sur sa conduite. Le lendemain, au lever du soleil, Anténor et les grands du royaume se rendent chez Priam, et nos chefs retournent à leurs vaisseaux.

[7] Interim cognoscitur in apparatu rerum divinarum portentum ingens : namque aris composita sacrorum consueta, mox subjectus ignis non comprehendere, neque consumere uti antea, sed aspernari. Qua re turbati populares, sirnul uti fidem nuncii noscerent, ad aram Apollinis confluunt, atque ibi superpositis exetorum partibus, ubi flamma admota est, repente cuncta quae inerant disturbata, ad terram decidunt : quo spectaculo perculsis atque attonitis omnibus, subito avis aquila stridore magno immittit sese, atqae extorum partem eripit, moxque supervolans ad naves Graecorum pergit, ibique raptum omittit. Id vero Barbari non jam leve aut in obscuro, sed palam perniciosum credere. Interim Diomedes cum Ulisse dissimulantes quae gerebantur, obambulare in foro, circumspicientes landantesque praeclara operum civitatis ejus. At apud naves auspicio tali motis omnium animis Calchas uti bonum animum gererent hortatur ; brevi quippe dominos fore eorum quae apud Trojam essent.

[7] Cependant on est témoin à Troie d'un prodige étonnant. Le feu, loin de consumer les offrandes placées sur l'autel, ne daigna pas même s'y attacher, et sembla s'en écarter. Les Troyens, épouvantés à cette nouvelle, accourent en foule au temple d'Apollon ; les entrailles des victimes, à l'approche du feu, se dispersent et tombent à terre; mais au milieu de l'étonnement et de la frayeur des spectateurs, un aigle, fondant soudain vers l'autel avec un grand bruit, enlève une partie de la victime, et, dirigeant son vol vers les vaisseaux des Grecs, il y abandonne sa proie. Cet augure ne parut point obscur aux Barbares ; ils y lurent ouvertement leur destinée future. Diomède et Ulysse, feignant d'ignorer ce qui venait de se passer, se promenaient sur la place publique, examinaient avec intention les monuments de la ville, et louaient leur belle ordonnance. Cependant du côté des Grecs, un tel événement avait frappé  tous les esprits ; alors Calchas nous invite à prendre courage, et nous assure que bientôt nous serons maîtres de la ville et de tout ce qu'elle renferme.

[8] Caeterum Hecuba, re cognita, placatum deos egreditur, ac praecipue Minervam atque Apollinem, queis cum dona multa, tum victimas opimas admovet : sed in adolendo quae sacra aris reddebantur, eodem modo restingui ignes, ac repente interire visi. Inter quae tam sollicita Cassandra deo plena, victimas ad Hectoris tumulum transferri imperat : deos quippe aspernari jam sacrificia, indignatos ob commissum paullo ante scelus in Apollinem. Ita tauris qui immolati erant, ad rogum Hectoris, sceuti imperabatur, apportatis, moxque igni subjecto, consumuntur cuncta. Inde ubi jam vesperarat, domum discessum : atque eadem nocte Antenor clam in templum Minervae venit, ubi multis precibus vi mixis Theano, quae ei templo sacerdos erat impulit, uti Palladium sibi traderet : habituram namque magna ejus rei praemia. Ita perfecto negotio ad nostros venit, hisque promissum offert, verum id Graeci obvolutum bene, quo ne intellegi a quoquam posset, vehiculo ad tentotia Ulissis per necessarios fidosque suas remittunt [...] Ibi conductis ducibus, cuncta dicta gestaque exponunt : Palladium etiam ablatum per Antenorem docent. Dein ex omnium sententia, reliquus miles rem cognoscit.

[8] Hécube, instruite de ce funeste présage, sort de son palais pour apaiser les dieux, principalement Minerve et Apollon ; elle charge les autels des dons les plus riches, et présente les plus belles victimes ; mais lorsqu'il s'agit de les brûler, on voit, comme la première fois, le feu s'éteindre à leur approche. Au milieu de l'inquiétude générale, Cassandre, inspirée par la divinité, ordonna de transporter les victimes au tombeau d'Hector. Les taureaux égorgés furent placés sur le bûcher, et bientôt consumés par le feu. Comme le jour commençait à baisser, chacun se retira dans sa maison.  Pendant la nuit, Anténor se rend secrètement au temple de Minerve, et, employant tout à tour les prières, les promesses et  la violence, il oblige Théano, grande prêtresse du temple, à lui livrer le Palladium. Muni de ce gage précieux, il va promptement trouver Diomède et Ulysse, le leur remet entre les mains, comme il l'avait promis. Ceux-ci voilent bien la statue afin que personne ne puisse la reconnaître, et la font conduire à la tente d'Ulysse dans un chariot couvert, par des gens sûrs et discrets [...] Tout étant ainsi réglé, Diomède et Ulysse se rendent aux vaisseaux pour nous instruire du succès de leur négociation : en présence des chefs assemblés, ils nous font part de tout ce qui s'est passé à Troie, et nous apprennent que le Palladium a été enlevé par Anténor. D'un consentement unanime, on instruit toute l'armée de cette heureuse nouvelle.

