Troisième partie, chapitre 8 - Le conseil dans la maison de Tibère

Le peuple campait dans les splendides Jardins de César qui avaient été les Jardins de Domitia et d'Agrippine, sur le Champ de Mars, et dans les Jardins de Pompée, de Salluste et de Mécène. Il avait élu domicile sons les portiques, dans les bâtisses affectées au jeu de paume, dans les luxueuses villas estivales et dans les baraques destinées aux bêtes fauves. Les paons, les flamants, les cygnes et les autruches, les gazelles et les antilopes, les cerfs et les biches qui faisaient l'ornement des jardins avaient péri sous le couteau de la populace. D'Ostie les approvisionnements vinrent en si grande quantité, que l'on pouvait se promener sur les radeaux et les barques comme sur un pont, d'un bord du Tibre à l'autre bord. Le blé était distribué au prix inouï de trois sesterces ; pour les plus pauvres, il était gratuit. On avait réquisitionné d'immenses réserves de vin, d'huile et de châtaignes. De la montagne, arrivaient journellement des troupeaux de bœufs et de moutons. Les indigents des ruelles de Suburre vivaient mieux qu'avant l'incendie. La famine était définitivement écartée ; mais il n'était point facile, en revanche, de prévenir le brigandage, le pillage et les abus. La vie nomade assurait l'impunité aux voleurs, d'autant plus qu'ils se proclamaient les admirateurs de César et ne se faisaient point faute de l'applaudir partout où il se montrait. En outre, comme, par la force des choses, toutes les fonctions se trouvaient en suspens, et que l'armée était insuffisante pour assurer l'ordre, chaque nuit c'étaient des batailles, des assassinats, des rapts de femmes et d'adolescents. Auprès de la Porte Mugione, où s'arrêtaient les troupeaux venant de la Campanie, c'étaient des échauffourées où périssaient des hommes par centaines. Les bords du Tibre étaient couverts de noyés que nul n'enterrait et qui emplissaient l'air d'émanations pestilentielles. Des maladies se déclaraient dans les bivouacs; les plus timorés prédisaient une grande épidémie.

Vers le sixième jour, ayant atteint les espaces libres de l'Esquilin, l'incendie faiblit. Mais les monceaux de cendres rayonnaient d'une lueur si intense, que le peuple ne voulait point croire que ce fût déjà la fin du désastre. En effet, au cours de la septième nuit, l'incendie éclata avec une force nouvelle dans les bâtiments de Tigellin ; mais comme il n'y avait plus grand' chose qui l'alimentât, il fut bref.

Çà et là, les maisons calcinées s'écroulaient, délivrant des serpents de flammes et des tourbillons d'étincelles. Mais peu à peu, et bien que le feu y couvât encore, les décombres noircirent à la surface. La nuit, par l'immense solitude fuligineuse, dansaient encore sur les monceaux de charbon de bleuâtres flammèches. Des quatorze quartiers de Rome, il en subsistait quatre, compris le Transtévère.

Quand enfin les amas de charbon furent complètement calcinés, on vit, du Tibre jusqu'à l'Esquilin, un immense espace terne, morne et mort, où des rangées de cheminées se dressaient en colonnes funéraires.

Le jour, parmi ces colonnes, erraient des groupes lugubres de gens qui écartaient les fumerons, cherchant des objets qui leur avaient été précieux ou bien les os d'êtres aimés, La nuit, des chiens ululaient sur les champs de cendres et sur les décombres.

La générosité de César n'arrêta pas les vitupérations. Seule, était satisfaite la tourbe des tire-laine, des voleurs et des vagabonds qui pouvaient manger et boire à pleine panse et piller sans retenue ; les autres, ceux qui avaient perdu des êtres chers, ceux dont tout l'avoir avait été anéanti, ne se laissèrent désarmer ni par l'ouverture des Jardins, ni par les distributions de blé, ni par la perspective de jeux et de largesses.

Malgré les flagorneries de. sa cour, malgré les mensonges de Tigellin, Néron songeait avec épouvante que, dans sa lutte sourde et sans merci contre le Sénat et les patriciens, l'appoint du peuple pourrait à l'avenir lui manquer.

