Ambassade d'Ulysse auprès d'Achille - Gravure de John Flaxman (1805)



Etre doué de raison et expert dans l'art de la parole, Ulysse est tout naturellement indiqué pour mener certaines négociations diplomatiques délicates. Pendant la guerre de Troie, il se distingue au moins à deux reprises :

I/ L'ambassade à Troie avec Ménélas

Au chant III de l'Iliade, le Troyen Anténor mentionne une ambassade effectuée par Ménélas et Ulysse auprès des Troyens pour tâcher d'éviter la guerre. Mais la tentative a échoué, et debout sur les remparts de Troie, Priam, Hélène et Anténor regardent à présent les Achéens qui se préparent à l'attaque. Dans cette scène de teichoscopie, le vieux Priam interroge Hélène, qui seule connaît bien tous les Grecs ; vient le tour d'Ulysse (III, 191 sqq) que présente Hélène :


"Il est expert en ruses de tout genre autant qu'en subtils pensers".

Lors le sage Anténor la regarde et lui dit : "Ah ! femme, qu'il est vrai le mot que tu dis là ! Un jour déjà il est venu ici, le divin Ulysse. Il portait un message qui te concernait ; et Ménélas chéri d'Arès l'accompagnait. C'est moi qui les hébergeai et qui leur fis accueil en ma maison. Je pus juger de leur stature comme de leurs subtils pensers. Bientôt ils pénétraient dans l'assemblée troyenne. Tant qu'ils étaient debout, Ménélas dépassait l'autre de toutes ses larges épaules ; quand ils s'asseyaient en revanche, Ulysse était plus imposant. Mais, l'heure venue d'ourdir pour le public les idées et les mots, Ménélas sans doute parlait aisément ; peu de paroles, mais sonnant bien ; il n'était ni prolixe, certes, ni maladroit - il était moins âgé aussi. Mais quand l'industrieux Ulysse, à son tour, se dressait, il restait là, debout, sans lever les yeux, qu'il gardait fixés à terre ; il n'agitait le sceptre ni en avant ni en arrière, il le tenait immobile et semblait lui-même ne savoir que dire. Tu aurais cru voir un homme qui boude ou, tout bonnement, a perdu l'esprit. Mais à peine avait-il laissé sa grande voix sortir de sa poitrine, avec des mots tombant pareils aux flocons de neige en hiver, aucun mortel alors ne pouvait plus lutter avec Ulysse, et nous songions moins désormais à admirer sa beauté".

a) Les qualités oratoires d'Ulysse

b) Les dangers courus par les ambassadeurs

Ce que ne précise pas l'Anténor homérique, pas plus, apparemment, que le Cycle épique, c'est que l'ambassade s'est très mal passée et que les envoyés n'ont dû leur salut qu'à son intervention. Apollodore rend compte de l'évolution de cette tradition dans son Epitome (III, 28-29) :

III, 28. Repartis de Ténédos, ils [les Grecs] firent route vers Troie. Ulysse et Ménélas furent envoyés pour demander la restitution d’Hélène et de ses biens. Les Troyens, réunis en assemblée, non seulement se refusèrent à rendre Hélène, mais ils voulaient aussi tuer les ambassadeurs.

III, 29. Ces derniers furent sauvés par Anténor, et les Grecs, alors, révoltés par l’outrecuidance des Barbares, s’armèrent et marchèrent contre eux.

Ovide s'inspire de la même version, qui semble bien attestée (Métamorphoses - XIII, v.181 sqq) :

Mittor et Iliacas audax orator ad arces,
uisaque et intrata est altae mihi curia Troiae,
plenaque adhuc erat illa uiris; interritus egi
quam mihi mandarat communem Graecia causam
accusoque Parin praedamque Helenamque reposco
et moueo Priamum Priamoque Antenora iunctum ;
at Paris et fratres et qui rapuere sub illo,
uix tenuere manus (scis hoc, Menelae) nefandas,
primaque lux nostri tecum fuit illa pericli.

Je fus envoyé, pour la hardiesse de mon éloquence, vers les murailles
D'Ilion ; j'ai vu, j'ai pénétré dans la curie de l'orgueilleuse Troie ;
Elle était pleine encore de héros. Sans la moindre crainte, j'ai plaidé
La cause que m'avait confiée la Grèce tout entière
Accusant Pâris, réclamant Hélène et les trésors volés,
Et j'ai troublé Priam ainsi qu'Anténor, un proche de Priam.
Mais Pâris et ses frères et les complices de cet enlèvement
Eurent du mal, tu le sais, Ménélas, à contenir leur violence impie
Et ce jour fut le premier où je fus dans le danger avec toi.

On trouverait d'autres témoignages sur cet incident et la participation active d'Anténor (cf par exemple Elien et Quintus de Smyrne). Tous tendent à accréditer la thèse d'une trahison d'Anténor, qu'a particuièrement étudiée Francesco Chiappinelli.

c) Une modernisation pertinente

Enfin, par-delà les siècles, il faut signaler une tout autre version de cette ambassade d'Ulysse, écrite par un diplomate qui avait une conscience particulièrement aiguë des risques majeurs que courait l'Europe des années 30 :


II/ L'ambassade chez Achille

Ajax, Ulysse, Achille et Phoenix
Skyphos de la collection Campana - Musée du Louvre

Ulysse participe à une deuxième ambassade, non moins importante, au chant IX de l'Iliade (IX, 169-713). Depuis le retrait d'Achille, furieux d'avoir été privé de Briséis par Agamemnon, les Achéens subissent de cuisants revers. Une attaque furieuse d'Hector contre les nefs achéennes a fort opportunément été arrêtée par la nuit, mais l'heure est grave, et l'assemblée des Grecs se réunit d'urgence : là Agamemnon, toute honte bue, fait acte de contrition et propose d'envoyer à Achille des cadeaux somptueux, s'il accepte de revenir au combat. Une ambassade menée par Phoenix, Ajax et Ulysse se rend alors au camp des Myrmidons.