Voici maintenant les versions de Benoît et de Guido :

Benoît de Sainte-Maure, Roman de Troie en prose, 55-6, passim

55. L’andemain matin sont alez en l’ost des Grizois Anthenor et Eneas, et ont parlé a cels a cui il apartenoit de ceste besoigne traiter...Et lors sont il arriers retornez en la cité et ont avec aux amené Ulixés et Dyomedés... Einsi comme il parloient comment l’acordance seroit faite, si leva par la sale une grant tumulte de genz et grant noize; si cuida Anthenor que ce feussent les enfanz au roy Priant qui venissent ocirre Ulixem et Dyomedem, si ot molt grant poor. Et tantost fu tout tessé car ce n’avoit esté que parole de gent; si prist Anthenor les trois roys et s’alerent seoir a une part entr’eux III et leur dist: « Certes, seignors, il n’est riens que ge tant desirre comme avoir vostre amour et des Grizois ensement. Si vos vueil bien faire asavoir que nos avons ceanz par cui nos somes tensé et garanti, et vos diré comment. Voirs est que quant Ylus qui fist Troie premierement et fist Ilyon, quancque il fesoit faire le temple de Minerve, avant qu’il feust tout achevé et couvert, que nous trouvons que Palas, qui est deesse de chevalerie, envoia des ciex un signe de fust merveilleux en seurtance que ja ne doutent Troyens perdre la cité ne la terre tant comme il l’aient; et l’apelent Palladion. Dont ge di que se Grizois le poaint avoir que trop aesiement feroit l’en le sorplus de noz consaux ». Lors dist Ulixés a Anthenor:« Et que nous vaudroit donc tenír parole n’a vous n’a autre se nos ne l’avions? Nos perdrions noz poines. Mes ge sai bien, se vos i volez mestre poine, nos l’avrons. Et lors aparra se vos nos amez tant comme vos dites ». Adonc a dit Anthenor et ostroié que comment que il en doie aler ne avenir, il le fera. Si lor dist qu’il s’en aillent arriers en l’ost au Grizois et il dira au roy Priant, et lui et Eneas, le pris de la pés faire. Si s’en sont retornez Ulixés et Dyomedés arrieres.
56. Un jour avint que Diomedés et Ulixés estoient venuz parler a Anthenor et a Eneas, li quel estoient ou temple de Minerve ou il parloient ensemble et porpensoient la maniere de la trahison…Icele nuit meismes fist tant Anthenor vers Thehaus qui gardoit le temple Minerve ou Palladion estoit, que il li souffri a embler le Palladion, et le porta la nuit en l’ost des Grizois. Quant Anthenor s’en fu alez au bien matin, si fu montrez le Palladion a touz les Grizois. Si vint Calcas a aux et leur dist: « Seignors, ge loeroie une chose, et si sera bon a faire, que li dieu ne se ayrassent a nos, quar ge m’en dout, que l’en feist faire un cheval grant et merveilleux et bel et riche por offrir au temple ou le Palladion a esté emblez», et il dient qu’il en croiront son conseil ; si ont quis por ceste ouvre faire un sage mestre qui avoit non Epyus, qui bien la fist ….

Guido delle Colonne, Historia destructionis Troiae, XXIX, passim

Anthenor vero Ulixem et Dyomedem secretum trahit in locum ubi satis secure loqui poterant de dolosis archanis eorum. Et solis tantum consedentibus illis tribus, Ulixes dixit Anthenori: “Ad quid trahis tantis expectacionibus vota nostra ut res nobis a te promissa suum non consequatur effectum ?”. Dixit Anthenor : “ Sciunt dii voluntatem meam quia ad nichil aliud vigilo cum Henea nisi quod promissa vobis per nos celeriter compleantur. Sed impedimentum votorum nstrorum est quedam mirabilis structura deorum, quam meo, si placet vobis, explicabo sermone”. Cui dixit Dyomedes: " Placet et gratum est nobis". Quibus Anthenor sic ait: " Certum et indubitatum est in hac urbe quod rex Ylius, qui Ylion fundavit primo in Troia, unde Ylion ex suo nomine dictum est, statuit in honorem Palladis magnum templum in hac urbe esse constructum. Quod cum totum esset perfectum in muris et non superesset nisi construi solum tectum, ex celo quoddam mirabile signum et quedam res nimium virtuosa descendit, et iuxta magnum altare divino ministerio seipsum affixit in muro, ubi ex tunc semper stetit ibidem et a nemine se baiulari permittit a loco scilicet ubi est, nisi a custodibus suis tantum, et nunc a solo suo custode videlicet sacerdote tantum, qui illud in diligencia magna custodit. Eius tamen materia, ut ab ipsis custodibus narratur, pro maiori parte consistit ex ligno. Cuius autem generis lignum sit a nemine nosci potest, nec eciam sciri qualiter in sua forma in qua est potuit esse factum. Dea vero Pallas, cuius beneficio Troyanis dicitur attributum, edixit qualis virtus in ipso ligno consistat, que talis est ut donec ipsum signum sit intus in templo vel infra menia civitatis, Troiani numquam ipsam civitatem amittent nec Troiani reges nec heredes eorum. Hec est enim spes certissima Troyanorum, propter quam securi vivunt Troyani, non timentes urbis excidium aut ruinam. Huius autem signi nomen, pro eo quod a dea Pallade creditur esse datum, Palladium communiter appellatur”. Ad hec Dyomedes dixit Anthenori: ”Amice, si ita est de Palladio ut dicis tu, superstitiosus est penitus labor noster, cum civitas propter Palladium capi non valeat nec haberi.” Anthenor vero respondit: “Si de mora nostra miramini quare promissa vobis non sunt complemento mandata, hec est sola causa quare dilata sunt usque modo. Sed cum ego hucusque tractaverim cum sacerdote custode de Palladio vobis dando furtive, de quo certam iam habemus fiduciam pro quadam auri maxima quantitate a me sacerdoti ipsi promissa, unde infallibiliter certi sumus. Quando primo erit Palladium extra menia civitatis, ad vos illud destinare curabo, et tunc pro certo perficietur in omnibus votum vestrum”.