Les augustans eux-mêmes n'étaient pas moins inquiets. Tigellin pensait à faire venir d'Asie Mineure quelques légions ; Vatinius, qui jadis riait sous les soufflets, avait perdu sa bonne humeur ; Vitellius n'avait plus d'appétit. Les autres se consultaient sur les moyens de détourner le danger de leur tête, car ce n'était un secret pour personne, que, si une révolte venait à emporter César, nul parmi les augustans n'aurait la vie sauve, — Pétrone, peut-être.

Tigellin prit conseil de Domitius Afer, et même de Sénèque qu'il haïssait. Poppée, qui se rendait compte que la ruine de Néron serait son arrêt de mort à elle, consulta ses intimes et les prêtres hébreux. (On savait généralement que, depuis quelques années, elle confessait la religion de Jéhovah.) Néron, de son côté, proposait des expédients de son invention, qui étaient souvent effroyables, mais plus souvent absurdes.

On tint conseil dans la maison de Tibère, qu'avat épargnée l'incendie. Pétrone était d'avis de laisser là les ennuis et d'aller en Grèce, puis en Égypte et en Asie Mineure. Le voyage était projeté depuis longtemps ; à quoi bon le remettre encore ? Cette proposition avait immédiatement séduit César. Mais Sénèque objecta :

— Il est facile de partir. Revenir serait moins facile.

— Par Hercule ! répliqua Pétrone, on reviendra, s'il le faut, à la tête des légions d'Asie.

— Ainsi ferai-je ! s'exclama Néron.

Pétrone allait être encore une fois l'homme de la situation...

— Écoute-moi, César ! s'écria Tigellin, le conseil est désastreux. Avant que tu sois à Ostie, éclatera la guerre civile, et sait-on si quelque vague descendant du divin Auguste ne se fera pas proclamer empereur ?

— Eh bien ! répliqua Néron, nous ferons en sorte que les descendants d'Auguste manquent sur le marché. Les rares qui vivent encore, il sera facile de s'en défaire.

— Très facile, en effet : mais d'autres aussi peuvent être un danger : hier mes soldats entendaient dire dans la foule que l'on devrait proclamer empereur un homme comme Thraséas.

Néron se mordit les lèvres.

— Peuple insatiable et ingrat ! lls ont assez de blé, et assez de cendre chaude pour y cuire des gâteaux ; que leur faut-il-encore ?

— La vengeance, répliqua Tigellin.

Tous se turent. Soudain, César se redressa, leva la main et déclama :

Les cœurs ont faim de vengeance et la vengeance a faim
De victimes

Puis, oubliant tout, il s'écria, le visage rayonnant:

—Donnez-moi mes tablettes et un style, que je note ces vers ! Jamais Lucain n'en a composé de pareils. Avez-vous remarqué que je les ai trouvés en un clin d'œil ?

— O poète incomparable ! affirmèrent des voix.

Néron nota les vers et, promenant son regard sur les assistants :

— Oui, la vengeance veut des victimes ! Si nous lancions la nouvelle que c'est Vatinius qui a incendié la Ville, — et qu'on le sacrifiât à la fureur du peuple ?

— Que suis-je donc, ô divinité ? s'écria Vatinius.

— C'est vrai : quelqu'un de plus important... Vitellius?...

Vitellius blêmit, mais se mit à rire.

— Ma graisse, objecta-t-il, ferait éclater un nouvel incendie.

Jan Styka - Édition Flammarion, 1901-1904

Cependant Néron cherchait une victime qui pût vraiment assouvir la colère du peuple : il la trouva.

— Tigellin, dit-il, c'est toi qui as brûlé Rome !

Les assistants frémirent. Ils comprenaient. que César avait cessé de plaisanter, et que la minute était lourde d'événements.

Le visage de Tigellin se contracta comme la gueule d'un chien prêt à mordre.

— J'ai brûlé Rome... par ton ordre, dit-il.

Et ils restèrent ainsi à se regarder fixement. On entendait le bourdonnement des mouches par l'atrium.

