Quel rôle ont joué les Arabes dans la transmission du savoir au Moyen Âge ?


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Le philosophe arabe Averroès
Détail de la fresque d'Andrea di Bonaiuto - Le triomphe de saint Thomas d'Aquin - 1365-67
Fresque de la chapelle des Espagnols, Santa Maria Novella, Florence

 

I – LA PHILOSOPHIE


Durant le Moyen Âge, les Arabes ont également transmis leur savoir en philosophie, notamment en Andalousie, al-Andalus. La philosophie vient du mot grec «philosophia » qui se traduit par «amour de la sagesse».


Traduction arabe d’Aristote
IXe-Xe siècle, copié en 1027, traduit par Abu ’Uthman al-Dimashqi
BnF - Ms Arabe 2346, fol. 264v-265



La philosophie dans le monde arabo-musulman au Moyen Âge


Le livre d'al-Fârâbî, l’Obtention du bonheur (Xe siècle) présente la philosophie, qui est selon lui "la science suprême" et "la science la plus ancienne", comme le produit des Chaldéens (peuples d’Irak) transmis aux Egyptiens, puis aux Grecs, ensuite aux Syriaques, enfin aux Arabes. Cette présentation insiste sur la pérégrination des savoirs antiques dans différentes ères géographiques et linguistiques et sur leur appropriation par la culture arabo-musulmane à un moment donné de l’histoire.

Certains affirment, toutefois, que la « falsafa ne coïncide pas totalement avec notre "philosophie" » (Rémi Brague, Au moyen du Moyen Âge, p. 238), et pensent que le travail des philosophes arabes serait dépourvu de ce qui caractérise celui des Grecs : la recherche libre du savoir. D’autres estiment que l’ère géographique dominée par la culture arabo-musulmane pendant le Moyen Âge serait restée faiblement hellénisée, donc étrangère aux dynamiques intellectuelles et scientifiques qui ont animé leurs prédécesseurs grecs.

Al-Fârâbî était-il donc en droit de revendiquer l’appropriation des savoirs antiques ? Par ailleurs, les connaissances produites en terre d’islam en fait de sciences et de philosophie ont-elles été foncièrement différentes de ce qui est né en Grèce et de qui sera élaboré en Occident au Moyen Âge et plus tard ? Les spécialistes de la philosophie arabe du Moyen Âge débattent de la nature et de l’ampleur des productions scientifiques et philosophiques qui ont eu lieu en terre d’islam à cette époque.

 

La transmission des savoirs du monde arabo-musulman à l’Occident


La deuxième question est celle de la transmission des savoirs grecs à l’Occident au Moyen Âge. Quels ont été les traducteurs et les passeurs de ces savoirs au monde latin ? Les arabo-musulmans ont-ils joué uniquement le rôle de relais ou bien ont-ils transformé le contenu et les données épistémologiques relatives à certaines branches du savoir ? Par ailleurs, les textes scientifiques et philosophiques arabes ont-ils joué un rôle dans l’essor culturel de l’Europe au Moyen Âge ? Leur influence a-t-elle été limitée, passagère et circonscrite dans le temps et l’espace, ou a-t-elle contribué à modifier les méthodes d’approche des savoirs ?

 

Traduction, langage et pensée philosophiques


La transmission des textes pose bien évidemment des problèmes cruciaux de traduction. Sur cette question, et dans la lignée des auteurs du XIXe siècle, des chercheurs écrivent aujourd’hui que les langues sont inégalement capables d’absorber puis de véhiculer la philosophie et la pensée scientifique. Cela impliquerait que certains peuples et nations seraient, du fait même de leurs systèmes linguistiques, réfractaires à la réception de la science. Ainsi, parce qu’elle serait essentiellement poétique ou de nature « religieuse » (S. Gouguenheim, Aristote au Mont Saint Michel), la langue arabe serait incapable d’être le véhicule de notions abstraites et de raisonnements élaborés.

Il est admis qu'existent ou ont existé des philosophes en terre d'islam. Les noms d'Avicenne ou encore du célèbre Averroès sont universellement connus, et les histoires générales de la philosophie accordent une certaines place aux philosophes « arabes ». Longtemps cette place fut sujette à une condition : que les philosophes « arabes » participent au développement cohérent, organique, de la philosophie occidentale, qui serait la seule à mériter, au sens vrai, le nom de philosophie. Ce n'était pas sans raisons s'il est vrai que la théologie médiévale a reçu, pour une part des penseurs musulmans, quelque impulsion théorique.

 

Qui est Averroès ?

Raphaël - L'Ecole d'Athènes - 1508-1512 - Chambre de la Signature - Musées du Vatican


Sur cette fresque de Raphaël qui s'intitule L'École d'Athènes et qui représente tous les génies dont la Renaissance se sent tributaire depuis l'Antiquité, le personnage d'Averroès est désigné par le n° 5.


Averroès est né à Cordoue en Andalousie en 1126. C’est un philosophe, juriste, théologien, mais également un médecin. Son nom musulman est  Abu ’l-Walid Muhammad ibn Rouchd de Cordoue.