Libro XXX, passim
Donec autem dabatur opera per Troyanos ad quantitates ipsas studiose colligendas, Anthenor ad sacerdotem Thoantem, Palladii custodem, sub noctis taciturnitate se contulit, maximam quantitatem auri in magno pondere secum ferens. Quam obtulit sacerdoti Thoanti, et ambobus existentibus in secreto, ei dixit Anthenor : « Ecce quantitas auri tam maxima, qua dum vixeris tu et heredes tui poteritis semper diviciis habundare. Accipe tibi eam et da michi Palladium quod custodis, ut illud michi liceat asportare; a nemine enim sciri poterit quod a nobis duobus solummodo committetur. Sane sicut tu intendis vitare Troyanorum infamiam sic et ego, prius etenim mallem mori quam a Troyanis contra me posset impingi me fuisse scilicet huius commissi facinoris participem vel auctorem. Propono itaque, si feceris, illud statim Ulixi transmittere valde secreto, penes quem dum postea esse scietur, soli Ulixi poterit culpa eius ascribi. Dicetur enim Ulixem a templo Palladium subtraxisse, et nos duo erimus ab omni nocencie crimine penitus excusati.” Thoans vero sacerdos quasi pro maiori parte noctis illius violenter resistit verbis Anthenoris. Sed demum antequam Anthenori subtraheretur de nocte libera recedendi facultas, Thoans illaqueatus in auri cupidine Palladii subtraccionem Anthenori sponte concessit. Quod Anthenor statim asportavit a templo, et statim eadem nocte per nuncium suum illud transmisit ad Grecos, quod Ulixi fuit protinus assignatum. Postea vero, fama dictante, publice dictum est quod Ulixes sua sagacitate illud interceperat a Troyanis.

Sed O dii ex quo Thoans sacerdos elegit civitatem suam proditorie malle perire quam aurum perdere sibi datum, quis locus tutus esse poterit aut securus si sanctitas in corrumpenda corrumpitur ? Sane non est in sacerdotibus novum istud, in quibus ex antiquo avaricia, omnium viciorum mater, suas radices affixit et ingluviosa cupiditas suas medullas. Nullum enim scelus potest esse tam grave quod ad committendum illud sacerdotes in fulgore auri subitam non recipiant cecitatem. Sunt enim avaricie templum et cupiditatis auxilium.

Les nombreux témoignages classiques, comme d’ailleurs ceux de Dictys et Malalas, suivent Homère (Iliade, VI 298) et font de Théano, femme d’Anténor, la prêtresse d’Athéna ; plusieurs d’eux en font même la complice du mari. Mais Benoît et Guido, peut-être à cause d’une erreur d'interprétation, parlent d'un Thoas comme prêtre de la déesse : l’idée de prêtresse n’était pas familière aux chrétiens du Moyen Age, comme d'ailleurs aux contemporains… Il faut aussi remarquer les critiques finales de Guido, tout à fait médiévales, sur l’avidité des prêtres...

2. La querelle entre Ajax et Ulysse

Les auteurs classiques évoquent amplement la querelle entre ces deux héros, mais à propos des armes d’Achille. Les écrivains tardo-latins, byzantins, médiévaux suivent pour leur part une variante importante : c'est pour l'obtention du Palladium que s'affrontent Ajax et Ulysse, tandis que les armes d’Achille sont attribuées à Néoptolème lors de son arrivée à Troie. Ce choix est peut-être moins poétique mais assurément plus cohérent.

Malalas, Chronographia 109-114, passim

καὶ ἐζήτει λαβεῖν αὐτὸ ὁ Τελαμώνιος Αἴας εἰς τὴν ἰδίαν αὐτοῦ πατρίδα, λέγων, Ἐμοὶ ἐχρεώστηται· ἔκαμον γὰρ Ἀχαιοῖς. ἀρκεῖ μοι γὰρ ἡ παρὰ Ἕκτορος εἰς ἐμὲ γεναμένη παραίτησις ἐν τῇ παρ’ ἐμοῦ πρὸς αὐτὸν μονομαχίᾳ. καὶ πάλιν ἐποίησα ἔφοδον ἐπὶ τὴν πύλην τοῦ Ἰλίου, μόνος διώξας τοὺς Τρῶας, καὶ σώσας τὰς νῆας πάντων ὑμῶν Ἑλλήνων, καὶ πολλοὺς τῶν Τρώων ἥρωας ἄνδρας βαλὼν οὐκ ἐτρώθην. ἀρκεῖ δέ μοι, νομίζω, καὶ τοῦτο πρὸς δόξαν, τὸ ἀγάγαι τὸ σῶμα τοῦ Ἀχιλλέως εἰς τὰς σκηνὰς ἐκ τοῦ ἱεροῦ τοῦ Θυμβρίου Ἀπόλλωνος. Ὁ δὲ Ὀδυσσεὺς ἀνθίστατο αὐτῷ λέγων ὅτι Ἐγὼ αὐτὸ λαμβάνω εἰς τὴν ἐμὴν πόλιν· οὔτε γὰρ πλέον μου κέκμηκας Ἕλλησιν. ἐξ ἀρχῆς γὰρ μετὰ τὴν τῆς Ἑλένης ὑπὸ Πάριδος κλοπὴν εἰς τὸ Ἴλιον ἐξώρμησα σὺν Παλαμήδῃ καὶ Μενελάῳ βασιλεῖ. ὁμοίως δὲ καὶ τοὺς βασιλεῖς καὶ τοὺς ἥρωας ἐγὼ πανταχόθεν προσεκαλεσάμην.

Deposcebat autem hoc sibi Telamonius Ajax, uti in patriam suam deportaret. Quippe mihi, inquit, merito debetur, qui pro Achivis tot sustinui. Satis equidem mihi esset si Hector singulari certamine congressurus cedebat impar. Sed etiam propulsatis hostibus ego Ilii ad portas viam solus aperui vestrumque omnium navibus conservatis complures Trojanorum heroas necdum sauciatus ipse vulneravi. Sed et abunde mihi est in gloriam quod Achillis corpus, Thymbraei Apollinis fano extractum, ad castra deduxi. Caeterum Ulisses contra locutus : « Quin potius hoc mihi debetur, quod in urbem meam deportarem. Laboribus enim meis non tu maioribus Argivos demeruisti. Ab ipsis enim belli primordiis post raptam a Paride Helenam ego adversus Ilium cum Palamede et Menelao rege arma movi. Reges ego heroasque undique accersitos in partes vocavi.

