Melchior, Gaspard et Balthazar se reposèrent tout un jour encore sur la terre de Palestine. Au crépuscule suivant, l'étoile brilla d'un éclat si beau, qu'ils sentirent très proche le terme de leur voyage. Ils gravirent des collines arides : à leurs pieds se creusait une vallée ; des feux étaient allumés de toutes parts, à la lueur desquels on reconnaissait des troupeaux et des bergers avec leurs chiens. Au milieu de la vallée, près d'un bourg, une vaste masure appuyée à une grotte de rochers était comme illuminée par trois rayons d'or qui tombaient de l'étoile mystérieuse. |
A minuit, les trois Rois descendirent de leurs montures. Suivis des esclaves portant les présents précieux, ils frappèrent à la porte. Melchior tenait un encensoir d'or où fumait l'encens, Gaspard une cassolette d'or où fumait la myrrhe, Balthazar n'avait entre les mains que son roseau. |
La porte s'ouvrit. C'était une étable nue et froide, où entrait le vent d'hiver. Sur la paille d'une crèche, un enfant dormait. Un bœuf était à la droite, un âne à la gauche de la crèche, et leur souffle réchauffait l'enfant. Une jeune femme vêtue de blanc se tenait assise à la tête de l'humble berceau. Mais les trois Mages avaient reconnu le Dieu et les trois races se prosternaient, le front dans la poussière, devant Jésus.
Les vapeurs bleues de l'encens et de la myrrhe montèrent jusqu'au toit. Entre les poutres mal jointes, on voyait le ciel et l'étoile et des battements de grandes ailes blanches, et l'on entendait des chuchotements angéliques.
Gaspard, le premier, offrit ses présents, un monceau d'armes tout incrustées de diamants. «Seigneur, dit-il, me voici incliné devant ta faiblesse, moi qui suis au comble de la grandeur humaine : je t'ai cherché afin d'obtenir ton alliance dans la guerre et après la guerre. Fais que ces armes se tournent contre quiconque élèverait son bras afin d'abaisser ma puissance».
L'Enfant dormait toujours. Et, dans les hauteurs, les voix célestes répondirent :
«Je suis le Dieu des pacifiques et ne veux d'autres armes que la douceur et la miséricorde. Les tiennes sont bonnes seulement pour les rois qui, durant les siècles à venir, égorgeront mes peuples comme des chevreaux sans défense ! »
Melchior joignit les mains ; tandis que ses esclaves déroulaient devant la crèche des étoffes d'or et de soie et jetaient sur la paille de l'étable des poignées de pierres précieuses :
«Seigneur, dit-il, j'ai longtemps écouté la parole des sages, et leur sagesse ne m'a paru que vanité. J'ai vénéré les saints, et leur sainteté n'était que mensonge. J'ai cherché un Dieu de vie à tâtons dans la nuit et n'ai rencontré que le deuil et la mort. Prends, Seigneur, toutes mes richesses, tous mes trésors et fais que la joie fleurisse sur les nécropoles de mon empire».
L'Enfant dormait toujours. Et les anges répondaient :
«Je suis le Dieu des pauvres. Je ne veux d'autres trésors que la pureté. Laisse là ces présents : ils sont pour mes Pontifes et mes prêtres qui, oublieux de mon dénuement, se vêtiront de soie et marcheront tout constellés d'émeraudes et d'améthystes ! »
Balthazar s'agenouilla à son tour. Il prit entre ses mains les pieds de l'Enfant et les baisa en pleurant. |
«Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! »
Ce conte d'Emile Gebhart a été publié pour la première fois dans Au son des cloches (1898).
L'édition présente est celle de Ferroud (1919) et les illustrations sont de Serge de Solomko.