— Tigellin, articula Néron, m'aimes-tu ?

— Tu le sais, seigneur.

— Sacrifie-toi pour moi !

— Divin César, répliqua Tigellin, pourquoi me tendre le doux breuvage, quand il m'est interdit de le porter à mes lèvres ? Le peuple murmure et se révolte : désires-tu que les prétoriens s'insurgent, eux aussi ?

Tigellin était préfet des prétoriens, el ses paroles avaient la portée d'une menace. Néron le comprit, et son visage devint livide.

Au même instant entra Epaphrodite, un affranchi de César. Il venait annoncer à Tigellin que la divine Augusta désirait le voir : elle avait chez elle des gens que le préfet devait entendre.

Tigellin s'inclina devant César et sortit rassuré. Au moment où on avait voulu l'atteindre, il avait montré les dents, et César était poltron.

Néron resta d'abord silencieux. Puis, voyant que son entourage attendait, il dit :

— .l'ai réchauffé un serpent dans mon sein.

Pétrone haussa les épaules, pour marquer qu'il n'était pas bien difficile d'arracher la tête à ce serpent-là.

— Allons, parle ! donne un conseil ! s'écria Néron. En toi seul j'ai confiance, car tu as plus de raison qu'eux tous ensemble, et tu m'aimes.

Pétrone avait déjà sur les lèvres : « Fais-moi préfet de ta garde prétorienne, je livre Tigellin au peuple, et j'apaise la Ville en un jour. » Mais sa paresse native prit le dessus. Être préfet, cela signifiait porter sur ses épaules la personne de César, et le poids de milliers d'affaires publiques. A quoi bon ce labeur ? Ne valait-il pas mieux lire des vers, admirer des vases et des statues, sentir frémir le corps divin d'Eunice ?

Et il répondit

— Je conseille de partir pour la Grèce.

— Ah ! s'écria Néron désappointé, j'attendais mieux de toi. Si je pars, qui peut me garantir que le Sénat, qui me hait, ne proclamera pas un autre empereur ? Le peuple m'était fidèle ; aujourd'hui il serait contre moi... Par le Hadès, si ce Sénat et ce peuple n'avaient qu'une tète...!

— Permets-moi de te dire, divin, que si tu désires conserver Rome, il faut conserver quelques Romains, dit en souriant. Pétrone.

Mais Néron geignait :

— Rome et les Romains, que m'importe ! On m'écouterait dans l'Hellade ! Ici, ce n'est autour de moi que trahison ! Tous m'abandonnent, et vous-mêmes êtes prêts à me trahir ! Je sais cela, je le sais ! .. Vous ne songez même pas au grief qu'aura contre vous l'avenir : avoir abandonné l'artiste que je suis !

Soudain il se frappa le front :

— C'est vrai ! ... Parmi ces ennuis, j'oublie moi-même qui je suis !

Et tournant vers Pétrone un masque rassénéré :

— Pétrone, la plèbe murmure ; mais si je prenais mon luth et allais au Champ de Mars, si je lui chantais l'hymne que je vous ai chanté pendant l'incendie... ne penses-tu pas que je parviendrais à la charmer, avec mon chant, comme Orphée, jadis, les bêtes féroces ?

Mais Tullius Sénécion, impatient d'être auprès de nouvelles esclaves qu'il avait ramenées d'Antium :

— Incontestablement, César,— si, toutefois, ils te permettaient de commencer...

— En route pour l'Hellade ! conclut aigrement Néron.

Au même instant entra Poppée, avec Tigellin. Celui-ci — et jamais triomphateur ne monta au Capitole avec l'orgueil que reflétaient ses traits — se planta devant César, et parla d'une voix lente et distincte, mais où du fer grinçait :