Καὶ ἀντεποιοῦντο τοῦ Ὀδυσσέως ὁ Ἀγαμέμνων καὶ ὁ Διομήδης καὶ ὁ τούτων στρατός, τοῦ δὲ Τελαμωνίου Αἴαντος ἀντείχετο ὁ Νεοπτόλεμος Πύῤῥος, ὡς ἐκ γένους αὐτοῦ ὑπάρχων, καὶ ὁ τούτου στρατός. πολλῶν δὲ ἄλλων κινηθέντων μεταξὺ αὐτῶν ὁ τούτου στρατός. πολλῶν δὲ ἄλλων κινηθέντων μεταξὺ αὐτῶν ἄχρις ἑσπέρας, τέλος ἔδοξεν ὥστε λαβεῖν ἐν παραθήκῃ ἕως τῆς ἐπιφωσκούσης ἡμέρας τὸν Διομήδην τὸ Παλλάδιον καὶ τοῦτο φυλάξαι, καὶ ἕκαστον αὐτῶν ἀνεθῆναι, ἵνα κατὰ τὴν ἑξῆς τύπος δοθῇ τίνι ἐξ αὐτῶν χρὴ δοθῆναι τὸ Παλλάδιον. ὁ δὲ Αἴας, γενόμενος κατὰ τοῦ Ὀδυσσέως καὶ Ἀγαμέμνονος καὶ Διομήδους, ἀνεχώρησεν εἰς τὸν ἴδιον αὐτοῦ παπυλεῶνα· καὶ διὰ νυκτὸς σιδήρῳ ἐσφάγη ὁ Αἴας. καὶ τῇ πρωὶ ηὑρέθη τὸ λείψανον αὐτοῦ· καὶ ἐστασίασεν ὁ στρατὸς αὐτοῦ καὶ τοῦ Πύῤῥου κατὰ τοῦ Ὀδυσσέως, θέλων αὐτὸν φονεῦσαι. καὶ λαβὼν τὰ ἴδια πλοῖα ὁ Ὀδυσσεὺς ἔφυγεν, ἀποπλεύσας ἐπὶ τὴν Ποντικὴν θάλασσαν.

Agamemnon itaque et Diomedes eorumque exercitus ab Ulissis parte steterunt; Pyrrhus autem Neoptolemus cum suis ab Ajacis Telamonii, utpote qui genere ei propinquus esset. Caeterum multis aliis inter duces ad vesperam usque agitatis tandem visum est uti Palladium Diomedes apud se depositum servaret in mane proximum, uterque interim ut quiesceret donec mane proximo decerneretur cui pro meritis Palladium daretur. Ajax itaque Ulissi, Agamennoni ac Diomedi offensus in tentorium suum se recepit, ubi per noctem gladio occisus est, invento ibi luce proxima cadavere. Ajacis itaque Pyrrhique exercitus adversus Ulissem insurgebant eum interfecturi. Verum is, diductis navibus suis fugaque sibi consulens, in mare Ponticum cursum dirigit.

Malalas, on l’a déjà vu à propos du Palladium et de la querelle entre Ajax et Ulysse, est relativement indépendant de Dictys, qui inspirera plus directement Benoît et Guido. Voilà leurs récits.

Pour vanter ses mérites, Ajax rappelle le sac des villes alliées de Troie, la capture de Polydore, le duel contre Hector ; Ulysse pour sa part évoque la mort de Pâris et de Polyxène, le vol du Palladium avec la complicité de Diomède et enfin le piège du cheval. Les Atrides lui donnent la victoire, mais le mécontentement des soldats l’oblige à partir précipitamment ; le Palladium reste alors aux mains de Diomède.

Dictys, Ephemerides belli Troiani, V 14-15

14. Interim super Palladio ingens certamen inter se ducibus exortum, Aiace Telamonis expostulante in munus sibi, pro his quae in singulos uniuersosque uirtute atque industria sua contulerat. Quare coacti paene omnes, simul uti ne laederetur animus tanti uiri, cuius praeclara facinora uigiliasque pro exercitu in animo retinebant, concedunt Aiaci, contradicentibus solis omnium Diomede atque Ulisse: sua quippe opera id ablatum; contra Aiax affirmare, non labore aut uirtute eorum rem gestam: Antenorem namque contemplatione communis amicitiae abstulisse. Tum Diomedes, honori eius per uerecundiam concedens, a certamine destitit. Igitur Ulisses cum Aiace summa ui contendere inter se, atque inuicem industriae meritis expostulare, adnitentibus Ulissi Menelao atque Agamemnone, ob seruatam paullo ante opera eius Helenam. Namque post captum Ilium Aiax recordatus eorum quae tantis tempestatibus propter mulierem experti perpessique essent, primus omnium interfici eam iusserat; iamque approbantibus consilium Aiacis multis bonis, Menelaus amorem coniugii etiam tunc retinens, singulos ambiendo orandoque ad postremum perfecerat, uti intercessu Ulissis, Helena incolumis sibi traderetur. Itaque ueluti iudicio amborum merita spectantes, queis etiam nunc bellum in manibus atque hostiles multae nationes circumstreperent, nullo dilectu uirorum fortium spretisque Aiacis tot egregiis facinoribus ac frumenti, quod ex Thracia aduexerat, per totum exercitum distributione, Ulissi Palladium tradunt.