Il fait partie d’une famille de cadis (juges musulmans et notaires en même temps). Son grand-père Ibn Ruchd al-Gadd, également cadi de Cordoue, est un écrivain connu dont l’œuvre, qui se compose d’une vingtaine de volumes, se trouve à la Bibliothèque royale du Maroc. La jurisprudence islamique est le sujet de son œuvre.

Averroès suit une éducation classique comme il était courant à cette époque. Elle se fera par des maîtres particuliers. La formation commença par l’étude du Coran qu’il dut apprendre par cœur. Il étudia également la poésie, la grammaire, l’écriture et les bases du calcul.Il apprendra le hadîth et le fiqh avec son père. Le hadîth est l’ensemble des traditions qui concernent les actes et les paroles de Mahomet. Le fiqh est un droit musulman regroupant les opinions des juristes de l’islam sur les limites que les musulmans ne doivent pas dépasser.Une fois une solide formation religieuse acquise, il commença l’étude de la philosophie et des sciences. Il va ainsi étudier la physique, la médecine, l’astronomie. Celles-ci étaient considérées à cette époque comme des sciences profanes. Averroès est un homme passionné par la religion, la philosophie antique et la nature.

Averroès, après avoir étudié la médecine sous Avenzoar (médecin musulman), sera le médecin de la cour almohade (dynastie musulmane berbère). Mais il préférait la théorie à la pratique. Il est nommé médecin particulier d’Abu Yaqûb Yûsuf (émir almohade 1163-1184) en 1182 à Marrakech. Il semblerait qu’à l’occasion de cette rencontre, l’émir lui demanda de faire le commentaire de l’œuvre du philosophe Aristote. En se servant de plusieurs traductions, de sa connaissance de l’œuvre elle-même, des principes de la non-contradiction, il va s’apercevoir d’erreurs notamment au niveau de la traduction ainsi que des rajouts et quelques lacunes. Les Abrégés, les Moyens et les Grands sont trois commentaires qu’il a écrits. Il sera considéré comme l’un des plus fidèles commentateurs aristotéliciens du Moyen Âge.

En 1188-1189, le calife Abû Yûsuf Yaqûb Al-Mansûr interdit les livres, les études et la philosophie, tout comme le métier de chanteur et de musicien. Cette époque est marquée par la guerre sainte contre les chrétiens ainsi que des révoltes dans le Maghreb central. En 1195, Averroès étant suspecté d’être un philosophe, les oulémas (théologiens) initient une campagne d’opinion ayant pour but de saper son titre de cadi. Alors le calife Al-Mansur cède à cette pression et renonce à ses intellectuels.

C’est à Lucena qu’Averroès s’exile en 1197. Lucena est une petite ville d’Andalousie, avec une majorité de Juifs. Depuis l’interdiction de toute religion autre que l’islam par les Almohades, Lucena est en plein déclin. Averroès y vivra caché, clandestin et pauvre. L’exil d’Averroès ne va durer qu’un an et demi. En effet, il est rappelé au Maroc. Il ne récupère pas ses fonctions, mais reçoit le pardon du sultan. Sans être reparti en Andalousie, il meurt à la fin de l’année 1198 à Marrakech. Son décès sera suivi peu de temps après par celui d’Al-Mansur. La décadence de l’empire almohade s’en suivra.

Ayant été suspecté d’hérésie (opinion religieuse «fausse», en désaccord avec la théologie dominante), son œuvre ne sera pas diffusée en terre d’islam. Au contraire, sa philosophie sera développée et enseignée dans des universités occidentales au Moyen Âge. Ce sont les traducteurs juifs qui sauveront une partie de son œuvre.

Il reste l’un des plus grands penseurs que l’Espagne musulmane ait connus. En voulant séparer la religion et la science sur la base des œuvres d’Aristote, il s'est attiré la réprobation des musulmans traditionalistes. En effet, la plupart des théologiens et des croyants ne partageaient pas sa position. Il trouvera par contre un écho en Occident. Il expliquera dans Le Traité décisif sur l’accord de la religion et de la philosophie sa difficulté de concilier philosophie et religion.

Averroès a fondé sa philosophie sur trois thèses :

  • L’obligation de la raison et donc de la philosophie : pour lui, le musulman qui ne se sert pas de la raison donnée par Dieu commet un sacrilège.

  • L’unité de la vérité : la foi et la raison sont les deux méthodes pour arriver à une seule vérité.

  • Il faut interpréter le Coran et trouver le sens caché pour prouver la comptabilité entre la religion et la raison.

Les doctrines philosophiques d’Averroès provoqueront de nombreux débats dans le monde chrétien, entraînant autant d’opposants que de disciples. Ces principes seront d’ailleurs condamnés par l’Eglise en 1240 et en 1513, car estimés trop dangereux. Cela démontre la grande influence de ce philosophe en Occident, en particulier sur de nombreux philosophes et religieux comme saint Thomas d’Aquin, mais encore Descartes, Agostino Nifo, Dante et bien d’autres.

 

Averroès est le héros du film de Youssef Chahine, Le Destin, qui a obtenu le Prix du jury du 50e festival de Cannes en 1997.



Imran S., 204


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