— Écoute-moi, César, car j'ai trouvé!... Le peuple veut une vengeance et une victime. Que dis-je, une victime ? des centaines, des milliers... As-tu jamais entendu dire, seigneur, qui était Chrestos, celui qu'a fait crucifier Ponce-Pilate ? Sais-tu qui sont les chrétiens ? Ne t'ai-je pas parlé de leurs crimes el de leurs intitules cérémonies ! de leurs prophéties selon lesquelles le monde périra par le feu ? Le peuple les hait et les soupçonne déjà. Nul ne les a jamais vus dans les temples, car ils prétendent que nos dieux sont des esprits mauvais ; on ne les voit pas au Stade, car ils méprisent tes courses. Jamais les mains d'un chrétien ne t'honorèrent d'un applaudissement. Jamais nul d'entre eux n'a reconnu ton extraction divine. Ils sont les ennemis du genre humain, les ennemis de la Ville, les tiens ! Le peuple murmure contre toi : mais ce n'est point toi, César, qui m'as ordonné de brûler Rome, ni moi qui l'ai brûlée... Le peuple a soif de vengeance: il boira. Le peuple veut des jeux et du sang : il les aura ! Le peuple te soupçonne... Ses soupçons vont dévier.

Tandis que parlait Tigellin, le masque impérial changeait d'expression, reflétant tour à tour la fureur, le chagrin, la commisération et la réprobation. Et, se dressant soudain, César jeta sa toge, leva les mains au ciel et resta ainsi, silencieux. Enfin, d'une voix de tragédien :

— Zeus, Apollon, Héra, Athéné, Perséphone, et vous tous, dieux immortels ! pourquoi ne nous avoir point secourus ? Qu'avait-elle fait à ces énergumènes, cette malheureuse cité, pour qu'ils l'incendiassent ?

— lls sont les ennemis du genre humain et les tiens, dit Poppée.

Alors tous :

— Fais justice ! Punis les incendiaires ! Les dieux eux-mêmes crient vengeance.

Néron s'assit, baissa la tête et resta muet, comme anéanti par un spectacle d'abomination. Puis il agita ses mains et s'écria:

— Quelles punitions et quelles tortures sont dignes de ce forfait ? Mais les dieux m'inspireront et, avec l'aide des puissances du Tartare, je donnerai à mon pauvre peuple un tel spectacle, que pendant des siècles les Romains parleront de moi avec reconnaissance.

Pétrone songea aux dangers qu'allaient courir Lygie et Vinicius, qu'il aimait, et tous ces hommes dont il rejetait la doctrine, mais qu'il savait innocents. Il songea aussi qu'allait commencer une de ces sanglantes orgies dont la vue était insupportable à ses yeux d'esthète. Mais avant tout, il se disait : « Il faut sauver Vinicius, qui deviendra fou si cette fille périt.» Et cette considération vainquit toutes les autres, bien que Pétrone se rendit compte qu'il allait engager une partie entre toutes périlleuse.

Et il parla avec une insouciance nonchalante, comme il avait coutume de faire quand il critiquait ou plaisantait les inventions saugrenues de César ou des augustans.

— Ainsi vous avez trouvé des victimes ! Fort bien ! Vous pouvez les envoyer sur l'arène et les habiller de la tunique douloureuse. Fort bien encore ! Mais écoutez-moi : Vous avez l'autorité, vous avez les prétoriens, vous avez la force !! Alors, soyez sincères, ne fût-ce que quand nul ne vous entend ! Bernez le peuple, mais ne mentez pas à votre propre conscience. Livrez les chrétiens au peuple, suppliciez-les, mais ayez-le courage de vous dire que ce n'est pas eux qui ont brûlé Rome ! ... Fi donc ! ... Vous m'appelez l'Arbitre des élégances ! Je vous déclare donc que je ne supporte point de si misérables comédies. Fi donc ! Combien tout cela me rappelle les tréteaux des baladins aux environs de la Porte aux Anes, où les acteurs jouent les rois et les dieux pour la joie des badauds des faubourgs, et, la farce terminée. font passer leurs oignons avec une lampée de vin suret. ou bien reçoivent une correction. Soyez donc dieux et rois vraiment, car, je vous le répète, vous pouvez vous le permettre. Pour toi, César, tu nous parlais de la postérité ; mais réfléchis bien à ce que sera sa sentence sur ton compte. Par la divine Clio ! Néron, maître du monde, Néron-dieu a brûlé Rome, car il était aussi formidable sur terre que Zeus dans l'Olympe. Néron-poète aimait à ce point la poésie, qu'il lui a sacrifié sa patrie ! Depuis le commencement. du monde, nul n'a fait, nul n'a osé réver une chose semblable ! Je t'en conjure, au nom des neuf Libéthrides, ne renonce pas à celte gloire, car dans les hymnes on le chantera jusqu'à la consommation des siècles. Auprès de toi que sera Priam ? Agamemnon ? Achille ? Que seront les dieux mêmes ? Il importe peu de savoir si l'incendie de Rome est une chose bonne ou mauvaise ! C'est une grande chose et une chose insolite ! Et puis, je t'affirme que le peuple ne lèvera point la main sur toi ! Du courage ! Garde-toi d'actes indignes de toi, car tu n'as à craindre que la seule postérité, qui, elle, pourrait dire : « Néron a brûlé Rome. Mais, César pusillanime autant que pusillanime poète, il a désavoué sa grande action, et, couardement, il a rejeté la faute sur des innocents !