Une grande contestation s'éleva entre les chefs au sujet du Palladium, qu'Ajax Pélamon voulait avoir en récompense des services qu'il avait rendus par sa valeur et son habileté, soit à l'armée en général, soit à chaque chef en particulier. Tous, dans la crainte d'offenser un personnage d'une telle importance, dont le zèle constant n'avait eu pour objet que le salut de tous, et qui laissait dans les coeurs un souvenir précieux, le lui cédèrent aussitôt. Diomède et Ulysse seuls s'opposèrent au désir général ; ils prétendaient que c'était à eux que l'on devait l'avantage de posséder le Palladium. Ajax, au contraire, répondait que ce n'était ni par leur valeur ni par leurs grands travaux qu'ils l'avaient conquis ; qu'Anténor, par amitié pour les Grecs, le leur avait livré. Diomède enfin, par respect pour ce héros, se désista de ses prétentions et se retira. Ajax et Ulysse restèrent donc les seuls concurrents, et se disputèrent le prix avec beaucoup de chaleur. Ils le réclamaient l'un et l'autre en vertu de leurs services. Ménélas et Agamemnon prirent parti pour Ulysse, parce que c'était à lui qu'ils devaient la conservation d'Hélène. En effet, après la prise de Troie, Ajax rappelant aux Grecs les maux qu'ils avaient soufferts à l'occasion de cette femme, avait été le premier à demander sa mort. Déjà on approuvait son dessein et on allait le mettre à exécution. Mais Ménélas, conservant tout son amour pour elle, et secondé par Ulysse, avait obtenu, à force de démarches et de prières, qu'on lui laissât la vie. Les Grecs, à l'instigation d'Agamemnon et de Ménélas, jugèrent d'une manière assez injuste entre les deux concurrents. Ils étaient encore dans un pays ennemi, exposés sans cesse à être attaqués par les nations voisines qui frémissaient de rage à la vue des ruines de Troie ; cependant, au mépris des égards que l'on doit à la valeur, oubliant les nombreux exploits d'Ajax, plus encore les provisions de bouche qu'il avait amenées de Thrace, et dont il avait abondamment pourvu toute l'armée, ils adjugèrent le prix à Ulysse, qui lui était bien inférieur en tout.

15 Quare cuncti duces, qui memores uirtutum Aiacis nihil praeferendum ei censuerant quique secuti gratiam Ulissis impugnauerant talem uirum, studio in partes discedunt. Interim Aiax, indignatus et ob id uictus dolore animi, palam atque in ore omnium uindictam se sanguine eorum a quibus impugnatus esset exacturum denuntiat. Itaque ex eo Ulisses, Agamemnon ac Menelaus custodiam sui augere, et quo tutiores essent summa ope inuigilare. At ubi nox aderat, discedentes uno ore omnes lacerare utrumque regem, neque abstinere maledictis; quippe queis magis libido desideriumque in femina quam summa militiae potiora forent. At lucis principio Aiacem in medio exanimem offendunt: perquirentesque mortis genus, animaduertere ferro interfectum. Inde ortus per duces atque exercitum tumultus ingens, ac dein seditio breui adulta, quum ante iam Palamedem uirum domi belloque prudentissimum nunc Aiacem, inclytum tot egregiis pugnis atque utrosque insidiis eorum circumuentos ingemescerent. Ob quae supradicti reges ueriti, ne qua uis ab exercitu pararetur, intus clausi firmatique per necessarios manent. Interim Neoptolemus aduecta ligni materia, Aiacem cremat: reliquiasque urnae aureae conditas in Rhoeteo sepeliendas procurat, breuique tumulum exstructum consecrat in honorem tanti ducis. Quae si ante captum Ilium accidere potuissent, profecto magna ex parte promotae res hostium ac dubitatum de summa rerum fuisset. Igitur Ulisses ueritus uim offensi exercitus, clam Ismarum aufugit: atque ita Palladium apud Diomedem manet.

La division se mit donc parmi les chefs : les uns, convaincus du mérite d'Ajax, avaient soutenu ce prince, pensant que rien ne pourait lui être comparé ; les autres, partisans d'Ulysse, avaient formé une brigue puissante contre le héros, et l'avaient privé de sa récompense. Ajax, qu'une telle préférence remplissait d'indignation et pénétrait de douleur, dit en présence de tous, qu'il saurait tirer une vengeance éclatante de ceux qui avaient l'audace de s'opposer à ses prétentions. Cette menace donna lieu à Agamemnon et à Ménélas de doubler leurs gardes, et de veiller avec exactitude à leur propre sûreté. Au commencement de la nuit toute l'armée se retira. On murmurait hautement, et on accablait les princes d'injures. On leur reprochait justement d'avoir sacrifié les lois militaires au désir de récompenser celui qui leur avait conservé la possession d'une femme. Le lendemain, au lever du soleil, on trouve Ajax étendu à terre sans vie ; on s'empresse aussitôt de savoir la cause de sa mort ; on reconnaît qu'il a été assassiné. Aussitôt le tumulte augmente, et toute l'armée se soulève. On avait déjà eu à pleurer la mort de Palamède, prince recommandable par sa prudence et son habileté : maintenant c'était Ajax, célèbre par tant de victoires, qui venait de périr par un lâche assassinat. Cependant, les auteurs du crime craignant avec raison d'être mis en pièces par l'année, se tiennent soigneusement renfermés, et se font un rempart de leurs parents et de leurs amis. Néoptolème, de son côté, fait apporter promptement du bois pour former un bûcher, et rend à Ajax les derniers devoirs. Il enferme ses cendres dans une urne d'or, et bientôt après élève un tombeau en son honneur sur le promontoire de Rhétée. Si ce malheur fut arrivé avant la prise de Troie, la fortune des ennemis eût sans doute changé, et la victoire eût pu demeurer incertaine entre les deux nations. Ulysse, pour se soustraire au ressentiment de l'armée irritée, s'enfuit secrètement au pied du mont Ismare. Ainsi, le Palladium resta entre les mains de Diomède.

