Chapitre 15 |
En 1807, le tribunal de l'Inquisition existait encore
à Valence et fonctionnait quelquefois. Les
révérends Pères ne faisaient, il est
vrai, brûler personne ; mais ils prononçaient
des sentences où le ridicule le disputait à
l'odieux. Pendant mon séjour dans cette ville, le
saint-office eut à s'occuper d'une prétendue
sorcière ; il la fit promener dans tous les quartiers,
à califourchon sur un âne, la figure
tournée vers la queue ; la partie supérieure du
corps, depuis la ceinture, n'offrait aucun vêtement ;
seulement, pour obéir aux règles les plus
vulgaires de la décence, la pauvre femme avait
été enduite d'une substance gluante, de miel,
me dit-on, sur laquelle adhérait une énorme
quantité de petites plumes ; en sorte que, à
vrai dire, la victime ressemblait à une poule ayant
une tête humaine. Le cortège, je laisse à
deviner s'il y avait foule, stationna quelque temps sur la
place de la cathédrale, où je demeurais. On me
rapporta que la sorcière fut frappée sur le dos
d'un certain nombre de coups de pelle ; mais je n'oserais pas
l'affirmer, car j'étais absent au moment où
cette hideuse procession passa devant mes
fenêtres.
Voilà cependant quels spectacles on donnait au peuple,
au commencement du XIXe siècle, dans une des
principales villes d'Espagne, siège d'une
université célèbre, et patrie de
nombreux citoyens distingués par leur savoir, leur
courage et leurs vertus. Que les amis de l'humanité et
de la civilisation ne se désunissent pas ; qu'ils
forment, au contraire, un faisceau indissoluble, car la
superstition veille toujours et guette le moment de ressaisir
sa proie.