Pétrone ne s'illusionnait pas sur les conséquence qu'entraînerait pour lui l'échec du moyen désespéré auquel il avait recours. Mais le jeu de la fortune et du hasard l'avait toujours amusé. « Les dés en sont jetés, se disait-il, et nous allons voir ce qui, dans l'âme du singe, l'emportera, de la peur pour sa propre peau ou de son amour pour la gloire. » Et, au fond il ne doutait point que la peur ne fût, malgré tout, plus forte...

Un silence pesa. Néron avait retroussé les lèvres, les rapprochant des narines, ce qui était sa moue d'indécision.

— Seigneur, s'écria Tigellin, permets-moi de sortir ! On t'incite à risquer ta personne dans les plus grands dangers, et, en outre, l'on te traite de César pusillanime, de pusillanime poète, d'incendiaire et de comédien : mes oreilles n'en peuvent entendre davantage.

— J'ai perdu, pensa Pétrone.

Mais, se tournant vers Tigellin et le toisant d'un regard où se lisait tout son mépris du coquin :

— Tigellin, dit-il, c'est toi que j'ai traité de comédien, car tu en es un même en ce moment.

— Parce que je ne veux pas écouter tes injures ?

— Parce que tu feins un amour sans bornes pour César, et qu'il y a un instant tu le menaçais des prétoriens, ce que tous nous avons compris — et lui aussi.

Tigellin. qui ne s'attendait point à ce que Pétrone osât jeter sur la table des dés aussi décisifs, blêmit et resta muet. Mais ce devait être la dernière victoire de l'Arbitre des élégances sur son rival, car au même instant Poppée s'écriait :

— Seigneur, comment peux-tu permettre qu'une semblable pensée vienne à qui que ce soit, et tout au moins qu'on ose l'exprimer devant toi !

— Punis l'insulteur ! dit Vitellius.

De nouveau, Néron retroussa ses babines, et, tournant vers Pétrone des yeux vitreux :

— C'est ainsi, dit-il, que tu sais reconnaître l'amitié que j'ai toujours eue pour toi ?

— Si je me suis trompé, prouve-moi mon erreur, répondit Pétrone : mais sache que je n'ai dit que ce que me dictait l'amour que j'ai pour toi.

-- Punis l'insulteur ! répéta Vitellius.

Tous :

— Oui, punis-le !

On s'éloignait de Pétrone. Même Tullius Sénécion, son vieux compagnon à la cour, et le jeune Nerva qui, jusque-là, lui avait témoigné l'amitié la plus vive, s'éloignèrent.. L'Arbitre des élégances resta seul dans la partie gauche de l'atrium. Le sourire aux lèvres et arrangeant d'une main indolente les plis de sa toge, il attendit ce que dirait ou ferait César.

César dit :

— Vous voulez que je le punisse, mais c'est mon compagnon et mon ami. Et, bien qu'il ait blessé mon cœur, je veux qu'il sache que ce cœur n'a pour ses amis que le pardon.

— J'ai perdu.. et je suis perdu, pensa Pétrone.

Cependant César s'était levé ; le Conseil était clos.