Benoît de Sainte-Maure - Roman de Troie en prose, 58

58. Quant Grizois orent tout ce fait, il ont regardé entr’aux a cui le Paladion seroit donez, et dient tuit que se Achillés vesquist, que nul fors lui ne le deust avoir. Et disoit Thelamon Ajaux que il le devoit avoir, car maintes foiz avoit l’ost secoru en bataille et de vitaille rasasié. Et dist Dyomedés que par droit jugement ne le devra il pas perdre, car il a tout seul par son cors souvent garanti l’ost d’estre desconfit en plusors batailles, qu’il s’en feust foyz de champ se il ne fust. Lors dist Ulixés: « Certes, qui que le doie avoir, ge di qu’ i doit estre mien. Car se ge ne eusse esté, encor ne l’eussions nos pas et, se ne feust mon sen et mes paroles, vos n’eussiez ja venu a chief de ceste besoigne ». Thelamon Ajaux li respondi lors et dist: « Certes grant vuitance et grant honte seroit se ainsi vos remanoit le Palladion, car a vaillant home l’avroit l’en doné, a un trahiteur et parjure et qui par sa fauseté nos a fet faire tel besoigne qui sera mes touz jorz reprochiee a nous et a noz hoirs ! Mes ge qui conquis Trones et Trace et en aporte les avoirs, et qui conquis Polinestor qui me randi le fil au roy Priant, Polidarus, que nos lapi-dames devant les murs de Troie, dont ne conquis la gent de Fige et fis venir en l’ost totes leur richeces ? n’onques n’en reting solement que la fille au roy qui estoit apelee Thenisa? et les regnes de ci environ ne conquis ge et en coppé les testes a plusors roys? de rechief ne conquis ge la terre de Brocelande? et Cespin Larrissam et Ausban et pluseurs autres regnes ai ge conquis. Por quoi ge di que mielz doit miens estre le Palladion que a nus de vos. Et bien sache dans Ulixés que si il l’a avant de moi, que ja en pés ne l’avra, ainz le porra bien comparer. Certes ge di que se Achillés vesquit, que nus par devant lui parler n’en deust; car tuit feussions morz se il ne feust et mis a destruction, que il a ocis les filz Prianz les forz et les preuz. Et par lui furent les citez de ci entour et les chastiaux conquis. Il conquist Lesbion et ocist le roy Forbata, et en amena sa fille Dyomedee que Polus ama tant. Il conquist Signe et Karapolin, et si conquist le roy Cythaires, et le roy Armosnés de Silice la grant, et le roy Pedyson de Ligeron, et le roy Brisés dont il amena Ypodamia sa fille. Et Agamenon qui ci est set bien se je di voir, car Achillés li dona par amors Astrinomein et ne retinst par l’ostroi commun que Dyomedee et Ypodamia, dont ge di que ce sont faiz por quoi il le deust avoir s’il fust vis. Mes vos, qui ne savez faire que tricherie et trahison et faux conseil doner, ne devriés estre oyz de riens, ne de ceste chose parler ne devez estre oyz ne escoutez ». Et quant Dyomedés entendi les reproches vilains et les lesdes paroles que l’en disoit, si se departi. Et toutevoies l’ostroia Agamenon et Menelax son frere a Ulixés, et li donerent le Palladion por l’amor de la poine qu’il avoit mis en faire la pés de Menelaux et de Heleine, mes le pueple commun les en blauma et distrent que mielz le deust avoir Thelamon. Si les menaça touz et desfia Thelamon, et se parti par mautalant dou concire; icele nuit se fist chascun guestier a sa gent por poour de lui, car il le redoutoient a merveilles. Quant vint a l’andemain matin, Thelamon fu trouvez ocis et decoppez; si ne le sot l’en seur cui mestre que seur Ulixés et Menelaux et son frere. Si s’en sont molt malement corrociez et corurent aux armes plus 150 de X. foiz le jour pour corre seur cels que l’en en soupeçonoit, car trop en estoient si ami dolent. Lors le fist Neptolemus, le fill Achillés, ensevelir et enterrer molt noblement, car il l’amoit sor toute riens. Mes Ulixés ot tel poour de soi que l’en ne l’oceist ou afolast que il s’en fouy de nuit par mer et lessa a Dyomedés le Palladion a garder.

Guido de Columnis, Historia destructionis Troiae, XXXI passim

Post Troye urbis in tanto suorum ciuium et eorum facultatum discrimine capcionem, nondum Grecis ualentibus a Troya recedere proper nimiam maris et temporis tempestatem, Thelamonius Ayax coram Agamenone et aliis Grecorum principibus contra Ulixem querelam exposuit, dicens quod cum in distribuendis bonis et facultatibus in Troyane ciuitatis capcione quesitis debuerit ea forma seruari ut secundum dignitatem, meritum, et laborem deberet vnicunque prerogatiua seruari, in Palladio concedendo non fuit tamen equa forma seruata, cum Palladium concessum fuerit Vlixi, qui tanto premio non fuit dignus, "et ego eo caream, qui multo magis eo dignus existo, cum propter mee strennuitatis sudores inmodicos multociens Grecorum exercitum, fame nimium laborantem, multa saturitate repleuerim in multarum rerum uictualium ubertate, quem multociens a Troyanis quasi devictum in mee fortitudinis robore illesum perdurare et conseruari fecerim contra hostes, cum et ego regem Pollimestorem interfecerim, in cuius custodiam rex Priamus commiserat eius filium Pollidorum cum infinita quantitate thesauri. Quo Pollidoro a me eciam interfecto, thesaurum suum ad exercitum Grecorum totum adduxerim, ex quo fuit exercitus semper in suis expensis habundans. Interfecerim eciam regem Frigie, omnibus bonis eius Grecis adductis. Et eo amplius quod dominio Grecorum adiecerim meo studio et in meis uiribus multa regna, Gargaros scilicet, Crepesim, Arisbam et Larissam, necnon et circum adiacencia regna Troye et loca sibi finitima usque ad muros ciuitatis ipsius, cum nullus esset tunc qui Troyanis in nullo succurreret et in fori copia subueniret. Cum et ego cum Achille multa uictoriosa perfecerimque licet ipse in suo sermone vniuersa distinxerit, hic tamen tamquam superflua sunt obmissa. "At ipse Ulixes carens omni strennuitate milicie sola sui sermonis facundia uigere et superesse uidetur, que non preualet nisi in blandiciis tantum et fallaci arte uerborum. Qui si dixerit nos dominos per eum Troyane ciuitatis effectos, hoc non a sue strennuitatis uirtute processit sed a proditoriis et fallacibus uerbis suis, propter quod perpetue labis laboramus infamia inter gentes, ut Troyanos, quos debuimus in potencia uestra deuincere, ui[n]cerimus per machinacionis fallaciam et per dolum."

Postquam uero suis uerbis Thelamonius finem fecit, Vlixes contra eius uerba animose respondens dixit se Troyanum exercitum ex sua strennuitate uicisse et sapienti consilio sensus sui, qui si non fuisset in Grecorum exercitu et multa industria sensus sui, adhuc Troya in sua firmitate et gloria maneret et eius ciues adhuc essent in forti-tudine status eorum. "Sane inter cetera non uirtute tua, domine Thelamon, Grecis Palladium fuit quesitum sed pocius studii mei cura. Grecis enim nunquam quid esset Palladium notum fuit nec eis nota eius uirtutis potencia qualis esset. Sed ego per solius mei scrutinium adinueni quod per solum Palladium retardabatur nobis capcio ciuitatis, cum in Palladii uirtute consisteret Troyam capi non posse donec Palladium esset inter menia ciuitatis ipsius. Quare Troyam accessi furtiue et in tantum studiose tractaui quod, Palladio ipso habito, nobis fuit ciuitatis ipsius dominium acquisitum." Et ad hec inter cetera Vlixes suo tunc colloquio finem fecit.

Sed Thelamonius Aiax multis obprobriosis uerbis insultauit acriter in Vlixem et Vlixes nichilominus contra eum. Propter quod capitales facti sunt inuicem inimici, Thelamonio publice asserente necesse esse quod suis manibus moriatur Vlixes. Et dum placuisset regibus Agamenonis et Menelai standum esse iudicio quis eorum alter Palladium habere deberet, Thelamonius uel Vlixes, ipsi eorum arbitrio decreuerunt Palladium penes Vlixem residere debere, tamquam dominio eius addictum, moti forte ex eo quod Vlixes eorum contemplacione Helenam a mortis periculo de manibus ipsius Thelamonii et aliorum regum Grecorum suis sermonibus liberauit. Dolet igitur Thelamonius ex tali prouisione facta per Agamenonem et Menelaum de Palladio irracionabiliter contra eum, cum omnes quasi maiores exercitus constanter assererent in obtinendo Palladio Thelamonium digniorem Vlixe. Propter quod Thelamonius contra Agamenonem et Menelaum egrum gerens animum multa uerborum diffudit obprobria contra eos, asserens se eorum capitalem de cetero inimicum. Cuius rei causa predicti duo reges fratres et Vlixes cum eis in maxima militum comitiua procurabant se cum cauthela maxima custodire.

Postquam uero dies ille transiuit, ueniente eius nocte sequ(e)nte et diei proximi aurora surgente, per quam dies sequens effudit orbi summo diluculo lucem suam, inuentum est quod ea nocte fuerat in lecto suo Thelamonius interfectus, multis confossus uulneribus et eius corpore multimode detruncato. Clamor igitur per totum exercitum magnus exhuberat et de morte Thelamonii communiter omnes dolent, et quasi credulitate uera in Agamenonem et Menelaum culpam impingunt sed pocius in Vlixem. Pirrus uero, qui Thelamonium affeccione sincera dilexerat, contra Vlixem et alios Thelamonii necis participes multa comminatoria uerba diffudit. Quare Vlixes de vita sua dubitans quadam nocte sub ipsius noctis cecitate nimis obscure cum suis nauibus recessit a Troya furtiue et alto pelago se commisit, Dyomedi amico suo Palladio ipso dimisso.

Sed Pirrus Thelamonii corpus cremari mandavit, et ex eo facto cinere, in quodam vase aureo deponi et consignari disposuit cynerem ipsum, multi sagacis artificii munimine sigillatura, ad ipsius Thelamonii regis regnum proprium deferendum. Agamenon uero et Menelaus cum quibusdam regibus sibi fauentibus contra Pirrum et quosdam reges qui Pirro favebant faciebant se caucius custodire, cum Pirrus insidiaretur eisdem et ipsi similiter ipsi Pirro. Sed Anthenor suo tractatu inter eos pacem stabilem reformauit, et vniuersos maiores Grecorum ad conuiuium in magna sollempnitate studuit inuitare. Quos in magna diuersitate ciborum pauit et refecit eosdem, et preterea eos in multorum exhibicione donorum honorare curauit.

3. Le Palladium après l’Iliade

Et après la guerre de Troie qu'advient-il du Palladium ? La contribution d'Agnès Vinas a répondu déjà en partie à cette question, surtout avec le témoignage de Servius et de Silius, mais nous pouvons ajouter encore quelques notices.

C’est encore Malalas qui, suivant Virgile, Aen.XI 226-95, mentionne le rendez-vous entre Diomède et les messagers latins. Diomède refuse l’alliance contre les Troyens parce qu’il a été poursuivi des dieux depuis qu’il a osé combattre contre le pieux Ėnée et blesser sa divine mère Aphrodite (Iliade, V 166 sgg.). Pour Malalas, qui évoque une rencontre entre Diomède et Ėnée, les épreuves du héros grec dépendent du Palladium qu’il a emporté en Italie, et qu’il désire rendre à son vieil ennemi pour protéger à jamais Rome puis Constantinople.

Joannes Malalas, Chronographia, 167-320, passim

Καὶ λέγει τῷ Διομήδει ὁ Αἰνείας, Ἔγνων ὅτι τὸ θεῖον Παλλάδιον τὸ ἐν τῇ Τροίῃ ἀποκείμενον ἐκομίσω, ὅπως ἐπιγραφῇ δίδοται τὸ Παλλάδιον τῷ Αἰνείᾳ. ὁ δὲ Διομήδης εἶπεν αὐτῷ ὅτι Ἐξ οὗ τοῦτο μετὰ τοῦ Ὀδυσσέως ἀφειλόμην οὐκ ἔλειψάν μοι συμφοραὶ οὔτε τῷ ἐμῷ στρατῷ· ὅθεν ἠναγκάσθην αἰτῆσαι τὴν Πυθίαν περὶ αὐτοῦ· καὶ ἐδόθη μοι χρησμὸς ἀποδοῦναι αὐτῷ τοῖς Τρωσί. καὶ εἶπεν ὁ Αἰνείας, Δός μοι αὐτό. καὶ εὐθέως ποιήσας θυσίαν ὁ Διομήδης παρέσχε τὸ Παλλάδιον τῷ Αἰνείᾳ.

167. Diomedem autem Aeneas affatus : « Novi, inquit, divinum Palladium, Troiae olim religiose asservatum, et a te exinde delatum, ex inscriptione mihi Aeneae deberi. Ad haec Diomedes : ex quo, inquit, Palladium hoc ab Ulisse accepi, multas ego exercitusque meus calamitates experti sumus. Coactus itaque oraculum de hac re consulere, responsum tuli Palladium Troianis reddendum esse. » « Mihi itaque reddas, inquit Aeneas. Diomedes statim sacrum fecit et Palladium Aeneae praebuit…

καὶ κτίζει ἐκεῖ πόλιν ὁ αὐτὸς Αἰνείας μεγάλην, ἥντινα ἐπωνόμασεν Ἀλβανίαν· καὶ ἀποτίθεται ὁ Αἰνείας ὃ ἔλαβε Παλλάδιον ἀπὸ τοῦ Διομήδους ἐν τῇ αὐτῇ πόλει Ἀλβανίᾳ [...] Μετὰ δὲ τὸν Αἰνείαν ἐβασίλευσεν ἐκεῖ Ἀσκάνιος Ἰούλιος, [...] καὶ ἔκτισε τὴν Λαβινίαν πόλιν, [...] μεταγαγὼν ὁ αὐτὸς Ἀσκάνιος ἐκ τῆς Ἀλβανίας πόλεως τὸ Παλλάδιον εἰς τὴν αὑτοῦ κτισθεῖσαν πόλιν Λαβινίαν

168. Aeneas autem …urbem magnam condidit, quam Albaniam nominavit, ubi etiam Palladium a Diomede acceptum reposuit… Ascanius Iulius… urbem ipse condidit, nomine Laviniam, ubi …Palladium…collocavit.

ὁ δὲ αὐτὸς Κωνσταντῖνος ἀφελόμενος ἀπὸ Ῥώμης κρύφα τὸ λεγόμενον Παλλάδιον ξόανον, ἔθηκεν αὐτὸ εἰς τὸν ὑπ’ αὐτοῦ κτισθέντα φόρον ὑποκάτω τοῦ κίονος τῆς στήλης αὐτοῦ, ὥς τινες λέγουσι τῶν Βυζαντίων ὅτι ἐκεῖ κεῖται.

320. Idem vero Constantinus ablatum clanculum Roma Palladium quod vocant in foro a se condito infra columnam statuae suae collocavit : sicut Byzantini nonnulli asserunt, ipsum ibidem ibi recondi affirmantes.

Comme Ėnée et Ascagne, Romulus aussi avait pensé à la sauvegarde du précieux talisman, à en juger par le témoignage du lexicographe Suidas :

Lexicon kappa, 341

Καπιτώλιον· ὁ Ῥωμύλος μετὰ τὸ κτίσαι τὸ Παλάτιον ἔκτισε καὶ τὸ Καπιτώλιον, ὅ ἐστι κεφαλὴ τῆς πόλεως· ἐν ᾧ καὶ τὸ Παλλάδιον ἐπέθετο λαβὼν ἀπὸ πόλεως Σίλβης.

"Capitole : Romulus, après avoir édifié son palais, édifia aussi le Capitole, qui est le centre de la ville, et où il plaça le Palladium qu’il avait enlevé de la ville de Silva."

Mais Suidas et d’autres sources proposent encore d'autres versions, qui paraissent ouvrir un horizon tout à fait différent et qu’un jour il faudra mieux considérer : il mentionne Athènes, Agamemnon et Démophon…un autre indice du désir des Grecs de s’emparer de ce talisman ?

Lexicon epsilon, 2505

Ἐπὶ Παλλαδίῳ: δικαστήριον Ἀθήνησιν, ἐν ᾧ οἱ Ἐφέται ἀκουσίου φόνου ἐδίκαζον. Ἀργεῖοι γὰρ ἀπὸ Ἰλίου πλέοντες, ἡνίκα προσέσχον Φαλήροις, ὑπὸ Ἀθηναίων ἀγνοούμενοι ἀνῃρέθησαν. ὕστερον δὲ Ἀκάμαντος γνωρίσαντος καὶ τοῦ Παλλαδίου εὑρεθέντος, κατὰ χρησμὸν αὐτόθι τὸ δικαστήριον ἀπέδειξαν, ὡς Φανόδημος. Κλειτόδημος δέ φησιν, Ἀγαμέμνονος σὺν τῷ Παλλαδίῳ προσενεχθέντος Ἀθήναις, Δημοφῶντα ἁρπάσαι τὸ Παλλάδιον καὶ πολλοὺς τῶν διωκόντων ἀνελεῖν· τοῦ δὲ Ἀγαμέμνονος δυσχεραίνοντος, κρίσιν ὑποσχεῖν ἐπὶ νʹ Ἀθηναίων καὶ νʹ Ἀργείων, οὓς Ἐφέτας κληθῆναι, διὰ τὸ παρ’ ἀμφοτέρων ἐφεθῆναι αὐτοῖς περὶ τῆς κρίσεως.

À propos du Palladium : un tribunal à Athènes, où les Éphètes jugeaient les meurtres involontaires. En effet les Argiens revenant de Troie, lorsqu’ils abordèrent à Phalère, ne furent pas reconnus des Athéniens qui les tuèrent. Mais ensuite Acamas les reconnut et, quand on eut trouvé le Palladium, ils bâtirent là le tribunal en suivant les prescriptions d'un oracle, selon la version de Phanodème. Clitodème au contraire affirme qu’Agamemnon aborda à Athènes avec le Palladium, mais que Démophon vola ce Palladium et tua beaucoup de ceux qui le poursuivaient. Agamemnon s’en offusqua et Démophon promit un procès avec cinquante Athéniens et cinquante Argiens, qui furent appelés Éphètes car tous les deux leur laissèrent ce jugement.


Merci au professeur Francesco Chiappinelli, auteur de l'Impius Aeneas, de nous avoir fourni ces textes.